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No DE DOSSIER : SCT-7004-20

RÉFÉRENCE : 2024 TRPC 3

DATE : 20240515

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE INDIENNE D’OKANAGAN

Revendicatrice (Défenderesse)

 

Me Claire Truesdale, Me Kelsey Rose et MIsabelle Lefroy, pour la revendicatrice (défenderesse)

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

Représenté par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimé (Défendeur)

 

Me Joshua Ingram et Me Monina Glowacki, pour l’intimé (défendeur)

– et –

 

 

AUTONOMOUS SINIXT

Demanderesse

 

Me David M. Aaron, pour la demanderesse

 

 

ENTENDUE : Le 29 novembre 2023

MOTIFS sur la demande

L’honorable Diane MacDonald


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

R c Desautel, 2021 CSC 17, [2021] 1 RCS 533; Campbell v British Columbia (Forest and Range), 2011 BCSC 448, [2011] 3 CNLR 151; Nation Tsleil-Waututh c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 11; Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 3; Nation crie de Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3; Première Nation de Doig River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 7; Kwikwetlem First Nation v British Columbia (AG), 2021 BCCA 311, 461 DLR (4th) 357; Papaschase Indian Band No 136 v Canada (AG), 2004 ABQB 655, [2004] AJ No 999; Oregon Jack Creek Indian Band v CNR, [1990] 2 CNLR 85, 56 DLR (4th) 404 (C.A. C.-B.); R c TJM, 2021 CSC 6, [2021] 1 RCS 17; Bande indienne de Cook’s Ferry c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2023 TRPC 2; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, 154 DLR (4th) 193; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653; Bande indienne d’Okanagan c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2024 TRPC 2.

Lois citées :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, préambule, art 2, 5, 14, 15, 17, 22, 23, 24, 25.

Loi sur les Indiens, SRC 1952, c 149, art 17.

Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), art 35.

Loi des Indiens, SRC 1927, c 98, art 141.

Loi sur les Indiens, SC 1951, c 29.

Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, art 2.

Doctrine et source citées :

Andrea Geiger, « “Crossed by the Border”: The U.S.-Canada Border and Canada’s “Extinction” of the Arrow Lakes Band, 1890-1956 » (Été/automne 2010) vol 23, no 2, W. Legal Hist.

Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol 1, Un passé, un avenir (Ottawa : 1996).

TABLE DES MATIÈRES

I. APERÇU 5

II. CONTEXTE DE LA REVENDICATION 6

III. QUESTIONS EN LITIGE 7

IV. ARGUMENTS DES SINIXT 8

V. Arguments des parties 11

A. Bande d’Okanagan 11

B. Canada 12

VI. Les Sinixt devraient-ils se voir reconnaître la qualité de partie dans la revendication? 12

A. Raison d’être du Tribunal des revendications particulières 12

B. Analyse 15

C. Conclusion quant à la qualité de partie 19

VII. LES Sinixt devraient-ils se voir reconnaître la qualité d’intervenant dans la revendication? 20

A. Analyse 20

B. Conclusion quant à la qualité d’intervenant 21

VIII. Conclusion 21

IX. DÉCISion 22


 

I. APERÇU

[1] Le Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) est appelé à se prononcer sur la demande d’autorisation qu’ont présentée les Autonomous Sinixt (les Sinixt, la nation Sinixt ou la demanderesse) dans le but de se voir reconnaître la qualité de partie ou, subsidiairement, celle d’intervenant dans la revendication sous-jacente déposée par la bande indienne d’Okanagan (la bande d’Okanagan) à l’encontre du Canada (la demande). La demande fait suite à un avis délivré à la nation Sinixt, le 17 février 2023, conformément à l’article 22 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la LTRP].

[2] Dans la revendication sous-jacente, la bande d’Okanagan fait valoir que le Canada a manqué à la fois aux obligations légales et au devoir de fiduciaire qu’il avait envers celle-ci en ne respectant pas sa volonté et celle de la bande des lacs Arrow de voir leurs deux nations réunies en 1952. À cette époque, les deux bandes avaient présenté une demande de fusion, conformément à l’alinéa 17(1)a) de la Loi sur les Indiens, SRC, 1952, c 149. La bande d’Okanagan estime que le manquement du Canada l’a privée de l’usage et du profit de la réserve de la bande des lacs Arrow (également connue sous le nom de réserve d’Oatscott). Elle réclame entre autres une indemnité pour avoir été dépouillée des terres de cette réserve et des éléments d’actifs auxquels elle aurait eu droit si le Canada avait procédé à la fusion des deux Premières Nations.

[3] Seules une province ou une première nation peuvent se voir reconnaître la qualité de partie, et seules une première nation ou une personne peuvent obtenir celle d’intervenant. La demanderesse affirme que, partant des principes de la réconciliation, le Tribunal devrait faire une interprétation large de la définition de première nation figurant dans la LTRP. Elle soutient que [TRADUCTION] « Marilyn James [porte-parole des Sinixt] est la représentante toute désignée des Sinixt, c’est-à-dire du groupe tribal ou de la “nation” », dans le cadre de la présente instance puisqu’elle a été mandatée par les « aînés Sinixt qui l’ont précédée » et qu’elle a représenté les Sinixt pendant des dizaines d’années, notamment dans le cadre de consultations par des tiers (représentations écrites des Sinixt au para 64).

[4] Les parties s’opposent à la réparation demandée. Elles émettent des réserves quant à la demande introduite par les Sinixt par le biais d’une représentante, soit Marilyn James.

[5] La demande a été instruite par vidéoconférence le 29 novembre 2023. Compte tenu de ce qui suit, je rejette la demande visant à obtenir la qualité de partie et, subsidiairement, celle visant à obtenir la qualité d’intervenant au motif que les Sinixt n’ont pas qualité pour agir.

[6] Le terme « Indien » est considéré comme péjoratif. Il est employé dans les présents motifs par référence à la Loi sur les Indiens, de même qu’à certaines sources historiques. Le fait que j’utilise le terme « Indien » ne signifie pas que je le cautionne. Chaque fois qu’il était possible de le faire, j’ai employé les termes « Première Nation » ou « Autochtone ».

II. CONTEXTE DE LA REVENDICATION

[7] La bande des lacs Arrow a été créée en 1902. Les récits contenus dans le dossier historique se contredisent quant à la composition initiale de la bande. En 1902, 243,10 acres de terres situées sur la rive ouest du lac Arrow inférieur, près de la localité de Burton, ont été mises de côté pour la bande des lacs Arrow. Ce que je retiens de la preuve par affidavit, c’est que la bande était composée de membres issus de divers groupes autochtones.

[8] La réserve des lacs Arrow se trouvait sur une terre bordée de falaises abruptes de sorte qu’il était quasi impossible d’y accéder par la route. Au début des années 1950, le Canada a déterminé qu’Annie Joseph était la dernière membre de la bande des lacs Arrow, ce qui n’a pas été contesté à l’époque. Tant la bande d’Okanagan (en 1952) qu’Annie Joseph (en 1953) ont demandé la fusion de la bande d’Okanagan et de celle des lacs Arrow.

[9] Après le décès d’Annie Joseph le 1er octobre 1953, le Canada n’a pas fusionné les deux Premières Nations; il a plutôt déclaré, le 28 septembre 1955, l’extinction de la bande des lacs Arrow, et il a décrété, le 5 janvier 1956, au moyen du décret 1036/1938, que les terres de réserve de la bande devaient retourner à la Colombie-Britannique. Le Canada a transféré le contrôle, la gestion et l’administration des terres constituant la réserve des lacs Arrow à la province de la Colombie-Britannique, qui a ainsi récupéré ces terres.

[10] C’est sur l’omission de fusionner les deux Premières Nations et le retour des terres de réserve à la province de la Colombie-Britannique que porte la revendication de la bande d’Okanagan. Cette dernière affirme que le Canada n’a pas respecté la volonté qu’elle et la bande des lacs Arrow avaient de se voir réunies. Elle prétend que le Canada n’a pas agi avec diligence lorsqu’il a examiné et traité les demandes de fusion et qu’il a ainsi manqué à son obligation de fiduciaire. Par conséquent, elle a été privée de l’usage et du profit de la réserve de la bande des lacs Arrow et des éléments d’actifs de cette bande. Elle demande à être indemnisée pour cette perte.

[12] Or, les Sinixt proposent de contester ces faits sous-jacents.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[14] Je traiterai d’abord de la question de savoir si les Sinixt ont qualité de première nation ou de personne devant notre Tribunal. Au vu de ma conclusion sur cette question, il n’est pas nécessaire que je me penche sur les autres questions.

IV. ARGUMENTS DES SINIXT

[15] Les Sinixt souhaitent se voir reconnaître le statut de partie à la revendication de la bande d’Okanagan. Ils soutiennent qu’un groupe autochtone peut ester en justice au moyen d’une demande dérivée, ou d’une demande par représentation, introduite par l’un ou l’autre de ses membres. Selon les Sinixt, Marylin James est la représentante toute désignée.

[16] Les Sinixt ont versé de nombreuses pièces en preuve, notamment un article de doctrine de la professeure Andrea Geiger intitulé « “Crossed by the Border”: The U.S.-Canada Border and Canada’s “Extinction” of the Arrow Lakes Band, 1890-1956 » et publié dans la revue Western Legal History, volume 23, numéro 2, été/automne 2010 (l’article de Geiger), ainsi qu’une déclaration solennelle de Marilyn James accompagnée des annexes y afférentes, dont un rapport de BC Hydro (le rapport de BC Hydro).

[17] Le rapport de BC Hydro contient 119 pages. Il comprend un exposé sur les consultations menées auprès des groupes autochtones quant à l’utilisation autochtone historique de la région du barrage de Waneta (notamment par les Sinixt). Ce barrage hydroélectrique est situé à quelques kilomètres au nord de la frontière canado-américaine et à plus de 150 km au sud de la réserve des lacs Arrow. Les représentations écrites des Sinixt ne font pas mention du rapport de BC Hydro, qui est bien peu pertinent dans le contexte de la présente demande.

[18] Les Sinixt prétendent qu’ils sont un peuple transfrontalier qui souffre du fait que le Canada a déclaré la bande des lacs Arrow « éteinte » en 1956. Ils affirment qu’ils forment [TRADUCTION] « un groupe tribal constitué de personnes ayant en commun une identité, un patrimoine culturel, un territoire traditionnel et un dialecte unique qui les distingue des autres groupes linguistiques autochtones d’Amérique du Nord » (représentations écrites des Sinixt au para 41). Ils attirent l’attention du Tribunal sur une carte reproduite dans l’article de Geiger, qui montre que le territoire traditionnel des Sinixt englobe le secteur de l’ancienne réserve des lacs Arrow, près de la localité de Burton. Le peuple Sinixt a progressivement migré vers le sud, jusqu’à un endroit appelé à devenir partie du territoire américain en 1846. Le traité Oregon conclu entre les États-Unis et la Grande-Bretagne cette année-là a eu pour effet de diviser le territoire des Sinixt en deux. Ces derniers prétendent qu’ils ont été forcés de se joindre aux Tribus confédérées de la réserve indienne de Colville, aux États-Unis. Ils ajoutent que plusieurs groupes culturels distincts forment la confédération de Colville. Même une fois la frontière canado-américaine établie, les Sinixt ont continué de se déplacer dans l’ensemble de leur territoire, notamment afin de s’approvisionner en ressources.

[19] L’article de Geiger relate les faits historiques entourant la demande des Sinixt relative à la réserve des lacs Arrow et celle relative à une autre réserve située à l’embouchure de la rivière Kootenay, près de Robson. L’article documente également l’utilisation annuelle continue de la région des lacs Arrow par les Sinixt, et ce, même après l’établissement d’une réserve à Fort Colvile (aux États-Unis) où certains de leurs membres résidaient.

[20] De l’avis des Sinixt, les faits historiques narrés dans l’article de Geiger démontrent que les irrégularités commises par le Canada à l’égard des Sinixt les ont dépossédés d’une réserve et, par le truchement de la Loi sur les Indiens, privés du statut de bande indienne.

[21] Les Sinixt se sont ainsi trouvés, toujours selon eux, dans un flou juridique que la Cour suprême du Canada a dissipé en 2021 lorsqu’elle a reconnu qu’ils formaient un peuple autochtone du Canada dont les droits sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U) [Loi constitutionnelle de 1982] (R c Desautel, 2021 CSC 17, [2021] 1 RCS 533 [Desautel]).

[22] Les Sinixt allèguent que leur groupe tribal est celui qui entretenait initialement un lien avec la bande et la réserve des lacs Arrow. Ils affirment que c’est envers les Sinixt que le Canada a une obligation de fiduciaire concernant la réserve de la bande des lacs Arrow et les éléments d’actifs de cette bande. Ils prétendent que, de par leur utilisation habituelle de ces terres et des terres adjacentes, ils avaient un intérêt identifiable dans la réserve et qu’ils possèdent toujours un intérêt bénéficiaire dans celle-ci.

[23] Les Sinixt soutiennent qu’[TRADUCTION] « Annie Joseph a d’abord et toujours été membre des Sinixt et qu’elle a refusé de renoncer à son identité d’origine pour servir les intérêts coloniaux » (représentations écrites des Sinixt au para 71).

[24] Les Sinixt affirment que leur revendication est fondée sur les mêmes faits que celle de la bande d’Okanagan. Ils prétendent que s’ils devenaient partie à la revendication sous-jacente, ils solliciteraient une réparation similaire à celle que cherche à obtenir la bande d’Okanagan, à savoir une indemnité pour avoir été privés de la réserve de la bande des lacs Arrow ainsi que des éléments d’actifs de cette bande.

[25] Les Sinixt [TRADUCTION] « incorpore[nt] par renvoi, dans [leur] demande, les faits et les prises de position énoncés sur leur site Web https://sinixt.org/about-sinixt/, et plus précisément, dans les sections “About”, “Our Land”, “History” et “Smum Iem” » (demande au para 2).

[26] Les Sinixt allèguent que le rejet de leur demande de participation dans la revendication irait à l’encontre des objectifs de la réconciliation, de l’honneur de la Couronne et de l’objet de l’article 24 de la LTRP. Ils soutiennent que le Tribunal doit faire une interprétation large de cet article et y inclure les peuples autochtones qui ne sont pas des premières nations dans le cadre du régime législatif actuel.

[27] Les Sinixt concluent que le fait de leur refuser le droit de participer à la revendication au motif qu’ils n’ont pas le statut de bande indienne serait [TRADUCTION] « le comble de l’injustice » (représentations écrites des Sinixt au para 45). Par conséquent, les Sinixt prétendent que le Tribunal doit les reconnaître et leur accorder la qualité de partie (ou subsidiairement, celle d’intervenant) dans la revendication.

V. Arguments des parties

A. Bande d’Okanagan

[28] La bande d’Okanagan et le Canada insistent sur le fait que les Sinixt ne sont pas une première nation et qu’ils n’ont pas qualité pour agir devant notre Tribunal.

[29] La bande d’Okanagan allègue que les Sinixt demandent au Tribunal d’élargir l’interprétation des articles 24 et 25 de la LTRP et affirme que cela reviendrait à permettre aux Sinixt de contourner la condition préalable prévue par la loi selon laquelle la revendication doit d’abord être déposée auprès du ministre des Relations Couronne-Autochtones (le ministre) aux fins de négociation. La bande d’Okanagan prétend qu’en réalité, les Sinixt tentent d’utiliser la revendication de la bande d’Okanagan pour amener subrepticement le Tribunal à statuer sur leur propre revendication.

[30] La bande d’Okanagan allègue que les Sinixt ne sont pas en mesure de justifier de façon cohérente leur participation à sa revendication et qu’ils n’expliquent pas en quoi ils satisfont aux critères juridiques à respecter pour obtenir la qualité de partie ou d’intervenant.

[31] Toujours selon la bande d’Okanagan, tant les allégations que la preuve se trouvant dans la demande gravitent autour de l’empiétement du Canada sur le territoire traditionnel des Sinixt (à compter du début des années 1800) et du fait qu’aucune terre n’a été mise de côté à l’usage des Sinixt. Elle soutient qu’à l’inverse, sa revendication a une portée plutôt restreinte, axée sur la conduite adoptée par la Couronne pendant environ cinq ans au cours des années 1950.

[32] En plus de contester la qualité des Sinixt pour agir, la bande d’Okanagan allègue que les questions qu’ils soulèvent sont distinctes de celles en cause dans la revendication sous-jacente, qu’elles n’entrent pas dans le champ de compétence du Tribunal et qu’elles n’ont aucun fondement en droit. Conséquemment, la demande des Sinixt pour se voir reconnaître le statut de partie ou d’intervenant devrait être rejetée.

B. Canada

[33] Le Canada allègue que les Sinixt ne sont pas une première nation au sens de la LTRP, de sorte qu’ils ne peuvent pas se voir accorder la qualité de partie ou d’intervenant. Il prétend que la LTRP n’ouvre pas droit aux demandes par représentation et que, à supposer que le Tribunal décide autrement, ni les Sinixt ni Marilyn James ne représentent tous les peuples Sinixt.

[34] Le Canada souligne que, devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, la Sinixt Nation et la Sinixt Nation Society (un autre groupe représenté par l’avocat des Sinixt) n’ont pas réussi à établir la capacité de leur groupe à déposer une demande au nom des Sinixt (Campbell v British Columbia (Forest and Range), 2011 BCSC 448, [2011] 3 CNLR 151 (motifs rendus oralement par le juge siégeant en cabinet) [Campbell]).

[35] Dans leur demande, les Sinixt renvoient le Tribunal à leur site Web (https://sinixt.org/). Le Canada a consulté la section FAQ de ce site le 29 mai 2023. S’appuyant sur ce qu’il y a lu, le Canada souligne que les Sinixt sont [TRADUCTION] « désaffiliés de toute réserve ou de tout conseil de bande » et qu’ils « vivent un peu partout à travers le Canada et les É.-U. »

VI. Les Sinixt devraient-ils se voir reconnaître la qualité de partie dans la revendication?

A. Raison d’être du Tribunal des revendications particulières

[36] La principale raison d’être du Tribunal est de statuer sur les revendications particulières et d’ainsi contribuer au rapprochement entre les Premières Nations et la Couronne. Pendant de nombreuses années, les revendications particulières se sont avérées une grande source de frustration entre les Premières Nations et Sa Majesté (Tsleil-Waututh c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 11 au para 40). Un des principaux problèmes résidait dans le fait que les revendications historiques étaient prescrites en raison de l’écoulement du temps alors qu’en réalité, entre 1927 et 1951, il était impossible pour les Premières Nations de retenir les services de conseillers juridiques pour contester les décisions du gouvernement (voir l’article 141 de la Loi des Indiens, SRC 1927, c 98, abrogé dans la Loi sur les Indiens, SC 1951, c 29). Aussi, l’Assemblée des Premières Nations et le Canada ont travaillé conjointement à la mise sur pied du Tribunal et à l’élaboration de sa loi constitutive, la LTRP (préambule de la LTRP aux para 2, 5).

[37] Le législateur a créé un Tribunal qui puisse régler, dans les meilleurs délais, les revendications fondées sur l’omission de la Couronne de s’acquitter de ses obligations légales envers les Premières Nations, surtout lorsque des délais de prescription ont privé ces dernières d’un accès aux tribunaux (Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 3 au para 405 [Beardy’s]).

[38] La description du processus de règlement faite par la présidente du Tribunal, la juge Chiappetta, dans Nation crie Red Pheasant c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 3 au para 27 [Red Pheasant] s’avère fort utile :

Une revendication particulière ne peut pas être déposée directement auprès du Tribunal. Aux termes de la LTRP, avant de pouvoir déposer une revendication auprès du Tribunal, une Première Nation doit d’abord la déposer auprès du ministre des Relations Couronne-Autochtones. Selon le document du gouvernement fédéral intitulé « Politique sur les revendications particulières et Guide sur le processus de règlement », le ministre a trois ans et demi pour examiner le dossier de présentation de la revendication particulière. Une Première Nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication que si, à la suite de l’examen du ministre, la revendication n’est pas acceptée aux fins de négociation ou si le ministre ne répond pas dans les trois ans suivant la date à laquelle la revendication est réputée déposée. Si la revendication est acceptée aux fins de négociation, elle ne peut être déposée auprès du Tribunal que trois ans plus tard si aucun règlement n’a été conclu, ou encore dès le moment où le ministre consent à ce que le Tribunal soit saisi de la revendication.

[39] Le Tribunal a été créé afin que les Premières Nations disposent d’un recours lorsqu’une revendication n’est pas acceptée par le ministre aux fins de négociation ou qu’elle n’est pas réglée après trois ans (Beardy’s au para 399).

[40] L’interprétation de l’article 24 doit être compatible avec l’économie et l’objet de la LTRP « qui vise à faciliter le règlement de revendications particulières de façon équitable, rapide et définitive » (Première Nation de Doig River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 7 au para 29 [Doig River]). Le Tribunal n’a pas pour mission de statuer sur l’ensemble des litiges qui opposent les peuples autochtones et la Couronne. Il n’a compétence que sur les catégories de revendications énumérées dans la LTRP. L’article 2 de cette loi définit une « revendication particulière » comme étant une revendication déposée au titre de l’article 14 de la LTRP. Les revendications énumérées au paragraphe 14(1) de la LTRP incluent celles fondées sur les violations d’obligations légales de la Couronne concernant les terres de réserve et l’administration d’autres éléments d’actifs des Premières Nations, ainsi que celles fondées sur les manquements aux promesses faites dans le cadre de traités.

[41] L’article 15 de la LTRP prévoit plusieurs exceptions, par exemple, les revendications relatives à la prestation ou au financement de certains services ou programmes, celles relatives à des droits ou des titres ancestraux et celles qui visent à obtenir une réparation autre qu’une indemnité pécuniaire (alinéas 15(1)d), 15(1)f) et 15(4)b) de la LTRP).

[42] Une revendication peut être radiée si elle n’est pas déposée par une première nation, si elle n’entre pas dans l’une des catégories énumérées à l’article 14 de la LTRP ou si elle n’a pas d’abord été déposée auprès du ministre aux fins de négociation (article 17 de la LTRP). La Loi a été rédigée de manière à favoriser la négociation comme mode de règlement des différends. Ce n’est que si le processus de négociation échoue que l’affaire peut être portée devant le Tribunal (Red Pheasant au para 27).

[43] Les articles 23 et 24 de la LTRP réservent aux provinces et aux premières nations la possibilité de se voir reconnaître la qualité de partie et autorisent le Tribunal à leur accorder cette qualité s’il le juge indiqué. L’article 2 de la LTRP définit « première nation » de la façon suivante :

première nation

a) Bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens;

b) groupe de personnes qui, bien qu’il ne soit plus une bande visée à l’alinéa a), a maintenu, en vertu d’un accord sur des revendications territoriales, son droit de présenter une revendication particulière;

c) groupe de personnes qui, bien qu’il ne soit plus une bande visée à l’alinéa a) en raison d’une loi ou d’un accord figurant à l’annexe, n’a pas abandonné son droit de présenter une revendication particulière.

[44] Cette définition est claire et ne laisse place à aucune ambiguïté : elle prévoit qu’une première nation est une « bande » ou, dans certaines circonstances bien définies, une ancienne « bande ».

[45] Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, définit « bande » et « Indien » de la façon suivante :

[…] bande Groupe d’Indiens, selon le cas :

a) à l’usage et au profit communs desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951;

b) à l’usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d’argent;

c) que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l’application de la présente loi.

[…]

Indien Personne qui, conformément à la présente loi, est inscrite à titre d’Indien ou a droit de l’être; […]

B. Analyse

[46] Un avis a été envoyé à la nation Sinixt, le 17 février 2023, conformément à l’article 22 de la LTRP. Voici ce que prévoit cet article :

22 (1) Lorsqu’il estime qu’une décision peut avoir des répercussions importantes sur les intérêts d’une province, d’une première nation ou d’une personne, le Tribunal en avise les intéressés. Les parties peuvent présenter leurs observations sur l’identité des intéressés.

[47] Au paragraphe 39 de leurs représentations écrites, les Sinixt allèguent que [TRADUCTION] « l’avis transmis par le Tribunal aux Sinixt en application de l’article 22 de la [LTRP] illustre bien l’interprétation souple que fait le Tribunal de la définition de “première nation”. L’envoi de cet avis aux Sinixt prouve à lui seul que les Sinixt répondent à la définition de “première nation” ou de “personne” prévue dans cet article de la [LTRP] ». Ils affirment également que leur refuser la qualité pour agir compromettrait les objectifs de la réconciliation, serait incompatible avec une interprétation fondée sur l’objet de la LTRP et serait contraire à l’honneur de la Couronne. Je ne suis pas de cet avis.

[48] Le Tribunal a pour pratique d’envoyer l’avis prévu à l’article 22 à un grand nombre d’entités, qu’elles soient ou non des premières nations au sens de la LTRP, afin de s’assurer que toute entité susceptible d’être touchée soit avisée de la revendication. Recevoir un tel avis ne confère à aucune entité le droit de participer à l’instance devant le Tribunal. La LTRP énonce clairement que l’entité avisée au titre de l’article 22 peut demander à se voir reconnaître la qualité de partie ou d’intervenant. Pour se voir reconnaître la qualité de partie, un demandeur doit satisfaire au critère prévu à l’article 24 de la LTRP :

Qualité de partie : première nation

24 Si elle lui en fait la demande, le Tribunal peut, s’il le juge indiqué, accorder à toute première nation avisée au titre du paragraphe 22(1) la qualité de partie.

[49] L’adjonction d’une partie est une décision discrétionnaire : Kwikwetlem First Nation v British Columbia (AG), 2021 BCCA 311 au para 39, 461 DLR (4th) 357. Les parties prétendent que le Tribunal na pas compétence pour entendre les revendications de groupes autochtones qui ne sont pas des premières nations, et qu’il ne peut accorder la qualité de partie aux Sinixt puisqu’ils ne sont pas une première nation. À lopposé, les Sinixt prétendent que le Tribunal doit interpréter de façon libérale la définition de première nation et ainsi englober les groupes autochtones dont les droits sont protégés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[50] La réception de l’avis prévu à l’article 22 ne soustrait pas un demandeur à la nécessité d’entrer dans la définition de première nation prévue à l’article 2 de la LTRP. Se pose donc la question préliminaire de savoir si les Sinixt constituent une première nation au sens de cet article.

[51] Les Sinixt allèguent qu’un groupe autochtone n’a pas à avoir le statut de bande pour pouvoir présenter une revendication relative à des droits ancestraux ou à une obligation de fiduciaire de la Couronne. Ils citent les affaires Papaschase Indian Band No 136 v Canada (AG), 2004 ABQB 655, [2004] AJ No 999 [Papaschase] et Oregon Jack Creek Indian Band v CNR, [1990] 2 CNLR 85, 56 DLR (4th) 404 (CA C.-B.) (autorisation d’appel refusée) [Oregon Jack] pour étayer leur prétention selon laquelle les groupes autochtones qui n’ont pas de statut juridique peuvent faire valoir une revendication de droits ancestraux par le biais d’une demande par représentation.

[52] Papaschase et Oregon Jack émanent toutes deux de cours de justice qui ont été appelées à statuer sur l’entité autochtone habilitée à présenter une revendication de droits ancestraux au nom d’un groupe autochtone qui n’est pas une bande au sens de la Loi sur les Indiens. Or, ces décisions ne s’appliquent pas dans le contexte de la demande des Sinixt. En effet, les cours ne sont pas limitées par l’exigence prévue aux articles 2 et 14 de la LTRP selon laquelle seule une première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication.

[53] Les Sinixt s’appuient sur le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Desautel et soutiennent qu’ils ont été reconnus comme un « peuple autochtone » du Canada protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils allèguent que cette protection leur confère le droit de saisir le Tribunal d’une demande par représentation.

[54] Même si, dans Desautel, la Cour suprême du Canada a reconnu que les Sinixt constituent un peuple autochtone du Canada, cela ne fait pas des Sinixt une première nation au sens de la LTRP. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 confère des droits à d’autres groupes autochtones qui ne sont pas des Premières Nations, notamment les Métis et les Inuits.

[55] L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est ainsi rédigé :

Confirmation des droits existants des peuples autochtones

35 (1) Les droits existants ancestraux ou issus de traitésdes peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

Définition de peuples autochtones du Canada

(2) Dans la présente loi, peuples autochtones du Canada s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada. [caractères gras dans l’original]

[56] Selon la bande d’Okanagan, il faut partir de la prémisse que le législateur avait l’intention de restreindre l’accès au Tribunal (R c TJM, 2021 CSC 6 au para 14, [2021] 1 RCS 17, citant Ontario c Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 RCS 1031 au para 11). Je partage cet avis.

[57] Bien que notre Tribunal ait déjà souligné l’importance d’adopter une « interprétation large », il faut tenir compte de l’objectif de la LTRP qui est, pour sa part, relativement restreint (Bande indienne de Cook’s Ferry c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2023 TRPC 2 aux para 80-81 [Cook’s Ferry]). L’interprétation donnée à l’article 25 de la LTRP a été balisée afin de s’assurer que la personne qui se propose d’intervenir respecte les prescriptions de la LTRP (Cook’s Ferry aux para 47-48).

[58] En outre, le Tribunal n’a pas le pouvoir discrétionnaire de s’écarter de la définition claire de « première nation » figurant dans la LTRP. L’interprétation législative exige de « […] lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21, 154 DLR (4th) 193 [Rizzo & Rizzo], citant Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statues, 3e éd, Toronto, Butterworths, 1994 à la p 87). Comme l’a récemment affirmé la Cour suprême du Canada, lorsque le libellé de la loi est « précis et non équivoque », son sens ordinaire joue un rôle important dans le processus d’interprétation (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 120, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], citant Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54 au para 10, [2005] 2 RCS 601).

[59] Fait important, lorsqu’il interprète la LTRP, le Tribunal ne peut se contenter de respecter le texte et le contexte de l’article 24; il doit aussi accorder de l’importance à l’objectif réparateur de la LTRP. Le législateur entendait manifestement faire en sorte que les Premières Nations aient accès à un tribunal qui ne refuserait pas leurs revendications en raison du temps écoulé. Il cherchait notamment à s’assurer que les revendications qui ne pouvaient être portées devant une cour de justice puissent faire l’objet d’un règlement.

[60] Il ressort explicitement de la LTRP que les groupes autochtones qui ne sont pas des premières nations ne peuvent pas obtenir un règlement dans le cadre du processus du Tribunal. En voici des exemples :

  • ·L’article 2 définit un « revendicateur » comme étant « [une p]remière nation ayant saisi le Tribunal d’une revendication particulière ».

  • ·Le même article définit une « partie » comme étant « […] tout revendicateur [qui par définition est une première nation], Sa Majesté ou toute province ou première nation à qui la qualité de partie est accordée aux termes des articles 23 ou 24 ».

  • ·L’article 5 prévoit que « [l]a présente loi n’a d’effet sur les droits de la première nation que si celle-ci choisit de saisir le Tribunal d’une revendication particulière ».

  • ·Le paragraphe 15(3) prévoit qu’une « première nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication si […] a) une juridiction autre que le Tribunal est saisi d’une demande portant sur les mêmes terres ou autres éléments d’actif et susceptible de donner lieu à une décision incompatible ou fondée essentiellement sur les mêmes faits ».

  • ·L’alinéa 17b) autorise le Tribunal à radier une revendication si « elle n’a pas été déposée par une première nation ».

[61] Selon moi, la définition de « première nation » ne se prête pas à une interprétation libérale étant donné que la LTRP est formulée en termes non équivoques. Par ailleurs, la demanderesse n’a relevé aucune incertitude ni aucune ambiguïté qui justifierait que l’on s’écarte du sens ordinaire de « première nation ». Lorsque le libellé d’une loi est « précis et non équivoque », il faut accorder de l’importance à son sens ordinaire (Vavilov au para 120).

[62] L’article 24, lu dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la LTRP, l’objet de cette loi et l’intention du législateur, ne peut être interprété comme permettant à des groupes autochtones qui ne sont pas des premières nations de demander la qualité de partie dans une revendication devant le Tribunal (Rizzo & Rizzo au para 21).

[63] Le Tribunal ne peut accorder la qualité de partie aux Sinixt puisqu’il n’a pas le pouvoir de ce faire.

C. Conclusion quant à la qualité de partie

[64] Les Sinixt insistent sur le fait que le Canada a privé leur peuple d’un statut depuis le début des années 1800. S’ils font un jour la preuve de leurs prétentions, les Sinixt auront été victimes d’injustice pendant des dizaines d’années et seront en droit de voir leur revendication réglée en conformité avec le droit applicable. Il demeure que la compétence du Tribunal se limite aux revendications fondées sur l’un des faits énumérés à l’article 14 de la LTRP. Élargir la définition de « première nation » comme le demandent les Sinixt irait à l’encontre du libellé exprès de la LTRP et de l’intention claire qui la sous-tend. Les Sinixt ne sont pas une première nation au sens de la LTRP et ne peuvent saisir le Tribunal d’une revendication.

[65] L’article 24 de la LTRP précise que seule une première nation peut se voir accorder la qualité de partie devant le Tribunal. Les Sinixt ne peuvent donc l’invoquer à cette fin. Ils n’ont pas satisfait aux exigences pour se voir ajoutés aux parties à la présente revendication, car ils ne constituent pas une première nation.

VII. LES Sinixt devraient-ils se voir reconnaître la qualité d’intervenant dans la revendication?

A. Analyse

[66] À titre subsidiaire, les Sinixt allèguent qu’ils devraient se voir reconnaître la qualité d’intervenant. Pour obtenir cette qualité, un demandeur doit satisfaire aux critères prévus à l’article 25 de la LTRP :

Qualité d’intervenant

25 (1) Toute personne ou première nation avisée au titre du paragraphe 22(1) peut, avec l’autorisation du Tribunal, intervenir dans les procédures se déroulant devant celui-ci afin de présenter toutes observations la concernant à l’égard de ces procédures.

Facteurs à prendre en compte

(2) Pour accorder la qualité d’intervenant, le Tribunal prend en compte les facteurs qu’il estimé indiqués, notamment les frais ou délais supplémentaires qui pourraient en découler.

[67] Aux termes de l’article 25 de la LTRP, toute personne ou première nation avisée au titre du paragraphe 22(1) peut, avec l’autorisation du Tribunal, intervenir dans les procédures se déroulant devant celui-ci afin de présenter toutes observations la concernant à l’égard de ces procédures. Le Tribunal ne peut accorder la qualité d’intervenant qu’aux premières nations ou aux « personnes ». Les Sinixt prétendent que Marilyn James peut déposer une demande par représentation en sa qualité de « personne ».

[68] Je conviens que Marilyn James a représenté les Sinixt pendant des dizaines d’années (déclaration solennelle de Marilyn James), mais la preuve présentée à l’appui de la demande ne permet pas de savoir quels groupes de Sinixt elle représente ni quels sont les critères d’appartenance qu’appliquent les Sinixt.

[69] Même si le Tribunal pouvait accorder la qualité d’intervenant, le fait d’avoir cette qualité ne permettrait peut-être pas aux Sinixt d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Le rôle des intervenants est de présenter des observations afin d’aider le Tribunal à statuer sur une revendication dont il est saisi. Le fait de reconnaître aux Sinixt la qualité d’intervenant n’entraînerait pas le règlement de leur propre revendication. Je constate que le juge Willcock, dans Campbell, a exposé comment les Sinixt pourraient revenir devant les tribunaux pour solliciter une réparation. Les Sinixt pourraient aussi discuter de la question de leur statut de groupe autochtone protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 avec le ministère des Services aux Autochtones Canada ou le ministère des Relations Couronne-Autochtones.

B. Conclusion quant à la qualité d’intervenant

[70] La Commission royale sur les peuples autochtones s’est exprimée ainsi concernant le déracinement historique des peuples autochtones au Canada :

Les peuples autochtones ont été physiquement déracinés: on leur refusait l’accès à leurs territoires traditionnels et, dans bien des cas, on les a forcés à se rendre dans de nouveaux endroits que les autorités coloniales avaient choisis pour eux. Ils ont également été déracinés sur les plans social et culturel: assujettis aux efforts intensifs des missionnaires, ils se sont fait imposer des écoles qui ont réduit leur capacité de transmettre leurs valeurs traditionnelles à leurs enfants, qui leur inculquaient des valeurs victoriennes à dominante masculine et qui attaquaient leurs activités traditionnelles comme les danses et autres cérémonies symboliques. En Amérique du Nord, ils ont également été déracinés sur le plan politique, les lois coloniales les forçant d’abandonner ou, à tout le moins, de camoufler leurs structures et méthodes traditionnelles de gouvernement en faveur d’institutions municipales, de type colonial. [Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones : Un passé, un avenir, vol 1, Ottawa, 1996 à la p 150]

[71] Le déracinement des peuples autochtones et l’ingérence dans leur culture, leurs valeurs et leurs structures de gouvernance ont entraîné de lourdes conséquences, souvent tragiques. Malheureusement, cela ne change pas le fait que le Tribunal n’a pas compétence à l’égard des groupes autochtones qui ne sont pas des premières nations.

[72] Les Sinixt n’ont pas le statut nécessaire aux termes de la LTRP pour se voir reconnaître la qualité d’intervenant dans la présente revendication, parce qu’ils ne sont ni une première nation ni une personne, et que leur recours n’est pas introduit par un représentant.

VIII. Conclusion

[73] Les Sinixt n’ont pas établi qu’ils avaient qualité pour participer à la revendication devant le Tribunal, que ce soit à titre de partie ou d’intervenant. À supposer même que les Sinixt aient été une première nation, il leur aurait été difficile de satisfaire aux critères applicables pour obtenir la qualité de partie ou d’intervenant dans la revendication, et ce, pour des raisons semblables à celles exprimées par le Tribunal dans ses motifs sur la demande dans le dossier du Ktunaxa Nation Council (Bande indienne d’Okanagan c Sa Majesté le Roi du chef du Canada, 2024 TRPC 2). Je n’ai cependant pas à statuer sur cette question, les Sinixt n’ayant pas établi qu’ils avaient qualité pour présenter leur demande.

[74] Le Tribunal a été créé pour faciliter — et non freiner — l’accès à la justice pour les Premières Nations. Même si les Sinixt n’entrent pas dans la définition de première nation de la LTRP, leur incapacité à intervenir dans la présente revendication ne devrait pas avoir d’incidence sur leur capacité à faire valoir leur propre revendication devant l’instance appropriée. Les Sinixt sont libres de saisir une juridiction compétente de leur revendication. Les cours de justice ne sont pas limitées par l’exigence prévue dans la LTRP selon laquelle seule une première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication. Les Sinixt ont déjà fait reconnaître leurs droits aux termes du paragraphe 35(1) devant la Cour suprême du Canada dans le cadre de l’affaire Desautel. Ils ont également introduit une revendication de titre ancestral devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique : Vance Robert Campbell, Marilyn James, Lola Jon Campbell, Taress Alexis and Garrett Campbell, Directors of the Sinixt Nation Society, representative body of the Sinixt Nation, on their own behalf and on behalf of the Sinixt Nation v Her Majesty the Queen in Right of the Province of British Columbia and the Attorney General of Canada, Cour suprême de la Colombie-Britannique, Greffe de Nelson no 14324 (déclaration solennelle de Marilyn James au para 8).

[75] À défaut d’une entente avec la Couronne, c’est vers les cours de justice que les Sinixt devraient se tourner pour obtenir jugement sur la nature et l’étendue de leurs droits. Le Tribunal n’a pas le pouvoir d’accorder la qualité de partie à une entité qui n’est pas une première nation (à moins qu’il ne s’agisse d’une province) et n’a pas compétence pour accorder la qualité d’intervenant à une entité qui n’est pas une personne ni une première nation.

IX. DÉCISion

[76] La demande des Sinixt visant à se voir reconnaître la qualité de partie à la présente revendication en vertu de l’article 24 de la LTRP, ou subsidiairement celle d’intervenant en vertu de l’article 25 de la LTRP, est rejetée.

[77] Les parties et la demanderesse assumeront leurs propres dépens.

DIANE MACDONALD

L’honorable Diane MacDonald

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20240515

No de dossier : SCT-7004-20

OTTAWA (ONTARIO), le 15 mai 2024

En présence de l’honorable Diane MacDonald

ENTRE :

BANDE INDIENNE D’OKANAGAN

Revendicatrice (défenderesse)

et

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA

Représenté par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimé (défendeur)

et

AUTONOMOUS SINIXT

Demanderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocates de la revendicatrice (défenderesse) BANDE INDIENNE D’OKANAGAN

Représentée par Me Claire Truesdale, Me Kelsey Rose et Me Isabelle Lefroy

JFK Law LLP

 

ET AUX :

 

Avocats de l’intimé (défendeur)

Représenté par MJoshua Ingram et MMonina Glowacki

Ministère de la Justice

ET À :

Avocat de la demanderesse AUTONOMOUS SINIXT

Représentée par Me David M. Aaron

Arsenault Aaron Lawyers

 

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