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DOSSIER : SCT-5012-19

RÉFÉRENCE : 2021 TRPC 6

DATE : 20211223

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE MUSKOWEKWAN

Revendicatrice (défenderesse)

 

MSteven W. Carey et MAmy Barrington, pour la revendicatrice (défenderesse)

— et —

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée (demanderesse)

 

MPatricia Warwick, pour l’intimée (demanderesse)

 

 

ENTENDUE : Le 8 octobre 2021

MOTIFS SUR LA DEMANDE

L’honorable Todd Ducharme


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Elcano Acceptance Ltd. v Richmond, Richmond, Stambler & Mills, 1986 CarswellOnt 618, 55 OR (2d) 56 (CA); Unwin v Crothers, 2005 CarswellOnt 2811, 76 OR (3d) 453 ; Realsearch Inc c Valon Kone Brunette Ltd., 2004 CAF 5, [2004] 2 RCF 514; Central Canada Potash Co et al v Saskatchewan (AG), [1974] 6 WWR 374, 1974 CarswellSask 94; Mus v Kozakowski, 2012 SKQB 255, 400 Sask R 141; Nadeau v Canada (AG), 2001 SKQB 20, [2001] SJ no 8; Waller v Independent Order of Foresters, 1905 CarswellOnt 176, 5 OWR 421 (C. div. HC); Garland c Consumers’ Gas Co, 2004 CSC 25, [2004] 1 RCS 629; Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien), 2018 CSC 4, [2018] 1 RCS 83; Première Nation de Kahkewistahaw c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 5; Première Nation de Keeseekoose c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2017 TRPC 3; Nation crie de Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3; Mikisew Cree First Nation c Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 RCS 765; R c Van der Peet, [1996] 2 RCS 507, 137 DLR (4th) 289; Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 153 DLR (4th) 193.

Loi et règlement cités :

Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119, règle 10.

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 16.

Doctrine

Affaires autochtones et du Nord Canada, Renouveler l’engagement : Examen quinquennal de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, par Benoît Pelletier, représentant spécial du ministre (Ottawa, Affaires autochtones et du Nord Canada, septembre 2015).

L’Association du Barreau canadien, Specific Claims Tribunal Act Five Year Review, mémoire de la Section nationale du droit autochtone (Ottawa, L’Association du Barreau canadien, avril 2015).

Sommaire :

Scission — Scission de l’instance — Éléments de preuve précis et convaincants — Mandat du Tribunal — Raison d’être du Tribunal — Réconciliation — Première Nation — Retard — Principes de scission – Résolution juste, rapide et économique

Les parties se sont présentées devant le Tribunal des revendications particulières (Tribunal) après que l’intimée (la Couronne) eut présenté une demande visant à scinder la revendication en deux étapes distinctes : celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation. L’intimée soutient que les questions relatives au bien‑fondé sont trop complexes pour être instruites en même temps que les questions d’indemnisation et qu’il serait inefficace de procéder en une seule étape. La revendicatrice, la Première Nation de Muskowekwan, s’est opposée à cette demande. Elle a fait valoir que toute partie a le droit fondamental de voir toutes les questions en litige résolues dans le cadre d’un seul procès. Elle a ajouté que, comme l’intimée avait reconnu sa responsabilité en partie, l’étape de l’indemnisation était inévitable et que la scission de l’instance ne permettrait donc pas un règlement plus rapide, économique et juste de la présente revendication.

Le Tribunal a rappelé que l’examen des questions dont il est saisi tient dûment compte de son origine et de sa raison d’être. Étant donné la nature particulière des revendications des Premières Nations, le Tribunal a été chargé de statuer sur celles‑ci de façon équitable et dans les meilleurs délais afin de contribuer au rapprochement entre les Premières nations et Sa Majesté et au développement et à l’autosuffisance des Premières Nations.

Dans la décision Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3, qu’il a rendue récemment, le Tribunal a revu le critère établi dans la décision Première Nation Kahkewistahaw c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 5. Il a conclu que, lorsque les parties n’arrivent pas à s’entendre sur la question de la scission de l’instance, le Tribunal ne devrait consentir à une telle scission que dans les cas exceptionnels où il est établi, au moyen d’éléments de preuve précis et convaincants, qu’elle lui permettra de remplir son mandat. Il incombe à la partie qui la demande de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la scission de l’instance permettra au Tribunal de remplir son mandat. Dans la présente demande, le Tribunal a appliqué le critère plus précis qu’il a récemment établi.

Après avoir examiné l’historique procédural de la revendication et les éléments de preuve présentés à l’appui de la demande, le Tribunal a conclu que l’intimée ne s’était pas acquittée de son fardeau et a rejeté la demande de scission.

TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction 6

II. LA DEMANDE 8

III. HISTORIQUE PROCÉDURAL DE LA REVENDICATION 9

IV. PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA SCISSION 10

V. SCISSION d’une instance DEVANT LE TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES 12

VI. Analyse 17

VII. CONCLUSION 18


 

I. Introduction

[1] La revendicatrice, la Première Nation de Muskowekwan, est établie sur le territoire visé par le Traité no 4 dans l’actuelle province de la Saskatchewan, à environ 45 minutes au nord de Fort Qu’Appelle. Deux cessions de terres sont en cause dans la présente revendication. La première a eu lieu en 1910, lorsque la revendicatrice a cédé 160 acres de terre afin que la Compagnie de chemin de fer Grand Trunk Pacific puisse y aménager un lotissement urbain. Outre les conditions relatives au le produit de la vente, la cession était conditionnelle à ce que 10 % du prix de vente lui soit versé immédiatement, que la partie cédée soit arpentée et que la terre soit vendue aux enchères publiques. La deuxième cession contestée a eu lieu dix ans plus tard, en 1920. Encore une fois, en plus du versement du produit de la vente, la cession était assujettie à certaines conditions, dont celle de vendre les terres aux enchères publiques. La revendicatrice s’est présentée devant le Tribunal des revendications particulières (le Tribunal), alléguant que, s’agissant des deux cessions et des ventes y afférentes, l’intimée (la Couronne) avait manqué à ses obligations de fiduciaire et au principe de l’honneur de la Couronne et qu’elle n’avait pas respecté les conditions dont étaient assorties les cessions.

[2] En ce qui concerne la cession de 1910, la revendicatrice allègue notamment que l’intimée a manqué à ses obligations de fiduciaire en ne lui fournissant pas suffisamment de renseignements au moment de la cession, et qu’elle a ainsi favorisé les intérêts des colons et de la Compagnie de chemin de fer au détriment des siens, et en ne respectant pas les conditions de la cession à de nombreux égards. La revendicatrice affirme que l’intimée n’a pas vendu tous les lots aux enchères publiques, qu’elle a vendu à la province de la Saskatchewan et au village de Lestock une partie des terres à un prix inférieur à leur valeur et qu’elle a donné certaines terres pour l’aménagement d’un parc provincial.

[3] Quant à la cession de 1920, la revendicatrice allègue encore là que l’intimée a manqué à ses obligations de fiduciaire et qu’elle n’a pas respecté les conditions dont était assortie la cession. La revendicatrice affirme notamment que l’intimée n’a pas adéquatement informé la Première Nation de Muskowekwan des options qui s’offraient à elle, autres que la cession, qu’elle n’a pas préservé ses droits tréfonciers, qu’elle s’est approprié d’autres terres sans l’indemniser, qu’elle a privilégié les intérêts d’autrui au détriment des siens, qu’elle a loué plutôt que vendu des parcelles et qu’elle a illégalement éteint les dettes qu’avaient les acheteurs envers la Première Nation de Muskowekwan par l’application de la Loi d’arrangement entre cultivateurs et créanciers, adoptée en 1934.

[4] L’intimée fait deux admissions dans le cadre de la présente revendication : elle admet avoir manqué à ses obligations de fiduciaire, d’une part en vendant au village de Lestock des terres à un prix inférieur à leur valeur, et d’autre part en appliquant incorrectement la Loi d’arrangement entre cultivateurs et créanciers pour éteindre les créances de la revendicatrice. Hormis ces admissions, l’intimée nie toutes les allégations de la revendicatrice.

[5] Pour ce qui est de la cession de 1910, l’intimée dit que la Première Nation de Muskowekwan en a été pleinement informée puisqu’elle négociait avec la Couronne depuis 1906 et qu’elle avait notamment fait des contre‑propositions. Elle soutient que, pour respecter la condition relative à la vente aux enchères publiques, il suffisait que les terres soient [traduction]« mises en vente » aux enchères publiques (italiques dans l’original; réponse à la déclaration de revendication, déposée auprès du Tribunal le 9 juillet 2020, au para 6), ce qu’elle a fait. En ce qui concerne la création du parc provincial, il s’agissait pour la Couronne d’une obligation que lui imposaient les règlements municipaux en vigueur à l’époque — une condition préalable au lotissement et à la vente — dont elle s’est acquittée dans l’intérêt de la Première Nation de Muskowekwan.

[6] De même, pour ce qui est de la cession de 1920, l’intimée soutient qu’elle a rempli ses obligations, sauf celle visée par son admission. Elle affirme que la revendicatrice a choisi de vendre plutôt que de continuer à louer les terres en contrepartie d’un rendement insatisfaisant et qu’elle a été adéquatement informée. Elle admet avoir loué certaines parties des terres cédées, mais soutient que ces ententes ont fait l’objet de discussions avec la Première Nation de Muskowekwan et qu’elles ont été conclues dans l’intérêt supérieur de cette dernière : le ralentissement économique qui a suivi la cession a rendu la vente difficile, et l’intimée s’est toujours efforcée de vendre les terres de la manière la plus avantageuse possible pour la Première Nation de Muskowekwan. L’intimée nie avoir pris d’autres terres, soutenant qu’elle n’avait acquis que celles décrites dans l’acte de cession. Enfin, l’intimée soutient qu’au moment de la cession, les terres ne comportaient aucun gisement souterrain connu et que la revendicatrice n’avait pas manifesté l’intention de renoncer à ses droits tréfonciers.

[7] À l’instar de nombreuses revendications historiques présentées par les Premières Nations au Canada, la présente revendication est complexe en soi, mais elle l’est encore plus à cause du temps qui s’est écoulé depuis que les actes fautifs reprochés ont été commis. Bien souvent, les Premières Nations doivent faire appel à une multitude d’experts pour établir l’acte fautif, puis à autant d’experts pour prouver les pertes ouvrant droit à indemnisation. En outre, les Premières Nations qui sont parties à un litige ont des préoccupations économiques qui leur sont propres : les procès sont toujours coûteux. Il appartient au Tribunal de réduire ces coûts en adoptant des processus efficaces qui lui permettent de rendre justice sans créer de nouvelles injustices, c’est‑à‑dire sans dépenser des fonds qui pourraient être utilisés à meilleur escient.

[8] C’est pour ces raisons, entre autres, que les revendications dont est saisi le Tribunal sont souvent instruites en deux étapes avec le consentement des parties : une première qui vise à établir le bien-fondé de la revendication elle-même et une seconde qui vise à déterminer l’indemnité qu’il convient de verser pour les pertes reconnues. La plupart du temps, cette façon de procéder est logique d’un point de vue économique : il n’est pas nécessaire de retenir les services d’experts en indemnisation s’il est impossible d’établir d’abord le bien-fondé de la revendication. De plus, en scindant l’instance et en concentrant leur attention sur le bien-fondé de la revendication, les deux parties peuvent concentrer leurs ressources et leurs efforts sur ce qui est, bien souvent, une question complexe, d’autant plus complexe qu’elle est de nature historique.

II. LA DEMANDE

[9] L’intimée dépose la présente demande de scission en vertu de la règle 10 des Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119. Ce faisant, elle fait valoir bon nombre des arguments mentionnés précédemment dans les présents motifs, à savoir que : la nature des revendications déposées relativement aux deux cessions est complexe et multidimensionnelle; vu cette nature multidimensionnelle, l’éventail des issues possibles est large, de sorte qu’il serait inefficace d’instruire la question de l’indemnisation si le bien-fondé de la revendication n’est pas établi; une conclusion sur le bien-fondé permettrait de circonscrire de manière significative les divers aspects de la revendication, si bien que les experts en indemnisation pourraient plus efficacement rédiger leurs avis; enfin, une conclusion sur le bien‑fondé pourrait ouvrir la voie à un règlement sur l’indemnisation.

[10] La revendicatrice s’oppose à la scission. Elle soutient notamment que l’instruction de la présente revendication se fait attendre depuis de nombreuses années et que la scission de l’instance ne fera que retarder davantage la procédure et en accroître les coûts. Selon elle, la question de la valeur des terres au moment de la cession et de la vente doit être prise en compte tant pour statuer sur le bien‑fondé de la revendication que pour déterminer l’indemnité à accorder, ce qui signifie que ces questions sont trop interreliées pour être divisées. Elle ajoute que la tenue d’une audience sur l’indemnisation est inévitable puisque l’intimée a fait deux admissions dans la présente revendication; il y a donc peu à gagner à scinder l’instance. La revendicatrice rejette l’idée qu’une décision sur le bien‑fondé favoriserait un règlement, faisant valoir que l’historique procédural de la présente revendication illustre bien que, depuis le début, les négociations n’ont pas été fructueuses et qu’il est peu probable qu’elles le soient maintenant. Enfin, elle soutient avoir subi un préjudice, car elle a déjà consacré d’importantes ressources à la question de l’indemnisation et que le retard causé par la scission de l’instance pourrait se traduire par la perte de la preuve présentée par les aînés vieillissants de la communauté.

III. HISTORIQUE PROCÉDURAL DE LA REVENDICATION

[11] L’historique procédural de la présente revendication est long et complexe.

[12] La revendication a d’abord été déposée auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, maintenant ministre des Relations Couronne-Autochtones, en septembre 1992. Des observations supplémentaires ont été présentées en août 1994, en juillet 1996, en juillet 1997, en août 1997 et en septembre 1999. Le ministre a rejeté la revendication aux fins de négociation en mai 1997, ce qui signifie que les observations d’août 1997 et de septembre 1999 ont été déposées après coup.

[13] La Première Nation de Muskowekwan ne s’est pas arrêtée là. Elle a demandé à la Commission des revendications des Indiens (la Commission), un organisme indépendant qui enquêtait sur les revendications particulières rejetées par le gouvernement, de tenir une enquête. En décembre 2003, la Commission a accepté.

[14] En janvier 2008, la Couronne a proposé de négocier deux aspects distincts de la revendication dont est actuellement saisi le Tribunal, mais ces négociations ont échoué. En mai 2008, la Commission a tenu une audience dans le cadre de son enquête et, en novembre de la même année, elle a communiqué ses conclusions. La Commission a conclu que la Couronne avait manqué aux obligations de fiduciaire qui lui incombaient avant la cession de 1910 et avant celle de 1920, qui sont en cause en l’espèce. Un an plus tard, en novembre 2009, la Couronne a informé la Première Nation de Muskowekwan qu’elle n’était pas d’accord avec les conclusions de la Commission et qu’elle ne négocierait pas le règlement de la revendication.

[15] En décembre 2011, la Couronne a offert de régler les deux aspects mentionnés ci‑dessus si la Première Nation de Muskowekwan la dégageait de toute autre responsabilité en ce qui concerne les cessions de 1910 et de 1920. En avril 2012, la Première Nation de Muskowekwan a refusé l’offre de la Couronne, mais a suggéré de négocier un dégagement de responsabilité de portée plus limitée. En juillet 2012, la Couronne a refusé de négocier et, en mars 2013, l’offre de règlement a expiré.

[16] Le 18 mars 2020, une déclaration de revendication a été déposée auprès du Tribunal et une réponse à cette déclaration a été déposée le 9 juillet de la même année.

[17] La demande de scission a été déposée par l’intimée le 16 septembre 2021.

[18] Le 15 octobre 2021, j’ai rejeté la demande de scission en précisant que les motifs suivraient. Voici donc les motifs de ma décision.

IV. PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA SCISSION

[19] Des tribunaux de tout le pays ont été saisis de la question de la scission et deux principes se dégagent de la jurisprudence. Le premier est que la scission est l’exception à la règle générale selon laquelle toutes les questions doivent être instruites en même temps étant donné qu’[traduction] « une partie à un litige a le droit fondamental d’obtenir le règlement de toutes les questions en litige dans le cadre d’un seul et même procès » (Elcano Acceptance Ltd. v Richmond, Richmond, Stambler & Mills, 1986 CarswellOnt 618 au para 11, 55 OR (2d) 56 (CA)). Le second est que la scission doit favoriser, et non empêcher, un règlement efficace et juste du litige. À cette fin, il incombe à la partie requérante de démontrer qu’[traduction] « il serait nettement avantageux » de scinder l’instance, et ce fardeau est « particulièrement élevé lorsque la partie adverse s’y oppose » (Unwin v Crothers, 2005 CarswellOnt 2811 au para 78, 76 OR (3d) 453).

[20] Le principe selon lequel la scission est une mesure exceptionnelle est établi depuis longtemps (Realsearch Inc c Valon Kone Brunette Ltd., 2004 CAF 5 au para 11, [2004] 2 RCF 514 [Realsearch Inc.]). Dans l’arrêt Realsearch Inc., la Cour d’appel fédérale a infirmé l’ordonnance de scission rendue en première instance après être remontée jusqu’à la décision Piercy v Young(1880), 15 Ch D 475, dans laquelle le maître des rôles Jessel faisait remarquer que « [l’]instruction séparée de questions distinctes coûte presque aussi cher que des actions indépendantes; la disjonction ne doit certainement pas être encouragée, et ne saurait être accordée que pour des motifs extraordinaires », (Realsearch Inc au para 11, citant Piercy v Young (1880), 15 Ch D 475, à la p 479).

[21] En Saskatchewan, l’arrêt de principe en matière de scission d’instance est l’arrêt Central Canada Potash Co et al v Saskatchewan (AG), [1974] 6 WWR 374, 1974 CarswellSask 94 [Central Canada Potash]. Dans cette affaire, une société minière contestait le règlement provincial sur l’exploitation minière au motif qu’il était ultra vires, et elle réclamait des dommages‑intérêts en raison de l’application antérieure dudit règlement. La société demanderesse a présenté une requête sollicitant la scission du procès en deux étapes, soit celle de la responsabilité et celle des dommages-intérêts. La requête a été rejetée en première instance et a été portée en appel devant la Cour d’appel de la Saskatchewan.

[22] Lorsqu’elle a rejeté l’appel, la cour a fait remarquer que [traduction] « tous les tribunaux reconnaissent qu’il faut éviter de fragmenter les procès » (Central Canada Potash au para 16). Elle a ajouté que la scission d’instance [traduction] « ne devrait être accordée que dans des cas exceptionnels, lorsque les questions en litige sont simples et que certains éléments de preuve permettent de penser que le jugement rendu à l’issue de l’instruction de la première question est susceptible de mettre fin à l’action en son entier » (Central Canada Potash au para 15). Ces principes ont été développés dans la jurisprudence subséquente. Dans la décision Mus v Kozakowski, 2012 SKQB 255, 400 Sask R 141, la Cour du Banc de la Reine a écrit ce qui suit au paragraphe 8 : [traduction] « Il est clair qu’une demande de scission ne devrait être accordée que pour les raisons les plus convaincantes et dans les cas où il est probable que la décision rendue à l’issue du premier procès mettra fin à l’action en son entier. » Dans la décision Nadeau v Canada (AG), 2001 SKQB 20, [2001] SJ no 8, la même cour s’est demandé comment un juge pouvait déterminer si la scission de l’instance allait permettre de gagner du temps, et a écrit au paragraphe 5 que [traduction] « [l]a scission des questions en litige ne permettra de gagner du temps que si aucune responsabilité n’est établie ou que si les parties peuvent s’entendre sur le montant des dommages-intérêt après que la cour aura conclu à la responsabilité ». La cour a ajouté, toujours au paragraphe 5, que même si les chances de règlement sont toujours meilleures après une conclusion de responsabilité, [traduction] « ce n’est pas une certitude et ce n’est pas en soi une raison suffisante pour accorder la scission de l’instance ».

[23] Dans d’autres provinces, l’efficacité de la scission d’instance est depuis longtemps remise en question. En 1905, la Haute Cour de l’Ontario a écrit que [traduction] « [l’]expérience démontre qu’il est rarement, voire jamais, avantageux d’instruire une partie des questions avant d’instruire les autres » (Waller v Independent Order of Foresters, 1905 CarswellOnt 176 au para 6, 5 OWR 421 (C. div. HC)). Dans l’arrêt Elcano Acceptance Ltd. v Richmond, Richmond, Stambler & Mills, 1986 CarswellOnt 618, 55 OR (2d) 56 (CA), rendu en 1986, la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué au paragraphe 11 que le pouvoir de scinder l’instance [traduction] « ne devrait être exercé, dans l’intérêt de la justice, que dans les cas les plus manifestes ».

[24] Même la Cour suprême du Canada préfère éviter cette pratique dans la mesure du possible. Dans l’arrêt Garland c Consumers’ Gas Co, 2004 CSC 25, [2004] 1 RCS 629, le juge Iacobucci, qui a rédigé l’opinion unanime, a conclu au paragraphe 90 que les « procès en plusieurs épisodes […] doivent être évités ». Le juge Iacobucci a ensuite fait siennes les observations du juge en chef McMurtry qui rappelait, dans la décision d’appel, que scinder une instance risquait « de causer une multiplication de procédures devant différentes instances », ce qui « n’est guère dans l’intérêt des parties ou de l’administration efficace de la justice » (Garland c Consumers’ Gas Co, 2004 CSC 25, [2004] 1 RCS 629 au para 90, citant Garland v Consumers’ Gas Co (2001), 57 OR (3d) 127 au para 76, 208 DLR (4th) 494 (CA)).

[25] Toutefois, le Tribunal n’est pas une cour de justice et il applique depuis toujours les principes relatifs à la scission d’instance de façon différente. La prochaine section traite de ces principes dans la mesure où ils concernent plus particulièrement le Tribunal.

V. SCISSION d’une instance DEVANT LE TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

[26] En théorie, l’approche adoptée par le Tribunal à l’égard de la scission de l’instance est assez semblable à celle adoptée par les cours provinciales et fédérales. En effet, au Tribunal, « [c]e cloisonnement vise à supprimer les délais et les frais associés à l’étape de l’indemnisation lorsque celle-ci n’est plus nécessaire ou, lorsque celle-ci demeure nécessaire, à resserrer son objet » (Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4 au para 23, [2018] 1 RCS 83, confirmant Bande Lac La Ronge et nation crie de Montréal Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 8 au para 197).

[27] Trois décisions du Tribunal portent plus précisément sur le critère applicable en matière de scission. La première est Première Nation de Kahkewistahaw c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 5 [Kahkewistahaw]. Dans sa décision, rédigée par la juge Mainville, le Tribunal a souligné que « les ordonnances de disjonction sont l’exception à la règle selon laquelle toutes les questions doivent être tranchées dans l’action principale » et que « [l]e fardeau incombe à la partie qui demande une ordonnance de disjonction » (Kahkewistahaw au para 21). Le Tribunal y a également établi une liste non exhaustive de facteurs que les tribunaux considèrent comme ayant « une incidence sur la façon de permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (Kahkewistahaw au para 22). Ces facteurs sont les suivants :

i) la nature de l’action, la complexité des questions en litige et la nature des réparations demandées;

ii) la question de savoir si les questions à juger dans le premier procès sont étroitement liées à celles qui seraient soulevées dans le second procès;

iii) la question de savoir si la décision qui sera rendue à l’issue du premier procès est susceptible de mettre fin à l’action en son entier, de limiter la portée des questions en litige dans le second ou d’augmenter sensiblement les chances d’en arriver à un règlement;

iv) la mesure dans laquelle les parties ont déjà consacré des ressources à l’ensemble des questions en litige;

v) la question de savoir si la scission d’instance permettra de gagner du temps ou entraînera des délais inutiles;

vi) tout avantage que la scission d’instance est susceptible de procurer aux parties ou tout préjudice qu’elles risquent de subir;

vii) la question de savoir si la requête en scission d’instance est présentée de consentement ou si elle est contestée par l’autre partie. [Kahkewistahaw au para 22, citant South Yukon Forest Corp. c Sa Majesté la Reine, 2005 CF 670 au para 4.]

[28] Après avoir appliqué ce critère, le Tribunal a rejeté la demande de scission de la revendicatrice et a conclu qu’« [il] ne cro[yait] pas qu’il soit approprié, dans le but de permettre un règlement juste, rapide ou économique de la revendication, d’ordonner la disjonction des questions » (Kahkewistahaw au para 35).

[29] La deuxième décision du Tribunal sur la scission d’instance est Première Nation de Keeseekoose c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2017 TRPC 3 [Keeseekoose]. Là encore, le Tribunal s’est fondé sur les facteurs énoncés dans Kahkewistahaw, mais il a conclu que l’intimée avait démontré de façon convaincante, « selon la prépondérance des probabilités, que la scission d’instance […] ne causera[it] pas de préjudice à la revendicatrice, mais mènera[it] vraisemblablement à un règlement plus efficace et plus rentable de la […] revendication » (Keeseekoose au para 10), et il a accueilli la requête en scission de la revendication (Keeseekoose au para 12).

[30] Jusqu’à tout récemment, le Tribunal considérait la scission d’instance accordée sur consentement comme la règle plutôt que l’exception, et ce, même si, dans la décision Kahkewistahaw, il avait insisté sur le fait que les ordonnances de scission étaient l’exception à la règle selon laquelle toutes les questions doivent être tranchées dans l’action principale. D’ailleurs, dans la plupart des cas, les parties demandaient au Tribunal de rendre des ordonnances de scission sur consentement.

[31] Bien que cette pratique fût courante, les parties n’étaient pas prêtes à ce que la scission de l’instance devienne la règle. En 2015, au cours de l’examen quinquennal de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP], le représentant spécial du Ministre a proposé aux intervenants de modifier la LTRP afin d’y inscrire le fractionnement des audiences relatives au bien-fondé et à l’indemnisation, lequel est devenu « une procédure relativement courante » (Affaires autochtones et du Nord Canada, Renouveler l’engagement : Examen quinquennal de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, par Benoît Pelletier, représentant spécial du ministre (Ottawa : Affaires autochtones et du Nord Canada, septembre 2015) à la p 64 [Renouveler l’engagement : Examen quinquennal de la LTRP]). À l’époque, l’Association du Barreau canadien avait, dans son mémoire, fait la mise en garde suivante contre l’utilisation potentiellement abusive de la scission :

[traduction] Sur le plan stratégique, la scission peut également servir à prolonger le litige. La partie qui voudrait accroître les frais d’un adversaire moins bien financé pourrait solliciter une scission de l’instance afin de prolonger le processus judiciaire et d’en augmenter les coûts.

Pour ces raisons, la décision de scinder une revendication, si une partie en fait la demande, doit demeurer à la discrétion du [Tribunal]. Le [Tribunal] peut alors soupeser les éléments de preuve et les arguments des deux parties pour rendre la décision qui convient dans les circonstances. [L’Association du Barreau canadien, Specific Claims Tribunal Act Five Year Review, mémoire de la Section nationale du droit autochtone (Ottawa, L’Association du Barreau canadien, avril 2015) à la p 14].

[32] À la suite d’un examen effectué avec divers intervenants, le représentant du ministre a conclu ce qui suit :

Normalement, le fractionnement vise essentiellement à simplifier le processus et à concentrer l’attention sur une question. Cependant, des participants au processus de consultation relatif à l’examen quinquennal ont indiqué que, pour les revendications de moindre envergure, le fractionnement n’est pas l’approche idéale, puisqu’elle complique inutilement la procédure. D’autres ont aussi déclaré que le fractionnement n’est pas plus souhaitable dans des revendications plus vastes et complexes, puisqu’il dédouble la procédure (preuve, etc.) et rend l’instance d’autant plus difficile à gérer. [Renouveler l’engagement : Examen quinquennal de la LTRP, à la p 65]

[33] Par conséquent, le représentant du ministre a recommandé que la scission demeure une option pour les parties, plutôt que d’être prescrite par la LTRP, et que le Tribunal dispose de la latitude requise « pour mener les audiences de manière à favoriser un règlement efficace et économique des revendications » (Renouveler l’engagement : Examen quinquennal de la LTRP, à la p 65).

[34] Il reste que le Tribunal a de façon générale continué de scinder les instances, sur consentement, en une étape relative au bien-fondé et une étape relative à l’indemnisation. Par contre, dans les derniers temps, plusieurs revendicatrices ont refusé de consentir à la scission de l’instance au motif que, dans leur cas, elle n’aurait pas réduit les délais ou les coûts et que le prononcé d’une décision définitive sur le bien‑fondé de la revendication n’aurait pas augmenté les chances de règlement. Il est clair, d’après les statistiques du Tribunal, que les revendications ne sont généralement pas traitées rapidement et que les délais additionnels causés par la scission, ainsi que par les multiples possibilités de contrôle judiciaire, ne font qu’aggraver le problème, et ce, au détriment de la revendicatrice. Il semble donc que la scission de l’instance, en tant que pratique générale du Tribunal, ait été un échec.

[35] C’est dans ce contexte que le Tribunal a rendu sa troisième décision en matière de scission, Nation crie de Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3 [Red Pheasant], dans laquelle la présidente du Tribunal, la juge Chiappetta, a recentré l’approche du Tribunal à cet égard.

[36] Dans cette décision, le Tribunal a souligné, au paragraphe 7, que la scission devait être au départ « une mesure procédurale exceptionnelle » visant à simplifier le processus et à concentrer l’attention sur une question, à permettre aux parties d’économiser des ressources et de gagner du temps et à améliorer l’accessibilité du Tribunal pour les Premières Nations qui veulent plutôt procéder par étapes, faute de moyens financiers pour plaider à la fois la question de la responsabilité et celle de l’indemnité. Le Tribunal a jugé que la scission « ne devrait pas être ordonnée simplement parce qu’une partie préfère que l’audition se déroule en plusieurs étapes » (Red Pheasant au para 12) et qu’elle devrait encore moins être ordonnée sur la foi de « vastes généralisations en ce qui a trait aux difficultés potentielles, faute de preuves convaincantes pour expliquer en quoi la scission de l’instance permettrait de réaliser des économies de temps et d’argent » (Red Pheasant au para 11).

[37] Compte tenu des répercussions disproportionnées que la durée du processus judiciaire aurait sur les Premières Nations, qui étaient la partie la moins bien financée, le Tribunal a conclu qu’il ne pouvait faire droit à une requête en scission d’instance qui était contestée que s’il était démontré, par une preuve claire et convaincante, que la scission permettrait des gains d’efficacité. Le Tribunal a donc redéfini comme suit le critère applicable à la scission d’instance visée à la règle 10 des Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119 :

[…] le président du Tribunal ne rend l’ordonnance que s’il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que cette mesure favorisera un règlement juste, économique et rapide de la revendication. La scission est une mesure procédurale extraordinaire qui ne devrait être ordonnée que dans des cas exceptionnels où il existe des éléments de preuve précis et convaincants établissant que la scission permettra au Tribunal de remplir son mandat. [Red Pheasant au para 12]

[38] Les sept facteurs à considérer dans le cadre d’une requête en scission d’instance, qui sont énumérés dans la décision Kahkewistahaw, continuent de s’appliquer, mais le Tribunal exige maintenant des « éléments de preuve convaincants » que la scission favorisera la justice et l’efficacité.

VI. Analyse

[39] Cette approche révisée à l’égard de la scission d’instance est celle que le Tribunal appliquera dans la présente revendication.

[40] Bien que la présente revendication soulève des questions complexes, comme c’est le cas dans de nombreux différends opposant les Premières Nations et la Couronne, j’estime que les questions relatives au bien‑fondé et à l’indemnisation sont interreliées, ce qui joue en défaveur de la scission de l’instance.

[41] L’intimée a, en l’espèce, fait deux admissions quant au fait qu’elle avait manqué à ses obligations de fiduciaire. La Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu dans l’arrêt Central Canada Potash que la scission ne devrait être accordée que si la preuve permet de conclure qu’il est probable que le premier procès mettra fin à l’action en son entier, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Là encore, cet argument milite contre la scission de l’instance.

[42] L’intimée a fait valoir que scinder la présente revendication pourrait favoriser son règlement par la négociation à l’issue de l’étape du bien‑fondé. Le mandat du Tribunal consiste notamment à favoriser le règlement des revendications par la négociation et c’est aussi ce que préconise la Cour suprême du Canada dans les affaires en matière de droit des Autochtones (Mikisew Cree First Nation c Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40 au para 22, [2018] 2 RCS 765).

[43] Dans la plupart de ses observations, l’intimée ajoute la déclaration standard suivante pour exprimer son propre engagement à négocier : [traduction] « Le Canada préfère mettre fin aux revendications des peuples autochtones par la négociation et le règlement » (mémoire des faits et du droit de l’intimée, déposé auprès du Tribunal le 16 septembre 2021, au para 1). Cette déclaration figure non seulement dans les observations que la Couronne a formulées dans la présente revendication, mais aussi dans plusieurs, sinon dans la majorité, des autres revendications présentées au Tribunal. La Couronne peut faire de telles déclarations à condition de pouvoir démontrer clairement qu’elle s’efforce de négocier un règlement rapide et économique. Les Premières Nations, comme elles sont la partie la moins bien financée, souffrent de manière disproportionnée de la lenteur du processus de négociation, surtout lorsqu’il n’aboutit pas à un règlement. Toutefois, si les efforts de négociation ne peuvent être prouvés, ces déclarations sont vides de sens. La Première nation de Muskowekwan, comme toutes les Premières Nations du Canada, a droit à davantage que des belles paroles.

[44] L’historique procédural de la présente revendication est interminable. La revendication a d’abord été déposée en 1992 auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, puis elle a été rejetée aux fins de négociation en 1997. En 2003, la Commission des revendications des Indiens a accepté de tenir une enquête et elle a conclu, en 2008, que la Couronne avait manqué à ses obligations de fiduciaire. La Couronne est restée impassible devant cette décision et, en 2009, a de nouveau refusé de négocier. Vers la fin de l’année 2011, la Couronne a présenté une offre de règlement assortie de nombreuses conditions, mais elle a de nouveau refusé de négocier et l’offre a expiré en 2013. La revendication a été déposée auprès du Tribunal en 2020. La Couronne a eu près de vingt ans pour négocier un règlement, mais elle a toujours refusé de le faire. Il est difficile de croire que le fait de scinder la présente revendication en deux étapes, puis de rendre une décision à l’issue de la première étape, incitera finalement la Couronne à négocier. Comme l’a signalé l’Association du Barreau canadien lors de l’examen quinquennal de la LTRP, la scission d’instance a parfois été utilisée par des parties mieux financées pour retarder le litige et épuiser les ressources de leurs adversaires.

[45] La revendicatrice soulève la question du préjudice que causerait notamment la perte de la preuve par histoire orale étant donné le vieillissement des aînés de la communauté. Établir le bien‑fondé de revendications autochtones au moyen de l’histoire orale est un processus foncièrement difficile, comme l’a reconnu la Cour suprême (R c Van der Peet, [1996] 2 RCS 507 au para 68, 137 DLR (4th) 289; Delgamuukw c Colombie-Britannique [1997] 3 RCS 1010 au para 101, 153 DLR (4th) 193). La tâche est d’autant plus ardue quand cette preuve disparaît au fil du temps.

VII. CONCLUSION

[46] Comme l’a indiqué la présidente du Tribunal, la juge Chiappetta, au paragraphe 12 de la décision Red Pheasant, la scission d’instance est « une mesure procédurale extraordinaire » qui ne devrait être accordée que lorsqu’elle « favoris[e] un règlement juste, économique et rapide de la revendication ». En fin de compte, après avoir examiné tous les arguments et la jurisprudence, je ne peux que conclure que l’intimée ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’il serait [traduction] « nettement avantageux » de scinder la présente revendication. Par conséquent, la demande de l’intimée est rejetée et la revendication sera instruite en une seule étape par le Tribunal.

TODD DUCHARME

L’honorable Todd Ducharme

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20211223

Dossier : SCT-5012-19

OTTAWA (ONTARIO), le 23 décembre 2021

En présence de l’honorable Todd Ducharme

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE MUSKOWEKWAN

Revendicatrice (défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée (demanderesse)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice (défenderesse) PREMIÈRE NATION DE MUSKOWEKWAN

Représentée par Me Steven Carey et Me Amy Barrington

Maurice Law, avocats

ET À :

Avocate de l’intimée (demanderesse)

Représentée par Me Patricia Warwick

Ministère de la Justice

 

 

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