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DOSSIER : SCT-5006-19

RÉFÉRENCE : 2020 TRPC 6

DATE : 20201202

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE

Revendicatrice (défenderesse)

 

Me Amy Barrington et Me Ryan M. Lake, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée (demanderesse)

 

Me Jody Lintott et Me Melissa Nicolls, pour l’intimée (demanderesse)

 

 

ENTENDUE : Le 17 septembre 2020

MOTIFS SUR LA DEMANDE

L’honorable Victoria Chiappetta


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, par 13(1).

Règles de procédure civile, RRO 1990, Règl 194, art 2.1.

Sommaire :

En l’espèce, la revendicatrice, la Première Nation de Witchekan Lake, soutient que l’intimée (« le Canada ») a manqué aux obligations légales et de fiduciaire auxquelles elle était tenue dans le cadre du processus de création de la réserve de Witchekan Lake.

Dans la présente demande, l’intimée affirme que la Cour fédérale du Canada a compétence exclusive sur la revendication.

Or, la revendicatrice soutient que la Cour fédérale du Canada n’a pas compétence exclusive puisque la présente revendication ne porte pas sur le fait que la Couronne n’a pas accordé suffisamment de terres de réserve en contravention du Traité nº 6, mais sur l’aliénation illégale de terres qui étaient réservées pour la Première Nation de Witchekan Lake.

Selon l’Accord-cadre sur les droits fonciers issus de traités en Saskatchewan et l’Accord sur les droits fonciers issus de traités de Witchekan Lake, la Cour fédérale du Canada a compétence exclusive sur les différends pouvant survenir entre les parties à l’égard de l’interprétation d’une disposition des accords.

Il est sursis à la revendication et il y sera sursis jusqu’à ce que la Cour fédérale du Canada statue que le Tribunal peut être saisi de la revendication.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. Aperçu 4

II. contexte 4

III. Analyse 6

IV. CONCLUSION 7


 

I. Aperçu

[1] L’intimée, Sa Majesté la Reine du chef du Canada (« le Canada »), soutient que la Cour fédérale du Canada (« la Cour fédérale ») a compétence exclusive pour trancher les questions qui se situent au cœur de la revendication déposée par la revendicatrice, la Première Nation de Witchekan Lake (« Witchekan »). Le Canada demande donc l’autorisation de présenter une demande visant à obtenir une ordonnance radiant la revendication ou, subsidiairement, y sursoyant. Pour les motifs énoncés ci-dessous, l’autorisation est accordée et il est sursis à la revendication.

II. contexte

[2] Le 23 juillet 2019, Witchekan a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal des revendications particulières (« le Tribunal »). Witchekan soutient que le Canada a manqué aux obligations légales et de fiduciaire auxquelles il était tenu dans le cadre du processus de création de la réserve de Witchekan Lake. Witchekan soutient notamment qu’après l’arpentage en 1913, soit en 1918 et en 1919, des terres de la réserve ont été illégalement aliénées.

[3] En 1992, le Canada, la province de la Saskatchewan et diverses Premières Nations ont signé l’Accord-cadre sur les droits fonciers issus de traités en Saskatchewan (« l’Accord-cadre sur les DFIT »), en reconnaissance du fait que certaines Premières Nations n’ont pas reçu la superficie de terres à laquelle elles avaient droit en vertu des traités nº 4, nº 6 et nº 10.

[4] En 1993, le Canada et Witchekan ont signé l’Accord sur les droits fonciers issus de traités de Witchekan Lake (« l’Accord sur les DFIT de Witchekan »). Cet accord contient plusieurs dispositions qui se retrouvent dans l’Accord-cadre sur les DFIT.

[5] Aux termes de l’Accord-cadre sur les DFIT et de l’Accord sur les DFIT de Witchekan, le Canada et la province de Saskatchewan ont versé à Witchekan une somme d’argent afin qu’elle acquière la superficie manquante des terres qui avaient été promises par le Traité nº 6 et des terres additionnelles, ainsi que des sommes supplémentaires. Dans les deux accords, Witchekan a confirmé qu’elle avait obtenu un avis juridique indépendant. Par ailleurs, les deux accords contiennent une clause de « règlement intégral et définitif », par laquelle les parties ont convenu que les accords ont [traduction] « pour objectif et pour effet le règlement complet et définitif de toute obligation et de tout engagement du Canada en ce qui concerne les droits fonciers [non attribués] issus de traités » relatifs à Witchekan (article 15.04 des deux accords).

[6] L’Accord-cadre sur les DFIT et l’Accord sur les DFIT de Witchekan prévoient que la Cour fédérale a compétence exclusive pour trancher les différends portant sur toute question liée aux accords. Plus précisément, l’article 20.20 de l’Accord-cadre sur les DFIT et l’article 20.18 de l’Accord sur les DFIT de Witchekan prévoient ce qui suit :

[traduction]

PROCÉDURES JUDICIAIRES :

Nonobstant l’article 19, à l’exception des questions à l’égard desquelles il a été convenu de procéder à un arbitrage aux termes l’article 19.02, si les parties concernées ne parviennent pas à s’entendre sur une question quelconque, y compris une question d’interprétation relativement à un terme, à un engagement, à une condition ou à une disposition du présent accord, il appartient exclusivement à la Cour fédérale du Canada de régler le différend et de faire respecter le règlement.

[7] Witchekan soutient que les dispositions relatives à la compétence exclusive ne s’appliquent pas à la présente revendication puisqu’elle ne porte pas sur le fait que la Couronne n’a pas fourni suffisamment de terres de réserve, en contravention du Traité nº 6, mais plutôt sur l’aliénation illégale des terres qui avaient été réservées pour Witchekan. Elle se fonde sur l’alinéa 15.01c) des deux accords, lequel prévoit notamment ce qui suit :

[traduction]

c) nonobstant les alinéas a) et b) ci-dessus, il est entendu qu’aucune disposition des présentes ne vise ni ne doit avoir pour effet de porter atteinte aux droits, actions ou revendications d’une bande [ayant droit à des terres] (sauf en ce qui concerne les droits fonciers issus de traités non attribués) se rapportant, notamment, à toute cession, aliénation ou autre disposition irrégulière par le Canada de terres de réserve, aux revendications relatives aux terres indiennes traditionnelles (sans rapport avec les droits fonciers issus de traités non attribués), ou à tout autre droit, action ou revendication (sans rapport avec les droits fonciers issus de traités non attribués) qui pourrait exister actuellement ou à l’avenir. Toutefois, rien dans la présente disposition ne doit être interprété comme signifiant que le Canada admet ou nie la validité de telle action ou revendication.

[8] Le Canada ne souscrit pas à l’interprétation de l’alinéa 15.01c) proposée par Witchekan. Il se fonde notamment sur l’alinéa 15(1)e) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, selon lequel une première nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication si elle est fondée sur un accord prévoyant un autre mécanisme de règlement des différends.

III. Analyse

[9] Witchekan fait notamment valoir que la revendication qu’elle a réglée au moyen de l’Accord-cadre sur les DFIT et de l’Accord sur les DFIT de Witchekan a seulement permis de remédier au fait que le Canada n’avait pas mis de côté suffisamment de terres de réserve pour respecter la disposition sur les terres de réserve du Traité nº 6. En revanche, soutient‑elle, la présente revendication explique en détail que le Canada n’aurait pas agi de façon honorable en aliénant des terres réservées à son usage et à son profit et qu’elle a subi, en conséquence, un appauvrissement. C’est pourquoi elle affirme que le Canada est tenu de replacer Witchekan dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si le Canada n’avait pas manqué à ses obligations légales et/ou de fiduciaire. Fait important, Witchekan soutient que l’alinéa 15.01c) de l’Accord-cadre sur les DFIT et de l’Accord sur les DFIT de Witchekan protège expressément son droit de déposer d’autres revendications, y compris des revendications se rapportant à l’aliénation de terres.

[10] Le Canada n’est pas de cet avis. Il soutient que l’Accord-cadre sur les DFIT et l’Accord sur les DFIT de Witchekan règlent toutes les questions soulevées dans la présente revendication. Par conséquent, pour statuer sur la revendication, il faudra appliquer les accords sur les DFIT, de sorte que la Cour fédérale a compétence exclusive conformément à l’article 20.20 de l’Accord-cadre sur les DFIT et à l’article 20.18 de l’Accord sur les DFIT de Witchekan.

[11] Autrement dit, la question qui se pose en l’espèce est de savoir si la revendication fait partie des revendications visées par l’alinéa 15.01c) de l’Accord-cadre sur les DFIT et de l’Accord sur les DFIT de Witchekan, qui échappent à la compétence exclusive de la Cour fédérale. Les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation de l’alinéa 15.01c) et sur l’application de cette interprétation à la revendication.

[12] Aux termes de l’article 20.20 de l’Accord-cadre sur les DFIT et de l’article 20.18 de l’Accord sur les DFIT de Witchekan, si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur l’interprétation d’une disposition de l’accord, le règlement du différend relèvera de la compétence exclusive de la Cour fédérale. Le Tribunal n’est donc pas compétent pour trancher la question en l’espèce. C’est la Cour fédérale qui a compétence pour trancher correctement la question de savoir si l’alinéa 15.01c) des accords permet au Tribunal d’être saisi de la revendication devant le Tribunal malgré les dispositions des accords relatives à la compétence exclusive.

IV. CONCLUSION

[13] Pour les motifs énoncés ci-dessus, conformément au paragraphe 13(1) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, et à l’article 2.1.01 des Règles de procédure civile de l’Ontario, RRO 1990, Règl 194, il est sursis à la revendication et il y sera sursis jusqu’à ce que la Cour fédérale décide que l’alinéa 15.01c) de l’Accord-cadre sur les DFIT et de l’Accord sur les DFIT de Witchekan permettent à Witchekan d’en saisir le Tribunal. La question des dépens afférents à la présente demande sera tranchée si la Cour fédérale statue que le Tribunal peut être saisi de la revendication.

VICTORIA CHIAPPETTA

L’honorable Victoria Chiappetta

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20201202

Dossier : SCT-5006-19

OTTAWA (ONTARIO), le 2 décembre 2020

En présence de l’honorable Victoria Chiappetta

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE

Revendicatrice (défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée (demanderesse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice (défenderesse) PREMIÈRE NATION DE WITCHEKAN LAKE

Représentée par Me Amy Barrington et Me Ryan M. Lake

Maurice Law, Barristers & Solicitors

ET AUX :

Avocates de l’intimée (demanderesse)

Représentée par Me Jody Lintott et Me Melissa Nicolls

Ministère de la Justice

 

 

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