Motifs de la demande

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Contenu de la décision

No DE DOSSIER : SCT-7004-20

RÉFÉRENCE : 2024 TRPC 2

DATE : 20240515

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE INDIENNE D’OKANAGAN

Revendicatrice (Défenderesse)

 

Me Claire Truesdale, Me Kelsey Rose et Me Isabelle Lefroy, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

Représenté par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimé (Défendeur)

 

Me Joshua Ingram et Me Monina Glowacki, pour l’intimé (défendeur)

– et –

 

 

KTUNAXA NATION COUNCIL

Demandeur

 

Me Darwin Hanna, Me Caroline Roberts et Me Parvej Sidhu, pour le demandeur

 

 

ENTENDUE : Le 28 novembre 2023

MOTIFS SUR LA DEMANDE

L’honorable Diane MacDonald


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Bande indienne d’Okanagan c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2024 TRPC 3; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653; Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 7; Première Nation Birch Narrows c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 8; Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 153 DLR (4th) 193; Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511; Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 3; Nation crie de Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3; Bande indienne de Cook’s Ferry c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2023 TRPC 2; Right to Life Association of Toronto and Area c Canada (Emploi, Développement de la main-d’œuvre et du Travail), 2022 CAF 67; Ahousaht Indian Band v Canada (AG), 2012 BCCA 330; Nation Tsleil-Waututh c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 11; Bande indienne Metlakatla c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 4; Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien), 2018 CSC 4, [2018] 1 RCS 83; Première Nation d’ʔAkisq̓nuk c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2020 TRPC 1; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245.

Lois citées :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 2, 14, 16, 22, 24, 25.

Loi sur les Indiens, SRC 1952, c 149, art 17.

Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, art 2.

Sommaire :

Intervention – Adjonction d’une partie – Mandat du Tribunal — Raison d’être du Tribunal — Réconciliation — Première Nation — Retard – Règlement juste, rapide et économique

Le Ktunaxa Nation Council a demandé à se voir reconnaître la qualité de partie ou, subsidiairement, celle d’intervenant (la demande) dans une revendication déposée par la bande indienne d’Okanagan (la bande d’Okanagan) à l’encontre du Canada auprès du Tribunal des revendications particulières (le Tribunal).

La bande d’Okanagan soutient que le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire en ne respectant pas sa volonté et celle de la bande des lacs Arrow de voir leurs deux nations réunies en 1952. Elle estime que le manquement du Canada a eu pour effet de la priver de l’usage et du profit de la réserve des lacs Arrow et des éléments d’actif de la bande des lacs Arrow auxquels elle aurait eu droit.

Le Ktunaxa Nation Council fait valoir qu’il sera directement touché par l’issue de la revendication de la bande d’Okanagan. Il soutient qu’il a un intérêt autochtone identifiable dans la réserve des lacs Arrow et qu’il possède toujours un intérêt bénéficiaire dans cette réserve et dans les éléments d’actif de la bande.

Aux termes de l’article 24 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la LTRP], seule une « première nation », au sens de l’article 2, peut se voir reconnaître la qualité de partie à une revendication. Quant à l’article 25 de la LTRP, il dispose que seule une « première nation », au sens de l’article 2, ou une personne peut se voir reconnaître la qualité d’intervenant à une revendication.

Le Ktunaxa Nation Council n’a pas qualité pour agir en tant que partie ou intervenant devant le Tribunal du fait qu’il n’est pas une « première nation » au sens de la définition figurant dans la LTRP et qu’il n’est pas non plus une « personne ». En fait, le Ktunaxa Nation Council est le corps dirigeant des quatre Premières Nations Kutnaxa; il n’est pas lui-même une première nation. Les quatre Premières Nations qui constituent le Ktunaxa Nation Council auraient pu avoir qualité pour agir si elles avaient introduit leurs propres demandes.

Même si le Ktunaxa Nation Council avait qualité pour agir, il soulève des questions différentes de celles qui font l’objet de la revendication de la bande d’Okanagan. Si l’adjonction d’une partie est susceptible de causer un retard excessif ou une complication, ou encore de porter préjudice à une partie, il convient d’engager une procédure distincte (Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 7 au para 26). De l’avis du Tribunal, adjoindre le Ktunaxa Nation Council comme partie aurait non seulement pour effet d’introduire une nouvelle revendication, d’élargir la portée des questions en litige, de détourner l’objet des actes de procédure et de dévier l’attention du Tribunal de l’affaire que lui ont présentée les parties, mais aussi d’obliger la bande d’Okanagan à participer à la revendication proposée par le Ktunaxa Nation Council, laquelle n’a rien à voir avec la revendication initiale, ce qui entraînerait des coûts supplémentaires et des retards pour les parties à la revendication initiale. Joindre les deux revendications minerait la compétence limitée du Tribunal, qui lui permet de rendre justice de manière rapide, efficiente et économique dans certains cas définis de préjudice.

À supposer que les quatre Premières Nations soulèveraient des questions identiques ou semblables à celles soulevées par le Ktunaxa Nation Council, elles n’ont pas à être adjointes comme parties pour que la revendication puisse être réglée de manière efficace et complète.

Le Ktunaxa Nation Council ne satisfait pas au critère à respecter pour obtenir la qualité d’intervenant puisqu’il ne sera pas directement touché par l’issue de la revendication de la bande d’Okanagan. La participation du Ktunaxa Nation Council à titre d’intervenant aurait pour effet de prolonger l’instruction, d’augmenter les frais de justice des parties et de retarder le règlement de la revendication. Non seulement le Tribunal peut statuer sur le fond de la revendication de la bande d’Okanagan sans la participation du Ktunaxa Nation Council en tant qu’intervenant, mais il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’accorder à ce dernier la qualité d’intervenant.

Il ne serait ni juste, ni opportun, ni dans l’intérêt de la justice d’étendre la portée de la revendication pour y inclure celle, nouvelle, du Ktunaxa Nation Council. Ce dernier ne s’est pas acquitté du fardeau que lui imposent les critères applicables pour être adjoint comme partie, ou comme intervenant, dans la revendication de la bande d’Okanagan.

Si les quatre Premières Nations Ktunaxa ont des revendications particulières valables à faire valoir, elles peuvent les déposer de façon distincte en suivant la procédure habituelle énoncée aux articles 14 et 16 de la LTRP.

La demande introduite par le Ktunaxa Nation Council visant à se voir reconnaître la qualité de partie ou, subsidiairement, celle d’intervenant dans la présente revendication est rejetée.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. Aperçu 7

II. Contexte de la revendication et revendication potentielle 8

III. Questions en litige 11

IV. Le Ktunaxa Nation Council devrait-il se voir reconnaître la qualité de partie à la revendication? 12

A. Les positions du demandeur et des parties 12

B. Le Ktunaxa Nation Council est-il une première nation au sens de l’article 24 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières? 13

C. La mesure de réparation sollicitée ou l’objet de la revendication proposée soulève-t-il une question ou un problème commun au Ktunaxa Nation Council et aux parties à la revendication? 16

D. L’adjonction du Ktunaxa Nation Council à titre de partie à la revendication serait-elle juste et faciliterait-elle le règlement des questions en litige? 17

V. Le Ktunaxa Nation Council devrait-il se voir reconnaître la qualité d’intervenant dans la revendication? 22

A. Les positions du demandeur et des parties 22

B. Le Ktunaxa Nation Council est-il une première nation ou une personne au sens de l’article 25 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières? 23

C. Questions relatives à la demande visant à obtenir la qualité d’intervenant 24

D. Le critère à respecter pour obtenir la qualité d’intervenant devant le Tribunal des revendications particulières 25

E. Analyse 26

1. Le Ktunaxa Nation Council sera-t-il directement touché par l’issue de la revendication de la bande d’Okanagan? 26

2. La position de l’intervenant proposé est-elle défendue adéquatement par l’une des parties à l’instance? 30

3. Le fait de reconnaître au demandeur la qualité d’intervenant servirait-il les intérêts de la justice? 30

4. Le demandeur dispose-t-il d’autres moyens de faire valoir sa cause dans le système judiciaire? 32

5. Le Tribunal des revendications particulières pourrait-il statuer sur le fond de la revendication sans l’intervention du demandeur? 33

VI. Conclusion 35

VII. Décision 36


 

I. Aperçu

[1] Le Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) est appelé à se prononcer sur la demande d’autorisation qu’a présentée le Ktunaxa Nation Council (le demandeur) dans le but de se voir reconnaître la qualité de partie ou, subsidiairement, celle d’intervenant dans la revendication sous‑jacente déposée par la bande indienne d’Okanagan (la bande d’Okanagan) à l’encontre du Canada (la demande). Le Ktunaxa Nation Council a présenté la demande après avoir reçu, le 17 février 2023, l’avis prévu à l’article 22 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la LTRP].

[2] La bande d’Okanagan soutient que le Canada a manqué à ses obligations légales en ne respectant pas sa volonté et celle de la bande des lacs Arrow de voir leurs deux nations réunies en 1952. Les deux bandes avaient demandé à être fusionnées en vertu de l’alinéa 17(1)a) de la Loi sur les Indiens, SRC 1952, c 149. La bande d’Okanagan estime que le manquement du Canada l’a privée de l’usage et du profit de la réserve de la bande des lacs Arrow (également connue sous le nom de réserve d’Oatscott) et des éléments d’actif de cette bande. Elle réclame entre autres une indemnité pour avoir été dépouillée des terres de cette réserve et des éléments d’actif auxquels elle aurait eu droit si le Canada avait procédé à la fusion des deux Premières Nations.

[3] Le Ktunaxa Nation Council est le corps dirigeant des quatre Premières Nations Ktunaxa (la Première Nation Yaqan Nuʔkiy (Bande de Lower Kootenay), la Première Nation ʔAkisq̓nuk, la Première Nation ʔAq̓am et la Première Nation Yaq̓it ʔa·knuqⱡi’it (Bande indienne de Tobacco Plains)) et il a introduit la présente demande en leur nom. Le Ktunaxa Nation Council convient avec la bande d’Okanagan que le Canada a manqué aux obligations légales et au devoir de fiduciaire qu’il avait envers celle‑ci en transférant la réserve des lacs Arrow à la province de la Colombie-Britannique (la province) et en renonçant aux autres éléments d’actif de la bande des lacs Arrow, mais il ajoute que le Canada avait les mêmes obligations et devoir à son égard.

[4] La bande d’Okanagan et le Canada soutiennent que le Ktunaxa Nation Council n’est pas une première nation. Ils font valoir qu’un demandeur doit démontrer qu’il est une première nation pour se voir accorder la qualité de partie, et qu’il doit démontrer qu’il est une première nation ou une personne pour se voir accorder celle d’intervenant. Le Canada affirme que si la demande avait été présentée au nom des quatre Premières Nations membres du Ktunaxa Nation Council ou de certaines d’entre elles, il ne s’y opposerait pas, mais que si le Tribunal décidait d’accorder la qualité pour agir à ces quatre Premières Nations, la demande devrait alors être présentée en leur nom.

[5] La bande d’Okanagan n’a pas consenti à la mesure sollicitée dans la demande.

[6] La demande a été instruite par vidéoconférence le 28 novembre 2023. Une demande similaire a été introduite par les Autonomous Sinixt, également dans le cadre de la présente revendication, et elle a été instruite le 29 novembre 2023. J’ai rendu des motifs distincts sur la demande des Autonomous Sinixt (Bande indienne d’Okanagan c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2024 TRPC 3).

[7] Le terme « Indien » est considéré comme péjoratif. Il est employé dans les présents motifs par référence à la Loi sur les Indiens, de même qu’à certaines sources historiques. Le fait que j’utilise le terme « Indien » ne signifie pas que je le cautionne. Chaque fois qu’il était possible de le faire, j’ai employé les termes « Première Nation » ou « Autochtone ».

[8] Compte tenu de ce qui suit, je rejette la demande déposée par le Ktunaxa Nation Council afin de se voir reconnaître la qualité de partie ou, subsidiairement, celle d’intervenant dans la présente revendication.

II. Contexte de la revendication et revendication potentielle

[9] La bande des lacs Arrow a été créée en 1902. Les récits contenus dans le dossier historique se contredisent quant à la composition initiale de la bande des lacs Arrow, mais il semble que celle‑ci était constituée de membres issus de divers groupes autochtones. En 1902, 243,10 acres de terres situées sur la rive ouest du lac Arrow inférieur, près de la localité de Burton, ont été mises de côté pour la bande des lacs Arrow.

[10] La réserve des lacs Arrow se trouvait sur une terre bordée de falaises abruptes de sorte qu’il était quasi impossible d’y accéder par la route. Au début des années 1950, le Canada a déterminé qu’Annie Joseph était la dernière membre de la bande des lacs Arrow, mais elle habitait avec ses proches dans la réserve d’Okanagan. Le 27 septembre 1952, le surintendant de l’agence indienne d’Okanagan a écrit au commissaire des Indiens de la Colombie‑Britannique pour lui demander si, vu l’âge avancé de Mme Joseph, il lui semblait judicieux de fusionner la bande des lacs Arrow et celle d’Okanagan afin de préserver les ressources forestières de la réserve des lacs Arrow pour les peuples autochtones. Un représentant du ministère des Affaires indiennes a répondu qu’aucune mesure ne serait prise pour fusionner les deux bandes tant que celles‑ci n’auraient pas, par résolution, consenti à une telle fusion. Tant la bande d’Okanagan (en 1952) qu’Annie Joseph (en 1953) ont demandé au Canada de fusionner les deux bandes.

[11] Après le décès d’Annie Joseph en 1953, le Canada n’a pas fusionné les deux Premières Nations; il a plutôt déclaré, en 1955, l’extinction de la bande des lacs Arrow, et il a décrété, en 1956,au moyen du décret 1036/1938, que les terres de réserve de la bande devaient retourner à la province. Le Canada a transféré le contrôle, la gestion et l’administration des terres constituant la réserve des lacs Arrow à la province, qui a ainsi récupéré ces terres.

[12] C’est sur l’omission de fusionner les deux Premières Nations et le retour des terres de réserve à la province que porte la revendication de la bande d’Okanagan. Cette dernière affirme que le Canada n’a pas respecté la volonté qu’elle et la bande des lacs Arrow avaient de se voir réunies. Elle soutient également que le Canada avait à son égard une obligation continue de faire le nécessaire pour lui transférer la réserve des lacs Arrow et les éléments d’actif de la bande après le décès d’Annie Joseph. Elle prétend que le Canada n’a pas agi avec diligence lorsqu’il a examiné et traité les demandes de fusion et qu’il a ainsi manqué à son obligation de fiduciaire. Par conséquent, elle a été privée de l’usage et du profit de la réserve de la bande des lacs Arrow et des éléments d’actif de cette bande. Elle demande à être indemnisée pour cette perte.

[13] Le Canada conteste le bien-fondé de la revendication de la bande d’Okanagan et nie avoir manqué aux obligations alléguées. Ce qui importe en l’espèce, c’est que ni l’une ni l’autre des parties ne conteste ce qui suit :

  • l’établissement et l’attribution de la réserve des lacs Arrow;

  • le fait qu’Annie Joseph était la dernière membre de la bande des lacs Arrow;

  • la capacité d’Annie Joseph de signer au nom de la bande des lacs Arrow;

  • la question de savoir si le Canada aurait dû déclarer éteinte la bande des lacs Arrow.

[14] Le Ktunaxa Nation Council soutient que son peuple utilisait habituellement la réserve des lacs Arrow et y était lié, qu’il avait des liens étroits avec la bande des lacs Arrow, que certains de ses membres étaient des descendants de membres de la bande des lacs Arrow, que certains membres de la bande des lacs Arrow étaient des Ktunaxa et que la bande des lacs Arrow avait été reconnue en tant que communauté Ktunaxa. Il affirme que l’ancienne réserve des lacs Arrow se trouvait dans les limites du territoire traditionnel des Ktunaxa. Enfin, il prétend qu’il a un « intérêt autochtone identifiable » dans les terres qui constituaient autrefois la réserve des lacs Arrow (demande au para 23).

[15] Le Ktunaxa Nation Council affirme qu’il sera directement touché par l’issue de la revendication de la bande d’Okanagan étant donné qu’il a un intérêt autochtone identifiable dans la réserve des lacs Arrow. Il soutient également qu’il possède toujours un intérêt bénéficiaire dans la réserve des lacs Arrow et dans les éléments d’actif de la bande des lacs Arrow, et que le Canada a manqué aux obligations légales et au devoir de fiduciaire qu’il avait à son égard.

[16] Le Ktunaxa Nation Council affirme que le Canada a eu tort de déclarer « éteinte » la bande des lacs Arrow, et ce, parce que l’un des membres de cette bande, Frank Joseph, a épousé Marian (également connue sous le nom de Mary-Anne ou Mary Ann) Goodman, membre de la Première Nation Yaqan Nuʔkiy, et que cette Première Nation fait partie du Ktunaxa Nation Council. Les enfants de Marian Goodman — issus d’un précédent mariage — sont devenus les beaux-enfants de Frank Joseph. Le Ktunaxa Nation Council soutient que Frank Joseph a présenté une demande pour que ses beaux-enfants deviennent membres de la bande des lacs Arrow, mais on ne m’a soumis aucune preuve à cet effet. Il affirme que dans les années 1930, alors que le Canada croyait qu’Annie Joseph — veuve de Louie Joseph — était la toute dernière membre de la bande des lacs Arrow, Marian — veuve de Frank Joseph — et ses trois filles se rendaient encore dans la région des lacs Arrow, dont elles utilisaient les terres, y compris celles de la réserve des lacs Arrow.

[17] Le Ktunaxa Nation Council prétend que la revendication qu’il propose de déposer à l’encontre du Canada est fondée sur le même manquement à l’obligation de fiduciaire et sur les mêmes faits que la revendication de la bande d’Okanagan. Cela étant, et compte tenu de son intérêt identifiable, le Ktunaxa Nation Council soutient qu’il devrait être ajouté comme partie à la revendication de la bande d’Okanagan ou, subsidiairement, agir comme intervenant dans celle‑ci.

III. Questions en litige

[18] Les parties et le demandeur ont déposé un exposé conjoint des questions en litige auprès du Tribunal, le 25 septembre 2023. Voici ces questions :

  • Le Ktunaxa Nation Council devrait-il se voir reconnaître la qualité de partie à la revendication?

  • Le Ktunaxa Nation Council est-il une première nation au sens de l’article 24 de la LTRP?

  • La mesure de réparation sollicitée ou l’objet de la revendication soulève-t-il une question ou un problème commun au Ktunaxa Nation Council et aux parties à la revendication?

  • Serait-il juste et approprié de reconnaître au Ktunaxa Nation Council la qualité de partie à la présente revendication ?

  • Le Ktunaxa Nation Council devrait-il se voir reconnaître la qualité d’intervenant dans la présente revendication?

  • Le Ktunaxa Nation Council est-il une première nation ou une personne au sens de l’article 25 de la LTRP?

  • Le Ktunaxa Nation Council sera-t-il directement touché par l’issue de la revendication?

  • La position du Ktunaxa Nation Council est-elle défendue adéquatement par l’une des parties à l’instance?

  • Le Ktunaxa Nation Council dispose-t-il d’autres moyens de faire valoir sa cause dans le système judiciaire?

  • Le fait de reconnaître au Ktunaxa Nation Council la qualité d’intervenant servirait-il les intérêts de la justice?

  • Le Tribunal pourrait-il statuer sur le fond de la présente revendication sans que le Ktunaxa Nation Council soit ajouté comme intervenant?

[19] J’examinerai successivement chacune de ces questions.

IV. Le Ktunaxa Nation Council devrait-il se voir reconnaître la qualité de partie à la revendication?

A. Les positions du demandeur et des parties

[20] Le Ktunaxa Nation Council soutient que, de par son utilisation habituelle des terres, il avait un intérêt autochtone identifiable dans la réserve des lacs Arrow et qu’il possède toujours un intérêt bénéficiaire dans cette réserve et dans les éléments d’actif de la bande des lacs Arrow. Il affirme également que son intérêt identifiable repose sur le fait que de nombreux descendants de la bande des lacs Arrow sont aujourd’hui membres du Ktunaxa Nation Council.

[21] Le Ktunaxa Nation Council soutient que la revendication qu’a déposée la bande d’Okanagan à l’encontre du Canada est fondée sur le même manquement à l’obligation de fiduciaire, c’est-à-dire qu’en permettant que les terres de la réserve des lacs Arrow retournent à la province, le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qu’il avait à l’égard du Ktunaxa Nation Council. Il affirme que, pour statuer sur la revendication, le Tribunal devra [traduction] « se prononcer sur l’identité et la composition de la [bande des lacs Arrow], y compris les peuples Ktunaxa, sur le pouvoir d’Annie Joseph de consentir à la fusion de la [bande des lacs Arrow] et de la bande indienne d’Okanagan, et sur la question de savoir si la Couronne était tenue de transférer les terres de réserve et les éléments d’actif de la [bande des lacs Arrow] à [la bande d’Okanagan] » (demande au para 22). Il prétend qu’il est [traduction] « à la fois pertinent et nécessaire pour le Tribunal de se demander si le Canada avait une obligation contradictoire ou conjointe envers la nation Ktunaxa » (représentations écrites du Ktunaxa Nation Council au para 44).

[22] La bande d’Okanagan affirme que la question que doit trancher le Tribunal consiste à savoir si le Canada a manqué à son devoir de fiduciaire et à ses obligations légales en permettant que les terres de la réserve des lacs Arrow retournent à la province au lieu de prendre les mesures nécessaires pour fusionner les deux bandes.

[23] La bande d’Okanagan soutient en outre que le Ktunaxa Nation Council conteste le pouvoir du Canada de déclarer la bande des lacs Arrow éteinte et celui d’Annie Joseph de consentir à la fusion. Pour sa part, la bande d’Okanagan ne conteste ni l’un ni l’autre de ces faits. Elle fait valoir que l’adjonction du Ktunaxa Nation Council à titre de partie aurait pour effet de prolonger l’instruction, d’augmenter les frais de justice supportés par les parties et de retarder le règlement de la revendication.

[24] Selon le Canada, le Tribunal pourrait bénéficier de l’avis du Ktunaxa Nation Council; toutefois, ce dernier n’a pas démontré dans ses représentations et dans les documents à l’appui qu’il constitue une première nation, comme l’exigent les articles 2 et 24 de la LTRP (représentations écrites du Canada au para 11). Le Canada affirme que, si le Tribunal devait conclure que les quatre Premières Nations membres ont qualité pour agir en tant que parties, une demande amendée devrait être déposée au nom de celles‑ci (représentations écrites du Canada au para 49a).

B. Le Ktunaxa Nation Council est-il une première nation au sens de l’article 24 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières?

[25] Le Ktunaxa Nation Council cherche à se voir reconnaître la qualité de partie et souligne qu’il a reçu l’avis prévu à l’article 22.

[26] Le Tribunal a pour pratique d’envoyer l’avis prévu à l’article 22 à un grand nombre d’entités afin de s’assurer que toute entité susceptible d’être touchée soit avisée de la revendication. Recevoir un tel avis ne confère à aucune entité le droit de participer à l’instance devant le Tribunal. La LTRP énonce clairement que l’entité avisée au titre de l’article 22 peut demander à se voir accorder la qualité de partie ou d’intervenant (articles 24 et 25 de la LTRP).

[27] Le Tribunal est un tribunal d’origine législative dont le mandat consiste à statuer sur des revendications particulières. Le gouvernement du Canada et l’Assemblée des Premières Nations ont uni leurs efforts pour mettre sur pied le Tribunal et élaborer sa loi habilitante, la LTRP.

[28] L’Assemblée des Premières Nations ne représente pas tous les peuples autochtones; elle représente les Premières Nations. Le Tribunal a été créé pour régler les revendications particulières et ainsi contribuer au rapprochement entre les Premières Nations et la Couronne. J’ai décrit plus en détail la création, l’objet et les limites du Tribunal dans la décision Bande indienne d’Okanagan c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2024 TRPC 3.

[29] L’article 24 de la LTRP prévoit que le Tribunal peut ajouter une « première nation » à titre de partie. L’article 2 de la LTRP définit une « première nation » de la manière suivante :

première nation

a) Bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens;

b) groupe de personnes qui, bien qu’il ne soit plus une bande visée à l’alinéa a), a maintenu, en vertu d’un accord sur des revendications territoriales, son droit de présenter une revendication particulière;

c) groupe de personnes qui, bien qu’il ne soit plus une bande visée à l’alinéa a) en raison d’une loi ou d’un accord figurant à l’annexe, n’a pas abandonné son droit de présenter une revendication particulière.

[30] Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, donne les définitions suivantes de « bande » et d’« Indien » :

[...] bande Groupe d’Indiens, selon le cas :

a) à l’usage et au profit communs desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951;

b) à l’usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d’argent;

c) que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l’application de la présente loi.

[...]

Indien Personne qui, conformément à la présente loi, est inscrite à titre d’Indien ou a droit de l’être.

[31] Aux termes de l’article 24, seule une première nation peut être ajoutée comme partie à une revendication instruite par le Tribunal. Le Ktunaxa Nation Council me demande d’interpréter l’article 24 de la LTRP de manière libérale. Bien qu’il puisse sembler conforme aux objectifs de réconciliation de donner à tous les groupes autochtones accès au Tribunal, ce dernier n’est pas une cour dotée d’une compétence inhérente. Le Tribunal tire sa compétence de sa loi habilitante. L’interprétation que fait le Tribunal de la LTRP doit être conforme au texte, au contexte et à l’objet de l’article 24. Lorsque le libellé d’une loi est « précis et non équivoque », son sens ordinaire joue normalement un rôle important dans le processus d’interprétation (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 120, [2019] 4 RCS 653).

[32] La définition de « première nation » ne se prête pas à une interprétation libérale étant donné que la LTRP est formulée en termes non équivoques. Par ailleurs, le demandeur n’a relevé aucune incertitude ni aucune ambiguïté qui justifierait que l’on s’écarte du sens ordinaire des mots. Le Tribunal n’a donc pas le pouvoir discrétionnaire de s’écarter de la définition claire de « première nation » figurant dans la LTRP.

[33] De plus, le Ktunaxa Nation Council ne répond pas à la définition de « première nation » donnée à l’article 2 de la LTRP parce qu’il n’est pas une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5. Il ne peut se voir reconnaître la qualité de partie sur le fondement de l’article 24 de la LTRP.

[34] Le Ktunaxa Nation Council reconnaît qu’il est le corps dirigeant des quatre Premières Nations Ktunaxa; il n’est pas lui-même une première nation. Il précise qu’il introduit la demande à titre de représentant de l’ensemble de ses membres. Le Ktunaxa Nation Council soutient par ailleurs qu’il est bien établi dans la jurisprudence canadienne que les corps dirigeants autochtones comme lui ont le pouvoir légal d’engager des procédures judiciaires au nom des Premières Nations membres. Il cite des décisions dans lesquelles les cours de justice ont reconnu que les conseils tribaux avaient qualité pour agir à titre de demandeurs sans pour autant se pencher sur la question (MacMillan Bloedel Ltd v Mullin, 1985 CanLII 152 (CA C.-B.); Nation Gitxaala c Canada, 2015 CAF 27; Stoney Tribal Council v Petro-Canada, 2009 ABQB 430; Ktunaxa Nation c Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54). Toutefois, les cours ne sont pas limitées par l’exigence prévue aux articles 2 et 24 de la LTRP selon laquelle le revendicateur doit être une « première nation ».

[35] Le Ktunaxa Nation Council soutient que, si le Tribunal n’a pas compétence pour examiner la demande telle qu’elle a été déposée, les quatre Premières Nations qui le constituent pourraient individuellement se voir reconnaître la qualité pour agir devant le Tribunal. Il demande donc l’autorisation de modifier sa demande s’il ne se voit pas accorder la qualité pour agir à titre de représentant des quatre Premières Nations Ktunaxa. Celles-ci pourraient ainsi présenter une demande à titre individuel.

[36] Je conviens que les quatre Premières Nations auraient pu se voir accorder la qualité pour agir si elles avaient présenté leurs propres demandes. D’ordinaire, j’hésite à permettre que des actes de procédure inadéquats empêchent des causes potentiellement valables d’être entendues. Cependant, compte tenu de mon analyse ci-dessous, j’estime que d’autoriser les quatre Premières Nations à demander la qualité de partie en l’espèce ne changerait probablement pas l’issue de l’affaire. À supposer que le contenu de ces demandes soit substantiellement le même que celui de la demande initiale, plusieurs raisons s’opposent à l’octroi de la mesure sollicitée.

[37] Je vais donc examiner le reste de la demande de reconnaissance de la qualité de partie.

C. La mesure de réparation sollicitée ou l’objet de la revendication proposée soulève-t-il une question ou un problème commun au Ktunaxa Nation Council et aux parties à la revendication?

[38] Dans l’hypothèse où le Ktunaxa Nation Council serait une première nation, il devrait tout de même établir qu’il satisfait aux critères permettant d’obtenir la qualité de partie à la revendication. Le Tribunal a examiné en détail la question de l’adjonction d’une partie à une revendication dans la décision Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 7 [Doig River]. Il ne suffit pas qu’une partie dispose d’éléments de preuve pertinents à l’égard des questions en litige, qu’elle ait un intérêt à ce que soit trouvée une solution à quelque question en litige ou qu’elle ait préparé des arguments pertinents (Doig River au para 25). En fait, le Tribunal a conclu que, pour l’application de l’article 24 de la LTRP, une « partie essentielle et appropriée » est « celle qui doit être adjointe afin que la question soit réglée d’une manière efficace et complète » (Doig River au para 23).

[39] Dans la décision Doig River, le Tribunal s’est demandé s’il y avait une question ou un problème commun aux parties et à la partie proposée en ce qui a trait à la mesure de réparation sollicitée ou à l’objet en litige. En l’espèce, le Ktunaxa Nation Council n’a pas démontré que la revendication qu’il propose soulève une question ou un problème qui soit commun aux parties, à savoir la bande d’Okanagan et lui-même.

[40] La revendication de la bande d’Okanagan porte principalement sur la question de savoir ce que le Canada aurait dû faire avant ou immédiatement après le décès d’Annie Joseph, la dernière membre de la bande des lacs Arrow. Il s’agit plus particulièrement de savoir si le Canada aurait dû fusionner la réserve des lacs Arrow avec celle d’Okanagan, comme le demandaient les deux Premières Nations, au lieu de faire en sorte que les terres retournent à la province. La revendication est axée sur le fait que la Couronne n’aurait pas pris de mesures pour favoriser la fusion.

[41] En revanche, la revendication proposée par le Ktunaxa Nation Council vise avant tout à déterminer si celui‑ci avait un intérêt identifiable dans la réserve des lacs Arrow, si Annie Joseph était vraiment la dernière membre de la bande des lacs Arrow et si cette bande aurait dû être déclarée éteinte. Le Ktunaxa Nation Council prétend qu’Annie Joseph n’aurait pas dû être désignée comme la dernière membre de la bande des lacs Arrow.

[42] Ce sont donc deux revendications différentes. Comme le Tribunal l’a indiqué au paragraphe 15 de la décision Première Nation Birch Narrows c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 8 [Birch Narrows], « [l]orsqu’il s’agit d’adjoindre des parties comme corevendicatrices, il faut toujours faire preuve de prudence en raison de la possibilité qu’elles présentent des arguments contradictoires pour défendre leurs intérêts individuels ».

[43] En l’espèce, le Ktunaxa Nation Council a l’intention de soulever de nouvelles questions qui forceraient le Tribunal à statuer sur des faits qui remontent à bien plus loin que les demandes de fusion. La bande d’Okanagan, comme elle le dit elle‑même, ne remet pas en cause l’attribution des réserves et ne revendique pas d’intérêt direct dans la réserve des lacs Arrow. Le Ktunaxa Nation Council s’intéresse quant à lui à l’intérêt identifiable qu’il prétend avoir et à la déclaration d’extinction qu’il conteste. L’objet de la revendication qu’il propose et la réparation qu’il sollicite échappent en grande partie à l’examen que commande la présente revendication.

[44] Les cours supérieures adoptent généralement une « approche libérale » dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire d’adjoindre une partie à une procédure (Doig River au para 17). Cependant, lorsque la revendication proposée se concentre sur des aspects différents et soulève de nouvelles questions, elle ne devrait pas être jointe à la revendication existante. La demande dont je suis saisie vise à adjoindre un revendicateur qui propose de soulever de nouvelles questions, ce qui milite fortement contre l’adjonction du Ktunaxa Nation Council — ou les quatre Premières Nations qui le composent — comme partie à la revendication de la bande d’Okanagan.

D. L’adjonction du Ktunaxa Nation Council à titre de partie à la revendication serait-elle juste et faciliterait-elle le règlement des questions en litige?

[45] Lorsqu’il examine la possibilité d’adjoindre une première nation à titre de partie, le Tribunal doit tenir compte des intérêts de la justice ainsi que de l’économie et de l’objet de la LTRP. Il doit notamment se demander :

  • s’il y aura une économie de temps dans l’instance;

  • si l’une des instances est plus avancée que l’autre;

  • si le fait d’accueillir la demande retardera l’instruction de la revendication.

[46] Le Ktunaxa Nation Council soutient que sa participation à la revendication de la bande d’Okanagan permettra au Tribunal de statuer sur l’ensemble des questions en litige et de gagner du temps. En revanche, la bande d’Okanagan soutient que la conduite adoptée jusqu’à maintenant par le Ktunaxa Nation Council laisse croire que sa participation ne permettra pas d’économiser du temps et de l’argent, mais entraînera plutôt des délais et coûts additionnels.

[47] Une partie qui se joint à l’instance est normalement en mesure de produire des éléments de preuve, de contre‑interroger les témoins présentés par la partie adverse et de faire valoir des arguments (Birch Narrows au para 14).

[48] Le Ktunaxa Nation Council a produit cinq affidavits, deux recueils de documents historiques et un rapport d’expert à l’appui de sa demande. Les affidavits sont ceux de Nicole Kapell, directrice du secteur des terres et des ressources du Ktunaxa Nation Council (qui en a souscrit deux), de Robin Scott Louie, conseiller au sein de la Première Nation Yagan Nuʔkiy (bande de Lower Kootenay), de David Vogt, historien, et de Troy Hunter, membre du Ktunaxa Nation Council et de la Première Nation ʔaq̓am. Dans son affidavit, Robin Scott Louie déclare qu’il est membre de la nation Ktunaxa, que Mary Ann Joseph (aussi connue sous le nom de Mary Ann Goodman) était son arrière-grand-mère et qu’elle et ses trois filles étaient les dernières Autochtones à vivre dans la réserve des lacs Arrow avant que la bande des lacs Arrow ne soit déclarée éteinte. Le rapport d’expert du Ktunaxa Nation Council, joint comme pièce A au deuxième affidavit de Nicole Kapell, a été rédigé par Kenneth G. Brealey, alors professeur au département de géographie de l’Université Fraser Valley. Il traite de l’utilisation et de l’occupation historiques par la nation Ktunaxa de la région du bassin hydrographique du Haut-Columbia, depuis la frontière internationale au sud de Trail, en Colombie-Britannique, vers le nord jusqu’au barrage Mica.

[49] Le 12 septembre 2023, le Ktunaxa Nation Council a chargé David Vogt de faire des recherches historiques qui viendraient appuyer la revendication particulière que pourraient déposer les quatre Premières Nations Ktunaxa qui le composent. Les recherches devaient porter sur l’ancienne réserve des lacs Arrow et sur la bande des lacs Arrow (deuxième affidavit de Nicole Kapell au para 7). David Vogt affirme qu’il faut [traduction] « habituellement au moins un an de recherche et d’analyse historiques pour préparer un rapport historique » (affidavit de David Vogt au para 23).

[50] Le Ktunaxa Nation Council a produit un dossier de preuve comptant plus de 800 pages à l’appui de sa demande. Les deux recueils de documents historiques contiennent à eux seuls plus de 550 pages de preuve. Certains documents historiques sont évoqués au paragraphe 9 des représentations écrites du Ktunaxa Nation Council, mais la majorité des documents produits n’y sont nullement mentionnés.

[51] Compte tenu du nombre relativement important de documents déposés, le plus souvent sans la moindre explication quant à leur pertinence, tout porte à croire que si la demande était accueillie, l’instruction de la revendication de la bande d’Okanagan serait retardée d’au moins un an.

[52] La participation du Ktunaxa Nation Council ne se traduirait pas, à mon avis, par une économie de temps pour ce qui est des témoignages des experts ou des autres témoins. Tout gain d’efficacité réalisé en regroupant les deux revendications serait éclipsé par l’augmentation des coûts et par le retard causé dans l’instance étant donné que les questions soulevées par le Ktunaxa Nation Council ne chevauchent que très peu les questions soulevées par la bande d’Okanagan. La revendication proposée par le Ktunaxa Nation Council soulèverait de nouvelles questions et nécessiterait l’examen d’éléments supplémentaires pour les trancher.

[53] Par ailleurs, avant de saisir le Tribunal de sa revendication, la bande d’Okanagan l’a d’abord déposée auprès du ministre des Relations Couronne-Autochtones (le ministre), comme l’exige le paragraphe 16(1) de la LTRP (déclaration de revendication amendée au para 2). Depuis le dépôt de la revendication, les parties ont travaillé à la préparation d’un exposé conjoint des faits, d’un exposé conjoint des questions en litige et d’un recueil commun de documents, et ont déployé beaucoup d’efforts pour limiter les faits et les documents en litige (procès-verbal du Tribunal daté du 1er juin 2023). En revanche, le Ktunaxa Nation Council n’a pas encore rédigé ni déposé sa revendication proposée. Qui plus est, il n’expose aucune thèse juridique claire dans les représentations écrites qu’il a déposées au sujet de sa demande, et rien ne permet de savoir pour le moment en quoi la preuve déposée par le Ktunaxa Nation Council appuie la revendication qu’il propose.

[54] Le Ktunaxa Nation Council n’a déposé auprès du ministre aucune revendication particulière concernant la présente affaire. La bande d’Okanagan soutient que le dépôt d’une revendication particulière auprès du ministre, exigé par l’article 16 de la LTRP, n’est pas [traduction] « un exercice futile » (représentations écrites de la bande d’Okanagan au para 67). L’objectif de rapprochement, exprimé dans le préambule de la LTRP, met l’accent sur la négociation des revendications particulières entre la Couronne et les Premières Nations. Les tribunaux ont reconnu à plusieurs reprises que, pour parvenir à concilier les intérêts de la Couronne et ceux des revendicateurs autochtones, il était préférable de négocier de bonne foi plutôt que de tenir un procès (Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010 au para 186, 153 DLR (4th) 193; Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 14, [2004] 3 RCS 511). C’est aussi mon avis.

[55] Le Tribunal a été créé pour offrir un recours aux Premières Nations lorsqu’une revendication particulière n’est pas acceptée par le ministre aux fins de négociation ou qu’elle n’est pas réglée dans un délai de trois ans (article 16 de la LTRP; Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 3 au para 399). Comme l’a dit la présidente Chiappetta dans la décision Nation crie de Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3, au para 27 :

Une revendication particulière ne peut pas être déposée directement auprès du Tribunal. Aux termes de la LTRP, avant de pouvoir déposer une revendication auprès du Tribunal, une Première Nation doit d’abord la déposer auprès du ministre des Relations Couronne-Autochtones. Selon le document du gouvernement fédéral intitulé « Politique sur les revendications particulières et Guide sur le processus de règlement », le ministre a trois ans et demi pour examiner le dossier de présentation de la revendication particulière. Une Première Nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication que si, à la suite de l’examen du ministre, la revendication n’est pas acceptée aux fins de négociation ou si le ministre ne répond pas dans les trois ans suivant la date à laquelle la revendication est réputée déposée. Si la revendication est acceptée aux fins de négociation, elle ne peut être déposée auprès du Tribunal que trois ans plus tard si aucun règlement n’a été conclu, ou encore dès le moment où le ministre consent à ce que le Tribunal soit saisi de la revendication.

[56] Le Tribunal encourage la négociation des revendications particulières autant que possible, mais les Premières Nations peuvent toujours se tourner vers lui si les négociations n’aboutissent pas.

[57] Si le Tribunal devait instruire une revendication particulière qui n’a pas d’abord été déposée auprès du ministre aux fins de négociation, l’objectif de rapprochement pourrait être compromis. De plus, le processus du Tribunal se trouverait sans doute passablement ralenti du fait que la Première Nation aurait à élaborer sa thèse et à préparer les éléments de preuve à l’appui de sa revendication.

[58] Contrairement à ce que soutient le Ktunaxa Nation Council, l’instruction de la revendication de la bande d’Okanagan ne sera pas retardée si sa revendication est traitée séparément puisque les deux revendications sont distinctes et peuvent être instruites indépendamment l’une de l’autre. Vu l’état d’avancement de la revendication de la bande d’Okanagan, je ne vois aucune raison d’en retarder le déroulement pendant que le Ktunaxa Nation Council prépare et dépose sa revendication.

[59] Enfin, le Tribunal est préoccupé par la proportionnalité et l’aspect négatif des effets qu’aurait l’adjonction du Ktunaxa Nation Council sur le déroulement de la revendication de la bande d’Okanagan ou même de la revendication proposée. Si la qualité de partie était accordée au Ktunaxa Nation Council, la bande d’Okanagan en subirait un certain nombre de conséquences, dont la modification de l’objet de sa revendication. Cette modification arriverait tard dans le processus.

[60] Le Ktunaxa Nation Council craint que le rejet de sa demande n’ait des répercussions sur ses droits. Il y a peu de risques que le Tribunal arrive à des conclusions contradictoires si les deux revendications sont instruites séparément étant donné que les questions soulevées par le Ktunaxa Nation Council ne sont pas en cause dans la revendication de la bande d’Okanagan. Comme l’a déclaré la bande d’Okanagan, les obligations auxquelles le Canada était tenu, ou auxquelles il aurait manqué, avant l’attribution de réserves, seront les mêmes peu importe la décision du Tribunal dans la présente revendication (représentations écrites de la bande d’Okanagan au para 44). En outre, la décision rendue par le Tribunal dans le cadre de la revendication de la bande d’Okanagan ne devrait avoir aucune incidence, préjudiciable ou non, sur les intérêts que le Ktunaxa Nation Council pourrait avoir dans l’ancienne réserve des lacs Arrow. Si l’une des Premières Nations Ktunaxa venait à déposer une revendication auprès du Tribunal, le Canada pourrait être jugé responsable envers les deux Premières Nations. À l’audience, lorsqu’il a été interrogé sur le sujet, le Canada n'a pas pris position.

[61] À mon avis, la bande d’Okanagan subirait un préjudice si le Ktunaxa Nation Council se joignait à la revendication, et ce préjudice l’emporterait sur tout avantage que ce dernier pourrait tirer. La demande a déjà causé un préjudice à la bande d’Okanagan du fait qu’elle a entraîné des retards et des dépenses supplémentaires. Des mois se sont écoulés entre la date à laquelle l’avis prévu à l’article 22 a été envoyé et celle à laquelle la demande a été instruite. Pendant ce temps, le Tribunal n’a tenu aucune audience dans l’affaire de la revendication de la bande d’Okanagan. Si la présente demande et celle des Autonomous Sinixt n’avaient pas été déposées, une audience consacrée à la preuve par histoire orale aurait été tenue du 30 octobre au 3 novembre 2023.

[62] Par contre, le Ktunaxa Nation Council ne subira que peu de préjudice, voire aucun, si la bande d’Okanagan va de l’avant avec sa revendication. Le Ktunaxa Nation Council dit qu’avant de recevoir l’avis prévu à l’article 22, il envisageait de déposer une revendication particulière distincte auprès de la Direction générale des revendications particulières (représentations écrites du Ktunaxa Nation Council au para 58). Comme les quatre Premières Nations membres du Ktunaxa Nation Council répondent à la définition de « première nation » prévue à l’article 2 de la LTRP, je ne vois pas pourquoi elles ne pourraient pas individuellement déposer des revendications particulières auprès du ministre en vertu de l’article 16 de la LTRP.

[63] À mon avis, la conclusion qui s’impose est que le Ktunaxa Nation Council ne devrait pas être ajouté en tant que partie à la revendication.

V. Le Ktunaxa Nation Council devrait-il se voir reconnaître la qualité d’intervenant dans la revendication?

A. Les positions du demandeur et des parties

[64] Le Ktunaxa Nation Council soutient, à titre subsidiaire, qu’il devrait se voir reconnaître la qualité d’intervenant. Il prétend que la revendication qu’il propose de déposer à l’encontre du Canada est fondée sur le même manquement à l’obligation de fiduciaire et sur les mêmes faits que la revendication de la bande d’Okanagan.

[65] Le Ktunaxa Nation Council affirme qu’il sera directement touché par l’issue de la revendication de la bande d’Okanagan. Il fait valoir qu’il existe des liens historiques et contemporains entre la bande des lacs Arrow et lui. Il dit avoir un intérêt bénéficiaire dans la réserve des lacs Arrow et dans les éléments d’actif de la bande des lacs Arrow parce qu’il a un intérêt identifiable dans les terres de la réserve et que plusieurs de ses membres sont des descendants de cette bande. Les arguments qu’il soulève ressemblent à ceux qu’il a invoqués pour justifier qu’on lui reconnaisse la qualité de partie, c’est‑à‑dire qu’en permettant que les terres de la réserve des lacs Arrow retournent à la province, le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qu’il avait envers le Ktunaxa Nation Council.

[66] Le Ktunaxa Nation Council fait valoir que la LTRP est de nature réparatrice et que je devrais donner effet à l’objet et aux procédures du Tribunal (p. ex. l’article 25). Il dit que si le Tribunal concluait que le Canada aurait dû fusionner la bande des lacs Arrow avec celle d’Okanagan, il en subirait un préjudice grave et il estime qu’il devrait pouvoir raconter son histoire et témoigner du lien profond qu’il entretient avec la région des lacs Arrow. Il soutient qu’il serait injuste que le Tribunal tranche la question de savoir si la bande d’Okanagan a un intérêt bénéficiaire dans l’ancienne réserve des lacs Arrow et les éléments d’actif de la bande des lacs Arrow sans lui permettre de faire valoir sa revendication.

[67] La bande d’Okanagan soutient que le Ktunaxa Nation Council n’est pas une première nation ou une personne et qu’il n’a fait état d’aucun motif légitime justifiant sa participation à la revendication en tant qu’intervenant. Elle affirme que le Ktunaxa Nation Council n’est pas directement touché par la revendication telle qu’elle a été présentée. En fait, la bande d’Okanagan n’a pas fait valoir d’intérêt identifiable dans les terres de la réserve des lacs Arrow, et ne revendique pas non plus d’intérêt bénéficiaire dans la réserve.

[68] Selon le Canada, le Tribunal pourrait bénéficier de l’avis du Ktunaxa Nation Council; toutefois, ce dernier n’a pas démontré dans sa demande et dans les documents à l’appui qu’il est un intervenant au sens de la LTRP (représentations écrites du Canada au para 11). Le Canada affirme que, si le demandeur se voit reconnaître la qualité d’intervenant, son rôle, ou celui des quatre Premières Nations qui le composent, devrait se limiter à présenter certains éléments de preuve ou à faire des représentations après que les parties auront présenté les leurs.

B. Le Ktunaxa Nation Council est-il une première nation ou une personne au sens de l’article 25 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières?

[69] Pour les motifs exposés ci-dessus, le Ktunaxa Nation Council ne répond pas à la définition de « première nation » qui figure à l’article 2 de la LTRP du fait qu’il regroupe plusieurs Premières Nations. L’article 25 permet également à une « personne » de demander à intervenir dans une revendication instruite par le Tribunal. Le Ktunaxa Nation Council n’a pas prétendu être une « personne » au sens de l’article 25 et n’a pas non plus présenté de preuve tendant à démontrer qu’il répondait à la définition de « personne ». Par conséquent, je conclus que le Ktunaxa Nation Council n’est pas une « personne » au sens de l’article 25.

[70] Comme le Ktunaxa Nation Council représente les intérêts des quatre Premières Nations qui le composent, je vais examiner la demande visant à obtenir la qualité d’intervenant afin que les Premières Nations comprennent les difficultés qui les attendent si elles viennent à déposer une demande identique ou similaire.

C. Questions relatives à la demande visant à obtenir la qualité d’intervenant

[71] Je répète les questions qui permettent de déterminer s’il convient d’accorder la qualité d’intervenant :

  • Le Ktunaxa Nation Council sera-t-il directement touché par l’issue de la revendication?

  • La position du Ktunaxa Nation Council est-elle défendue adéquatement par l’une des parties à l’instance?

  • Le Ktunaxa Nation Council dispose-t-il d’autres moyens de faire valoir sa cause dans le système judiciaire?

  • Le fait de reconnaître au Ktunaxa Nation Council la qualité d’intervenant servirait-il les intérêts de la justice?

  • Le Tribunal pourrait-il statuer sur le fond de la présente revendication sans que le Ktunaxa Nation Council soit ajouté comme intervenant?

[72] Les questions énoncées dans l’exposé conjoint des questions en litige sont essentiellement les mêmes que celles qui ont été soulevées dans d’autres décisions que le Tribunal a rendues sur des demandes visant à obtenir la qualité d’intervenant, notamment Bande indienne de Cook’s Ferry c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2023 TRPC 2 [Cook’s Ferry], sauf une. S’agissant de la présente revendication, le Ktunaxa Nation Council affirme que la question de savoir s’il existe un intérêt de droit public n’est pas pertinente. Il ne revendique qu’un intérêt direct dans l’issue de la procédure. Par conséquent, l’exposé conjoint des questions en litige ne comprend pas la question de savoir si l’intervenant proposé soulève une question de droit public.

D. Le critère à respecter pour obtenir la qualité d’intervenant devant le Tribunal des revendications particulières

[73] Le Tribunal peut accorder à une Première Nation ou à une personne l’autorisation d’intervenir dans les procédures se déroulant devant celui‑ci afin de présenter toutes observations la concernant à l’égard de ces procédures. C’est ce que prévoit l’article 25 de la LTRP :

Qualité d’intervenant

25 (1) Toute personne ou première nation avisée au titre du paragraphe 22(1) peut, avec l’autorisation du Tribunal, intervenir dans les procédures se déroulant devant celui-ci afin de présenter toutes observations la concernant à l’égard de ces procédures.

Facteurs à prendre en compte

(2) Pour accorder la qualité d’intervenant, le Tribunal prend en compte les facteurs qu’il estimé indiqués, notamment les frais ou délais supplémentaires qui pourraient en découler.

[74] L’article 25 a été interprété de manière restrictive afin de s’assurer que la personne qui se propose d’intervenir respecte les prescriptions de la LTRP (Cook’s Ferry aux para 47-48). Les facteurs que le Tribunal doit prendre en considération ont été énoncés au paragraphe 48 de la décision Cook’s Ferry :

1. La personne qui se propose d’intervenir sera-t-elle directement touchée par l’issue du litige?

2. Dans le cas contraire, l’intérêt public est-il en jeu?

3. La position de la personne qui se propose d’intervenir est-elle défendue adéquatement par l’une des parties à l’instance?

4. Existe-t-il d’autres moyens de faire valoir dans le système judiciaire les prétentions de la personne qui se propose d’intervenir?

5. Les intérêts de la justice seront-ils mieux servis si l’intervention demandée est autorisée?

6. Le Tribunal peut-il statuer sur le fond de la revendication sans la participation de l’intervenant proposé?

[75] Il est important de souligner que même lorsque le droit d’intervenir est accordé, l’intervenant peut présenter des observations qui se limitent aux faits et aux questions soulevés par les parties, à moins que le Tribunal n’en décide autrement (Cook’s Ferry au para 69). Lorsqu’une demande d’intervention fondée sur l’intérêt direct est déposée, les décideurs veulent s’assurer que l’intervention les aidera à statuer sur la revendication sous‑jacente, et qu’elle ne la fera pas dérailler ni ne la compromettra. Comme la Cour d’appel fédérale l’a dit au paragraphe 14 de l’arrêt Right to Life Association of Toronto and Area c Canada (Emploi, Développement de la main-d’œuvre et du Travail), 2022 CAF 67, citant Tsleil‑Waututh Nation c Canada (PG), 2017 CAF 174 au para 55, 414 DLR (4th) 373 :

[L]es intervenants sont des invités à une table qui est déjà mise et où les mets sont déjà disposés. Les intervenants peuvent commenter leur point de vue sur ce qu’ils voient, ce qu’ils hument et ce qu’ils goûtent. Ils ne peuvent en aucun cas ajouter d’autres mets à la table.

[76] Autoriser les intervenants à en faire davantage reviendrait à modifier l’instance que les parties directement touchées — les demandeurs et les défendeurs — ont introduite ainsi que les questions dont elles débattent depuis des mois, et se traduirait par une iniquité tant de forme que de fond. Par conséquent, les questions que soulève la personne qui se propose d’intervenir « doivent être étroitement associées à celles dont le décideur est déjà saisi » (Cook’s Ferry au para 39).

E. Analyse

1. Le Ktunaxa Nation Council sera-t-il directement touché par l’issue de la revendication de la bande d’Okanagan?

[77] L’intérêt direct dans une revendication est interprété de manière restrictive. Pour établir un intérêt direct, l’intervenant proposé doit démontrer que la décision rendue à l’issue de l’instance aura une incidence directe sur ses droits ou lui imposera des obligations ou des responsabilités juridiques (Ahousaht Indian Band v Canada (AG), 2012 BCCA 330 au para 3 [Ahousaht] (le juge Groberman, en chambre), conf. en révision, 2012 BCCA 404). L’existence d’un intérêt théorique ou d’un intérêt général dans l’instance ne suffit pas pour fonder un intérêt direct (Cook’s Ferry aux para 49, 53, 55).

[78] Le fait qu’une décision puisse créer un précédent ne suffit pas (Cook’s Ferry aux para 35, 39; Ahousaht au para 3). Le Tribunal doit être convaincu que les questions factuelles ou juridiques en litige auront une incidence réelle sur l’intervenant (Nation Tsleil-Waututh c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 11 au para 49 [Tsleil-Waututh TRP]).

[79] Dans la décision Bande indienne Metlakatla c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 4 [Metlakatla], le juge Grist s’est largement appuyé sur l’arrêt Carter v Canada (AG), 2012 BCCA 502 aux para 12-15 [Carter], dans lequel la Cour d’appel a souligné que l’intervention demandée sera autorisée dans deux cas, le premier de ces cas étant pertinent en l’espèce :

[traduction] Dans le premier cas, le demandeur a un intérêt direct dans le litige, en ce sens que l’issue de l’appel aura des répercussions directes sur ses droits ou lui imposera des obligations juridiques supplémentaires en ayant un effet préjudiciable direct. Le fait que l’issue puisse ultimement avoir un effet préjudiciable sur des membres individuels de l’intervenant proposé n’est toutefois pas suffisant pour constituer l’intérêt direct nécessaire, car la Cour n’examinerait pas directement leurs droits ou obligations dans le cadre l’appel : Ahousaht Indian Band c Canada (Attorney General), 2012 BCCA 330, aux para 4-8, 325 B.C.A.C. 312 (le juge Groberman, en chambre), conf. en révision, 2012 BCCA 404. [Metlakatla au para 24, citant Carter au para 12]

[80] Dans l’affaire Ahousaht, citée dans l’arrêt Carter, la Première Nation sollicitait, dans l’action sous-jacente, un jugement déclaratoire reconnaissant son droit ancestral de pêcher à des fins commerciales. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique était appelée à statuer sur les demandes d’intervention présentées par deux organisations de l’industrie halieutique. Celles-ci faisaient valoir qu’elles avaient un intérêt direct dans le litige parce qu’un jugement déclaratoire reconnaissant des droits ancestraux à la Première Nation Ahousaht aurait inévitablement pour effet de réduire les quotas de pêche de leurs membres. Au paragraphe 8 de sa décision, le juge Groberman de la Cour d’appel exprime ainsi son désaccord :

[traduction] À mon avis, il ne s’agit pas d’un intérêt direct dans le litige. La Cour ne soupèsera pas directement, dans le cadre de cet appel, les droits et les obligations des membres des organisations qui se proposent d’intervenir. Bien que la décision portant sur les droits des intimées puisse avoir ultimement des répercussions sur la quantité disponible de poissons à pêcher par les membres des intervenantes, il s’agit d’une incidence indirecte du litige. Pour que la Cour accorde la qualité d’intervenant, ce doit être parce que les demandeurs ont un point de vue important à offrir sur une question d’importance publique.

[81] Le Ktunaxa Nation Council ne prétend pas qu’il existe une question d’importance publique. Il soutient plutôt qu’il y a une question commune entre lui et les parties en ce qui a trait à la mesure de réparation sollicitée ou à l’objet de la revendication, et ce, en raison de la preuve par affidavit selon laquelle d’anciens membres de la bande des lacs Arrow sont des Ktunaxa, que l’ancienne réserve des lacs Arrow se trouve sur le territoire traditionnel des Ktunaxa et que les membres du Ktunaxa Nation Council peuvent retracer leur lignée familiale jusqu’à la communauté des lacs Arrow. Il affirme que les lacs Arrow font partie de l’histoire de la création des Ktunaxa et que, dans certains de leurs récits oraux, les Ktunaxa parlent de l’origine du nom lacs Arrow (affidavit de Robin Scott Louie au para 25, et affidavit de Troy Hunter au para 19).

[82] Le Ktunaxa Nation Council cite l’arrêt R c Desautels, 2021 CSC 17, [2021] 1 RCS 533 [Desautels], dans lequel la Cour suprême du Canada a accepté la conclusion de la juge de première instance selon laquelle le gouvernement fédéral avait mis de côté une réserve pour la « bande des lacs Arrow », dont font partie certains membres des Sinixt, des Ktunaxa et des Secwepemc (Desautels au para 131). Il prétend que ses membres [traduction] « ont peut‑être été les derniers Autochtones » à occuper la réserve des lacs Arrow avant que le Canada ne déclare la bande « éteinte » en 1955 (représentations écrites du Ktunaxa Nation Council au para 8). Il affirme qu’au moment de la déclaration, au moins deux Ktunaxa étaient encore en vie et que la bande des lacs Arrow comprenait [traduction] « un groupe de familles Ktunaxa » dont les descendants sont membres des Premières Nations Ktunaxa (demande au para 21). S’appuyant sur ces éléments de preuve, le Ktunaxa Nation Council soutient qu’il avait un intérêt identifiable dans la réserve des lacs Arrow pendant toute la période pertinente et qu’il possède toujours un intérêt bénéficiaire dans la réserve et dans les éléments d’actif de l’ancienne bande des lacs Arrow. Il souligne que, pas plus tard qu’en septembre 1951, le Canada a reconnu ces liens lorsqu’il a pris des mesures pour mettre de côté une réserve au profit de tous les membres de l’Agence de Kootenay, dont les Premières Nations Ktunaxa et la bande des lacs Arrow (affidavit de David Vogt aux para 21‑22).

[83] Le Ktunaxa Nation Council soutient qu’il a des liens solides avec l’ancienne bande des lacs Arrow et qu’il utilisait habituellement la réserve des lacs Arrow. Il ajoute que ses membres ont des liens généalogiques avec la bande des lacs Arrow, ce qui fait qu’il a un intérêt identifiable dans les terres. Selon lui, la preuve étaye la thèse selon laquelle il avait un intérêt bénéficiaire dans la réserve des lacs Arrow et dans les éléments d’actif de la bande.

[84] Le Ktunaxa Nation Council soutient que si le Tribunal juge que le Canada a manqué à ses obligations légales en ne transférant pas la réserve de la bande des lacs Arrow et les éléments d’actif de cette bande à la bande d’Okanagan après le décès d’Annie Joseph, il en subira des conséquences réelles et importantes.

[85] Encore une fois, le Ktunaxa Nation Council revendique un intérêt qui aurait pris naissance à la création de la réserve (représentations écrites du Ktunaxa Nation Council au para 55), mais les questions relatives à la création de la réserve ne sont pas soulevées dans la revendication de la bande d’Okanagan. Le Ktunaxa Nation Council se demande également si le Canada était en droit de déclarer la bande des lacs Arrow éteinte et si Annie Joseph avait le pouvoir de consentir à la fusion. Pour sa part, la bande d’Okanagan ne remet en question ni l’un ni l’autre de ces faits.

[86] S’appuyant sur des faits différents, le Ktunaxa Nation Council propose d’ajouter les points suivants à la revendication :

  • les liens généalogiques qui existent entre les membres du Ktunaxa Nation Council et la bande des lacs Arrow;

  • l’appartenance à la bande des lacs Arrow et/ou l’intérêt dans la réserve des lacs Arrow à l’époque de l’attribution de la réserve;

  • des questions factuelles telles que la question de savoir si Annie Joseph était la dernière membre de la bande des lacs Arrow;

  • la question de savoir si le Canada aurait dû déclarer éteinte la bande des lacs Arrow.

[87] Aucun de ces points ne permet d’établir l’existence d’un intérêt direct dans la revendication de la bande d’Okanagan.

[88] Dans sa demande, le Ktunaxa Nation Council soulève des questions qui vont au‑delà de celles décrites dans la revendication. La bande d’Okanagan affirme qu’en omettant de prendre des mesures diligentes pour faire avancer le processus de fusion, la Couronne fédérale a fait passer ses intérêts et ceux de la province avant les siens. Le Ktunaxa Nation Council n’a pas démontré en quoi l’issue de la revendication de la bande d’Okanagan aurait une incidence directe sur ses membres. Les droits, obligations et responsabilités juridiques qu’il a invoqués ne sont tout simplement pas en cause dans la revendication.

[89] Le Ktunaxa Nation Council ne satisfait pas au critère permettant de conclure qu’il a un intérêt direct dans la revendication.

2. La position de l’intervenant proposé est-elle défendue adéquatement par l’une des parties à l’instance?

[90] Je reconnais que la position du Ktunaxa Nation Council n’est pas défendue par une des parties à la revendication dont je suis saisie. Alors qu’un tel constat milite généralement en faveur de la reconnaissance de la qualité d’intervenant, j’arrive à la conclusion contraire en l’espèce.

[91] La position du Ktunaxa Nation Council n’est défendue par ni l’une ni l’autre des parties parce que la revendication qu’il propose diffère grandement de celle de la bande d’Okanagan. Le Ktunaxa Nation Council revendique un intérêt identifiable dans la réserve des lacs Arrow sur le fondement de son utilisation habituelle des terres, ainsi qu’un intérêt bénéficiaire dans les éléments d’actif de la bande des lacs Arrow. Il s’appuie sur ses liens historiques et contemporains avec la bande et la réserve des lacs Arrow. En revanche, la bande d’Okanagan soutient que le Canada a manqué à ses obligations légales et à son devoir de fiduciaire en n’accédant pas aux demandes de fusion présentées par la bande d’Okanagan et celle des lacs Arrow. La revendication de la bande d’Okanagan n’est pas fondée sur une utilisation habituelle des terres de la réserve des lacs Arrow ni sur un intérêt identifiable dans ces terres, et la bande ne revendique pas non plus un intérêt bénéficiaire dans la réserve. Le Tribunal n’est pas saisi de ces questions dans le cadre de la revendication.

[92] Tout comme dans l’affaire Cook’s Ferry, la position du demandeur, le Ktunaxa Nation Council, n’est pas adéquatement défendue par les parties parce que ce dernier propose d’introduire de nouvelles questions dans la revendication. C’est précisément la raison pour laquelle aucune des parties ne défend la position du Ktunaxa Nation Council en l’espèce.

[93] Ces facteurs militent contre la reconnaissance de la qualité d’intervenant au Ktunaxa Nation Council.

3. Le fait de reconnaître au demandeur la qualité d’intervenant servirait-il les intérêts de la justice?

[94] Après avoir examiné la question de l’intérêt de la justice, je ne suis pas convaincue que je devrais accorder la qualité d’intervenant au Ktunaxa Nation Council.

[95] Le Ktunaxa Nation Council s’appuie sur le paragraphe 44 de la décision Tsleil-Waututh TRP, et sur le paragraphe 7 de la décision Doig River pour affirmer que la LTRP est de nature réparatrice et qu’elle devrait être interprétée de manière libérale afin de permettre la réalisation de son objet. Bien que ce soit vrai, le Tribunal a nuancé cette affirmation dans Tsleil-Waututh TRP lorsqu’il a précisé que « [c]ela ne signifie pas que l’on doive écarter les normes d’analyse juridique, surtout lorsqu’il risque d’y avoir un préjudice, un retard ou un gaspillage important ». Par conséquent, même si la LTRP est interprétée de manière libérale, l’intervenant proposé doit tout de même convaincre le Tribunal qu’il satisfait aux critères juridiques pertinents. Donner à la LTRP une interprétation libérale ne permet pas au Tribunal de se soustraire à la nécessité de respecter les normes de l’analyse juridique et, s’agissant de la personne qui se propose d’intervenir, à celle de respecter les prescriptions de la LTRP (Cook’s Ferry au para 47).

[96] Le Ktunaxa Nation Council soutient qu’il ne serait ni juste, ni efficace, ni logique que le Tribunal statue sur la revendication sans tenir compte de la revendication qu’il propose. Il ajoute que l’intervention proposée est tout à fait pertinente pour les questions dont le Tribunal est saisi et pour le partage de la responsabilité. Je reconnais qu’il s’agit là d’un point pertinent. Cependant, le Tribunal doit se demander si l’intervention proposée élargira la portée de l’instance, créera un fardeau indu pour les parties ou « cause[ra] [un] retard, [un] gaspillage de ressources ou [un] autre préjudice, et [entravera] sérieusement le déroulement de l’instance » (Tsleil-Waututh TRP au para 60). Comme l’a déclaré le juge Grist dans la décision Metlakatla :

Les facteurs qui militent contre l’octroi de la qualité d’intervenant comprennent la possibilité que l’intervenant élargisse la portée de l’instance en soulevant de nouvelles questions ou des questions non pertinentes, ou crée un fardeau indu ou une injustice pour les parties à l’appel en les obligeant, par exemple, à répondre à des arguments répétitifs [...] l’intervenant peut seulement présenter des observations qui se rapportent aux faits et questions énoncés dans les mémoires des parties, sauf ordonnance contraire d’un tribunal. [Je souligne; au para 24, citant Carter au para 14]

[97] L’intervention que propose le Ktunaxa Nation Council aurait notamment pour effet de détourner l’objet de la revendication en mettant l’accent sur des questions qui précèdent, chronologiquement, la question de savoir si le Canada était tenu de prendre des mesures pour fusionner la bande des lacs Arrow avec celle d’Okanagan, et qui précèdent aussi les mesures prises par le Canada pour que les terres de la réserve des lacs Arrow retournent à la province.

[98] Le Ktunaxa Nation Council affirme que la revendication qu’il propose est peut-être fondée sur des faits différents, mais qu’il cherche à obtenir une réparation semblable à celle sollicitée par la bande d’Okanagan, c’est-à-dire une indemnité pour avoir été privé de terres et d’éléments d’actif. Cependant, le Tribunal n’accordera aucune indemnité à un intervenant. Avoir la qualité d’intervenant, c’est avoir la possibilité de faire valoir son point de vue sur la revendication, telle que présentée; ce n’est pas avoir la possibilité de faire trancher sa revendication.

[99] Pour répondre aux nouvelles questions soulevées par le Ktunaxa Nation Council, et aux nouveaux points de vue qui en ressortent, les parties pourraient juger nécessaire de produire de nouveaux éléments de preuve — y compris des éléments de preuve documentaire, des témoignages de membres de la communauté et des témoignages d’expert. En rendant nécessaire la production de nouveaux éléments de preuve, l’intervenant dépasserait largement le cadre habituel de sa participation et causerait un préjudice à la bande d’Okanagan en ce que cela aurait pour effet d’augmenter les frais de justice et de prolonger la durée de l’instance. Même sans preuve supplémentaire, l’examen des questions soulevées nécessiterait au moins une journée d’audience de plus à l’étape du bien-fondé de la revendication.

[100] Pour les motifs exposés ci-dessus, ainsi que pour ceux énoncés dans le volet « juste et opportun » du critère applicable en matière d’adjonction d’une partie, il n’est pas dans l’intérêt de la justice de reconnaître au Ktunaxa Nation Council la qualité d’intervenant. L’intervention proposée aurait pour effet d’élargir la portée des questions en litige, de retarder l’instance, de détourner l’objet des actes de procédure et de dévier l’attention du Tribunal de l’affaire que lui ont présentée les parties.

4. Le demandeur dispose-t-il d’autres moyens de faire valoir sa cause dans le système judiciaire?

[101] Le Ktunaxa Nation Council soutient qu’il a tout autant le droit que la bande d’Okanagan de voir sa revendication jugée. C’est aussi mon avis. Toutefois, cela ne signifie pas que le Ktunaxa Nation Council peut se joindre à la revendication ou être ajouté à titre d’intervenant.

[102] Les quatre Premières Nations qui forment le Ktunaxa Nation Council pourraient déposer des revendications particulières indépendantes auprès du Tribunal après avoir satisfait à la condition préalable du paragraphe 16(1), soit de les avoir déposées auprès du ministre, ce qui donnerait aux Premières Nations la possibilité d’en négocier le règlement, conformément aux principes de réconciliation. Dans l’éventualité où elles ne parviendraient pas à négocier un règlement dans les délais prévus au paragraphe 16(1) de la LTRP, les Premières Nations pourraient alors déposer leurs revendications auprès du Tribunal pour qu’il statue sur celles‑ci. Dépendamment de leur degré de similitude, les revendications pourraient être réunies et entendues ensemble.

[103] Les quatre Premières Nations pourraient aussi faire valoir leurs revendications devant d’autres tribunaux, soit la Cour suprême de la Colombie-Britannique ou la Cour fédérale. Aucun besoin pressant ne justifie que le Ktunaxa Nation Council ou les quatre Premières Nations qui le composent interviennent devant le Tribunal alors qu’ils disposent d’autres moyens pour faire entendre et trancher leurs revendications.

[104] Les membres du Ktunaxa Nation Council disposent d’autres moyens pour demander réparation, ce qui milite contre la reconnaissance de la qualité d’intervenant.

5. Le Tribunal des revendications particulières pourrait-il statuer sur le fond de la revendication sans l’intervention du demandeur?

[105] Le Ktunaxa Nation Council soutient que si le Tribunal statue sur la revendication de la bande d’Okanagan avant que le Canada et lui ne parviennent à un règlement définitif de la revendication qu’il propose, [traduction] « la décision du Tribunal pourrait être très préjudiciable à toute revendication particulière que le [Ktunaxa Nation Council] pourrait présenter à l’avenir en ce qui concerne la [bande des lacs Arrow] et la réserve [des lacs Arrow] » (représentations écrites du Ktunaxa Nation Council au para 72).

[106] Je ne suis pas convaincue que la revendication aura une incidence directe sur les droits du Ktunaxa Nation Council ou imposera à ce dernier — ou aux quatre Premières Nations qui le composent — des obligations ou responsabilités juridiques. Le Ktunaxa Nation Council n’a pas expliqué en quoi le fait de ne pas participer à la présente revendication nuirait au recours qu’il pourrait exercer ultérieurement, si ce n’est que le Canada pourrait avoir des obligations contraires ou conjointes à son égard compte tenu de son intérêt bénéficiaire. Je suppose que toute question de chevauchement géographique entre la région visée par la revendication et le territoire traditionnel du Ktunaxa Nation Council poserait problème pour le Canada. À l’audience, lorsqu’il a été interrogé sur le sujet, le Canada n'a pas pris position.

[107] Personne n’a cité la moindre décision selon laquelle le Canada, s’il était tenu de verser une indemnité dans le cadre de la présente revendication, ne serait plus responsable envers une quelconque autre Première Nation qui présenterait une revendication similaire. De nombreuses revendications autochtones se chevauchent en Colombie‑Britannique. Si le Tribunal finit par conclure que le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire envers la bande d’Okanagan, sa décision n’aura pas pour effet de dégager celui-ci de toute obligation similaire qu’il pourrait avoir envers une autre Première Nation. L’obligation de fiduciaire exige que la Couronne respecte la norme de conduite applicable à l’égard de chaque groupe autochtone (Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien), 2018 CSC 4 au para 55, [2018] 1 RCS 83; Première Nation d’ʔAkisq̓nuk c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2020 TRPC 1 aux para 184, 186; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 aux para 97, 104, [2002] 4 RCS 245).

[108] Les représentations du Ktunaxa Nation Council ne seront probablement pas utiles au Tribunal en ce qui concerne la revendication sur laquelle il doit statuer. Au paragraphe 21 de la décision Metlakatla, le juge Grist a indiqué que la qualité d’intervenant « se limite à la fonction décrite au paragraphe 25(1) [de la LTRP], qui consiste à “présenter toutes observations [...] concernant [l’intervenant] à l’égard de ces procédures” » (je souligne; voir aussi Cook’s Ferry au para 54).

[109] La revendication de la bande d’Okanagan repose sur l’allégation selon laquelle le Canada aurait manqué à ses obligations légales et à son devoir de fiduciaire en ne donnant pas suite au désir mutuel des deux Premières Nations — celle d’Okanagan et celle des lacs Arrow — de fusionner. Le Canada a plutôt déclaré la bande des lacs Arrow éteinte et a permis que les terres retournent à la Couronne provinciale. La question dont est saisi le Tribunal n’a rien à voir avec la création de réserves, les intérêts autochtones identifiables dans les terres de la réserve des lacs Arrow ou les liens généalogiques entre les nations. Comme la demande soulève des questions qui débordent le cadre des actes de procédure, elle n’a aucune incidence sur la revendication de sorte que celle-ci peut être entendue et tranchée sans la participation du Ktunaxa Nation Council.

[110] J’estime que même s’il répondait à la définition de « première nation », le Ktunaxa Nation Council ne satisferait pas aux facteurs permettant d’accorder la qualité d’intervenant dans la revendication.

VI. Conclusion

[111] Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’ai attentivement examiné la preuve, les facteurs pertinents énoncés dans la jurisprudence et la législation applicable. J’ai mis en balance les avantages et les désavantages de ma décision pour les parties et pour l’entité qui se propose d’agir en qualité de partie ou d’intervenant. Cela étant, je suis arrivée aux conclusions suivantes.

[112] Je ne suis pas en mesure de faire une interprétation large ou libérale de la définition de « première nation » parce que le Tribunal doit s’en tenir aux termes non équivoques utilisés dans la LTRP. Donner à cette définition une interprétation large irait à l’encontre du langage clair employé dans la LTRP.

[113] Le Ktunaxa Nation Council pourrait sans doute exercer un recours contre le Canada, mais joindre sa revendication à celle dont le Tribunal est actuellement saisi n’est pas le bon moyen pour le faire. Il n’est ni nécessaire ni utile de connaître le point de vue du Ktunaxa Nation Council sur la revendication. En fait, lui reconnaître la qualité de partie nuirait — vu les complications, les coûts et les retards supplémentaires — au règlement de la revendication de la bande d’Okanagan, qui affirme le Canada a manqué à ses obligations légales en ne prenant pas les mesures nécessaires pour réaliser la fusion proposée. Il ne serait ni juste ni pratique de permettre au Ktunaxa Nation Council de se joindre à la revendication.

[114] En ce qui concerne la qualité d’intervenant, le Ktunaxa Nation Council n’a pas d’intérêt direct dans la revendication. La participation du Ktunaxa Nation Council à titre d’intervenant aurait pour effet de prolonger l’instruction, d’augmenter les frais de justice des parties et de retarder le règlement de la revendication. Non seulement le Tribunal peut statuer sur le fond de la revendication de la bande d’Okanagan sans la participation du Ktunaxa Nation Council, mais il est dans l’intérêt de la justice qu’il procède sans lui.

[115] Enfin, la présente revendication ne devrait avoir aucune incidence sur la capacité du Ktunaxa Nation Council à faire valoir sa propre revendication. Si les quatre Premières Nations Ktunaxa ont des revendications particulières valables, elles peuvent les déposer de façon distincte en suivant la procédure qui est énoncée aux articles 14 et 16 de la LTRP.

[116] À mon avis, le Ktunaxa Nation Council ne s’est pas acquitté du fardeau que lui imposent les critères applicables pour être ajouté comme partie, ou comme intervenant, dans la revendication de la bande d’Okanagan.

VII. Décision

[117] La demande du Ktunaxa Nation Council visant à se voir reconnaître la qualité de partie à la revendication en vertu de l’article 24 de la LTRP ou, subsidiairement, celle d’intervenant en vertu de l’article 25 de la LTRP, est rejetée.

[118] Les deux parties et le demandeur assumeront leurs propres dépens.

DIANE MACDONALD

L’honorable Diane MacDonald

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20240515

No de dossier : SCT-7004-20

OTTAWA (ONTARIO), le 15 mai 2024

En présence de l’honorable Diane MacDonald

ENTRE :

BANDE INDIENNE D’OKANAGAN

Revendicatrice (Défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

Représenté par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimé (Défendeur)

et

KTUNAXA NATION COUNCIL

Demandeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocates de la revendicatrice (défenderesse) BANDE INDIENNE D’OKANAGAN

Représentée par Me Claire Truesdale, Me Kelsey Rose et Me Isabelle Lefroy

JFK Law LLP

 

ET AUX :

 

Avocats de l’intimé (défendeur)

Représenté par Me Joshua Ingram et Me Monina Glowacki

Ministère de la Justice

ET AUX :

Avocats du demandeur KTUNAXA NATION COUNCIL

Représenté par Me Darwin Hanna, Me Caroline Roberts et Me Parvej Sidhu

Callison & Hanna

 

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