Motifs de la demande

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Contenu de la décision

DOSSIER : SCT-7001-20

RÉFÉRENCE : 2022 TRPC 3

DATE : 20220309

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE INDIENNE DE COOK’S FERRY

Revendicatrice

 

Me Darwin Hanna et Me Caroline Roberts pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

 

Me James Mackenzie et Me Peri Smith, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE: Le 10 février 2022, et à l’aide d’observations écrites

MOTIFS SUR LA DEMANDE

L’honorable William Grist


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Première Nation des Pekuakamiulnuatsh c Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2020 TRPC 5; Nation Tsleil-Waututh c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 11; Bande Indienne Metlakatla c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 4.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14 et 22.

Tribunal des revendications particulières, Directive de pratique no 6.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. question en litige 4

II. position des parties 4

III. analyse 5

IV. conclusion 7


 

I. question en litige

[1] Les parties ont porté à l’attention du Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) une lettre de l’avocat de Cicyetkwu Dunstan. Mme Dunstan est partie à une action intentée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans laquelle elle revendique, au nom de la « Nation des Pukaist », un titre ancestral sur un territoire où se trouvent les terres constituant la réserve indienne no 10 de la revendicatrice, la Bande indienne de Cook’s Ferry.

[2] La revendicatrice réclame une indemnité à l’égard d’une superficie d’environ 11 acres de terres prises à même la réserve pour l’usage du Chemin de fer Canadien Pacifique. La lettre de l’avocat de Cicyetkwu Dunstan informait l’intimée, à savoir la Couronne, que l’action intentée par Cicyetkwu Dunstan visait la réserve de la revendicatrice, c’est-à-dire la réserve indienne no 10, mais ne faisait pas mention de l’intervention de sa cliente dans la présente revendication.

[3] La question soulevée en l’espèce est celle de savoir si le fait que le Tribunal ait été informé de l’existence de l’action engagée par Cicyetkwu Dunstan devrait faire entrer en jeu le paragraphe 22(1) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP], de manière à ce que le Tribunal avise cette dernière de la présente revendication afin qu’elle puisse demander la qualité d’intervenante au titre du paragraphe 25(1) de la LTRP.

II. position des parties

[4] L’intimée ne prend pas position sur la signification de l’avis prévu à l’article 22 et souligne qu’elle dispose de très peu d’information qui lui permettrait d’adopter une position quelconque.

[5] Dans ses observations écrites, la revendicatrice cite la décision Première Nation des Pekuakamiulnuatsh c Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2020 TRPC 5 [Pekuakamiulnuatsh] au soutien de son argument selon lequel l’intervenant potentiel est tenu de présenter une preuve préliminaire pour obtenir la qualité d’intervenant. Je souligne qu’aux termes du paragraphe 22(1) de la LTRP, la partie potentiellement touchée n’a pas à présenter de demande pour intervenir. Si le Tribunal obtient des renseignements selon lesquels une décision peut avoir des répercussions importantes sur les intérêts d’une partie, ou si les circonstances sont telles que le Tribunal estime qu’une décision peut avoir de telles répercussions, cette disposition confère au Tribunal le pouvoir discrétionnaire d’en aviser cette partie.

III. analyse

[6] Les paragraphes 22(1) et 25(1) de la LRTP sont rédigés en ces termes :

22 (1) Lorsqu’il estime qu’une décision peut avoir des répercussions importantes sur les intérêts d’une province, d’une première nation ou d’une personne, le Tribunal en avise les intéressés. Les parties peuvent présenter leurs observations sur l’identité des intéressés.

[...]

25 (1) Toute personne ou première nation avisée au titre du paragraphe 22(1) peut, avec l’autorisation du Tribunal, intervenir dans les procédures se déroulant devant celui-ci afin de présenter toutes observations la concernant à l’égard de ces procédures.

[7] Aux termes de l’article 14 de la LTRP, la compétence du Tribunal est limitée aux revendications présentées par les Premières Nations reconnues comme des bandes au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, qui recherchent une réparation de nature pécuniaire contre la Couronne pour des violations expressément énoncées dans cette disposition. Les revendications ne peuvent pas être présentées par des particuliers, et la « Nation des Pukaist » n’est pas une bande au sens de la Loi sur les Indiens, et n’a jamais été reconnue comme telle. Un particulier ne peut pas présenter une revendication ou participer directement à une revendication à titre de revendicateur en vertu de la LTRP. Un particulier peut toutefois, avec l’autorisation du Tribunal, se voir accorder la qualité d’intervenant. L’autorisation accordée peut permettre à cet intervenant de présenter des observations pertinentes à l’égard de questions qui le touchent et peut être assortie de conditions limitant la forme, la durée et l’objet de la participation de l’intervenant.

[8] Dans l’affaire Pekuakamiulnuatsh, l’intervenante potentielle était la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), une grande société qui a très souvent par le passé fait l’acquisition de terres de réserve. Dans de nombreux cas, le CN a reçu l’avis prévu au paragraphe 22(1). Pour les cas où pareil avis ne lui était pas signifié, le CN pouvait avoir recours aux paragraphes 2 et 3 de la Directive de pratique no 6, qui permet expressément à quiconque n’a pas reçu l’avis mentionné au paragraphe 22(1) de présenter une demande visant à obtenir la qualité d’intervenant. Lorsqu’une affaire porte sur des terres réservées au chemin de fer, on peut s’attendre à ce que le CN connaisse cette directive et soit en mesure de se conformer à ses exigences s’il décide que ses intérêts justifient la qualité d’intervenant. Le paragraphe 2 de la Directive de pratique no 6 prévoit ce qui suit :

2. Si une province, une Première Nation ou une personne n’ayant pas reçu l’avis mentionné au paragraphe 22(1) croit qu’une décision du Tribunal peut avoir des répercussions importantes sur ses intérêts, elle peut, en s’adressant par écrit au président, demander d’être avisée au titre du paragraphe 22(1).

3. Les éléments suivants doivent être précisés dans la demande :

a) la revendication particulière (y compris l’intitulé de l’instance et le numéro du dossier du Tribunal)

b) la question en litige;

c) le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et l’adresse de courrier électronique de la province, de la Première Nation ou de la personne qui est l’auteur de la demande;

d) les raisons, brièvement exposées, pour lesquelles l’auteur de la demande croit que la décision du Tribunal peut avoir des répercussions importantes sur ses intérêts;

e) le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et l’adresse de courrier électronique de son avocat.

[9] Aux paragraphes 42 et 43 de la décision Pekuakamiulnuatsh, le Tribunal a précisé ce qui suit :

[Le] défaut [du CN] de solliciter la qualité d’intervenant dans les situations où des avis lui ont été envoyés, et le défaut de demander l’envoi de l’avis 22 en vertu de la Directive de pratique no 6 dans les cas où des avis ne lui ont pas été envoyés, tendraient d’ailleurs à démontrer qu’elle n’estime pas elle-même que les décisions du Tribunal puissent avoir des répercussions suffisamment importantes sur ses intérêts pour justifier l’envoi d’un avis ou encore sa participation.

En l’espèce, le Tribunal sait par ailleurs que le CN est déjà informé de l’existence du dossier, tel que confirmé par les parties lors de la conférence de gestion d’instance du 7 avril 2020. Comme les procédures au Tribunal sont publiques, le CN pourra donc suivre les développements au dossier sans difficulté, et ce, malgré l’absence d’avis. Il pourra aussi être appelé à partager des documents ou encore à témoigner. Enfin, s’il souhaite recevoir un avis et participer à l’instance, il pourra à tout moment faire une demande en application de la Directive de pratique no 6, en faisant valoir l’existence d’une « répercussion importante » sur ses droits.

[10] Or, les personnes ou les bandes à qui les demandes et les procédures du TRP ne sont guère familières ne peuvent pas avoir ce niveau de connaissances. Dans la décision Nation Tsleil-Waututh c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 11 (Nation Tsleil-Waututh), s’exprimant au sujet d’une demande visant à obtenir la qualité d’intervenant présentée par une bande dont les revendications soulevaient des questions relatives à l’« ajustement » des pertes historiques à la valeur actuelle qui ressemblaient à celles soulevées par la revendication dont il était saisi, le juge Whalen a déclaré ce qui suit au paragraphe 44 de ses motifs :

Vu le double objectif de rapprochement et d’accès à la justice que vise le règlement des revendications historiques des Premières Nations, j’estime que, à ce moment-ci et pour ce qui est d’accorder la qualité d’intervenant, l’approche du Tribunal devrait être libérale et souple. La LTRP est clairement une loi réparatrice et, pour cette raison, le droit appuie l’adoption d’une approche libérale qui donnera effet à son objet [renvois omis].

[11] Dans les cas qui s’y prêtent, cette approche libérale devrait, pour la même raison, s’étendre à la mesure préliminaire de notification.

IV. conclusion

[12] Le paragraphe 22(1) de la LTRP accorde au Tribunal le pouvoir discrétionnaire d’aviser une province, une Première Nation ou une personne lorsqu’il estime qu’une décision peut avoir des répercussions importantes sur ses intérêts. L’intéressée peut ainsi présenter une demande visant à obtenir la qualité d’intervenant. Toute mesure à prendre après pareil avis est régie par le paragraphe 25(1). Si une demande visant à obtenir la qualité d’intervenant est présentée par la suite, les critères énoncés dans Bande Indienne Metlakatla c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 4, seront appliqués pour déterminer si la qualité d’intervenant sera accordée et à quelles conditions.

[13] Comme l’a précisé le Tribunal dans la décision Pekuakamiulnuatsh, le fardeau de preuve requis pour justifier l’envoi d’un tel avis est peu élevé. De plus, dans la décision Nation Tsleil-Waututh, le Tribunal s’est dit d’avis que son approche devait être libérale et souple, soutenue par une interprétation libérale de la disposition afin de favoriser le rapprochement et la justice. Cet objectif est d’autant plus pertinent lorsque les personnes ou les groupes susceptibles d’être touchés n’ont pas nécessairement une connaissance approfondie de la LTRP et des procédures du Tribunal, ni la capacité de présenter une demande visant à obtenir la qualité d’intervenants ans avoir reçu l’avis prévu à l’article 22, c’est-à-dire en s’appuyant sur la Directive de pratique no 6.

[14] En l’espèce, les renseignements dont a pris connaissance le Tribunal concernent une revendication de titre ancestral sur des terres qui incluent les terres prises pour les besoins du chemin de fer. La Bande indienne de Cook’s Ferry réclame une indemnité à l’égard d’une superficie de 11 acres des terres visées par l’action en revendication de titre ancestral présentée par Cicyetkwu Dunstan. Il semble y avoir chevauchement entre la revendication de titre ancestral et l’attribution initiale de la réserve en ce qui concerne ces 11 acres. À mon avis, cela répond au critère selon lequel la décision du Tribunal doit avoir des répercussions importantes sur les intérêts d’une personne. De plus, la présente instance en est à ses premières étapes et toute demande présentée par suite de l’avis sera vraisemblablement traitée rapidement. Par ailleurs, le fait de retarder toute procédure liée à la qualité d’intervenant, qui est très préliminaire, jusqu’à ce que l’on en sache davantage reviendrait à remettre à plus tard ce qui devrait plutôt être traité à ce stade initial. En conséquence, le Tribunal enverra à Cicyetkwu Dunstan l’avis prévu à l’article 22.

WILLIAM GRIST

L’honorable William Grist

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, trad. a. LL.B.


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20220309

Dossier : SCT-7001-20

OTTAWA (ONTARIO), le 9 mars 2022

En présence de l’honorable William Grist

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE COOK’S FERRY

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

À(AUX) :

Avocat(e)(s) de la revendicatrice BANDE INDIENNE DE COOK’S FERRY

Représentée par Me Darwin Hanna et Me Caroline Roberts

Callison & Hanna, avocats

ET À(AUX) :

Avocat(e)(s) de l’intimée

Représentée par Me James Mackenzie et Me Peri Smith

Ministère de la Justice

 

 

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