Motifs de la demande

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Contenu de la décision

DOSSIER : SCT-2006-11

RÉFÉRENCE : 2015 TRPC 1

DATE : 20150216

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DES ATIKAMEKW D’OPITCIWAN

Revendicatrice

 

Me Paul Dionne, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Me Éric Gingras et Me Dah Yoon Min, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE: le 9 février 2015

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Johanne Mainville


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

[1]  La revendicatrice demande le rejet de plusieurs extraits du rapport d’expertise de l’arpenteur-géomètre, monsieur Éric Groulx (« Groulx »), intitulé « Expertise en arpentage et en géomatique, Rapport sur la nature du mandat de l’arpenteur W.R. White ainsi que la source de l’erreur soulevée sur son plan » (« complément d’expertise ») déposé le 19 décembre 2014 au Tribunal.

A.  LE CONTEXTE

[2]  La revendicatrice a déposé quatre déclarations de revendications particulières auprès du Tribunal. Celles-ci traitent de 1) l’inondation des terres occupées par les Atikamekw à la suite de la mise en eau du territoire Gouin en 1918, 2) du délai de la création de la réserve indienne d’Opitciwan, 3) des inondations causées par le relèvement de la crête du barrage Gouin en 1942 et en 1955-56, et 4) de la superficie de la réserve qui fut créée. L’objection quant à l’admissibilité du complément d’expertise soumise au Tribunal s’inscrit plus particulièrement dans le cadre de cette dernière revendication.

[3]  Dans sa déclaration de revendication, la revendicatrice réclame une compensation pour les dommages et inconvénients subis par les Atikamekw d’Opitciwan en raison de la contenance insuffisante qu’ils ont obtenue.

[4]  Dans les conclusions de sa déclaration ré-amendée, elle recherche notamment ce qui suit :

a) une indemnité pour la valeur de la différence

i)  entre la contenance de 60 acres par famille calculée au moment de l’arpentage final et la contenance de  2 290 acres obtenue, ou

ii)  subsidiairement, entre la contenance de 3 000 acres et la contenance de 2 290 acres obtenue;

(…)

[5]  Le 15 novembre 2013, l’intimée a transmis à la revendicatrice la contre-expertise de Groulx, arpenteur-géomètre reconnu expert par le Tribunal. Dans son rapport, Groulx indique que la superficie calculée sur le plan de l’arpenteur Walter Russel White (« White ») n’est pas de 2 290 acres comme le plan l’indique, mais plutôt de 2 760 acres. Lors de son témoignage tenu les 22, 23 et 24 janvier 2014, Groulx confirme ce fait et est contre-interrogé à cet égard.

[6]  Pour la revendicatrice, ce fait nouveau, révélé lors du témoignage de Groulx, confirme que l’intention du préposé de l’intimée lors de l’arpentage initial était d’arpenter pour les Atikamekw d’Opitciwan une contenance plus grande que les 2 290 acres pris en compte par la suite par les gouvernements fédéral et provincial dans le processus de création de la réserve indienne d’Opitciwan.

[7]  Le 22 mai 2014, à la clôture de la preuve, la revendicatrice a annoncé son intention d’amender sa déclaration de revendication ré-amendée afin de faire concorder les faits, les fondements juridiques de la revendication ainsi que les conclusions avec une situation de fait pertinente qui lui fut révélés, notamment, lors du témoignage de Groulx.

[8]  Par la suite, conformément au calendrier fixé par le Tribunal, la revendicatrice a déposé une demande pour permission de ré-ré-amender la déclaration de revendication SCT-2006-11 afin d’y ajouter les paragraphes 43a, 99a ainsi que 105 a) (iii), lesquels se lisent comme suit :

43a. Il s’avérera que le plan d’arpentage no 1458 confectionné par White a une contenance d’environ 2760 acres.

(…)

99a.  Sous-subsidiairement, le DAI a aussi manqué à son obligation de soin et de diligence en n’utilisant pas la contenance réelle du plan de White comme fondement des discussions avec le ministère des Terres et Forêts du Québec sur la superficie de la réserve indienne d’Opitciwan.

(…)

105. Pour toutes ces raisons, la revendicatrice la PREMIÈRE NATION DES ATIKAMEKW D’OPITCIWAN réclame :

a)    une indemnité pour la valeur de la différence

(…)

(iii) sous-subsidiairement, entre la contenance de 2 760 acres effectivement arpentée en 1914 et la contenance de 2 290 acres obtenue;

[9]  Cette demande a été contestée par l’intimée. Dans un premier temps, elle a demandé le rejet des amendements proposés. Subsidiairement, l’intimée a demandé au Tribunal d’ordonner une réouverture d’enquête et de permettre aux parties de convenir d’un nouveau calendrier des échéances afin de permettre notamment la production de compléments d’expertise.

[10]  Le 10 octobre 2014, le Tribunal a accueilli la demande pour autorisation d’amender de la revendicatrice, ordonné une réouverture d’enquête et permis à l’expert de l’intimée de produire un complément d’expertise sur la nature du mandat de l’arpenteur White et la source de l’erreur soulevée par Groulx.

[11]  Le 19 décembre 2014, l’intimée a déposé le complément d’expertise de Groulx, ce qui donne lieu à la présente objection de la part de la revendicatrice. Plus spécifiquement, celle-ci demande à ce que le titre du rapport, de grandes parties de l’introduction et de la conclusion et le chapitre 4 en entier soient retirés du rapport. La revendicatrice détaille sa demande dans une lettre adressée au Tribunal le 7 janvier 2015.

[12]  La revendicatrice plaide que Groulx a outrepassé le mandat octroyé par le Tribunal, qu’il reprend et parfois contredit son témoignage original, qu’il tente d’améliorer celui-ci et que le chapitre 4 du complément d’expertise ne relève pas de la compétence de l’expert puisqu’il s’agit de plus d’une plaidoirie.

[13]  L’intimée conteste cette demande. Elle fait valoir que Groulx s’est conformé au mandat du Tribunal, son complément d’expertise traite uniquement de la nouvelle théorie de la cause soulevée par la revendicatrice par ses amendements et son analyse ne relève aucunement de la plaidoirie. Jurisprudence à l’appui, l’intimée rappelle que le rôle de l’expert est d’éclairer le Tribunal et de l’aider à apprécier une preuve relative à des questions techniques ou scientifiques. À cette fin, ajoute-t-elle, l’expert peut fonder son opinion sur ses connaissances théoriques, mais aussi sur son expérience et les faits qu’il a observés ou qui ont été prouvés légalement, ce que fait Groulx.

[14]  L’intimée plaide également que le Tribunal doit faire preuve de prudence avant de rejeter un rapport d’expert sans avoir entendu ce dernier. Le fait que Groulx ait été reconnu comme expert par le Tribunal rend son rapport admissible en preuve ainsi que son opinion et, lors de son témoignage, le Tribunal aura alors à en apprécier la valeur probante et la pertinence en regard de l’ensemble du dossier.

B.  ANALYSE

[15]  Il ne s’agit pas ici d’une situation où au début d’une audience ou préalablement à celle-ci, une partie demande de déclarer inadmissible le rapport de l’expert de la partie adverse. En l’espèce, les parties ont eu l’opportunité de produire tous les éléments de preuve qu’ils ont annoncés, incluant leurs rapports d’experts, dont celui de Groulx, lequel a témoigné pendant trois jours.

[16]  Il s’agit d’un complément d’expertise autorisée par le Tribunal dans le cadre d’une réouverture d’enquête dont les balises ont été précisées et fixées dans le jugement du 10 octobre 2014. 

[17]  Il faut donc replacer la décision rendue le 10 octobre dernier dans son contexte.

[18]  À cet égard, au paragraphe 25 de ses Représentations écrites sur la demande d’autorisation d’amender la déclaration de revendication ré-amendée, l’intimée plaidait ce qui suit :

De façon plus concrète, permettre les amendements forceraient les parties à se pencher particulièrement sur la nature du mandat octroyé à l’arpenteur White et nécessairement la source de l’erreur soulevée par l’expert Eric Groulx à savoir pourquoi la superficie calculée du plan est de 2 760 alors que l’inscription au plan est de 2 290 acres (voir Affidavit de Éric Groulx);

[Soulignés ajoutés]

[19]  Dans l’affidavit de Groulx signé le 25 septembre 2014 auquel réfère l’intimée, on lit ce qui suit :

4.    En effet, dans le cadre de mon rapport ainsi que lors de mon témoignage j’ai affirmé, suite à mes calculs, que la superficie que nous avons estimé basée sur les documents en notre possession était de 2 760 acres au lieu de 2290 acres tel qu’indiqué au plan ;

5.    Fort de ce constant, la revendicatrice propose que l’intention de l’arpenteur White était d’arpenter pour les Atikamekw d’Opitciwan une superficie plus grande que les 2 290 acres et propose ainsi de modifier conséquemment les paragraphes 43a), 99a) et 105 a) iii) de la Déclaration de revendication ré-amendée (…) ;

6.   Or, mon expertise ne porte pas, ni n’élabore de façon exhaustive sur ce nouvel argument ;

7.   Tout au plus, mon expertise pose des hypothèses à la page 19 de la façon suivante : « Nous ne pouvons expliquer avec certitude pourquoi il existe une différence entre la superficie inscrite sur le plan de M. White et celle que nous avons calculée. Est-ce que les outils et les méthodes d’arpentage utilisés à l’époque pourraient expliquer la cause ? Cette hypothèse est plausible. De nos jours, les calculs de superficies sont effectués à l’aide de logiciels d’arpentage spécialisés alors qu’à l’époque le tout était fait manuellement, laissant place à plus d’erreurs humaines. Il est donc possible de soupçonner une erreur dans le calcul de la superficie sur le plan de  M. White. » ;

8.   Or, il est bien connu en arpentage que lorsqu’un plan est déposé dans les archives des terres du Canada, certaines vérifications sont faites avant de procéder à son acceptation. Cela dit, les inspecteurs ne recalculent pas systématiquement les superficies, ni ne refont le travail de l’arpenteur;

9.   Si l’arpenteur White a commis une erreur, il est fort possible que personne ne puisse la constater avant un nouvel arpentage. C’est un peu le cas ici, où personne ne s’est intéressé à ce plan avant aujourd’hui;

10.  Les erreurs (ou différences) d’arpentage étaient relativement fréquentes à l’époque;

11.   À ce stade, sans étude plus poussée, il est difficile d’expliquer la raison d’être de cet égard de superficie et cela n’était pas, de toute façon, l’objet de mon expertise ;

12.  Pour identifier la source de cette incohérence, voir valider ou informer l’argument avancé par la revendicatrice, il faudrait faire une étude plus poussée, voir se pencher sur différentes hypothèses ou scénarios ;

13.   À titre d’exemple, les sources d’erreur peuvent être multiples : il est possible qu’il y ait une erreur de chainage, une erreur dans la représentation de la rive, une erreur dans la mise en plan, voir un mauvais calibrage ou une mauvaise utilisation du planimètre ;

14.  Bref, plusieurs scénarios doivent être explorés avant d’avancer une explication comme le suggère la revendicatrice dans la proposition d’amendement;

[Soulignés ajoutés]

[20]  Dans la décision du 10 octobre dernier, le Tribunal écrit ce qui suit :

[34] Le Tribunal fera donc droit aux amendements et afin de permettre à l’intimée de faire valoir ses moyens de preuve, le Tribunal ordonnera une ré-ouverture de l’enquête. Le complément de preuve portera uniquement sur la nature du mandat octroyé à l’arpenteur White et la source de l’erreur soulevée par l’expert Groulx. Ce dernier sera donc autorisé à compléter son rapport d’expert à cette fin seulement. La revendicatrice pourra présenter une contre-expertise en réponse au complément d’expertise de l’expert Groulx, si elle le désire.

(…)

[38] Les amendements résultent de la preuve introduite par l’intimée. Il s’agit d’un fait bien précis et très ciblé que l’intimée connait depuis plus d’un an et demi. Considérant la nature et le fondement de la revendication, l’intimée ne pouvait pas ne pas savoir que ce fait serait soulevé par la revendicatrice. Quant à cette dernière, elle connaît l’existence de ce fait depuis la réception du rapport de l’expert Groulx ou à tout le moins depuis qu’elle en a pris connaissance.

[39] La preuve faite à ce jour devant le Tribunal démontre qu’une recherche exhaustive a été faite dans ce dossier pour retracer la documentation relative aux questions reliées à la contenance de la réserve et au plan de l’arpenteur White. Ce travail de recherche a été fait tant aux fins du dépôt de la revendication qu’aux fins de l’étude par le ministre de la revendication. Il ne saurait donc être question de refaire le travail déjà effectué, ni de partir à la recherche de documents non existants. Également, les experts de l’intimée ont déjà témoigné sur le mandat de l’arpenteur White. Là encore, il n’est pas question de faire une recherche qui a déjà été complétée ni de reprendre un élément sur lequel les experts ont déjà témoigné. L’examen du mandat de White devra se faire uniquement dans le cadre très restreint de l’erreur soulevée par l’expert Groulx.

[Soulignés ajoutés]

[21]  Or, il appert tant des représentations écrites de l’intimée, de l’affidavit de Groulx et de la décision du 10 octobre dernier que l’autorisation donnée par le Tribunal portait sur un fait restreint et bien précis, soit la recherche de la source de l’erreur. D’ailleurs, Groulx n’affirme pas qu’il doit analyser le mandat d’arpentage de White. Toutes ses affirmations concernent la recherche de l’erreur.

[22]  Ainsi, dans sa décision, le Tribunal autorise Groulx à expliquer la source de l’erreur, qui selon le paragraphe 13 de son affidavit est de nature technique, et de se pencher sur la nature du mandat de White dans le cadre très restreint de cette erreur.

[23]  Il est donc clair de la décision du 10 octobre dernier que l’examen du mandat de White devait nécessairement se faire dans le cadre très restreint d’une erreur technique qu’aurait commise celui-ci.

[24]  Or, qu’en est-il au juste?

[25]  Le rapport complémentaire de Groulx se divise en cinq chapitres :

1. Introduction

2. Identification de la source de l’erreur d’arpentage

3. Mandat de l’arpenteur Walter Russel White O.L.S. D.L.S.

4. Hypothèses sur le mandat d’arpentage de W.R. White D.L.S.

5. Conclusions

[26]  Au chapitre 2 du complément d’expertise intitulé « Identification de la source de l’erreur d’arpentage », Groulx analyse comme source d’erreurs techniques possibles les éléments suivants :

1. Analyse du carnet de notes

2. Calcul de la superficie à l’aide d’un planimètre

3. Calcul de superficie par section

4. Erreur de chaînage

5. Précision de l’époque

[27]  À la suite de son analyse de ces diverses sources d’erreurs possibles, il conclut ce qui suit:

Suivant toutes les analyses que nous avons faites pour tenter d’expliquer l’erreur technique qu’aurait commise W.R. White, il nous a été impossible de l’identifier, ni de l’expliquer. Est-ce une mauvaise utilisation des instruments, une erreur de calcul, une erreur d’inscription typographique? Malheureusement, le mystère demeure entier.

[28]  Au chapitre 3 de son complément d’expertise, reconnaissant avoir été incapable de cibler une erreur technique associée au plan de White, Groulx aborde ensuite la question du mandat qu’aurait reçu ce dernier. À cet égard, il annonce qu’en premier lieu, il regardera si d’autres sources d’information sont disponibles pour expliquer les instructions d’arpentage qu’aurait reçues White. À la limite, cette partie du complément d’expertise est conforme à la décision  puisque Groulx effectue des recherches additionnelles afin de retrouver les instructions d’arpentage, soit le mandat qui aurait pu permettre d’identifier la source de l’erreur.

[29]  Dans un deuxième temps, il annonce qu’il présentera certaines hypothèses basées sur les informations connues concernant le mandat de ce dernier.

[30]  Il conclut son chapitre 3 comme suit :

Nos différentes recherches pour trouver des indices supplémentaires qui expliquent le mandat de W.R. White sont restées vaines. Nous n’avons pu trouver de traces ou de documents expliquant le mandat de White et la différence entre la superficie indiquée sur son plan et celle que nous mesurons avec nos logiciels, à partir de ce même plan. Des recherches supplémentaires pourraient être effectuées. Toutefois, les résultats risquent d’être les mêmes. Notre analyse du mandat de l’arpenteur White devra donc être réalisée à partir des documents déjà connus.

[31]  Ainsi, étant incapable de démontrer l’erreur technique ni d’expliquer le mandat reçu par White en rapport avec l’erreur qui, selon son affidavit, aurait été commise par White, Groulx énonce alors des hypothèses qu’il entend analyser à la lumière des documents historiques mis en preuve par les parties, ce à quoi il s’attarde au chapitre 4 de son complément d’expertise.

[32]  Il y a lieu de reprendre les hypothèses soumises par Groulx qui permettent de mieux cerner le litige. Il s’agit de ce qui suit :

1.   Est-ce que l’arpenteur White a reçu comme instructions d’arpenter un territoire d’environ 5120 acres (8 miles carrés) tel que demandé à l’origine ?

2.   Est-ce que l’arpenteur White a reçu comme instructions d’arpenter un territoire d’environ 3000 acres, superficie avancée alors que le gouvernement fédéral désire acheter des terres au gouvernement provincial ?

3.   Est-ce que l’arpenteur White a reçu comme instructions d’arpenter un territoire d’environ 2310 acres, superficie basée sur un ratio de 60 acres par famille telle qu’avancée par Wilson en 1912 ? [Dans son complément d’expertise, Groulx retient cette hypothèse comme étant la plus plausible et conclut que sur la base de son interprétation des documents historiques que cela donne une superficie de 2310 acres. Or, il existe un litige important entre les parties notamment sur le nombre de familles et de personnes visé par cette mesure. La revendicatrice est en désaccord avec le chiffre avancé par l’intimée et il s’agit d’un point que les avocats devront expliquer lors de leur plaidoirie en prenant appui sur les documents mis en preuve.]

 

4.   Est-ce que l’arpenteur White aurait pu tenir compte d’une inondation à venir et délimiter un territoire plus grand que les 2290 acres, en prévision de celle-ci ?

5.   Est-ce que l’arpenteur White se serait fait donner carte blanche pour la délimitation d’un territoire pour les membres de la bande d’Obiduan ?

[33]  Pour répondre à ses hypothèses, qui n’ont rien à voir avec les possibles erreurs techniques auxquelles il référait dans son affidavit, Groulx se livre à une analyse en interprétant les documents mis en preuve.

[34]  Il conclut à la page 21 :

De l’analyse du dossier et des documents, nous sommes portés à croire que W.R. White aurait reçu comme mandat, d’arpenter le territoire qu’occupe la bande d’Obiduan, un territoire assez grand pour protéger les intérêts des Atikamekw. Il a été jugé qu’environ 2310 acres constitueraient une superficie convenable pour remplir ces conditions. L’arpenteur White en a été instruit et il a réalisé un arpentage et produit un plan selon ces paramètres. Le village et les maisons sont situés à l’intérieur du territoire arpenté et le plan déposé indique une superficie de 2 290 acres.

[35]  Groulx ajoute par la suite ce qui suit :

Dans cette analyse, nous ne nous prononçons pas sur la légitimité d’une superficie de 2 290 acres. Était-ce bien ou non d’arpenter cette superficie ? Ce n’est pas à nous de nous prononcer. Notre mandat en tant qu’arpenteur-expert consiste seulement à tenter d’expliquer le mandat que l’arpenteur White aurait reçu.

[36]  L’intimée plaide que, selon la jurisprudence, l’expert peut fonder son opinion sur son expérience et les faits qu’il a observés ou qui ont été prouvés légalement.

[37]  Le Tribunal ne remet pas en cause ce principe. Cependant, en l’espèce, la décision du 10 octobre 2014 autorise l’intimée à produire un rapport d’expert complémentaire sur un point précis et très restreint, soit d’identifier la source d’une erreur de nature technique qu’aurait commise White et d’analyser le mandat de White en rapport avec cette erreur.

[38]  Or, au lieu de s’en tenir à ce cadre restreint, Groulx analyse les documents mis en preuve par d’autres témoins et conclut à cet égard ce qu’il est « porté à croire » quant à la nature du mandat d’arpentage reçu par White. Or, le Tribunal n’a jamais autorisé Groulx à déposer un complément d’expertise à cette fin, ni autorisé Groulx à compléter son expertise sur la portée de plan de White, ni à revenir sur des éléments développés dans son rapport du mois de novembre 2013 sur lequel il a témoigné ou sur lesquels d’autres experts ont témoigné.

[39]  Au surplus, le chapitre 4 du rapport complémentaire de Groulx relève davantage de l’argumentation. Les propositions qui y sont soumises n’exigent pour être comprises, aucune connaissance technique particulière. Le Tribunal ne voit pas en quoi celles-ci sont susceptibles de l’éclairer. Ces propositions pourront aisément être formulées par les avocats lors des plaidoiries et le Tribunal aura à en analyser la valeur probante.

[40]  Cela dit, le contenu du complément d’expertise démontre que Groulx outrepasse le mandat qui a été autorisé par le Tribunal et qu’il cherche à bonifier la preuve de l’intimée.

[41]  Par conséquent, le Tribunal maintiendra l’objection de la revendicatrice et déclarera inadmissibles en preuve les parties du complément d’expertise de Groulx selon la lettre du 7 janvier 2015 de la revendicatrice.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : 

MAINTIEN l’objection de la revendicatrice quant à l’inadmissibilité de plusieurs parties du complément d’expertise de l’arpenteur-géomètre Éric Groulx intitulé « Expertise en arpentage et en géomatique, Rapport sur la nature du mandat de l’arpenteur W.R. White ainsi que la source de l’erreur soulevée sur son plan » daté de décembre 2014;

DÉCLARE inadmissibles en preuve et RAYE les parties suivantes du complément d’expertise  de l’arpenteur-géomètre Éric Groulx intitulé « Expertise en arpentage et en géomatique, Rapport sur la nature du mandat de l’arpenteur W.R. White ainsi que la source de l’erreur soulevée sur son plan » daté de décembre 2014 :

Titre du rapport

  • Le titre doit refléter la subordination de l’élément « nature du mandat »de White à l’élément « source de l’erreur »de White.

  • Les items 1.4.1, 4 et Annexe B de la table des matières outrepassent le mandat du Tribunal.

  • La dernière phrase du cinquième paragraphe du sous-titre 1.1 de l’introduction outrepasse le mandat du Tribunal. Elle n’explique pas le contexte dans lequel l’expert devait effectuer sa tâche.

  • Les items 3 et 4 du sixième paragraphe du sous-titre 1.1, lesquels outrepassent le mandat du Tribunal. En effet, le Tribunal n’a pas donné mandat à l’expert de présenter son opinion sur le mandat d’arpentage de White, ni sur la portée du plan lié au mandat d’arpentage de White.

  • Au sous-titre 1.3, l’interprétation du mandat du Tribunal est trop large. Celui-ciconsistait à expliquer l’erreur d’arpentage, si nécessaire en se penchant sur le mandat de White. La description qu’en donne l’expert outrepasse ce mandat.

  • Au sous-titre 1.4, tout le contenu du paragraphe 1.4.1 outrepasse le mandat du Tribunal. Au paragraphe 39 des motifs de sa décision, le Tribunal a indiqué qu’il n’était pas question de refaire une recherche déjà complétée ni de reprendre un élément sur lequel les experts ont déjà témoigné. C’est ce que fait l’expert.

  • Au sous-titre 1.5, les quatre dernières phrases du premier paragraphe outrepassent le mandat du Tribunal, car l’expert annonce une analyse du mandat de l’arpenteur White sans lien avec la recherche de la source de son erreur.

Table des matières

Introduction

Chapitre 3

  • Le quatrième paragraphe du chapitre 3 outrepasse le mandat du Tribunal, car il reprend des éléments sur lesquels les experts ont déjà témoigné (la motivation ou la non-motivation du Québec à concéder du territoire pour la création d’une réserve au lac Obiduan). De surcroit, ces éléments sont du domaine de la plaidoirie, et par conséquent ils ne sont pas du ressort de l’expertise de l’arpenteur Groulx.

  • Au sous-titre 3.2, la dernière phrase de l’encadré en ombragé et le dernier paragraphe au complet outrepassent le mandat du Tribunal, car ils annoncent une analyse du mandat de l’arpenteur White sans lien avec la recherche de la source de l’erreur de ce dernier.

Chapitre 4

  • Le chapitre 4 en entier outrepasse le mandat du Tribunal car l’expert s’y livre à des hypothèses sur la nature du mandat de l’arpenteur White. En outre, le contenu du chapitre 4 est du domaine de la plaidoirie et ne relève pas de l’expertise de l’arpenteur Groulx.

  • À l’exception de la première phrase, le premier paragraphe de la conclusion outrepasse le mandat du Tribunal car il reprend des éléments sur lesquels les experts ont déjà témoigné, éléments qui, de surcroit, sont du ressort des plaidoiries.

  • Une coquille s’est glissée à l’avant-dernière ligne du deuxième paragraphe : la superficie totale devrait se lire 2760 acres, et non 2270 acres.

  • La dernière phrase du troisième paragraphe outrepasse le mandat du Tribunal en ce qu’il constitue une interprétation trop large dudit mandat, pour les raisons mentionnées ci-dessus.

  • Au quatrième paragraphe, les mots « et le dernier étant l’analyse d’hypothèses pouvant expliquer sur quelles bases le mandat de White était fondé » outrepassent le mandat du Tribunal, pour les raisons mentionnées ci-dessus.

  • Les trois derniers paragraphes de la conclusion résument le chapitre 4 et outrepassent le mandat du Tribunal pour les raisons mentionnées en regard du chapitre 4 ci-dessus.

Conclusion

Annexe B

  • L’annexe B consiste en un « [p]lan montrant les diverses limites dans le cadre de la contre-expertise réalisée par la direction de l’arpenteur général »du gouvernement du Canada. Ce plan n’a pas de lien évident avec le mandat ou avec les parties admissibles du rapport d’expertise.

JOHANNE MAINVILLE

L’honorable Johanne Mainville


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20150216

Dossier : SCT-2006-11

OTTAWA (ONTARIO), le 16 février 2015

En présence de l’honorable Johanne Mainville

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DES ATIKAMEKW D’OPITCIWAN

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

À :

Avocat de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DES ATIKAMEKW D’OPITCIWAN

Représentée par Me Paul Dionne

 

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Me Éric Gingras et Me Dah Yoon Min

 

 

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