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DOSSIER : SCT-7007-11

TRADUCTION OFFICIELLE

RÉFÉRENCE : 2015 TRPC 6

DATE: 20151105

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Revendicatrice

 

Allisun Rana et Emily Grier, pour la revendicatrice

– et –

 

 

PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Revendicatrice

 

 

James Tate, Ava G. Murphy et Michelle L. Bradley, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Jonathan Sarin, Michael Mladen et Darlene Prosser, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE: Du 20 au 22 mai 2015

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable W.L. Whalen


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Apsassin c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien),[1988] 3 CF 20 (dans sa forme abrégée); Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1993] 3 RCF 28, [1993] 2 CNLR 20; Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25; Première nation de Doig River et Premières nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2012 TRPC 7; Calder c Colombie-Britannique (PG), [1973] RCS 313, 34 DLR (3d) 145; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321; Première nation de Doig River et Premières nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 2; Pro Swing Inc c Elta Golf Inc, 2006 CSC 52, [2006] 2 RCS 612; Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 153 DLR (4th) 193; Première Nation de Fairford c Canada (PG) (1998), [1999] 2 RCF 48, [1999] 2 CNLR 60 (CF 1re inst); Nation Haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511; Manitoba Métis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623; Canada c Première nation de Kitselas, 2014 CAF 150, [2014] 4 CNLR 6; Galambos c Perez, 2009 CSC 48, [2009] 3 RCS 247.

Lois et règlements cités :

Loi des Indiens, SRC 1927, c 98.

Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, SC 1942, c 33.

Land Act, RSBC 1948, c 175, art 45, 47, 66, 120, 121.

Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, art 2.

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 2, 14, 16, 20, 22, 24.

Loi de la Zone du chemin de fer et du Bloc de la rivière La Paix, SC 1930, c 37.

An Act to Amend the “Land Act”, SBC 1931, c 33, art 5.

Doctrine cité :

John McGhee, Snell’s Equity, 33e éd (London : Sweet & Maxwell, 2015).

Sommaire :

Droit autochtone – Revendications particulières – Loi sur le Tribunal des revendications particulières – Obligation de fiduciaire – Cessions de terres provinciales pour la création de réserves – Land Act de la Colombie-Britannique – Réserve de droits tréfonciers – Intérêt identifiable – Pouvoir discrétionnaire – Droits tréfonciers – Obligation d’informer – Obligation de consulter – Intentions de la bande – Principes d’équity applicables à la relation fiduciaire entre la Couronne et les Autochtones – Obligation de corriger l’erreur

La présente revendication particulière découle de l’acquisition par la Couronne des réserves de remplacement qui avaient été constituées pour que la bande accepte de céder la première réserve, plus grande, qui lui avait été attribuée. Les réserves de remplacement ne comprenaient pas les droits tréfonciers, ceux-ci ayant été réservés par la province de la Colombie-Britannique, de qui le Canada avait acheté les réserves. Le Canada, qui n’avait pas vérifié le titre, avait supposé à tort que les réserves de remplacement comprenaient les droits tréfonciers. Les revendicatrices soutiennent que la Couronne avait l’obligation de fiduciaire d’agir au mieux de leurs intérêts lorsqu’elle a acquis les réserves de remplacement et qu’elle a manqué à cette obligation en n’acquérant pas les droits tréfonciers. Elles veulent obtenir une indemnité sur le fondement des alinéas 14(1)a), b) et c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières (« LTRP »).

L’intimée ne conteste pas que la Couronne avait, envers les revendicatrices, l’obligation de fiduciaire d’obtenir les réserves de remplacement, mais elle estime que cette obligation ne comprenait pas celle d’obtenir les droits tréfonciers. Les terres devant constituer les réserves de remplacement appartenaient à la province de la Colombie-Britannique. La loi en vigueur réservait à la province tous les droits tréfonciers afférents aux terres de la Couronne provinciale qui étaient transférées, notamment au Canada à des fins de réserves. La Couronne provinciale a donc respecté le régime législatif et les politiques en vigueur en ne transférant au Canada que les droits de superficie afférents aux réserves de remplacement. En outre, l’intimée soutient que ni l’une ni l’autre des parties ne s’attendaient à ce que le Canada obtienne les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Par conséquent, le Canada ne peut pas être tenu responsable d’une chose qu’il n’avait jamais promise et qu’il ne pouvait pas acquérir. Le Canada ajoute que l’acquisition des réserves de remplacement avait pour but de permettre à la bande de conserver son mode de vie traditionnel fondé sur le piégeage, la chasse et la culture du foin pour les chevaux, et qu’il a atteint ce but en acquérant les droits de superficie afférents aux réserves de remplacement. Enfin, l’intimée soutient que les revendicatrices avaient obtenu réparation intégrale en raison des dommages-intérêts qui leur ont été accordés dans le cadre d’une affaire antérieure portant sur les terres initialement cédées, tranchée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25 Blueberry »].

L’engagement pris par la Couronne en ce qui concerne les réserves de remplacement était une condition à la cession de la réserve initiale de Montney. Dès lors que la Couronne a accepté d’assumer un pouvoir discrétionnaire sur l’intérêt identifiable de la bande, à savoir la réserve de Montney, ainsi que les conditions sous-jacentes, elle avait l’obligation de respecter ces conditions en tant que fiduciaire. La Couronne s’était engagée à agir au nom de la bande, et de personne d’autre. Elle ne pouvait pas aliéner la réserve de Montney sans d’abord satisfaire aux conditions sous-jacentes, y compris à l’objectif visé par l’acquisition des terres de remplacement.

La bande voulait des terres de remplacement adaptées à son mode de vie traditionnel axé sur la chasse et le piégeage. Cependant, elle était toujours vulnérable aux perturbations importantes qui menaçaient l’usage qu’elle prévoyait faire des réserves de remplacement puisque la Colombie-Britannique s’était réservé sur ces terres des droits tréfonciers étendus. Dans ces circonstances, la bande n’a pas atteint son objectif en acquérant les réserves de remplacement, ce qui est abusif et déraisonnable.

Le Canada croyait avoir acquis les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement et a découvert son erreur seulement après avoir délivré des permis d’exploration minière à un tiers. Le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire en ne se renseignant pas sur la nature et la qualité du titre qu’il acquérait au nom de la bande. Il a aussi manqué à son obligation de fiduciaire en n’informant pas la bande de la nature et de la qualité de ce titre, en ne lui expliquant pas les conséquences pratiques de la réserve des droits tréfonciers et en omettant de la consulter sur les désirs qu’elle pouvait avoir dans ces circonstances. Après avoir découvert son erreur et en avoir fait part à la province, le Canada n’a rien fait pour corriger la situation. Il s’agissait là d’un autre manquement à l’obligation de fiduciaire qu’avait la Couronne envers la bande. Enfin, les revendicatrices ont obtenu entière réparation dans l’arrêt Blueberry seulement à l’égard des manquements établis dans cette décision. Dans cet arrêt, la Cour ne s’est pas penchée sur la question de savoir si le Canada avait manqué à son obligation de fiduciaire envers la bande en acquérant les réserves de remplacement.

Arrêt : La Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire envers les revendicatrices.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. introduction  7

II. admissibilité et historique procédural  9

III. questions en litige  11

IV. faits  12

V. historique juridique : Les affaires apsassin et blueberry  16

1. Introduction  16

2. Contexte judiciaire  16

3. Cour fédérale du Canada, Section de première instance : Apsassin  19

4. La Cour suprême du Canada : Blueberry  25

a) Aperçu  25

b) Opinion minoritaire  26

c) Opinion majoritaire  33

5. Demande interlocutoire : la présente revendication était-elle irrecevable en raison du principe de l’autorité de la chose jugée et de la renonciation?  36

6. Application subséquente des principes énoncés dans l’arrêt Blueberry par la Cour suprême du Canada  38

7. Obligation de fiduciaire d’informer et de consulter  42

VI. analyse  44

1. Pertinence des conclusions de fait de la Section de première instance  44

2. Existence d’une obligation de fiduciaire : positions des parties et éléments de preuve  45

3. Portée de l’obligation de fiduciaire : positions des parties et des éléments de preuve  53

a) Objet des réserves de remplacement  53

b) Compréhension des revendicatrices  55

4. Conclusions de droit  58

a) Existence des obligations de fiduciaire et manquement aux obligations  58

b) Autres arguments de la Couronne  68

VII. conclusion  69


 

I.  introduction

[1]  La présente revendication porte sur le dernier maillon d’une chaîne d’événements survenus il y a environ 75 ans, lesquels ont donné lieu à des décennies de litige et à un précédent jurisprudentiel important dans le domaine des rapports entre la Couronne et les Autochtones. Ces événements et ces rapports sont de nouveau en litige en l’espèce.

[2]  Les faits de l’affaire comptent parmi les faits les plus étudiés dans la jurisprudence canadienne, bien que jusqu’à maintenant, celle-ci n’ait porté que sur la première partie de l’« histoire ». Les questions dont le Tribunal est saisi portent essentiellement sur les derniers chapitres de cette histoire.

[3]  Les revendicatrices font partie du peuple Cri-Dunne-Za, qui a de tout temps vécu selon un mode de vie nomade fondé sur la chasse, la pêche, la cueillette et le piégeage dans le nord-est de la Colombie-Britannique, au nord de la ville actuelle de Fort St. John.

[4]  Elles ont finalement formé la bande de Fort St. John Beaver. Celle-ci a adhéré au Traité nº 8 en 1900, qui lui donnait le droit à des terres de réserve dans le nord de la Colombie-Britannique. En avril 1916, le Canada a mis de côté la réserve indienne 172 (la « réserve de Montney ») à l’intention de la bande. La réserve s’étendait sur 18 168 acres de terres agricoles de première qualité situées à proximité de villages non autochtones en développement. À l’instar de leurs ancêtres, les membres de la bande étaient des chasseurs et des piégeurs, peu intéressés à l’agriculture. Par conséquent, ils passaient peu de temps sur la réserve de Montney, car ils préféraient se livrer à leurs pratiques traditionnelles sur un territoire sauvage éloigné situé au nord de la réserve.

[5]  En septembre 1945, suivant le processus habituel prévu par la Loi des Indiens, SRC 1927, c 98 [la « Loi des Indiens »], la bande a cédé la réserve de Montney à la Couronne afin qu’elle la vende ou la loue à son profit. La Couronne a alors vendu les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney, afin qu’ils soient distribués en vertu de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, SC 1942, c 33.

[6]  En 1950, après la vente de la réserve de Montney, la Couronne fédérale a acquis des terres de la province de la Colombie-Britannique, qui sont devenues les réserves indiennes 204, 205 et 206 et ont été mises de côté pour la bande en août 1950 (les « réserves de remplacement »). La province de la Colombie-Britannique s’est réservé les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement conformément aux dispositions de la Land Act, RSBC, 1948 c 175 Land Act de 1948 »]. La Couronne fédérale ne s’est pas arrêtée à la question des droits tréfonciers, que ce soit à l’égard de la réserve de Montney ou des réserves de remplacement. Par conséquent, elle a cédé les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents aux terres de la réserve de Montney et a seulement acquis les droits de superficie des réserves de remplacement.

[7]  En 1976, on a découvert du pétrole sur les anciennes terres de la réserve de Montney, pour le plus grand bien de certains anciens combattants et d’une entreprise d’exploration pétrolière.

[8]  En 1977, la bande de Fort St. John Beaver s’est scindée pour former les présentes bandes revendicatrices. La même année, celles-ci ont découvert que les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney avaient été vendus et que les réserves de remplacement ne comprenaient pas ces droits. Par conséquent, les bandes ont poursuivi le Canada devant la Cour fédérale du Canada : Apsassin c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 CF 20 (dans sa forme abrégée) Apsassin »]. L’affaire Apsassin portait sur la légitimité de la cession de la réserve de Montney et la perte des droits miniers afférents. Au départ, les revendicatrices sollicitaient également un jugement déclaratoire à l’égard des réserves de remplacement, mais elles ont renoncé à cette conclusion avant le procès. La revendication présentée dans l’affaire Apsassin a été rejetée à l’issue d’un long procès. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel des bandes : Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1993] 3 RCF 28, [1993] 2 CNLR 20 (CAF). Dans le cadre d’un appel subséquent, la Cour suprême du Canada a infirmé la décision rendue en première instance et a renvoyé l’affaire à la Cour fédérale (Section de première instance) pour qu’elle établisse les dommages-intérêts, lesquels ont finalement été fixés à 147 millions de dollars, et la Couronne a été libérée de toute responsabilité : Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25 [« Blueberry »]. 

[9]  La présente instance porte principalement sur les réserves de remplacement. Les revendicatrices prétendent que la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire en n’obtenant pas les droits tréfonciers et qu’elle a de nouveau manqué à son obligation de fiduciaire en ne corrigeant pas son erreur lorsqu’elle l’a découverte deux ans plus tard. Reconnaissant qu’elle avait une obligation de fiduciaire dans le cadre de l’acquisition des réserves de remplacement, la Couronne estime qu’elle n’était toutefois pas tenue d’obtenir les droits tréfonciers.

[10]  Aux termes de la loi en vigueur, la Colombie-Britannique conservait tous les droits tréfonciers afférents aux terres de la Couronne provinciale qui étaient transférées, notamment au Canada à des fins de réserves, ce que le Canada n’avait pas compris à l’époque. La Couronne provinciale appliquait donc le régime législatif en vigueur en ne transférant au Canada que les droits de superficie afférents aux réserves de remplacement.

[11]  L’intimée soutient que ni l’une ni l’autre des parties ne s’attendaient à ce que le Canada obtienne les droits tréfonciers dans les réserves de remplacement. Ainsi, le Canada ne peut pas être tenu responsable d’une chose qu’il n’a jamais promise; et quoi qu’il en soit, les revendicatrices ont obtenu réparation lorsqu’elles se sont vu accorder des dommages-intérêts dans l’affaire Apsassin.

[12]  Les parties ont convenu de diviser la présente revendication en deux étapes. La première étape, qui fait l’objet des présents motifs, permettra de déterminer si les allégations de manquement à l’obligation de fiduciaire sont fondées. Dans l’affirmative, le Tribunal procédera à la deuxième étape afin de déterminer le montant de l’indemnité, le cas échéant.

II.  admissibilité et historique procédural

[13]  Le 8 août 1977, le ministre a approuvé la scission de la bande de Fort St. John Beaver en la Première Nation de Doig River Doig ») et en la Première Nation de Blueberry River (« Blueberry »). Chacune d’elles est une « bande » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, en sa version modifiée, et à ce titre, elles sont toutes les deux des « Premières Nations » au sens de l’alinéa 2a) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 SCTA »]. Elles sont également les successeures en possession des réserves de remplacement. Doig a obtenu environ 2 890 acres des réserves de remplacement, y compris la moitié de la RI 204 et la totalité de la RI 206. Blueberry a obtenu environ 3 240 acres, y compris l’autre moitié de la RI 204 et la totalité de la RI 205.

[14]  En tant que Premières Nations au sens de la LTRP, les deux revendicatrices peuvent déposer une revendication auprès du Tribunal, si toutes les autres conditions sont remplies. Le 12 avril 1999, Doig a déposé une revendication particulière auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien en ce qui concerne les droits miniers dans les RI 204, 205 et 206. Le 24 mai 2009, elle a produit des observations supplémentaires mettant à jour la revendication initiale. Dans une lettre datée du 21 décembre 2009, le ministre a refusé de négocier le règlement de la revendication particulière.

[15]  Le paragraphe 16(1) de la LTRP est ainsi libellé :

16. (1) La première nation ne peut saisir le Tribunal d’une revendication que si elle l’a préalablement déposée auprès du ministre et que celui-ci, selon le cas :

a) l’a avisée par écrit de son refus de négocier le règlement de tout ou partie de la revendication;

b) ne l’a pas avisée par écrit, dans les trois ans suivant la date de dépôt de la revendication, de son acceptation ou de son refus de négocier un tel règlement;

c) a consenti par écrit, à toute étape de la négociation du règlement, à ce que le Tribunal soit saisi de la revendication;

d) l’a avisée par écrit de son acceptation de négocier un tel règlement mais qu’aucun accord définitif n’en a découlé dans les trois ans suivant l’avis.

[16]  Comme le ministre a avisé Doig par écrit de sa décision de ne pas négocier le règlement de la revendication, la déclaration de revendication déposée par Doig, le 15 décembre 2011, satisfait aux exigences de l’article 16 et a été régulièrement portée devant le Tribunal.

[17]  Le 17 mai 2012, le Tribunal a donné à Blueberry l’avis prévu à l’article 22 de la LTRP, lequel dispose de concert avec l’article 24 :

22. (1) Lorsqu’il estime qu’une décision peut avoir des répercussions importantes sur les intérêts d’une province, d’une première nation ou d’une personne, le Tribunal en avise les intéressés. Les parties peuvent présenter leurs observations sur l’identité des intéressés.

[...]

24. Si elle lui en fait la demande, le Tribunal peut, s’il le juge indiqué, accorder à toute première nation avisée au titre du paragraphe 22(1) la qualité de partie.

[18]  Après avoir reçu l’avis prévu à l’article 22, Blueberry a demandé à être ajoutée comme partie revendicatrice. Doig a consenti à cette demande, mais l’intimée s’y est opposée. Dans ses motifs datés du 30 novembre 2012, le juge Patrick Smith a ordonné que Blueberry soit ajoutée comme partie revendicatrice (voir Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2012 TRPC 7). Blueberry a déposé sa déclaration de revendication le 20 décembre 2012.

[19]  Les revendicatrices ont fondé leurs revendications sur les motifs énoncés aux alinéas 14(1)a), b) et c) de la LTRP, à savoir :

a) l’inexécution d’une obligation légale de Sa Majesté liée à la fourniture d’une terre ou de tout autre élément d’actif en vertu d’un traité ou de tout autre accord conclu entre la première nation et Sa Majesté;

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d’une colonie de la Grande-Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada;

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation. 

[20]  Dans leur déclaration de revendication respective, les revendicatrices ont confirmé qu’elles ne cherchent pas à obtenir une indemnité excédant la limite de 150 millions de dollars prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LTRP.

[21]  Je suis convaincu que les revendicatrices ont satisfait aux exigences de la LTRP et que leurs revendications sont régulièrement portées devant le Tribunal.

III.  questions en litige

[22]  Les parties ne contestent pas que la Couronne avait envers les revendicatrices l’obligation de fiduciaire d’obtenir les réserves de remplacement, y compris les droits de superficie. Cependant, elles ne s’entendent pas sur la question de savoir si cette obligation de fiduciaire allait plus loin et englobait les droits tréfonciers, et si la Couronne a manqué à son obligation à cet égard. Les parties n’ont pas déposé d’exposé conjoint des questions en litige, mais il ressort de leurs observations que les questions soumises au Tribunal sont les suivantes : 

  1. En quoi consistait l’obligation de fiduciaire de la Couronne envers les revendicatrices en ce qui concerne les réserves de remplacement?

  2. La Couronne a-t-elle manqué à son obligation de fiduciaire envers les revendicatrices?

IV.  faits

[23]  Les Parties ont utilement produit un exposé conjoint des faits. Les faits admis dans cet exposé sont, pour la plupart, tirés des nombreux documents que les rapports entre, d’une part, la Couronne fédérale et, d’autre part, la bande initiale et les bandes successeures ont pu générer au fil des ans, y compris les documents relatifs à la transaction en cause. Les documents les plus importants (environ 136 documents) ont été réunis dans un cahier conjoint des documents (« CCD »), qui a été déposé et abondamment cité durant l’audience. De plus, plusieurs tribunaux (dont le Tribunal) ont examiné la transaction en cause et ont tiré des conclusions de fait. Les parties ont demandé au Tribunal d’accepter quelques-unes de ces conclusions et d’écarter ou de rejeter les autres. Je conviens que les conclusions tirées par ces autres tribunaux requièrent une attention particulière vu le lien factuel qui existe entre la présente espèce et les décisions découlant des affaires Apsassin et Blueberry.

[24]  Je propose donc de résumer sommairement les faits établis de manière à exposer les positions des parties et à permettre le règlement des questions soumises au Tribunal. J’examinerai ensuite la jurisprudence, y compris les conclusions de fait concernant l’aliénation de la réserve de Montney. Dans la partie des motifs intitulée « Analyse », j’étudierai les faits, qu’il s’agisse des faits établis ou de ceux tirés de documents ou d’avis juridiques.

[25]  J’ai supposé que tous les décrets ou autres mesures procédurales nécessaires à la mise en œuvre d’un consentement ou d’une approbation des bandes ou de tout ordre de gouvernement avaient été obtenus. Nul n’a prétendu, à l’étape de la validité de la revendication, qu’une cession, un décret ou toute autre question de procédure était irrégulier ou illégal.

[26]  Le 30 mai 1900, 46 membres de la bande de Fort St. John Beaver ont adhéré au Traité nº 8, signé en 1899 au Petit lac des Esclaves (Alberta). Le traité précisait que le Canada allait mettre de côté une certaine quantité de terres de réserve pour l’usage et le profit des Premières Nations signataires.

[27]  En mai 1907, dans le cadre d’un accord sur les territoires, la Colombie-Britannique a transféré au Canada trois millions et demi d’acres de terres (le « Bloc de la rivière La Paix »), y compris les droits de superficie et les droits tréfonciers y afférents. La réserve de Montney, d’une superficie de 18 168 acres, faisait partie de ces terres fédérales avant d’être mise de côté en avril 1916 pour l’usage et le profit de la bande de Fort St. John Beaver. Conformément à la Loi de la Zone du chemin de fer et du Bloc de la rivière La Paix, SC 1930, c 37, le Canada a remis à la province ce qui restait du Bloc de la rivière La Paix, en 1930, après avoir créé des réserves indiennes et réalisé certains autres objectifs.

[28]  Les terres de la réserve de Montney étaient considérées comme des terres agricoles de qualité. Or, les membres de la bande de Fort St. John Beaver s’adonnaient à un mode de vie nomade traditionnel fondé sur la chasse, le piégeage, la cueillette et la pêche. Ils utilisaient donc rarement la réserve de Montney, car ils préféraient vivre et exercer leurs activités sur un territoire éloigné situé au nord de la réserve. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, on avait besoin de plus en plus de terres pour l’agriculture et l’établissement des colonies. Le Canada se faisait demander si la réserve de Montney était disponible. L’exploration pétrolière de la région a entraîné d’autres demandes et, en 1940, la bande a cédé au Canada les droits miniers afférents à la réserve de Montney pour qu’il les vende ou les loue à son profit.

[29]  À la fin de la guerre, il fallait trouver des terres et des logements pour l’établissement des anciens combattants de retour au pays. Le Directeur des terres destinées aux anciens combattants (« DTAC ») a fait des démarches auprès du ministère des Affaires indiennes (« MAI ») pour savoir si la réserve de Montney était disponible, et celle-ci a finalement été cédée. La cession a eu lieu le 22 septembre 1945 et a été confirmée par le Canada, le 16 octobre 1945. Comme condition à la cession, la réserve devait être vendue ou louée au profit de la bande. Les documents de cession ne le précisaient pas, mais la Couronne avait aussi promis d’obtenir pour la bande des terres de remplacement. Trois emplacements avaient été choisis après consultation avec les membres de la bande. Il était également convenu que le produit de la cession de la réserve de Montney servirait à acquérir les terres de remplacement.

[30]  En 1946, les RI 204, 205 et 206 (les réserves de remplacement) ont été arpentées et, après une période de négociation, la province de la Colombie-Britannique a accepté de vendre ces terres au Canada pour une somme de 4 932,50 $, en plus d’une somme de 30 $ au titre des droits de concession de la Couronne. S’agissant de la détermination du prix d’achat, une lettre datée du 6 novembre 1947 que le ministre des Terres et Forêts de la Colombie-Britannique a envoyée au ministre fédéral des Mines et des Ressources (qui était aussi responsable des Affaires indiennes) précise :

[Traduction] [...] L’arpentage des terres exigé par votre ministère en vue du déplacement des Indiens de la réserve indienne nº 172 de St. John, district de la rivière La Paix, a été reçu et cartographié. Ces terres constituent le lot 1486, d’une superficie de 883 acres, lequel est divisé comme suit : 159 acres de première classe, 144 acres de deuxième classe et 580 acres de troisième classe. Le lot 1487 comprend 2 838 acres : 255 acres de première classe, 557 acres de deuxième classe et 2 026 acres de troisième classe; parties des cantons 87 et 88, rang 16, à l’ouest du 6e méridien, comprenant 2 473 acres : 164 acres de première classe, 205 de deuxième classe et 2 104 acres de troisième classe.

Comme vous le savez sans doute, le prix minimal des terres fédérales situées dans la province s’élève à 5 $ par acre de première classe, à 2,50 $ par acre de deuxième classe et à 1 $ par acre de troisième classe. Je suis toutefois prêt à conclure la vente des terres susmentionnées conformément à l’article 47 de la Land Act à la moitié des prix ci-dessus. Sur réception d’une somme de 4 932,50 $, et de la somme de 30 $ au titre des droits de concession de la Couronne, les concessions seront consenties en faveur de votre ministère.

[31]  Le 30 mars 1948, le MAI a transféré la réserve de Montney au DTAC pour la somme de 70 000 $. Le produit net de ce transfert a été déposé dans le compte en fiducie de la bande. Après avoir reçu les approbations nécessaires de la bande et du ministère fédéral, le Canada a versé à la Colombie-Britannique les montants convenus à même le compte de la bande. La Colombie-Britannique a approuvé la vente par le décret nº 1655 daté du 25 juillet 1950, lequel précisait que la Colombie-Britannique transférerait l’administration et le contrôle des réserves de remplacement [Traduction] « sous réserve des dispositions et des restrictions prévues dans le formulaire nº 11 de l’annexe du chapitre 175 des statuts révisés de 1948 de la Colombie-Britannique ». Le décret nº 1655 et les restrictions prévues au formulaire nº 11 ont eu pour effet de réserver à la province les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Une copie certifiée du décret nº 1655 a été transmise au Canada le 26 juillet 1950. Les droits de superficie afférents aux réserves de remplacement (mais pas les droits tréfonciers) ont donc été transférés au Canada — qui, le 25 août 1950, les a mis de côté pour l’usage et le profit de la bande de Fort St. John Beaver conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens.

[32]  Alors que le processus de vente de la réserve de Montney et d’acquisition des réserves de remplacement suivait son cours, des compagnies d’exploration pétrolière se sont montrées intéressées par les réserves de remplacement proposées. Le Canada s’est donc adressé à la bande et a obtenu la cession des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement afin qu’ils puissent être loués au profit de la bande. Le 11 octobre 1950, le Canada a accepté la cession et le 26 octobre 1950 (seulement deux mois après la mise de côté des réserves de remplacement), le Canada a délivré des permis d’exploration minière à Halfway River Development Co. Ltd (« Halfway »).

[33]  Le 19 janvier 1952, Halfway a informé le Canada qu’elle avait été avisée par la Colombie-Britannique que les permis d’exploration délivrés par le Canada n’étaient pas valides et, le 21 janvier 1952, la Colombie-Britannique a officiellement avisé Halfway que les droits d’exploitation du gaz et du pétrole dans les réserves de remplacement avaient été réservés à la province au moment du transfert. La Colombie-Britannique a aussi avisé le Canada le 26 janvier 1952.

[34]  Le 26 janvier 1952, le sous-ministre fédéral de la Citoyenneté et de l’Immigration a écrit au sous-ministre des Mines de la Colombie-Britannique :

[Traduction]

Les terres de ces trois réserves situées dans le district de la rivière La Paix ont été transférées à la Couronne du chef du Canada par le décret nº 1655 de la Colombie-Britannique, le 25 juillet 1950. Une copie certifiée du décret a été transmise au ministère, avec la lettre du secrétaire provincial adjoint datée du 26 juillet 1950.

  À l’époque, il n’avait pas été compris que le formulaire nº 11 de l’annexe de la Land Act prévoyait une réserve des droits miniers.

[...]

  Après avoir examiné notre titre, nous devons admettre que les droits miniers, y compris les droits d’exploitation du pétrole et du gaz naturel, ont fait l’objet d’une réserve en faveur de la Couronne du chef de la Colombie-Britannique.

[...]

  Veuillez excuser l’erreur qui nous a amenés à vouloir louer les droits d’exploitation du pétrole et du gaz naturel, qui appartiennent toujours à la province. J’espère que la délivrance des permis — lesquels ont été résiliés — ne constitue pas un inconvénient majeur pour votre ministère. [italiques ajoutés]

[35]  Par lettre datée du 26 janvier 1952, le Canada a confirmé à Halfway que les permis d’exploration avaient expiré le 25 octobre 1951 et que les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement appartenaient toujours à la Couronne provinciale. Le 14 février 1952, le Canada a remboursé à Halfway les frais liés aux permis.

[36]   Le 17 mars 1952, le Canada a écrit à la Colombie-Britannique pour lui demander si elle avait aliéné les droits d’exploitation du pétrole et du gaz naturel dans les réserves de remplacement et, le cas échéant, à qui. La Colombie-Britannique a répondu que l’entreprise Texaco Exploration détenait ces droits en vertu de permis provinciaux datés du 3 et du 23 mars 1950.

V.  historique juridique : Les affaires apsassin et blueberry

1.  Introduction

[37]  Le traitement judiciaire de la cession qui a donné lieu à la présente revendication est au cœur de l’analyse qui suit. Il convient donc de souligner les éléments importants de cette jurisprudence.

2.  Contexte judiciaire

[38]  Le contexte juridique des affaires Apsassin et Blueberry peut être dégagé des arrêts antérieurs de la Cour suprême du Canada. Dans l’arrêt Calder c Colombie-Britannique (PG), [1973] RCS 313, 34 DLR (3d) 145, la cour a reconnu que le droit des Indiens sur les terres ancestrales constituait un intérêt en common law antérieur à l’établissement des Européens et que la reconnaissance de ce droit ne saurait donc être considérée simplement comme un acte de bienveillance de la part de la Couronne (voir aussi Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, au para 75, [2002] 4 RCS 245) [« Wewaykum »].

[39]  Dans l’arrêt Guerin c R, [1984] 2 RCS 335 au para 86, 13 DLR (4th) 321 [« Guerin »], la Cour suprême du Canada a confirmé cette conclusion et a affirmé qu’elle « reconn[aissait] le titre aborigène comme un droit, en common law, découlant de l’occupation et de la possession historiques par les Indiens de leurs terres tribales ». La cour a ensuite examiné les développements constitutionnels en vertu desquels les Premières Nations ont fini par avoir le droit, en common law, d’occuper et de posséder des terres de réserve dans des circonstances qui créent un rapport fiduciaire sui generis ») entre la Couronne fédérale et les Premières Nations bénéficiaires. Le juge Dickson a déclaré ce qui suit : 

Les Indiens ont le droit, en common law, d’occuper et de posséder certaines terres dont le titre de propriété est finalement détenu par Sa Majesté. Bien que leur droit n’équivaille pas, à proprement parler, à un droit de propriété à titre bénéficiaire, sa nature n’est pas définie complètement par la notion d’un droit personnel. Il est vrai que le droit sui generis des Indiens sur leurs terres est personnel en ce sens qu’il ne peut être transféré à un cessionnaire, mais il est également vrai, comme nous allons le constater plus loin, que ce droit, lorsqu’il est cédé, a pour effet d’imposer à Sa Majesté l’obligation de fiduciaire particulière d’utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées. Ces deux aspects du titre indien vont de pair, car, en stipulant que le droit des Indiens ne peut être aliéné qu’à elle-même, Sa Majesté voulait au départ être mieux en mesure de représenter les Indiens dans les négociations avec des tiers. Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d’administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu’il y a eu cession de ce droit. [Guerin, au para 97]

[40]  Dans l’arrêt Guerin, la bande avait cédé à la Couronne des surplus de terre de réserve de grande valeur afin qu’elle les loue à un club de golf. La cession a eu lieu conformément au processus prévu par la Loi sur les Indiens. Cependant, les conditions du bail consenti par la Couronne étaient beaucoup moins favorables que celles approuvées par la bande à l’assemblée de la cession. Les fonctionnaires de la division des Affaires indiennes n’étaient pas retournés devant la bande pour l’informer des nouvelles conditions et obtenir son approbation. En fait, ils lui ont caché des renseignements importants.

[41]  La Cour suprême a tiré des conclusions clés sur l’objet des dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux cessions :

Cette exigence d’une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. [Guerin, au para 100]

[42]  Elle a ensuite qualifié l’obligation de fiduciaire qu’a la Couronne fédérale lorsqu’elle gère des terres au profit d’une bande :

À mon avis, la nature du titre des Indiens et les modalités prévues par la Loi relativement à l’aliénation de leurs terres imposent à Sa Majesté une obligation d’equity, exécutoire en justice, d’utiliser ces terres au profit des Indiens. Cette obligation ne constitue pas une fiducie au sens du droit privé. Il s’agit plutôt d’une obligation de fiduciaire. Si, toutefois, Sa Majesté manque à cette obligation de fiduciaire, elle assumera envers les Indiens exactement la même responsabilité qu’aurait imposée une telle fiducie.

[...]

Il nous faut remarquer que, de façon générale, il n’existe d’obligations de fiduciaire que dans le cas d’obligations prenant naissance dans un contexte de droit privé. Les obligations de droit public dont l’acquittement nécessite l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ne créent normalement aucun rapport fiduciaire. Comme il se dégage d’ailleurs des décisions portant sur les « fiducies politiques », on ne prête pas généralement à Sa Majesté la qualité de fiduciaire lorsque celle-ci exerce ses fonctions législatives ou administratives. Cependant, ce n’est pas parce que c’est à Sa Majesté qu’incombe l’obligation d’agir pour le compte des Indiens que cette obligation échappe à la portée du principe fiduciaire. Comme nous l’avons souligné plus haut, le droit des Indiens sur leurs terres a une existence juridique indépendante. Il ne doit son existence ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif. L’obligation qu’a Sa Majesté envers les Indiens en ce qui concerne ce droit n’est donc pas une obligation de droit public. Bien qu’il ne s’agisse pas non plus d’une obligation de droit privé au sens strict, elle tient néanmoins de la nature d’une obligation de droit privé. En conséquence, on peut à bon droit, dans le contexte de ce rapport sui generis, considérer Sa Majesté comme un fiduciaire.

Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens confère à Sa Majesté un large pouvoir discrétionnaire relativement aux terres cédées. En la présente espèce, l’acte de cession, reproduit en partie précédemment, par lequel la bande Musqueam a cédé les terres en cause, confirme l’existence de ce pouvoir discrétionnaire dans la clause qui prévoit la cession des terres à Sa Majesté [Traduction] « en fiducie, pour location ... aux conditions, que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui de notre peuple. » Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, une bande indienne cède son droit à Sa Majesté, cela fait naître une obligation de fiduciaire qui impose des limites à la manière dont Sa Majesté peut exercer son pouvoir discrétionnaire en utilisant les terres pour le compte des Indiens. [Guerin, aux paras 83, 104–105]

[43]  Dans l’arrêt Blueberry, la Cour suprême du Canada a confirmé cette approche fondée sur l’equity et a décrit plus en détail la nature des obligations de fiduciaire de protection de la Couronne.

3.  Cour fédérale du Canada, Section de première instance : Apsassin

[44]  Comme je l’ai déjà mentionné, le procès a porté principalement sur la validité de la cession de la réserve de Montney, y compris les droits de superficie et les droits tréfonciers, effectuée par le Canada. Les bandes avaient d’abord demandé qu’un jugement déclaratoire soit rendu concernant les réserves de remplacement, mais elles ont retiré cette demande avant le début du procès.

[45]  Le procès fut complexe. Il s’est étendu sur 10 semaines et a donné lieu à la présentation de centaines de documents, à de longs exposés introductifs, à la présentation de nombreux éléments de preuve, à de longs témoignages présentés sur vidéo par voie de commission rogatoire, à des questions procédurales nécessitant beaucoup de temps, et à cinq jours d’observations orales. Comme la Cour suprême du Canada a infirmé les conclusions de première instance, je donnerai seulement un aperçu contextuel des questions qui ont été examinées et tranchées. Par contre, certaines parties des conclusions de fait tirées par le juge de première instance sont importantes pour l’affaire qui nous occupe, certaines d’entre elles ayant été adoptées par la Cour suprême du Canada. L’intimée en l’espèce a affirmé que les conclusions du juge de première instance sont [Traduction] « toujours convaincantes et ne doivent donc pas être écartées » (observations écrites de l’intimée, au para 30), peu importe les conclusions rendues par les autres cours et le Tribunal.

[46]  Le juge de première instance a ainsi résumé les revendications des demanderesses et la nature de leurs allégations :

1.  Entre 1916 et 1945, la défenderesse s’est rendue coupable de plusieurs actes et omissions équivalant à de la négligence et elle a violé ses obligations fiduciaires envers les demandeurs en permettant l’utilisation non autorisée de terres sur lesquelles les demandeurs possédaient un droit et en autorisant la réglementation inadéquate par la province de la Colombie-Britannique de l’utilisation de ces terres.

2.  La cession effectuée relativement à la R.I. 172 en 1945 était nulle ou annulable.

3.  Par ses actes et omissions, la défenderesse a violé un rapport fiduciaire et elle s’est rendue coupable de fraude en obtenant le consentement de la bande indienne à la cession effectuée en 1945 et en acceptant celle-ci.

4.  L’acceptation par la défenderesse de la cession effectuée en 1945 était nulle parce qu’elle ne respectait pas l’article 51 de la Loi des Indiens.

5.  Le transfert effectué en 1948 par la défenderesse au Directeur des terres destinées aux anciens combattants était nul parce qu’il ne respectait pas l’article 54 de la Loi des Indiens.

6.  Si le transfert de 1948 était valide, il n’avait aucun effet ou était nul en ce qui concerne les droits miniers afférents à la R.I. 172 pour le motif que la bande indienne n’avait jamais cédé ces droits pour qu’ils soient vendus et que la cession ne respectait pas les exigences de l’article 54 de la Loi des Indiens et de l’article 41 de la Loi des terres fédérales, S.C. 1908, chap. 20, article. 1.

7.  En transférant ces terres en 1948 au Directeur des terres destinées aux anciens combattants, la défenderesse s’est rendue coupable de plusieurs violations à ses obligations fiduciaires envers la bande indienne et elle a en outre agi frauduleusement.

8.  Depuis 1948, la défenderesse et le Directeur des terres destinées aux anciens combattants ont tous les deux violé les obligations fiduciaires auxquelles ils étaient tenus à l’égard des demandeurs et ils ont agi frauduleusement en ce qui concerne les droits miniers afférents à la R.I. 172.

9.  Tous les transferts de droits miniers au Directeur des terres destinées aux anciens combattants effectués depuis 1952 étaient nuls parce qu’ils ne respectaient pas les exigences de la Loi sur les Indiens. [Apsassin, au para 5]

[47]  Le juge Addy a adopté une approche chronologique lorsqu’il a analysé ces revendications, examinant d’abord la nature des obligations de fiduciaire de la Couronne, puis les allégations se rapportant au Traité nº 8, la cession de 1940 des droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney, la période allant de 1916 à 1945, la cession de 1945 de la réserve de Montney, le transfert de 1948 de la réserve de Montney au DTAC et la période postérieure au transfert.

[48]  S’agissant de la nature du rapport entre les Autochtones et la Couronne et des obligations de la Couronne, le juge Addy a conclu qu’il était lié par l’opinion majoritaire de l’arrêt Guerin.

Le juge en chef [alors juge puîné], dont les motifs ont reçu l’appui des juges Beetz, Chouinard et Lamer, a adopté un point de vue un peu différent en ce qui concerne ce rapport.

 Le droit des Indiens sur les terres est inaliénable, sauf dans le cas d’une cession, et il impose par sa nature à la Couronne une obligation d’equity, exécutoire en justice, d’utiliser ces terres au profit des Indiens. Tout comme le juge Le Dain, qui avait prononcé le jugement de la Cour d’appel fédérale dans cette affaire, ces juges estimaient que la Couronne ne possède pas les terres en fiducie pour les Indiens après la cession. Ils n’étaient toutefois pas d’accord pour dire qu’au moment de la cession, l’obligation de la Couronne se cristallisait d’une manière ou d’une autre en fiducie explicite ou implicite. Ils étaient d’avis que, par suite d’une cession inconditionnelle, il y a disparition du droit des Indiens sur le bien-fonds. Aucun droit de propriété pouvant constituer l’objet de la fiducie n’est transféré et la cession n’engendre pas non plus de fiducie par interprétation. Toutefois, la Couronne doit détenir les terres à l’usage et au profit de la bande qui les a cédées et cette obligation est « soumise à des principes très semblables à ceux qui régissent le droit des fiducies, en ce qui concerne notamment le montant des dommages-intérêts en cas de manquement ». Les juges ont également ajouté que, même si le rapport fiduciaire présente une certaine analogie avec le mandat, il n’y a pas mandat suivant la loi, car le pouvoir d’agir de la Couronne n’a aucun fondement contractuel et la bande indienne n’est pas partie à la vente finalement conclue, comme ce serait le cas s’il y avait mandat. 

[...]

J’estime être lié par les opinions exprimées par le juge en chef et les trois juges qui y ont souscrit, opinions qui me paraissent également être les plus plausibles. Ce point de vue a depuis été suivi par le juge Urie dans l’appel interjeté dans l’affaire Kruger et al. c. La Reine, publiée dans [1976] 1 C.F. 3; 58 N.R. 241 (C.A.F.), paragraphes 52 et 53, page 257 N.R. À l’exception des obligations spéciales que peuvent créer les traités, la Couronne n’est tenue par aucune obligation ou rapport fiduciaire spécial en ce qui concerne les terres de réserves avant qu’elles ne soient cédées et, a fortiori, elle ne l’est pas non plus une fois que les terres cédées ont été transférées et subséquemment vendues. L’obligation naissant à ce moment concerne les produits de la vente. Il est possible qu’il existe effectivement une obligation morale, sociale ou politique de prendre particulièrement soin des Indiens et de les protéger (en particulier, les bandes indiennes qui ne sont pas avancées aux points de vue social et politique ni en ce qui concerne l’éducation) contre l’égoïsme, la cupidité, les ruses, les stratagèmes et les supercheries de l’homme blanc. Ce genre d’obligation politique, non exécutoire en justice, qui, selon la Cour d’appel fédérale, s’appliquait à la Couronne dans l’arrêt Guerin (précité) par suite de la cession (principe qui a évidemment été rejeté par la Cour suprême), serait applicable avant que la cession soit effectuée. Cette question juridique revêt une certaine importance en l’espèce, les avocats des demandeurs ayant allégué qu’avant la cession et par suite de la vente finalement conclue relativement aux terres cédées, la Couronne a violé certaines des obligations fiduciaires auxquelles elle aurait été tenue, par exemple l’obligation de prendre des mesures pour empêcher certains fermiers blancs de faire paître leurs troupeaux dans certaines parties de la réserve. [Apsassin, au paras 46, 47 et 51]

[49]  Le juge Addy a donc conclu que la Couronne avait une obligation de fiduciaire envers les bandes en ce qui concerne la réserve de Montney après qu’elle eut été cédée et jusqu’à ce qu’elle ait été transférée au DTAC en 1948. Si, en rétrospective, son interprétation de l’opinion majoritaire de l’arrêt Guerin était restrictive, il reste qu’elle était appropriée eu égard à l’évolution du droit à ce moment-là. En définitive, après avoir examiné la preuve, le juge Addy a conclu que la Couronne n’avait pas manqué à son obligation de fiduciaire puisqu’« on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu[’elle] [...] ait pu prévoir à quelque moment que ce soit, en 1948 ou avant, que les droits miniers [...] auraient une valeur réelle ou qu’il y aurait un avantage raisonnablement prévisible à conserver ces droits » (Apsassin, au para 57).

[50]  Passant ensuite à l’analyse du Traité nº 8, le juge du procès a examiné l’argument des bandes selon lequel ces dernières avaient droit à toute la superficie qui leur avait été attribuée en vertu du Traité, de sorte que les réserves de remplacement auraient dû avoir une superficie égale à celle de la réserve de Montney. Il a rejeté cet argument en se fondant sur le Traité et sur les rapports des commissaires sur le Traité et a conclu qu’« une fois que la Couronne a mis de côté à titre de réserve l’étendue de terre requise, elle a rempli l’obligation que lui impose le Traité en ce qui concerne les terres de la réserve » (Apsassin, au para 62).

[51]  En ce qui concerne les cessions de 1940 et de 1945, le juge Addy s’est penché sur l’argument des bandes selon lequel la cession de 1945 ne pouvait pas comprendre les droits miniers parce qu’ils avaient déjà été cédés en 1940 suivant un processus valide. Selon lui, les droits miniers cédés en 1940 pouvaient tout de même être cédés en 1945 puisqu’ils constituaient « un droit sur une partie de l’ensemble de la réserve » et qu’ils n’avaient pas été séparés de la réserve au moment de la première cession (au para 78). La cession de 1945 avait été validement demandée et obtenue conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, et ce, sans que les droits tréfonciers ne soient explicitement exclus (au para 120). Dans le cadre de l’appel qui s’en est suivi, la Cour suprême du Canada était partagée quant à la qualification de la nature juridique de la cession de 1945 et de son effet. La cour s’est aussi penchée sur certaines parties des conclusions de fait du juge de première instance.

[52]  Le juge Addy a ensuite rejeté les allégations voulant que le Canada ait omis de réglementer et d’empêcher l’utilisation non autorisée de terres entre 1916 et 1945, concluant qu’elles n’étaient pas fondées puisque la Couronne n’était pas tenue de réglementer les terres (au para 82).

[53]  Il s’est ensuite penché sur le transfert, en 1948, des terres cédées par le MAI au DTAC. Il a conclu que la Couronne avait agi comme lui permettait la Loi sur les Indiens et qu’elle n’avait pas manqué à son obligation de fiduciaire puisqu’elle ne pouvait pas prévoir la valeur future des droits miniers. En outre, l’obligation de fiduciaire qu’avait la Couronne envers la bande a pris fin quand le prix d’achat a été versé et que les terres ont été transférées. Le DTAC n’avait pas d’obligation de fiduciaire envers la bande en raison de la nature et de l’effet de sa loi sous-jacente (aux paras 119–139).

[54]  Le juge Addy a ensuite examiné les « manquements imputés depuis 1948 ». Avant le début du procès, Blueberry a abandonné sa demande de jugement déclaratoire portant qu’elle détenait les droits tréfonciers dans les réserves de remplacement. Cependant, elle a indirectement soulevé la question des réserves de remplacement, soutenant que la Couronne avait promis d’acquérir de nouvelles réserves qui seraient situées à l’extérieur de la zone des futurs établissements agricoles et que ces réserves devaient être mises de côté avant la vente de la réserve de Montney. Le juge Addy a conclu qu’aucune preuve n’établissait l’existence de cette promesse et qu’aucun préjudice ne découlait du fait que les réserves n’avaient pas été mises de côté avant la vente de la réserve de Montney. Bien qu’elle n’en ait pas été saisie, la cour a tout de même examiné la question des droits miniers dans les réserves de remplacement :

Les demandeurs soutiennent aussi qu’ils n’ont pas obtenu les droits miniers sur les terres de remplacement. Les droits miniers étaient d’ordinaire attachés aux terres conférées par traité puisqu’ils étaient détenus par la Couronne du chef du Canada. Il n’en va pas de même des terres de remplacement après que les droits miniers eurent été transférés à la province. Contrairement à la R.I. 172, les terres achetées pour remplacer les réserves étaient simplement des réserves acquises au profit des demandeurs en application des dispositions de la Loi des Indiens et conformément aux conditions de la cession de 1945 de la R.I. 172, et elles ne constituaient donc pas des réserves conférées par traité. Le Ministère n’a apparemment été informé de cette politique que plus tard lorsque, par erreur, certains de ses fonctionnaires s’étaient montrés disposés à accorder un permis d’exploration visant les terres de remplacement à une société pétrolière. En outre, bien que la défenderesse eût sans doute considéré les droits miniers sur les terres de remplacement comme une partie intégrante de la réserve, si elle les avait obtenus, il n’est pas démontré qu’elle s’était engagée de quelque façon, aux termes de l’acte de cession de 1945, à obtenir des droits miniers sur les terres de remplacement. Des éléments de preuve tendent également à indiquer le contraire. Avant d’arrêter leur choix, les deux parties avaient exploré la région à la recherche de terrains sur lesquels on pourrait construire des habitations et situés à proximité des territoires de chasse et de pêche ainsi que des sentiers de piégeage. Ils ont également tenu compte de la distance qui les séparait des établissements des blancs dans la région et de l’éventuelle mise en valeur des terres par les Indiens, par l’agriculture ou l’élevage. Il n’a pas été démontré que l’on s’était le moindrement préoccupé des droits miniers sur les nouvelles réserves. [Apsassin, au para 143]

[55]  Dans la demande interlocutoire présentée en l’espèce, le juge Smith de notre Tribunal a conclu que ces observations du juge Addy étaient incidentes. L’intimée a néanmoins voulu se fonder sur ce passage pour trois raisons.

[56]  Premièrement, elle soutient que, comme l’a fait observer le juge Addy, les réserves de remplacement ne sont pas des réserves conférées par traité. La réserve de Montney avait été mise de côté en exécution de l’obligation qu’avait le Canada en vertu du Traité nº 8. Elle était constituée de terres détenues par la Couronne fédérale, et sur lesquelles celle-ci détenait aussi les droits miniers. Lorsque cette réserve a été vendue (avec les droits tréfonciers) et que les nouvelles réserves eurent été créées sur des terres provinciales, la Colombie-Britannique n’était pas tenue de transférer au Canada les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement, et le Canada ne pouvait pas l’y obliger. Par conséquent, le Canada ne pouvait pas être tenu d’acquérir des droits qu’elles ne pouvaient pas contrôler ou obtenir.

[57]   Deuxièmement, l’intimée se fonde sur le passage ci-dessus pour démontrer que l’acquisition des réserves de remplacement ne visait pas à obtenir les droits miniers, mais plutôt à permettre à la bande de chasser et de piéger. Comme cet objectif a été atteint, il n’y a eu aucun manquement à l’obligation de fiduciaire. Enfin, l’intimée cherche à démontrer que ni l’une ni l’autre des parties ne s’attendaient à ce que les réserves de remplacement comprennent les droits tréfonciers, et invoque l’absence de preuve d’un engagement à cet égard (un fait incontesté en soi) pour le démontrer. J’examinerai ces arguments plus loin.

[58]  Enfin, le juge Addy a conclu que la Couronne avait manqué à son obligation de fiduciaire à un égard : elle n’avait pas obtenu du DTAC un prix équitable pour les terres vendues. Il a conclu que le MAI et le DTAC avaient des intérêts opposés en ce qui concerne le prix de la réserve et qu’« il incombait au ministère des Affaires indiennes de s’acquitter d’une lourde obligation de fiduciaire et de s’assurer que tous les efforts raisonnables avaient été faits pour obtenir le meilleur prix possible pour les terres au moment de la vente » (au para 128). La Couronne n’avait pas démontré que la somme de 70 000 $ constituait un prix équitable et avait donc manqué à l’une de ses obligations de fiduciaire. Cependant, comme plus de 30 années s’étaient écoulées entre le moment où le manquement s’était produit et celui où les bandes avaient introduit l’action, le délai de prescription avait expiré en application de la Limitations Act de la Colombie-Britannique, de sorte que la cause d’action était « éteinte » (au para 160).

[59]  Les bandes ont été déboutées en Cour d’appel fédérale, mais elles ont obtenu gain de cause devant la Cour suprême du Canada. 

4.  La Cour suprême du Canada : Blueberry

a)  Aperçu

[60]  La Cour suprême du Canada a rendu une décision unanime dans laquelle sont cependant exposées deux opinions reposant sur des modes d’analyse très différents. Le juge Gonthier (avec l’accord des juges La Forest, L’Heureux-Dubé et Sopinka) a écrit pour la majorité, alors que la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) (avec l’accord des juges Cory et Major) a exposé l’opinion de la minorité. Les deux opinions sont importantes, les juges s’entendant sur la plupart des faits, ainsi que sur la nature et l’application des principes d’equity qui ont permis d’arriver à une décision générale unanime. Les différents cadres analytiques qu’ils ont appliqués montrent la voie à suivre dans la présente espèce. 

b)  Opinion minoritaire

[61]  La juge McLachlin a commencé par l’habituel résumé des faits. Elle s’est ensuite penchée sur les questions relatives à la cession des droits de superficie afférents à la réserve de Montney. En l’espèce, aucune question ne se pose quant aux droits de superficie. Cette partie de la décision n’a donc pas vraiment d’incidence sur les questions soumises au Tribunal et ne sera examinée que brièvement afin de fournir un certain contexte, notamment en ce qui concerne les conclusions du juge de première instance.

[62]  Tout d’abord, la juge McLachlin a examiné ce qui s’était produit au cours de la période se terminant par l’assemblée de la cession, et a conclu que la Couronne n’avait pas manqué à son obligation de fiduciaire avant la cession en ce qui concerne les droits de superficie (aux paras 32–40). Plus particulièrement, elle a confirmé l’objet des dispositions de la Loi des Indiens relatives à la cession qui avait été établi dans l’arrêt Guerin : 

Il s’agit d’abord de déterminer si la Loi des Indiens imposait à la Couronne l’obligation de refuser que la bande cède sa réserve. La réponse à cette question se trouve dans l’arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, où le juge Dickson (plus tard Juge en chef du Canada) a statué, au nom des juges de la majorité de la Cour, que le fondement de l’obligation de la Couronne relativement à la cession des terres des Indiens était la prévention des marchés abusifs. [Blueberry, au para 33]

[63]  Après avoir cité le juge Dickson (voir paragraphe 39 ci-dessus), elle a affirmé ce qui suit:

Bref, l’obligation de la Couronne se limitait à prévenir les marchés abusifs. [Blueberry, au para 35] 

[64]  Elle a ensuite cité avec approbation les conclusions de fait du juge Addy :

Il ressort de la preuve que la bande escomptait que la Couronne la renseignerait sur les diverses solutions qui s’offraient à elle — et sur les conséquences prévisibles de ces solutions — relativement à la cession de la réserve de Fort St. John et à l’acquisition de nouvelles terres qui conviendraient mieux à son mode de vie fondé sur le piégeage et la chasse. Comme l’attestent les conclusions suivantes du juge Addy (aux pp. 66 et 67 C.F.), la preuve n’étaye pas la prétention que la bande avait renoncé à son pouvoir de décision quant à la cession de la réserve ou qu’elle s’en était remis à la Couronne à cet égard:

1.  Les demandeurs savaient depuis longtemps qu’une cession absolue de la R.I. 172 était envisagée;

2.  Ils en avaient discuté auparavant au moins à trois reprises à l’occasion d’assemblées officielles tenues en présence de représentants du Ministère;

3.  Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, il serait absurde de conclure que les Indiens n’auraient pas débattu la question entre eux à de nombreuses occasions et de façon informelle au sein des groupes familiaux et des groupes de chasse;

4.  À l’assemblée de la cession elle-même, la question avait fait l’objet d’un débat complet. Les Indiens en avaient discuté entre eux et avec les représentants du Ministère avant la signature de l’acte de cession;

5.  [Les représentants de la Couronne n’avaient pas] essayé d’influencer les demandeurs soit avant, soit pendant l’assemblée de la cession. Au contraire, la question semble avoir été résolue de façon très consciencieuse par les représentants du Ministère concernés;

6  .M. Grew [l’agent des Indiens pour l’endroit] avait expliqué aux Indiens toutes les conséquences d’une cession;

7.  Même s’ils n’ont pas saisi exactement la nature du droit, en common law, qu’ils cédaient, ils en étaient probablement incapables, ils ont bel et bien compris, dans les faits, que par la cession ils renonçaient pour toujours à tous leurs droits sur la R.I. 172 en échange de l’argent qui serait versé à leur crédit après la vente de la réserve, et d’autres terrains situés près de leurs sentiers de piégeage qui seraient achetés avec le produit de la vente;

8.  Lesdits terrains avaient déjà été choisis par les Indiens, après mûre réflexion. [Blueberry, au para 39]

[65]  Il est clair que la juge McLachlin n’approuvait ces conclusions de fait que pour les besoins de son analyse de l’obligation de fiduciaire dans le contexte des droits de superficie, car elle a conclu que « [...] les bandes n’ont pas prouvé qu’il y a eu manquement à l’obligation de fiduciaire en ce qui concerne la vente des droits de superficie » (italiques ajoutés; id., au para 60). Plus loin dans ses motifs, elle a examiné les droits tréfonciers et a affirmé que ces conclusions étaient des conclusions légales qui n’étaient pas fondées sur la preuve.

[66]  Toujours dans le contexte des droits de superficie, la juge McLachlin a ensuite examiné l’allégation des bandes selon laquelle le processus de cession prévu par la Loi des Indiens n’avait pas été respecté (aux paras 41–44). Elle a conclu que, bien que la cession fût entachée d’un vice de forme en ce qui concerne son attestation, ce vice n’avait pas pour effet d’invalider la cession puisque la vente de la réserve avait été conclue selon les désirs de la bande. Elle a ensuite examiné s’il y avait eu manquement à l’obligation de fiduciaire relative aux droits de superficie après la cession puisque le MAI avait vendu la réserve, au lieu de la louer conformément à la politique ministérielle établie afin que les générations futures puissent jouir des terres. Elle a conclu que, eu égard à l’ensemble des circonstances, le MAI avait bien étudié toutes les possibilités et avait plus particulièrement tenu compte du besoin de la bande d’obtenir de l’argent pour acheter des terres de remplacement qui lui permettraient de maintenir son mode de vie traditionnel et qui constitueraient une source de capital générant des revenus. La bande avait fait un choix éclairé en approuvant l’aliénation définitive des droits de superficie, car elle croyait qu’elle ne se servirait plus de la réserve et qu’elle recevrait des terres de remplacement mieux adaptées à son mode de vie. On avait « accordé la plus grande attention » aux intérêts et aux désirs de la bande (au para 51).

[67]  La juge McLachlin a ensuite conclu que, même si le Canada était dans une situation potentielle de conflit d’intérêts (puisque le MAI avait vendu la réserve de Montney à un autre organisme fédéral), il avait présenté au procès une preuve admissible tendant à démontrer que les négociations avaient eu lieu dans des conditions de pleine concurrence et que le prix de vente final se situait dans la fourchette établie par les évaluations. Cette preuve suffisait à trancher la question puisque les bandes ne l’avaient pas réfutée (aux paras 52–56). En outre, le Canada n’a pas manqué à son obligation de fiduciaire relative aux droits de superficie en n’annulant pas la vente puisque, entre 1945 et 1961, les membres de la bande vivaient dans la misère et que leur état de santé était déplorable. La pauvreté de la bande n’était pas liée au fait qu’elle ne possédait pas la réserve de Montney, que la bande n’utilisait pas de toute façon (aux paras 57–59). Par conséquent, la juge McLachlin a conclu « [...] que les bandes n’ont pas prouvé qu’il y a eu manquement à l’obligation de fiduciaire en ce qui concerne la vente des droits de superficie » (italiques ajoutés; au para 60).

[68]  La juge McLachlin s’est ensuite penchée sur la question des droits tréfonciers. Elle a résumé les détails de la cession, en 1940, des droits miniers « aux fins de leur location » et de leur location effective pour la somme de 1 800 $ (au para 61). Elle a fait remarquer qu’en 1948, « par une mesure qui, à ce jour, demeure litigieuse », les droits miniers ont été transférés au DTAC, de sorte que les anciens combattants ont profité de la découverte du pétrole et du gaz. Elle a tiré la conclusion de fait suivante :

Il faut ajouter à ce résumé deux autres faits incontestés. Premièrement, à l’époque où les droits miniers ont été transférés, d’abord au DTAC puis aux anciens combattants, les Indiens n’étaient pas des gens avertis, et il est possible qu’ils n’aient pas bien compris les principes concernant l’existence de droits fonciers distincts et la façon dont de tels droits pouvaient être perdus. Deuxièmement, ils n’ont jamais été informés du transfert des droits miniers au DTAC. Ils ne l’ont découvert qu’en 1977, lorsqu’un employé du MAI les a informés de la découverte de pétrole et de gaz sur leurs anciennes terres et a cherché à savoir comment les droits miniers étaient passés de la bande aux anciens combattants. [Blueberry, au para 62]

[69]  Gardant ces faits à l’esprit, la juge McLachlin a procédé à une analyse fondée sur les principes du droit des biens en common law et sur l’interprétation de certaines dispositions de la Loi des Indiens (aux paras 65–79). Elle a souligné qu’en vertu des articles 50 à 54 de la Loi des Indiens, seule une réserve ou une partie de réserve pouvait être cédée. À l’alinéa 2h) de la Loi des Indiens, le terme « réserve » est défini de la façon suivante :

h) « réserve » signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l’usage ou le profit d’une bande particulière d’Indiens ou concédée à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, et qui fait encore partie de la réserve et n’a pas été rétrocédée à la Couronne, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l’intérieur du sol;

[70]  Aux termes de l’alinéa 2l) de la Loi des Indiens, « toute réserve ou partie de réserve » cédée à la Couronne devenait des « terres indiennes ». Ainsi, les droits tréfonciers cédés par la bande en 1940 et détenus en fiducie par la Couronne étaient des « terres indiennes ». Ces droits tréfonciers ne constituaient plus une « réserve » et ne pouvaient pas être cédés à nouveau.

[71]  La juge McLachlin a aussi conclu que, suivant le « sens courant » de l’anglais, le libellé de la Loi des Indiens, la politique générale en matière de cession et les pratiques ministérielles, les droits de superficie et les droits tréfonciers étaient divisibles et pouvaient être cédés (ou autrement traités) séparément. Le libellé général de l’acte de cession de 1945 n’avait pas pour effet d’annuler la cession des droits tréfonciers précédente puisque la Loi des Indiens ne permettait pas qu’il y ait une « nouvelle cession ». Selon la pratique établie du ministère, il fallait que la cession soit annulée par décret fédéral avant que le droit visé puisse être cédé à nouveau. Cette procédure n’a pas été suivie en ce qui concerne la cession de 1940 des droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney. 

[72]  Dans cette partie de ses motifs, la juge McLachlin a dit ne pas souscrire à l’analyse fondée sur l’intention faite par le juge Gonthier, qu’elle a critiquée parce qu’elle ne tenait pas compte de l’existence et de l’effet de la Loi des Indiens et qu’elle n’était pas étayée par la preuve (au para 81). Elle a également rejeté la conclusion du juge Addy selon laquelle la bande, lorsqu’elle a approuvé la cession de 1845, entendait renoncer à tous ses droits dans la réserve de Montney (au para 85). Selon elle, le juge Addy s’était fondé sur son interprétation du texte de l’acte de cession de 1945 plutôt que sur la preuve présentée au procès (au para 86). Pour arriver à cette conclusion, elle a cependant retenu celle du juge de première instance selon laquelle aucune allusion aux droits tréfonciers n’avait été faite à l’assemblée de cession de 1945. Elle a aussi tenu pour avérer (le juge Gonthier n’a exprimé aucun désaccord) le fait que la bande s’était vu promettre des terres de remplacement lors de cette assemblée, mais que les réserves de remplacement finalement achetées n’incluaient pas les droits tréfonciers :

Il s’ensuit que la conclusion du juge de première instance que la bande entendait renoncer pour toujours à tous ses droits afférents à la R.I. 172 est une conclusion de droit, fondée sur son interprétation du texte de l’acte de cession de 1945, plutôt qu’une conclusion de fait fondée sur la preuve présentée au procès. En fait, la seule personne dont le témoignage a été retenu par le juge de première instance a dit: [Traduction] « Aucune allusion à des droits miniers n’a été faite à l’assemblée » (p. 201 F.T.R.). De même, les notes de l’agent des Indiens, Galibois, indiquent qu’il n’a pas été question des droits miniers. À la page 184 F.T.R., le juge de première instance affirme « qu’à compter de la cession de 1945 [...] on n’a jamais fait allusion d’une manière ou d’une autre aux droits miniers ou on n’a jamais examiné cette question ». Ce qu’établit la preuve, toutefois, c’est que, à l’occasion de l’assemblée concernant la cession de 1945, on avait promis à la bande des terres pour remplacer sa réserve. La preuve établit également que les terres de remplacement achetées pour la bande n’incluaient pas les droits miniers.

Même si, dans ses motifs, mon collègue le juge Gonthier dit tenir compte de l’intention de la bande, la seule preuve au dossier de l’intention de modifier les conditions auxquelles la Couronne détenait les droits miniers est qu’il n’en a été question ni à l’assemblée au cours de laquelle on a consenti à la cession de 1945, ni dans l’acte constatant cette cession. Avec égards, cette preuve constitue un fondement plutôt faible pour étayer l’existence d’une intention qui aurait eu pour effet d’annuler ou de modifier une cession explicite, à des conditions différentes, auxquelles on aurait consenti librement et de manière éclairée. De fait, plus loin dans ses motifs, mon collègue reconnaît que la Couronne n’avait pas, en 1945, reçu de la bande le mandat clair de vendre les droits miniers. [Blueberry, aux paras 86–87]

[73]  Il était également clair pour la juge McLachlin que le Canada avait transféré les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney au DTAC, même si le MAI devait, selon les pratiques et politiques en vigueur à l’époque, les réserver. En outre, la preuve étayait la conclusion que le Canada connaissait la valeur potentielle distincte des droits tréfonciers afférents aux terres fédérales et aux terres de réserve, et qu’il avait beaucoup d’expérience en matière de droits tréfonciers, en raison notamment des règlements pris en vertu de la Loi des Indiens. Dans ces circonstances, la juge McLachlin a conclu que la Couronne avait manqué à son obligation de fiduciaire :

Voilà à quoi se résume la question. En tant que fiduciaire, la Couronne avait l’obligation d’agir avec le soin et la diligence « qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires » : Fales c. Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302, à la p. 315. Une personne raisonnable ne se départit pas par inadvertance d’un bien qui peut avoir de la valeur et dont la capacité de produire un revenu a déjà été démontrée. Une personne raisonnable ne se départit pas non plus, sans contrepartie, d’un bien qui ne lui coûte rien à conserver et qui, aussi mince que cette possibilité puisse être, pourrait un jour avoir de la valeur. Dans la gestion de ses propres affaires, la Couronne réservait ses droits miniers. Elle aurait dû faire de même pour la bande. [Blueberry, au para 104]

[74]  La juge McLachlin a ensuite examiné si le Canada avait l’obligation de fiduciaire de prendre des mesures correctives après avoir découvert qu’il avait transféré « par inadvertance » à la province les droits tréfonciers afférents à la réserve. Elle a observé qu’aux termes de l’article 64 de la Loi des Indiens, le Canada pouvait annuler la vente de terres indiennes conclue par erreur :

64. Si le surintendant général s’est assuré qu’un acquéreur ou affermataire de terres indiennes, ou qu’un individu revendiquant du chef de ce dernier ou par son fait, s’est rendu coupable de fraude ou de supercherie, ou a enfreint quelqu’une des conditions de la vente ou de l’affermage, ou si quelque vente a été faite ou si quelque affermage a été accordé par méprise ou par erreur, il peut annuler cette vente ou cet affermage et reprendre possession de la terre y mentionnée, ou en disposer comme si cette vente ou cet affermage n’eût jamais eu lieu. [Blueberry, au para 112]

[75]  Elle a conclu qu’une « inadvertance » équivalait à une erreur au sens de l’article 64 de la Loi des Indiens (au para 113). Comme le fiduciaire avait le pouvoir de corriger l’erreur, il était tenu d’exercer ce pouvoir pour corriger le transfert par erreur des droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney. Le transfert aurait pu être annulé, surtout qu’il s’agissait d’un transfert entre deux organismes fédéraux. Le Canada avait donc commis un deuxième manquement à l’obligation de fiduciaire en omettant de corriger l’erreur (au para 118). La juge McLachlin a expliqué l’obligation de la façon suivante :

À mon avis, le MAI était tenu d’exercer ce pouvoir pour corriger les erreurs qui portaient préjudice aux intérêts des Indiens vu l’obligation de fiduciaire continue qu’il avait envers ces derniers. Même si l’obligation de fiduciaire touchant l’administration des terres des Indiens a pu cesser au moment de la vente des terres en 1948, on peut néanmoins inférer du caractère exceptionnel de l’art. 64 le maintien d’une obligation de fiduciaire d’agir dans l’intérêt des Indiens afin de corriger une erreur. Cette disposition conférait au MAI le pouvoir d’annuler le transfert de terres en cas d’erreur, même à l’égard d’acheteurs de bonne foi. Il n’est pas déraisonnable d’inférer que le législateur voulait que le MAI exerce ce pouvoir dans l’intérêt des Indiens. Si le texte précité de l’art. 64 ne suffit pas à établir l’existence d’une obligation de fiduciaire de corriger l’erreur, il paraît certainement avoir cet effet lorsqu’on l’interprète en corrélation avec la jurisprudence sur les obligations de fiduciaire. Lorsqu’une partie se voit conférer certains pouvoirs touchant les droits d’une autre partie et que cette dernière se voit privée des pouvoirs en question ou est « vulnérable », la première partie, celle qui détient les pouvoirs, a l’obligation de fiduciaire de les exercer dans l’intérêt de l’autre:  Frame c. Smith, précité, le juge Wilson; et Hodgkinson c. Simms, précité. L’article 64 conférait au MAI le pouvoir de corriger l’erreur qui avait eu pour conséquence de transférer à tort au DTAC les droits miniers de la bande. La bande elle-même ne possédait pas ce pouvoir; elle était vulnérable. Dans de telles circonstances, il existe une obligation de fiduciaire de corriger l’erreur.

L’obligation du MAI était celle qui incombe habituellement à un fiduciaire, c’est-à-dire l’obligation de faire montre de diligence raisonnable à l’égard du droit en cause des Indiens. Pour s’acquitter de cette obligation de diligence raisonnable, le MAI devait prendre les mesures requises pour corriger le transfert fait par erreur, lorsqu’il a pris connaissance de faits tendant à indiquer qu’il y avait eu une erreur et que les droits miniers transférés à tort avaient une certaine valeur potentielle. [Blueberry, aux paras 115–116]

[76]  Enfin, la juge McLachlin s’est demandé si la revendication des bandes était prescrite en raison de l’écoulement du délai de prescription trentenaire prescrit par la loi de la Colombie-Britannique. Elle a conclu que le délai avait commencé à courir le 9 août 1949, date à laquelle le MAI était « indiscutablement » au courant de la valeur potentielle des droits miniers de la réserve de Montney et a confirmé leur transfert au DTAC (au para 117). À cette date, 6,75 des 31 lots transférés au DTAC étaient encore entre les mains de ce dernier. Les autres avaient été vendus à des anciens combattants ou à des sociétés pétrolières. Après avoir analysé la loi en vigueur et avoir appliqué le principe de la découverte du préjudice, la juge McLachlin a conclu que la revendication ne se limitait pas aux 6,75 lots qui étaient toujours en possession du DTAC après le 9 août 1949.

c)  Opinion majoritaire

[77]  Le juge Gonthier a souscrit à la quasi-totalité de l’analyse et des conclusions de la juge MaLachlin, sauf en ce qui concerne le transfert des droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney. Selon lui, la cession des droits tréfonciers de 1940 n’a pas eu pour effet d’empêcher leur cession en 1945. Après avoir décrit les thèses des parties opposées sur la question de savoir si la cession de 1945 avait eu pour effet de transférer les droits de superficie et les droits tréfonciers (aux paras 2–5), il a conclu qu’il n’était pas approprié, dans un contexte fiduciaire, de procéder à une analyse prenant appui sur les exigences techniques du droit des biens en common law et qu’il était préférable d’examiner l’intention de la bande :

À mon avis, les principes généraux du droit des biens en common law ne sont pas utiles dans le contexte du présent pourvoi. Puisque le titre indien sur les réserves a un caractère sui generis, il serait fort malencontreux que les exigences de forme de la common law en matière de transfert foncier viennent frustrer l’intention des parties, tout particulièrement celle de la bande, à l’égard de leurs intérêts dans la R.I. 172. Voilà pourquoi le caractère juridique de la cession de 1945 et son effet sur celle de 1940 doivent être déterminés au regard de l’intention de la bande. Hormis quelque empêchement prescrit par la loi (ce qui, comme nous l’avons vu précédemment, n’est pas le cas en l’espèce), il faut laisser l’intention des membres de la bande produire ses effets juridiques.

Selon moi, l’application d’une analyse fondée sur l’intention des parties offre un avantage important. Ainsi que l’a fait remarquer le juge McLachlin, la loi traite les peuples autochtones comme des acteurs autonomes en ce qui concerne l’acquisition et la cession de leurs terres, il faut donc respecter leurs décisions. En conséquence, il est préférable de s’en remettre à l’intention des membres de la bande et à leur compréhension de la situation en 1945, plutôt que de conclure que, quelle qu’ait été cette intention, c’est par un coup de chance — résultant de règles et autres formalités procédurales applicables aux transferts fonciers — qu’est invalidée la cession des droits miniers en 1945. Dans un cas comme celui-ci, l’application d’une analyse plus formaliste est à l’avantage des peuples autochtones. Cependant, il est facile d’imaginer des cas où cette même analyse serait préjudiciable aux autochtones et ferait obstacle à leurs plans mûrement réfléchis. À mon avis, dans l’examen des effets juridiques des opérations conclues par les peuples autochtones et la Couronne relativement à des terres faisant partie de réserves, il ne fait pas oublier que, compte tenu du caractère sui generis du titre autochtone, les tribunaux doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law afin de donner effet à l’objet véritable de ces opérations. [Blueberry, aux paras 6–7]

[78]  Le juge Gonthier a conclu que la bande entendait transférer à la Couronne, en fiducie, tous les droits qu’elle avait dans la réserve :

Dans l’application de cette approche aux circonstances de l’espèce, il faut tenir compte des conclusions de fait du juge de première instance, le juge Addy. Trois sont particulièrement pertinentes afin d’établir quelle était l’intention des membres de la bande lorsqu’ils ont convenu de céder la R.I. 172 en 1945 :

1.   Les demandeurs savaient depuis longtemps qu’une cession absolue de la R.I. 172 était envisagée; 

. . .

6.   M. Grew [l’agent des Indiens pour l’endroit] avait expliqué aux Indiens toutes les conséquences d’une cession;

7.   Même s’ils n’ont pas saisi exactement la nature du droit, en common law, qu’ils cédaient, ils en étaient probablement incapables, ils ont bel et bien compris, dans les faits, que par la cession ils renonçaient pour toujours à tous leurs droits sur la R.I. 172 en échange de l’argent qui serait versé à leur crédit après la vente de la réserve, et d’autres terrains situés près de leurs sentiers de piégeage qui seraient achetés avec le produit de la vente; [Je souligne.] ([1988] 3 C.F. 20, aux pp. 66 et 67.)

La bande comprenait, d’une part, qu’en acceptant la cession de 1945 elle transférerait à la Couronne, en fiducie, tous les droits qu’elle avait dans la R.I. 172, et, d’autre part, que la Couronne vendrait ou louerait ces droits au profit de la bande. La vente ou la location de la R.I. 172 par la Couronne rapporterait les fonds nécessaires à l’achat, par la bande, d’autres terres visant à lui servir de réserve et convenant mieux à ses activités traditionnelles de chasse et de cueillette. La bande ne s’attendait pas à détenir des droits sur la R.I. 172 une fois la cession de 1945 complétée, et ce n’était pas non plus son intention. Cette décision était tout à fait justifiée, comme le signale ma collègue le juge McLachlin, puisque la R.I. 172 n’avait pratiquement aucune utilité pour la bande à l’époque. [souligné dans l’original; Blueberry, au para 9]

[79]  Les conclusions de fait dont il est question dans ce passage proviennent du même groupe de conclusions qu’a citées et approuvées la juge McLachlin relativement aux droits de superficie afférents à la réserve de Montney (au para 39; et expliquées aux paragraphes 64 et 65 ci-dessus). À l’instar de la juge McLachlin, le juge Gonthier a reconnu ces conclusions de fait de façon limitée et ne les a, pour sa part, acceptées que pour l’examen de l’intention de la bande.

[80]  Le juge Gonthier a contourné le débat juridique de la common law quant à l’effet de la Loi des Indiens sur les cessions de 1940 et 1945 en expliquant la transaction en termes d’equity. Il a qualifié (au para 12) les opérations de 1945 de modification d’une fiducie préexistante visant des terres indiennes, alors que la cession de 1945 (aussi semblable à une fiducie) subsumait la cession des droits tréfonciers de 1940. Il a fait remarquer que cette analyse n’était pas incompatible avec celle de l’arrêt Guerin, où la cour avait conclu que les rapports entre la Couronne et les Autochtones étaient des rapports sui generis de nature fiduciaire.

[81]  Après avoir accepté la cession des droits de superficie et des droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney, la Couronne avait l’obligation de fiduciaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire de vendre les terres ou de les louer dans l’intérêt de la bande, conformément aux termes de la cession. Le juge Gonthier a fait observer que, suivant la « politique de longue date, antérieure à la cession de 1945 », la Couronne réservait les droits miniers « au profit des autochtones concernés [...] justement [...] parce qu’on estimait que, dans tous les cas, le fait de réserver les droits miniers était une mesure [Traduction] “appropri[ée] pour assurer [le] bien-être” des autochtones visés » (au para 18). La cession de 1945 autorisait la Couronne à « vendre ou [à] louer » la réserve, de sorte que la Couronne avait carte blanche pour faire l’un ou l’autre. Cependant, au cours des négociations entre le Canada et la bande qui ont mené à la cession de 1945, il n’avait pas été question de vendre les droits miniers. En conséquence, la bande n’a jamais clairement autorisé le Canada à déroger de sa politique de longue date, qui était de réserver les droits tréfonciers au profit de la bande lorsqu’il vendait des droits de superficie. Dans ces circonstances, le juge Gonthier a conclu que le Canada avait l’obligation de fiduciaire de continuer la location prévue par la cession de 1940. La vente des droits miniers en 1945 constituait une violation de cette obligation de fiduciaire (au para 19).

[82]  Il a souscrit aux conclusions de la juge McLachlin sur la question des délais de prescription. Il a aussi adhéré à son opinion quant à l’obligation de corriger l’erreur après l’avoir découverte :

En tant que fiduciaire, le MAI était tenu d’agir avec diligence raisonnable. À mon avis, une personne raisonnable, placée dans la situation du MAI, se serait aperçue, le 9 août 1949, qu’une erreur avait été commise, et elle aurait exercé le pouvoir que lui conférait l’art. 64 pour la corriger, pour acquérir de nouveau les droits miniers et pour conclure une entente de location au profit de la bande. Cette omission constitue un manquement évident à l’obligation de fiduciaire qu’avait le MAI d’agir dans l’intérêt de la bande lorsqu’il effectuait des opérations touchant la R.I. 172. [Blueberry, au para 22]

[83]  Par conséquent, le juge Gonthier a accueilli l’appel de la manière indiquée par la juge McLachlin (au para 24). Il a renvoyé l’action à la Section de première instance de la Cour fédérale pour qu’elle établisse les dommages-intérêts, et celle-ci a finalement établi que les bandes recevraient une somme de 147 millions de dollars.

5.  Demande interlocutoire : la présente revendication était-elle irrecevable en raison du principe de l’autorité de la chose jugée et de la renonciation?

[84]  Au tout début de la présente instance, l’intimée a présenté une demande en vue de faire radier les revendications au motif qu’elles possédaient l’autorité de la chose jugée puisqu’elles avaient été tranchées dans les décisions Apsassin et Blueberry et qu’une renonciation avait été signée lorsque l’affaire a finalement été réglée. Le juge Smith a rejeté l’ensemble de la demande dans des motifs écrits publiés le 20 février 2014 (Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 2).

[85]  Le juge Smith a observé que l’affaire Apsassin portait principalement sur la perte des droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney. Bien que la déclaration initiale visât également à obtenir un jugement déclaratoire concernant les réserves de remplacement, les bandes l’ont modifiée avant le début du procès afin de supprimer cette conclusion. La déclaration modifiée ne contenait aucune allégation selon laquelle la Couronne avait manqué à ses obligations de fiduciaire en n’obtenant pas les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement ou en ne réclamant pas des dommages-intérêts pour la perte de ces droits. Sur le plan juridique, il s’ensuit que ces questions n’ont pas été tranchées et qu’elles pouvaient donc faire l’objet d’éventuelles procédures (aux paras 69, 70–71).

[86]  Le juge Smith a aussi conclu que l’achat des réserves de remplacement avait comporté plusieurs autres étapes distinctes après la cession de 1945 de la réserve de Montney, mais qu’aucune ne permettait de déterminer si la cession était valide ou s’il y avait eu manquement aux obligations de fiduciaires dans l’affaire Apsassin. Par conséquent, il a conclu que les manquements découlant de l’achat étaient des causes d’action distinctes de celles visées par l’affaire Apsassin (aux paras 76–80). Il a aussi souligné que les faits substantiels relatifs au calcul des dommages-intérêts étaient également distincts de ceux des affaires Apsassin et Blueberry. Les dommages-intérêts en l’espèce, s’il en est, concernaient uniquement les réserves de remplacement, alors que la Cour suprême du Canada avait seulement demandé aux parties de régler la question des indemnités liées à la réserve de Montney (au para 81). Bien que les faits puissent se chevaucher de façon importante, cela ne signifie pas que les faits substantiels de chaque affaire sont les mêmes. Ces faits partiellement communs établissaient le contexte des revendications distinctes présentées dans chaque affaire.

[87]  Le juge Smith a également conclu que les revendications ne présentaient aucune incohérence par rapport à une décision antérieure, non plus qu’elles ne constituaient une contestation indirecte des affaires Apsassin et Blueberry. Ce ne serait pas un affront à l’intégrité de l’administration de la justice que d’accueillir ou de rejeter les revendications (aux paras 89–92). Il a convenu avec les revendicatrices que l’affaire Apsassin était déjà, à l’époque, longue, complexe et coûteuse. Il n’était pas évident ni raisonnable de penser que les revendications auraient dû être présentées en même temps que celles de l’affaire Apsassin, ou qu’il aurait été pratique ou efficace de procéder ainsi. De plus, compte tenu de la preuve disponible, la Couronne ne risquait pas de se trouver dans une situation de double indemnisation. En résumé, le juge Smith a conclu que la Couronne ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il était évident et manifeste que la revendication était irrecevable par application de la doctrine de la chose jugée (aux paras 89–98). La revendication ne constituait pas non plus un abus de procédure (aux paras 99–106).

[88]  Dans son examen de la question de la chose jugée, le juge Smith s’est penché sur les arguments de la Couronne en ce qui concerne les commentaires formulés par le juge Addy, reproduits précédemment, relativement aux réserves de remplacement (voir paragraphe 54 ci-dessus). Il a conclu (au para 73) que les observations du juge de première instance étaient des remarques incidentes en tous points, sauf un :

La question substantielle soulevée par l’affaire Apsassin était de savoir si les promesses faites par le Canada avaient une incidence sur la validité de la cession de la R.I. 172. À la Cour fédérale, le juge Addy a abordé la question des réserves de remplacement afin d’analyser la validité de la cession et de déterminer si les promesses effectuées au moment de la cession avaient été en fait remplies (Apsassin, CFPI, précité, par 141 à 149). Le juge Addy a conclu que la preuve ne permettait pas de confirmer qu’une promesse concernant des réserves et des droits miniers futurs avait été faite et a donc rejeté l’argument selon lequel cette promesse était susceptible d’invalider la cession de la R.I. 172. Hormis ce point, je suis d’avis que les observations formulées par la Cour fédérale à l’égard des droits miniers afférents aux réserves de remplacement étaient des remarques incidentes.

[89]  Enfin, le juge Smith a examiné l’effet de la renonciation signée par les parties à la suite de l’arrêt Apsassin. Après avoir procédé à un examen approfondi du libellé de la renonciation et des principes d’interprétation applicables, il a conclu que celle-ci visait à mettre fin à l’affaire Apsassin, mais sans plus (aux paras 107–152).

6.  Application subséquente des principes énoncés dans l’arrêt Blueberry par la Cour suprême du Canada

[90]  Les opinions divergentes de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apsassin semblent avoir compliqué l’application subséquente de cette décision. Il ne semble pas cependant que la Cour fût divisée quant aux principes d’equity énoncés, ou même quant aux faits. Les opinions divergeaient principalement dans leur approche analytique, ce qui influe sur la façon dont le Tribunal devrait régler la présente revendication. La Cour suprême du Canada nous a simplifié la tâche dans les décisions postérieures.

[91]  S’exprimant au nom de la Cour suprême dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a confirmé certains éléments essentiels de l’arrêt Blueberry.

[92]  Il a confirmé que l’obligation de fiduciaire qu’avait la Couronne envers les Premières Nations visait fondamentalement à les protéger contre les marchés abusifs. Elle permettait aussi de superviser la Couronne, qui administrait la Loi des Indiens et avait, par conséquent, une incidence sur la vie des Premières Nations : 

Lorsqu’elle existe, l’obligation de fiduciaire vise à faciliter le contrôle de l’exercice par la Couronne de l’autorité et des pouvoirs discrétionnaires considérables qu’elle a graduellement assumés à l’égard de divers aspects de la vie des peuples autochtones.

[...]

L’aspect positif de l’établissement de ces rapports sui generis fut, historiquement, la protection des intérêts des peuples autochtones (qu’il suffise de rappeler, par exemple, le passage de la Proclamation royale de 1763, L.R.C. 1985, App. II, nº 1, précisant « qu’il s’est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages »), mais l’étendue de l’autorité et des pouvoirs discrétionnaires assumés par la Couronne à l’égard des populations autochtones sur les plans économique, social et foncier a également eu pour effet d’exposer ces populations aux risques de faute et d’ineptie de la part de la Couronne. L’importance de cette autorité et de ces pouvoirs en tant qu’ingrédients fondamentaux de relations fiduciaires a été soulignée par le professeur E.J. Weinrib dans la phrase suivante, citée dans l’arrêt Guerin, précité, p. 384 : [Traduction] « la marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre ». Voir aussi : Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, le juge Sopinka, p. 599-600; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, le juge La Forest, p. 406; Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, madame la juge Wilson, dissidente, p. 135-136. L’obligation de préserver [Traduction] « l’honneur de l’État » est liée d’une certaine façon aux normes éthiques que doit respecter un fiduciaire dans le contexte des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones : R. c. Taylor (1981), 34 O.R. (2d) 360 (C.A.), le juge en chef adjoint MacKinnon, p. 367, autorisation d’appeler refusée, [1981] 2 R.C.S. xi; Van der Peet, précité, le juge en chef Lamer, par. 24; Marshall, précité, par. 49-51. [italiques dans l’original; Wewaykum, aux paras 79–80]

[93]  Le juge Binnie a aussi reconnu la norme de prudence fiduciaire énoncée par la juge McLachlin dans l’arrêt Blueberry :

Premièrement, quant au fond, la reconnaissance d’une obligation de fiduciaire assujettit l’intervention de la Couronne à des obligations additionnelles : loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation. Dans l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry, par. 104, madame le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a écrit que, « [e]n tant que fiduciaire, la Couronne avait l’obligation d’agir avec le soin et la diligence “qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires” ». [Wewaykum, au para 94]

[94]  Cet extrait fait aussi état de la nécessité pour la Couronne de respecter les désirs et les décisions de la bande. La Couronne ne peut pas s’acquitter de cette obligation ni comprendre les désirs et les décisions de la bande à moins qu’elle ne communique avec cette dernière et qu’elle ne la consulte.

[95]  Dans l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême a confirmé qu’il convient de définir le rapport entre la Couronne et les Premières Nations sur le fondement de l’equity, tout comme l’avait fait le juge Gonthier dans l’arrêt Blueberry (cité ci-dessus au paragraphe 77), où il a conclu que les principes de common law et les exigences de forme ne devraient pas frustrer l’intention de la bande, laquelle était de la plus haute importance. L’equity était une façon de reconnaître cette intention, alors que les règles de forme de la common law ne sauraient le permettre ou pourraient autrement permettre un résultat injuste. Au paragraphe 43 de l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a déclaré ce qui suit :

Notre Cour a à plusieurs reprises souligné que, dans l’examen des droits des Indiens sur les réserves, « nous devons veiller à ce que la forme ne l’emporte pas sur le fond » (Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657, par. 16), ou à ce que des règles « de forme » de la common law ne viennent pas frustrer l’intention véritable des parties (Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344, par. 6). [italiques dans l’original]

[96]  Les ouvrages sur les règles d’equity décrivent l’objet général et les principes de l’equity. John McGhee, Snell’s Equity, 33e éd (London : Sweet & Maxwell Snell’s »), fait remarquer ce qui suit (aux pp 3–4) :

[Traduction]

Dans son sens le plus général, le mot « equity » renvoie à une conception de la justice qui transcende les règles de fond et de procédure du droit positif. Dans ce sens, l’equity fait partie de nombreux systèmes juridiques depuis des temps immémoriaux. L’equity introduit un élément éthique en droit positif en assujettissant les parties à une norme de justice plus sensible ou exigeante que les règles de droit positif.

[...]

Bien que l’application des règles d’equity ait souvent été justifiée par un raisonnement particulier de ce genre, un élément qui distingue l’equity dans tous les systèmes juridiques est sa nature secondaire ou complémentaire. Une intervention fondée sur l’equity présuppose l’existence de règles de droit positif fondamentales. L’equity vient préciser l’application du droit positif de manière à permettre une justice plus complète que les lois seules ne permettent pas.

Reconnaître la pertinence de l’equity ne revient pas à dire que le droit positif est injuste ou que le consentement moral immanent y est absent. Le droit positif et l’equity visent l’atteinte d’une justice complète, mais de manière différente [...] Cependant, il peut arriver à l’occasion que la généralité des règles de droit positif mène à un résultat injuste. Dans un tel cas, l’equity s’applique et garantit une justice plus complète qui tient compte des besoins de l’intéressé. [note omise]

[97]  En common law, certains principes d’equity ont été élaborés et appliqués par la Cour de la chancellerie de l’Angleterre. Malgré l’abolissement de cette cour, ces principes d’equity ont subsisté et ont continué d’évoluer dans notre droit (Snell’s, à la p 4). La Cour suprême du Canada s’est penchée sur les principes généraux de l’equity dans l’arrêt Pro Swing Inc c Elta Golf Inc, 2006 CSC 52 au para 22, [2006] 2 RCS 612, où elle a renvoyé (avec approbation) à un extrait tiré de l’ouvrage intitulé The Principles of Equitable Remedies: Specific Performance, Injunctions, Rectification and Equitable Damages (6e éd. 2001), à la p 6) :

Comme le dit Spry :

[Traduction] . . . les maximes de l’equity sont importantes, car elles reflètent la qualité morale des principes qui ont présidé non pas à la formulation de règles rigides et immuables, mais à la détermination, selon des fondements moraux reconnus, du caractère équitable ou juste du comportement des parties. Cette qualité morale demeure, ce qui explique en grande partie l’adoption par les tribunaux de principes généraux pouvant s’appliquer avec souplesse aux nouvelles situations qui se présentent. [à la p 6]

[98]  La Cour suprême du Canada a décrit le rapport qui existe entre la Couronne et les Premières Nations en termes d’equity en vue de transcender les complexités administratives de la Loi des Indiens et l’application des règles ordinaires de common law qui pourraient donner lieu à des résultats injustes. Elle ne voulait pas non plus perdre de vue la raison pour laquelle la structure législative et administrative qui régit actuellement leur rapport a été créée, soit pour reconnaître les intérêts des Premières Nations et la légitimité de leurs désirs, décisions et intentions en ce qui concerne le fonctionnement de cette structure. Le cadre juridique fondé sur l’equity est une caractéristique essentielle des affaires Apsassin et Blueberry et de celles qui ont suivi.

7.  Obligation de fiduciaire d’informer et de consulter

[99]  Bien que le bon sens veuille que le fiduciaire informe son bénéficiaire et le consulte sur la façon de gérer le bien dont il a l’administration, la jurisprudence appuie cette proposition.

[100]  Dans l’arrêt Guerin, la cour a mentionné l’obligation d’informer et de consulter, quoiqu’elle ne l’ait pas été expressément décrite comme une obligation particulière. Elle a conclu que l’obligation de consulter découlait de l’obligation « de loyauté absolue » qu’avait le fiduciaire « envers son commettant » :

[...] Lorsqu’il s’est révélé impossible d’obtenir le bail promis, Sa Majesté, au lieu de procéder à la location des terres à des conditions différentes et défavorables, aurait dû retourner devant la bande pour lui expliquer ce qui s’était passé et demander son avis sur ce qu’il lui fallait faire. L’existence de cette conduite peu scrupuleuse est primordiale pour qu’on puisse conclure que Sa Majesté a manqué à son obligation de fiduciaire. L’equity ne sanctionnera pas une conduite peu scrupuleuse de la part d’un fiduciaire qui doit faire preuve d’une loyauté absolue envers son commettant. [au para 111]

[101]  Dans l’arrêt Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 153 DLR (4th) 193 Delgamuukw »], le juge en chef Lamer s’est penché sur l’obligation de consulter. Quoiqu’il fût question dans cet arrêt d’un droit ancestral sur des terres qui n’étaient pas déjà des terres de réserve, le Juge en chef a conclu que l’obligation de consulter faisait partie de l’obligation de fiduciaire de la Couronne. Au paragraphe 168, il a fait remarquer que la nature et l’étendue de l’obligation de fiduciaire de consulter dépendaient des circonstances :

Il y a toujours obligation de consultation. La question de savoir si un groupe autochtone a été consulté est pertinente pour décider si l’atteinte au titre aborigène est justifiée, au même titre que le fait pour la Couronne de ne pas consulter un groupe autochtone au sujet des conditions auxquelles des terres d’une réserve sont cédées à bail peut constituer un manquement à l’obligation de fiduciaire de celle-ci en common law: Guerin. La nature et l’étendue de l’obligation de consultation dépendront des circonstances. Occasionnellement, lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur, il ne s’agira de rien de plus que la simple obligation de discuter des décisions importantes qui seront prises au sujet des terres détenues en vertu d’un titre aborigène. Évidemment, même dans les rares cas où la norme minimale acceptable est la consultation, celle-ci doit être menée de bonne foi, dans l’intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu. Dans la plupart des cas, l’obligation exigera beaucoup plus qu’une simple consultation. Certaines situations pourraient même exiger l’obtention du consentement d’une nation autochtone, particulièrement lorsque des provinces prennent des règlements de chasse et de pêche visant des territoires autochtones.

[102]  Dans l’affaire Première nation de Fairford c Canada (PG) (1998), [1999] 2 RCF 48 aux paras 226–227, [1999] 2 CNLR 60 (CF 1re inst) le juge Rothstein s’est fondé sur ce passage tiré de l’arrêt Delgamuukw pour conclure qu’« [i]l est certain qu’en ce qui concerne les questions de cession de terres d’une réserve, il existe une obligation de consultation de la part de la Couronne ». Il a également conclu que l’obligation de consultation se rapportait non seulement au caractère déraisonnable de l’opération, mais aussi au délai d’exécution du processus d’évaluation du caractère déraisonnable et à la consultation correspondante. Autrement dit, la Couronne devait déterminer ce qui était déraisonnable, aviser la bande et consulter cette dernière en temps opportun :

Le Canada aurait peut-être violé une obligation fiduciaire s’il avait ratifié une opération déraisonnable. Toutefois, il n’est pas libéré de cette obligation du simple fait qu’il a tardé à ratifier l’opération, et ce, parce que le retard n’a rien à voir avec le caractère déraisonnable de l’opération. Le Canada semble avoir été prêt à consentir à l’accord. Le retard était attribuable à la confusion qui régnait au sujet de la procédure à suivre.

L’obligation d’un fiduciaire est liée au pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé. Cela doit comprendre l’évaluation du bien-fondé de l’accord du point de vue de la bande indienne. Le Canada était tenu de déterminer, en temps opportun, ce qui était déraisonnable, le cas échéant, dans l’accord d’indemnisation et d’informer la bande de Fairford de la chose.

VI.  analyse

1.  Pertinence des conclusions de fait de la Section de première instance

[103]  Avant de me pencher sur d’autres questions, j’aimerais d’abord trancher la question des conclusions de fait qui ont été tirées par le juge Addy dans l’affaire Apsassin, et qui, selon l’intimée, devraient être traitées avec respect. Il ne fait aucun doute que le juge Addy a examiné attentivement la preuve abondante et les questions juridiques complexes touchant à ce domaine du droit en constante évolution. Cependant, je n’accorde que peu de poids à ses conclusions, surtout à ses conclusions de fait.

[104]  Premièrement, la Cour suprême du Canada a infirmé ces conclusions à plusieurs égards tout en approuvant, mais de façon limitée, quelques constatations de fait, comme nous l’avons déjà vu. Je suis tenu d’accepter les conclusions de la Cour suprême du Canada, telles que je les comprends. Les conclusions juridiques sont fondées sur des conclusions de faits. Déterminer les conclusions de fait qui sont valables, eu égard aux conclusions juridiques qui ont été rejetées, serait compliqué et risqué, et même peut-être inutile.

[105]  Deuxièmement, je ne vois aucune raison de remettre en question les conclusions tirées par le juge Smith dans la décision interlocutoire rendue en l’espèce. Dans l’affaire Apsassin, le juge Addy s’est principalement intéressé à la cession et à l’aliénation de la réserve de Montney. Les bandes ont retiré la demande visant à obtenir les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement avant le début du procès, de sorte que les questions relatives aux réserves de remplacement n’ont pas été soumises à la Section de première instance. Le juge Smith a conclu que les observations du juge Addy au sujet des réserves de remplacement étaient incidentes, en tous points sauf un.

[106]  Enfin, compte tenu de tous les éléments de preuve documentaire présentés au Tribunal, de l’exposé conjoint des faits produit par les parties et des conclusions de la Cour suprême du Canada, le Tribunal peut assurément tirer ses propres conclusions de fait. Il n’est pas nécessaire de se fier au juge de première instance.

2.  Existence d’une obligation de fiduciaire : positions des parties et éléments de preuve

[107]  La Couronne admet qu’elle avait une obligation de fiduciaire envers les revendicatrices, quoique cette obligation fût bien plus restreinte que ces dernières ne le laissent entendre.

[108]  Se fondant sur les arrêts Guerin et Blueberry, les revendicatrices prétendent que la Couronne avait une obligation de fiduciaire parce qu’elle s’était interposée entre la bande et la Colombie-Britannique lors de la négociation des conditions d’acquisition des réserves de remplacement.

[109]  Les revendicatrices soutiennent également que l’obligation de fiduciaire de la Couronne a pris naissance parce que cette dernière a assumé un pouvoir discrétionnaire sur un intérêt (identifiable) autochtone particulier, à savoir les réserves de remplacement, et sur son acquisition.

[110]  L’intimée adopte une position différente relativement au critère permettant de déterminer s’il existe une obligation de fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones, faisant valoir que la récente jurisprudence a établi deux exigences claires. Sa position est brièvement énoncée au paragraphe 98 de ses observations écrites finales :

[Traduction]

Dans le contexte de la relation entre la Couronne et les Autochtones, une obligation fiduciaire prend naissance quand la Couronne administre, comme s’il s’agissait d’une fiducie, les terres ou les biens sur lesquels les Autochtones ont un intérêt collectif. L’obligation prend naissance :

(1) s’il existe un intérêt autochtone particulier ou identifiable; 

(2) si la Couronne exerce ou assume un pouvoir discrétionnaire à l’égard de cet intérêt. [notes omises]

[111]  Bien que l’interposition soit toujours une caractéristique générale valable de la relation fiduciaire, il est aussi maintenant bien établi, dans le contexte du rapport entre la Couronne et les Autochtones, qu’une obligation de fiduciaire prend naissance : (1) s’il existe un intérêt autochtone particulier ou identifiable, et; (2) si la Couronne exerce un pouvoir discrétionnaire à l’égard de cet intérêt (Wewaykum, aux paras 79–83; Nation Haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 18, [2004] 3 RCS 511). Elle découle aussi d’une promesse de la Couronne si les éléments suivants sont réunis : « (1) un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lesquels l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable » (Manitoba Métis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14 au para 50, [2013] 1 RCS 623 Manitoba Métis»]).

[112]  L’intimée soutient que, pour plusieurs raisons, elle n’exerçait pas un contrôle sur les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement et qu’elle n’aurait jamais pu avoir un tel contrôle, pouvoir discrétionnaire ou autre. Par conséquent, elle ne peut pas être tenue responsable en tant que fiduciaire d’un intérêt juridique sur lequel elle n’a jamais eu le contrôle et qu’elle n’a jamais eu la possibilité de contrôler ou d’acquérir. Dans ces circonstances, l’obligation de fiduciaire de la Couronne s’appliquait seulement aux droits de superficie, et non aux droits tréfonciers. J’y reviendrai plus loin dans les présents motifs.

[113]  Je conviens avec l’intimée que la bande n’avait aucun droit issu de traités, droit ancestral ou autre droit inhérent à l’égard des terres de remplacement devant servir à l’établissement de réserves. L’intimée a expliqué les différents types de réserves et leurs modes de création à l’époque. Les réserves de remplacement n’étaient pas des terres de réserve que le Canada devait mettre de côté en vertu du Traité nº 8 ou d’un autre traité. Il ne s’agissait pas de terres à l’égard desquelles l’engagement des Couronnes provinciale et fédérale était suffisamment précis pour conférer à la bande un intérêt identifiable sur les droits tréfonciers, comme il en est question, par exemple, dans l’affaire Canada c Première nation de Kitselas, 2014 CAF 150 aux paras 53–54, [2014] 2 CNLR 6. La bande n’avait pas non plus revendiqué un titre ancestral collectif ni démontré qu’elle détenait un tel titre, comme c’était le cas dans l’arrêt Manitoba Métis, aux paras 51–59. En l’espèce, l’obligation de fiduciaire n’est pas fondée sur ces éléments.

[114]  L’intimée a fait un effort considérable pour démontrer que la Colombie-Britannique avait une politique de longue date qui consistait à conserver les droits miniers afférents à toutes les terres de la Couronne provinciale, y compris celles qui avaient été transférées au Canada à des fins de réserve ou à d’autres fins autochtones. Elle soutient par conséquent que le Canada n’avait aucun contrôle sur les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement ni aucune possibilité d’obtenir ce contrôle. Les avocats de l’intimée ont fait l’historique de la création des réserves en Colombie-Britannique. Le juge Binnie a brièvement exposé cet historique dans l’arrêt Wewaykum (aux paras 14–18). Comme il l’a souligné, quand la Colombie-Britannique a adhéré à la Confédération, les terres domaniales en Colombie-Britannique appartenaient à la province, alors que la gestion des réserves des Premières Nations, y compris leur création et leur mise de côté, était une responsabilité fédérale. Par conséquent, ni l’un ni l’autre des ordres de gouvernement ne pouvait unilatéralement créer une réserve. Ils devaient collaborer : l’un devait fournir les terres nécessaires à la création des réserves et l’autre devait les administrer. Malheureusement, ils ont peu collaboré pendant les 60 premières années, de sorte que plusieurs commissions ont dû être mises sur pied pour régler les conflits.

[115]  Comme la réserve de Montney avait fait partie du Bloc de la rivière La Paix, dont toutes les terres détenues en fief simple avaient été transférées au Canada, l’autorité fédérale avait pu mettre de côté les droits de superficie et les droits tréfonciers de certaines réserves établies en vertu du Traité nº 8, y compris la réserve de Montney. Cependant, quand le Canada a remis à la province ce qui restait du Bloc de la rivière La Paix, en 1930, celle-ci a repris le contrôle des droits de superficie et des droits tréfonciers. Tant avant qu’après 1930, le Canada avait eu du mal à acquérir de nouvelles terres provinciales et à ainsi s’acquitter de ses obligations en matière de création de réserves, y compris les obligations qu’il avait en vertu du Traité nº 8. Comme l’a souligné l’intimée, ce problème a finalement été résolu grâce à l’entente McKenna-McBride et aux travaux de la Commission royale qui se sont tenus entre 1912 et 1916, à l’examen fait par Ditchburn et Clark de 1920 à 1923 et à l’adoption de la Convention Scott-Cathcart en 1929 (observations écrites de l’intimée, au para 35). En vertu de cette dernière convention, la province a convenu de fournir des terres à des fins de création de réserves, et ce, à prix réduit. La convention est entrée en vigueur en vertu de la loi intitulée An Act to Amend the “Land Act”, SBC 1931, c 33, art 5 et a été reconduite dans les lois qui ont suivi, notamment la Land Act de 1936, de 1948 et de 1960.

[116]  Toutes ces lois classaient les terres domaniales vendues selon différentes catégories, établissaient un prix minimal pour chacune de ces catégories, et réservaient systématiquement tous les droits tréfonciers à la province. Le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de réduire, d’au plus de la moitié, le prix des terres qui étaient vendues au Canada [Traduction] « pour l’usage des Indiens ». La Land Act de 1948 s’appliquait aux transferts des réserves de remplacement. Les dispositions pertinentes étaient libellées de la façon suivante:

[Traduction]

45. Les terres libres ou facilement défrichables, propices à l’agriculture, et les prairies de fauche seront considérées comme des terres de première classe; toutes les autres terres pouvant être cultivées seront considérées comme des terres de deuxième classe, et les terres qui ne sont ni des terres de première classe ni des terres de deuxième classe seront considérées comme des terres de troisième classe. Les terres contenant du bois d’œuvre dans une proportion de huit mille pieds à l’acre à l’ouest des Cascades et de cinq mille pieds à l’acre à l’est des Cascades, pour chacun des cent soixante acres, seront considérées comme des terres à bois.

47. Le prix minimal des terres de première classe s’élève à cinq dollars par acre, celui des terres de deuxième classe s’élève à deux dollars et cinquante cents par acre et celui des terres de troisième classe s’élève à un dollar par acre. Cependant, le ministre peut, à son gré, augmenter le prix des terres. Si les terres sont vendues à la Couronne du chef du Canada pour l’usage des Indiens, le ministre peut, à son gré, réduire le prix de ces terres jusqu’à deux dollars et cinquante cents par acre pour les terres de première classe, jusqu’à un dollar et vingt-cinq cents par acre pour les terres de deuxième classe, et d’au plus cinquante cents par acre pour les terres de troisième classe.

[117]  Les articles 120 et 121 de la Land Act de 1948 établissaient une réserve quant aux droits sur le charbon, le pétrole et le gaz naturel afférents aux terres domaniales provinciales, et l’article 121 prévoyait que le transfert de ces terres devait être effectué suivant le formulaire nº 11. Ce formulaire réservait tous les droits tréfonciers à la province, en plus des droits sur le charbon, le pétrole et le gaz naturel. Il réservait aussi les droits sur les minéraux situés à la surface des terres et accordait un droit d’accès étendu aux terres afin d’y prendre les minéraux. Voici le passage pertinent du formulaire nº 11 :

[Traduction] De plus, pourvu qu’il soit en tout temps légal pour nous, nos héritiers et successeurs et toute personne agissant en notre nom ou au nom de nos héritiers et successeurs, de pénétrer sur toute partie desdites terres et d’y prélever et d’en tirer des minéraux, précieux ou communs, situés sur ou sous celles-ci, y compris le charbon, le pétrole et le gaz naturel, et d’utiliser et de jouir de toute et chacune des parties desdites terres, en plus d’exercer les servitudes et privilèges qui s’y rattachent, afin d’y prélever et d’en tirer lesdits minéraux, et à toute fin connexe, en échange d’une contrepartie raisonnable.

[118]  Le formulaire nº 11 ne s’arrêtait pas là. Il donnait aussi à la province le droit d’utiliser l’eau ou d’accorder à un tiers des droits généraux d’utilisation de l’eau raisonnablement nécessaire pour l’extraction minière (toujours en échange d’une contrepartie raisonnable) et le droit (sans contrepartie) de prendre du gravier, du sable, des pierres, de la chaux, du bois ou d’autres matériaux nécessaires à la construction, à l’entretien ou à la réparation de routes, ponts et autres ouvrages publics :

[Traduction] 

Pourvu qu’il soit en tout temps légal pour toute personne dûment autorisée à ce titre par nous, nos héritiers et nos successeurs, de prendre et d’occuper de telles concessions hydrauliques et de jouir et disposer du droit de transporter de l’eau sur, à travers ou sous toute partie de l’héritage concédé, à des fins raisonnables d’exploitation minière ou agricole à proximité de cet héritage, et en échange d’une contrepartie raisonnable aux héritiers et successeurs :

De plus, pourvu qu’il soit en tout temps légal pour toute personne dûment autorisée à ce titre par nous, nos héritiers et nos successeurs, de prendre, dans toute partie de l’héritage concédé, sans contrepartie, du gravier, du sable, des pierres, de la chaux, du bois ou d’autres matériaux nécessaires à la construction, à l’entretien ou à la réparation de routes, ponts et autres ouvrages publics;

[119]  Pour bien faire comprendre son point, l’intimée a renvoyé au paragraphe 100 de l’arrêt Blueberry, où la juge McLachlin a indiqué que la Colombie-Britannique était l’une des quelques provinces qui avaient adopté une politique consistant à réserver les droits miniers afférents aux terres provinciales cédées. L’intimée a ensuite parlé d’un certain nombre de transferts de terres domaniales effectués par la Colombie-Britannique en faveur du Canada pendant la période pertinente et par la suite afin que le Canada puisse créer des réserves. La Colombie-Britannique se réservait toujours les droits miniers, y compris sur les réserves créées par le Canada par suite des obligations qui lui incombaient en vertu du Traité nº 8 (voir CCD, aux onglets 72.1, 73.1 à 73.5 et 104.1 à 104.8).

[120]  Les revendicatrices n’admettent pas qu’une telle politique existait, mais elles soutiennent que celle-ci n’avait aucune incidence sur l’existence ou la nature de l’obligation de fiduciaire du Canada étant donné le contrôle discrétionnaire que celle-ci avait sur l’aliénation de la réserve de Montney et l’acquisition des réserves de remplacement. Elles soulignent que la bande ne pouvait pas agir dans son propre intérêt dans l’acquisition des réserves de remplacement. Seule la Couronne fédérale pouvait agir en son nom. Seule la Couronne avait un contrôle discrétionnaire sur les intérêts de la bande dans les réserves de remplacement. Elle était donc dans une relation de fiduciaire avec la bande. Je m’étendrai davantage sur cette question en temps opportun.

[121]  Il convient de souligner que la Land Act de 1948 conférait au lieutenant-gouverneur en conseil le pouvoir de transférer au Canada des terres domaniales sans aucune restriction. Autrement dit, le ministre aurait pu, à sa discrétion, transférer au Canada les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement dans le présent cas ou dans tout autre cas : 

[Traduction]

66(2) Le lieutenant-gouverneur en conseil pourra transférer l’administration, le contrôle et le bénéfice des terres domaniales à Sa Majesté le Roi du chef du Canada, pour toujours ou pour quelques années, avec ou sans contrepartie, et conformément aux dispositions, restrictions et privilèges qu’il jugera les plus utiles.

[122]  Cependant, rien n’indique que le lieutenant-gouverneur en conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire et, en l’espèce, le Canada n’a pas présenté de demande en ce sens. Je conclus que tant avant qu’après la période en cause, la Colombie-Britannique avait une politique claire qui consistait à réserver les droits tréfonciers afférents à toutes les terres domaniales provinciales, y compris celles qui étaient transférées au Canada à des fins de réserve. Cette politique se retrouvait dans les dispositions pertinentes des versions successives de la Land Act de la Colombie-Britannique. Son existence a aussi été confirmée par les actes posés par la Colombie-Britannique lors des transferts de terres domaniales provinciales effectués tant avant qu’après la transaction en cause, comme la preuve le démontre. Cela ne pourrait être plus clair.

[123]  Je conviens également avec l’intimée que rien ne prouve que la Colombie-Britannique et le Canada ont discuté de l’acquisition des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Rien n’indique que la Colombie-Britannique a fait de fausses déclarations. Il ne semble pas non plus que la Colombie-Britannique se soit écartée de sa politique législative consistant à réserver les droits tréfonciers dans le cadre de la présente transaction. Il n’est pas allégué que la Colombie-Britannique a fait quelque chose de mal ou qu’elle a commis une erreur.

[124]  Cela dit, compte tenu des conflits qui opposaient régulièrement le Canada et la Colombie-Britannique au sujet de la création de réserves et des intérêts provinciaux, il est curieux que le Canada n’ait pas connu la politique ou n’ait pas pris conscience de son existence à mesure que se déroulait la transaction. Comme l’ont fait remarquer les revendicatrices, le Canada a eu plusieurs occasions de le faire. Il ressort clairement des faits énoncés dans l’exposé conjoint et des documents à l’appui que le Canada n’a pas examiné le titre afférent aux réserves de remplacement et n’a pas compris l’effet du formulaire nº 11. Il n’a pas non plus remarqué le libellé du décret pris par la Colombie-Britannique qui approuvait le transfert à certaines conditions. Le Canada a expressément reconnu avoir commis une erreur (voir paragraphe 34 ci-dessus).

[125]  Selon les deux opinions exprimées par la Cour suprême du Canada, le Canada avait une politique de longue date qui consistait à réserver les droits tréfonciers afférents à ses terres, y compris les réserves. Comme la juge McLachlin l’a indiqué (Blueberry, au para 71), les droits de superficie et les droits tréfonciers sont des parties dissociables de l’ensemble d’un bien fonds. Le Canada le savait et avait une expérience considérable en la matière, comme l’existence et l’historique de sa propre politique l’indiquent, et comme les cessions des droits de superficie et des droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney effectuées en 1940 et en 1945 le démontrent également. La preuve établit aussi que l’erreur commise par le Canada allait au-delà de son omission d’examiner le titre. Le Canada croyait vraiment qu’il avait acquis les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement parce qu’il avait demandé à la bande de lui céder ces droits, ce que la bande avait accepté, qu’il avait ensuite loué ces droits, accepté le paiement et délivré un permis d’exploration. Le Canada a admis que cela faisait partie de son erreur (voir paragraphe 34 ci-dessus).

[126]  Il ressort également que les revendicatrices ne comprenaient pas les nuances juridiques des différents types de droits fonciers. Dans l’arrêt Blueberry, la Cour suprême du Canada a reconnu que la bande ne comprenait pas les subtilités juridiques associées à la divisibilité des droits de superficie et des droits tréfonciers et qu’elle n’était probablement pas en mesure de comprendre ce concept juridique. Comme je l’ai indiqué, le juge Gonthier a tiré cette conclusion (voir paragraphe 80 ci-dessus) à la lumière de l’intention qu’avait la bande lorsqu’elle a procédé à la cession de 1945. La juge McLachlin a accepté cette conclusion (voir paragraphe 65 ci-dessus) dans le cadre de l’analyse de l’obligation de fiduciaire qu’avait la Couronne relativement aux droits de superficie afférents à la réserve de Montney. En tirant cette conclusion, la cour ne se prononçait pas sur le sens des affaires de la bande, mais reconnaissait plutôt que les concepts du droit canadien de la propriété étaient inconnus de la collectivité, sans oublier qu’ils n’avaient pas été soulevés à l’assemblée de la cession.

[127]  La juge McLachlin a aussi reconnu qu’il n’avait pas du tout été question des droits miniers à l’assemblée de la cession. Cette conclusion générale s’applique sans distinction à la réserve de Montney et aux terres de remplacement. Il est impossible que la bande n’ait pas compris la distinction entre les droits de superficie et les droits tréfonciers lorsqu’elle a formé l’intention de céder les droits de superficie afférents à la réserve de Montney, sans qu’il en aille de même pour ce qui est des réserves de remplacement. L’acte de cession et les décrets connexes n’indiquent pas que les parties s’attendaient à ce que la cession de la réserve de Montney soit conditionnelle à l’acquisition de terres mieux situées et à une somme d’argent. Les deux parties ont cependant reconnu que tel était le cas, de sorte que ce point n’est pas en litige en l’espèce. Rien n’indique que la distinction entre les droits de superficie et les droits tréfonciers a été expliquée à la bande avant l’acquisition des réserves de remplacement ou que le MAI s’est intéressé à la question lors de la transaction.

[128]  Je conviens avec l’intimée que le Canada n’avait aucun contrôle sur l’acquisition des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement et qu’il n’existe aucune preuve qu’il aurait pu convaincre la province de lui transférer ces droits. Cependant, vu son expérience et les conflits ayant entouré la création des réserves en Colombie-Britannique, le Canada aurait dû être attentif à la nature du titre lorsqu’il a conclu la transaction. Indépendamment de ces circonstances, le Canada aurait dû examiner le titre puisqu’il s’agissait d’une pratique courante dans les transferts de biens immobiliers, même en 1950.

[129]  L’intimée soutient toutefois que l’erreur commise par la Couronne (qu’elle ne reconnaît pas par ailleurs) avait peu d’importance parce que l’objet même de la transaction n’était pas d’acquérir les droits tréfonciers. Pour cette raison, la question n’était donc pas pertinente. L’intimée affirme qu’elle ne devrait pas avoir une obligation de fiduciaire à l’égard de quelque chose qui ne devait pas faire partie de la transaction et qu’elle ne pouvait de toute façon ni contrôler ni acquérir. Qui plus est, le fait que le Canada ait pu croire, à tort, qu’il avait acquis les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement ne crée aucune obligation de fiduciaire ni aucune attente en ce sens. Je ne suis pas en désaccord avec l’intimée quant à cette dernière affirmation.

3.  Portée de l’obligation de fiduciaire : positions des parties et des éléments de preuve

[130]  Selon l’intimée, la bande et le Canada n’avaient pas convenu que le Canada allait obtenir les droits tréfonciers afférents aux terres de remplacement ou que ces droits allaient être inclus dans la transaction.

[131]  Comme je l’ai déjà souligné, il n’a pas du tout été question des droits miniers, que ce soit à l’égard de la réserve de Montney ou des réserves de remplacement. Le juge Smith (dans le cadre de la procédure interlocutoire) a accepté cette conclusion tirée par le juge Addy (dans Apsassin) et a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une remarque incidente. Je suis d’accord, bien que la Cour suprême du Canada ait tiré la même conclusion en constatant qu’il n’avait pas été question des droits tréfonciers entre le Canada et la bande au moment de la cession.

a)  Objet des réserves de remplacement

[132]  L’intimée soutient avec vigueur que l’acquisition des réserves de remplacement, et du coup l’entente entre le Canada et la bande sur laquelle elle reposait, était fondée sur l’emplacement desdites réserves. Je conviens que l’emplacement était un élément fondamental, mais j’ajouterais que la raison qui justifiait la recherche d’un nouvel emplacement était au cœur de l’affaire. Dans l’arrêt Blueberry, la Cour suprême du Canada a reconnu que la bande avait compris que la vente de la réserve de Montney rapporterait les fonds, comme le dit le juge Gonthier (au para 9), « nécessaires à l’achat, par la bande, d’autres terres visant à lui servir de réserve et convenant mieux à ses activités traditionnelles de chasse et de cueillette » ou, comme le dit la juge McLachlin (au para 39), des terres « qui conviendraient mieux à son mode de vie fondé sur le piégeage et la chasse ». 

[133]  L’intimée soutient que, suivant les conditions de la cession de la réserve de Montney, le Canada devait :

[Traduction]

1)  vendre ou louer les terres suivant des conditions qui, selon le Canada, assureraient le mieux le bien-être de la bande;

2)   déposer, de la façon habituelle, le produit de la cession au compte de la bande;

3)  acquérir, avec le produit de la cession, de nouvelles réserves sur lesquelles la bande pourrait construire des habitations, cultiver des jardins et faire pousser du foin pour nourrir ses chevaux pendant l’hiver. [observations écrites de l’intimée, au para 131]

[134]  Il ressort à l’évidence des documents produits que le piégeage était un aspect important de la vie de la bande dans la région où elle habitait. Par exemple, il était question de ses sentiers de piégeage et de la nécessité d’en augmenter le nombre aux onglets 42, 45 et 51 du CCD. L’importance du piégeage pour la survie de la bande y était aussi exposée, et il y était avancé que la bande avait besoin d’un plus grand territoire pour ses sentiers de piégeage. On y laissait aussi entendre qu’on procèderait au repeuplement des castors et rétablirait l’espèce afin que le territoire redevienne aussi productif qu’il l’avait été pour la Compagnie de la Baie d’Hudson.

[135]  La compréhension qu’avaient les parties de l’objet des réserves de remplacement est démontrée à maintes reprises dans les communications échangées avant et pendant la transaction, comme en témoignent les extraits suivants :

[Traduction]

(a)  Agent des Indiens Brown à la division des Affaires indiennes, le 21 juillet 1944 : À l’assemblée sur le traité qui a été tenue ici le 19 de ce mois, j’ai discuté de la question de la vente de la réserve avec les Indiens de la bande de Fort St. John; ils se sont tous engagés à consentir à une vente en espèces en faveur du gouvernement, dont le produit leur rapporterait un intérêt annuel de 50 $ [...] Ils ont proposé qu’en plus de leur verser une somme en espèces pour la vente de la réserve, on leur cède une autre parcelle de terre, pas nécessairement à des fins agricoles, mais pour qu’ils puissent avoir un « intérêt » foncier dans un territoire qu’ils pourraient considérer comme leur « patrie ». [CCD, à l’onglet 42)

(b)  Agent des Indiens Grew au surintendant des réserves et fiducies, le 8 août 1945 : Le chef, les conseillers et les autres membres de la bande ont tous dit qu’ils étaient prêts à céder les terres à des fins de vente ou de location à condition qu’on leur fournisse d’autres terres sur lesquelles ils pourraient construire des habitations, cultiver des jardins et faire pousser du foin pour nourrir leurs chevaux pendant l’hiver [...] Ces terres sont situées près de leurs sentiers de piégeage enregistrés et de l’endroit où ils passent une majeure partie de l’été. Ils ont presque tous une habitation à cet endroit et certains d’entre eux y font du jardinage. Ils disent pouvoir y faire pousser suffisamment de foin pour nourrir leurs chevaux pendant l’hiver et qu’il y a aussi suffisamment de pâturages d’été. [CCD, à l’onglet 43]

(c)  Directeur par intérim de la division des Affaires indiennes à E.J. Paling, secrétaire, Légion canadienne, division de Fort St. John, le 5 octobre 1945 : Nous venons juste d’obtenir la cession des droits des Indiens sur cette terre, à condition toutefois que nous réussissions à convaincre la province de la Colombie-Britannique de leur donner d’autres terres à des endroits choisis par la bande de Fort St. John (Beaver) et bien situés par rapport à leurs sentiers de piégeage traditionnels. [CCD, à l’onglet 51]

[136]  Je conclus que la bande a toujours clairement indiqué qu’il était important d’obtenir des terres ainsi que de l’argent, et pourquoi il l’était. Le Canada a aussi clairement compris les besoins de la bande et s’est engagé à y répondre.

b)  Compréhension des revendicatrices

[137]  Les revendicatrices font valoir que le Canada et la bande avaient convenu que les réserves de remplacement devaient inclure les droits de superficie et les droits tréfonciers, notamment parce que les droits tréfonciers étaient expressément inclus dans la définition de «réserve » à l’alinéa 2h) de la Loi des Indiens, qui était en vigueur au moment de la cession : 

« réserve » signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l’usage ou le profit d’une bande particulière d’Indiens ou concédée à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, et qui fait encore partie de la réserve et n’a pas été rétrocédée à la Couronne, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l’intérieur du sol;

[138]  Les revendicatrices soutiennent également que, dans l’arrêt Blueberry (aux paras 9 et 10), le juge Gonthier a conclu que l’intention de la bande, au moment où elle a cédé la réserve de Montney, répondait à la définition susmentionnée de « réserve » :

La bande comprenait, d’une part, qu’en acceptant la cession de 1945 elle transférerait à la Couronne, en fiducie, tous les droits qu’elle avait dans la R.I. 172, et, d’autre part, que la Couronne vendrait ou louerait ces droits au profit de la bande. La vente ou la location de la R.I. 172 par la Couronne rapporterait les fonds nécessaires à l’achat, par la bande, d’autres terres visant à lui servir de réserve et convenant mieux à ses activités traditionnelles de chasse et de cueillette. La bande ne s’attendait pas à détenir des droits sur la R.I. 172 une fois la cession de 1945 complétée, et ce n’était pas non plus son intention. Cette décision était tout à fait justifiée, comme le signale ma collègue le juge McLachlin, puisque la R.I. 172 n’avait pratiquement aucune utilité pour la bande à l’époque.

  L’intention de la bande ressort des termes mêmes de l’acte de cession de 1945, que le chef Succona, Joseph Apsassin et deux conseillers ont signé au nom de la bande. Ce document indique que la bande a [Traduction] « cédé au Roi, [son] maître souverain, ainsi qu’à ses héritiers et successeurs, tous les biens-fonds et bâtiments ... dont la réserve indienne 172 de St. John est composée, et y a renoncé, pour toujours ». Comme cet acte portait cession de certaines terres formant une « réserve », il est raisonnable de conclure que l’on désirait, dans l’acte de cession, utiliser le mot « réserve » suivant le sens que lui donne la Loi des Indiens. Comme je l’ai fait remarquer précédemment, aux termes de la définition figurant à l’al. 2h) de la Loi, le mot « réserve » s’entend d’une étendue de terre qui n’a pas été rétrocédée et comprend les « minéraux [...] qui se trouvent à la surface ou à l’intérieur du sol ». En conséquence, la cession de 1945 incluait l’étendue de terre formant la R.I. 172, les minéraux s’y trouvant ainsi que le droit d’exploiter ces minéraux. Pour ce motif, je ne peux, avec égards, souscrire à l’affirmation du juge McLachlin que l’acte de cession était silencieux en ce qui concerne les droits miniers. [italiques ajoutés]

[139]  Les revendicatrices soutiennent que, puisque la bande pensait que la cession de la réserve (c.-à-d. la réserve de Montney) incluait « les minéraux s’y trouvant ainsi que le droit d’exploiter ces minéraux » et que telle était son intention, les parties devaient également s’attendre à ce que les réserves de remplacement incluent les minéraux, à moins qu’ils ne soient expressément exclus. Les revendicatrices renforcent cet argument en affirmant que tout transfert de terres publiques est présumé inclure les droits tréfonciers (à l’exception des métaux précieux), à moins qu’ils ne soient expressément exclus. Les droits tréfonciers n’ont fait l’objet d’aucune discussion à l’assemblée de la cession et rien n’indique qu’il a été question de les exclure du transfert prévu ou qu’il a été convenu qu’ils seraient exclus. Par conséquent, suivant les présomptions légales applicables, les parties s’attendaient à ce que le transfert des terres de remplacement inclue les droits tréfonciers. Les revendicatrices affirment que cette interprétation est également étayée par la conduite du Canada après la cession puisqu’il a obtenu les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement et qu’il les a loués à Halfway.

[140]  Il va sans dire que l’intimée n’est pas du même avis. Soulignant que le terme « réserve » était souvent utilisé dans la correspondance échangée dans le cadre des négociations et le transfert de la réserve de Montney (p. ex. CCD à l’onglet 63), l’intimée soutient que l’on ne saurait supposer que chaque fois que ce terme a été utilisé par les parties lors de la transaction, il l’a été au sens technique que lui attribuait la Loi des Indiens. L’intimée affirme que ce terme désignait simplement l’emplacement géographique, c.-à-d. la RI 172 ou la réserve de Montney. En outre, il serait difficile de présumer que les membres de la bande donnaient au mot « réserve » le sens que lui conférait la Loi des Indiens dans leurs communications au sujet de la réserve de Montney ou des terres de remplacement. La Couronne a aussi mis en question l’alphabétisme des membres de la bande ainsi que leur maîtrise de l’anglais.

[141]  Je ne suis pas convaincu que les représentants du Canada qui ont participé aux négociations et aux transactions subséquentes avaient en tête la définition de « réserve » de la Loi des Indiens de sorte que cette définition était celle qui s’appliquait par défaut chaque fois que le mot était utilisé. On ne peut supposer une telle chose sans preuve convaincante à l’appui. Je conviens avec l’intimée qu’il était vraisemblablement plus pratique de recourir à ce mot dans les communications écrites et orales pour décrire une parcelle de terre ou un emplacement que de recourir à la définition prévue par la Loi des Indiens. Pour ce qui est des membres de la bande, je ne crois pas qu’ils étaient au courant de la définition prévue par la loi. Pourquoi l’auraient-ils été dans les circonstances? La thèse des revendicatrices est simplement trop hypothétique.

[142]  Je ne crois pas que cette conclusion soit incompatible avec la déclaration du juge Gonthier précitée. Dans ce passage, le juge Gonthier faisait référence à l’acte de cession relatif à la réserve de Montney, où les droits de superficie et les droits tréfonciers étaient inclus puisque la réserve avait été créée à même les terres domaniales. Si, comme l’a conclu le juge Gonthier, les parties entendaient que tous les droits afférents à la réserve soient cédés, et notamment que la bande ne s’attendait pas à avoir le droit d’utiliser la réserve dans le futur, les droits de superficie et les droits tréfonciers seraient alors nécessairement visés par la cession. Compte tenu du caractère juridique officiel des documents et des procédures, il faut à tout le moins présumer que le Canada connaissait la définition et les conséquences juridiques d’une cession de l’ensemble des droits afférents à la réserve, qu’il les ait eues à l’esprit ou non. Cependant, ce n’était pas la même chose pour les réserves de remplacement. On ne peut présumer que toutes les terres acquises à titre de réserves au profit des Premières Nations incluent nécessairement les droits tréfonciers, surtout si ces droits sont divisibles. La preuve démontre clairement que d’autres réserves ont été créées dans la même région à peu près à la même époque et qu’elles ne comprenaient pas les droits tréfonciers. Or, il n’y aurait rien de répréhensible à ce qu’une bande ait acquis seulement les droits de superficie ou seulement les droits tréfonciers, si telle était son intention.

4.  Conclusions de droit

a)  Existence des obligations de fiduciaire et manquement aux obligations

[143]  En ce qui concerne les composantes essentielles de l’obligation de fiduciaire de la Couronne dans ses rapports avec les Premières Nations, l’intimée a exposé sa position de façon succincte, au paragraphe 98 de ses observations écrites finales :

[Traduction]

Dans le contexte de la relation entre la Couronne et les Autochtones, une obligation de fiduciaire prend naissance quand la Couronne administre, comme s’il s’agissait d’une fiducie, les terres ou les biens sur lesquels les Autochtones ont un intérêt collectif. L’obligation prend naissance :

(1) s’il existe un intérêt autochtone particulier ou identifiable; 

(2) si la Couronne exerce ou assume un pouvoir discrétionnaire à l’égard de cet intérêt. [notes omises]

[144]  Le fondement de cet argument se trouve dans l’arrêt Wewaykum. Il convient d’examiner de nouveau les principes qui y sont énoncés par le juge Binnie.

[145]  Premièrement, le juge Binnie a fait remarquer que l’obligation de fiduciaire de la Couronne ne découle pas simplement de son rapport avec les Autochtones. Cette obligation est plus précise :

[...] Les appelantes semblent parfois invoquer cette obligation comme si elle imposait à la Couronne une responsabilité totale à l’égard de tous les aspects des rapports entre la Couronne et les bandes indiennes. C’est aller trop loin. L’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers des Indiens. En l’espèce, ce sont des terres qui sont en jeu, et les terres jouent généralement un rôle central dans les économies et cultures autochtones [...] [Wewaykum, au para 81]

[146]  La vulnérabilité de la Première Nation alors que la Couronne exerce un contrôle discrétionnaire sur ses droits est un aspect important de l’obligation de fiduciaire :

L’aspect positif de l’établissement de ces rapports sui generis fut, historiquement, la protection des intérêts des peuples autochtones (qu’il suffise de rappeler, par exemple, le passage de la Proclamation royale de 1763, L.R.C. 1985, App. II, nº 1, précisant « qu’il s’est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages »), mais l’étendue de l’autorité et des pouvoirs discrétionnaires assumés par la Couronne à l’égard des populations autochtones sur les plans économique, social et foncier a également eu pour effet d’exposer ces populations aux risques de faute et d’ineptie de la part de la Couronne. L’importance de cette autorité et de ces pouvoirs en tant qu’ingrédients fondamentaux de relations fiduciaires a été soulignée par le professeur E. J. Weinrib dans la phrase suivante, citée dans l’arrêt Guerin, précité, p. 384 : [Traduction] « la marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre ». Voir aussi : Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, le juge Sopinka, p. 599-600; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, le juge La Forest, p. 406; Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, madame le juge Wilson, dissidente, p. 135-136. L’obligation de préserver [Traduction] « l’honneur de l’État » est liée d’une certaine façon aux normes éthiques que doit respecter un fiduciaire dans le contexte des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones : R. c. Taylor (1981), 34 O.R. (2d) 360 (C.A.), le juge en chef adjoint MacKinnon, p. 367, autorisation d’appeler refusée, [1981] 2 R.C.S. xi; Van der Peet, précité, le juge en chef Lamer, par. 24; Marshall, précité, par. 49-51. [italiques dans l’original; Wewaykum, au para 80]

[147]  Ce ne sont pas toutes les obligations qui lient la Couronne et une Première Nation qui donnent naissance à une obligation de fiduciaire. Cela dépend de la nature de l’obligation, du droit en cause et de la question de savoir si la Couronne exerçait un pouvoir discrétionnaire sur ce droit :

[...] mais il convient selon moi que la Cour confirme le principe, mentionné plus tôt, selon lequel les obligations liant les parties ayant des rapports fiduciaires n’ont pas toutes un caractère fiduciaire (Lac Minerals, précité, p. 597), et que ce principe s’applique aux rapports entre la Couronne et les peuples autochtones. Par conséquent, il est nécessaire de s’attacher à l’obligation ou droit particulier qui est l’objet du différend et de se demander si la Couronne exerçait ou non à cet égard un pouvoir discrétionnaire suffisant pour faire naître une obligation de fiduciaire. [Wewaykum, au para 83]

[148]  Le fait qu’une réserve ait été créée est un facteur important en ce qui concerne la portée de l’obligation de fiduciaire :

Après la création de la réserve, la portée de l’obligation de fiduciaire de la Couronne s’élargit et vise la préservation de l’intérêt quasi propriétal de la bande dans la réserve et la protection de la bande contre l’exploitation à cet égard. [Wewaykum, au para 86(3)]

[149]  Le juge Binnie a ensuite résumé la double exigence du droit identifiable et du pouvoir discrétionnaire :

Je ne prétends pas que l’existence d’une obligation de droit public exclut nécessairement la création de rapports fiduciaires. Toutefois, pour que naissent de tels rapports, il faut qu’il existe un droit indien identifiable et que la Couronne exerce, à l’égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité « de la nature d’une obligation de droit privé », comme nous le verrons plus loin. [Wewaykum, au para 85]

[150]  Pour déterminer si, compte tenu des faits, la Couronne avait une obligation de fiduciaire à l’égard des bandes, le juge Binnie a cité quelques cas où la Couronne avait omis d’exécuter le mandat que la bande lui avait confié relativement à l’aliénation d’un droit existant. Il a qualifié le fiduciaire qui n’exécute pas son mandat de « fiduciaire déloyal ». De toute évidence, le fiduciaire déloyal manquerait à son obligation (Wewaykum, au para 91). La juge en chef McLachlin et la juge Karakatsanis ont aussi fait observer que la Couronne est liée lorsqu’elle s’engage à faire quelque chose pour la bande même lorsqu’il n’est pas question de terres (Manitoba Métis, au para 50).

[151]  L’intimée se fonde aussi sur les principes énoncés dans l’arrêt Galambos c Perez, 2009 CSC 48, [2009] 3 RCS 247 Galambos »]. Dans cette affaire, Mme Perez, aide-comptable et chef de bureau d’un cabinet d’avocats fondé par M. Galambos, avait volontairement (et de sa propre initiative) fait des avances de fonds – totalisant 200 000 $ – au cabinet, et ce, souvent sans en informer préalablement M. Galambos. Quand ce dernier a découvert l’existence de l’une de ces avances, il a donné instruction à Mme Perez de se rembourser avec intérêts, ce qu’elle n’a pas fait. Le cabinet s’était chargé, pour Mme Perez, de la préparation de deux testaments et de deux hypothèques, et ce, sans frais. Le cabinet a fait faillite et Mme Perez est devenue créancière non garantie. Mme Perez a alors poursuivi M. Galambos, avec l’autorisation du Tribunal de la faillite, pour rupture de contrat, négligence et manquement à une obligation de fiduciaire. Elle espérait pouvoir être indemnisée par l’assurance responsabilité professionnelle de M. Galambos. Le juge de première instance a rejeté l’action de Mme Perez. Toutefois, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a infirmé cette décision, concluant que M. Galambos avait manqué à ses obligations de fiduciaire à l’égard de Mme Perez. La Cour suprême du Canada a infirmé la décision de la Cour d’appel et a rétabli la décision du juge de première instance. Les déclarations suivantes de la Cour suprême sont pertinentes :

Il est essentiel à l’existence d’une obligation fiduciale que le fiducial ait été investi du pouvoir discrétionnaire de poser des actes ayant des incidences sur les intérêts juridiques et pratiques de l’autre partie. Dans Guerin, le juge Dickson dit de ce pouvoir discrétionnaire qu’il constitue « la marque distinctive de tout rapport fiduciaire » (p. 387)

[...]

Ce pouvoir discrétionnaire de poser des actes susceptibles d’avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire peut, selon les circonstances, être défini assez largement. Il peut découler du pouvoir accordé par une loi, d’une entente, peut-être d’un engagement unilatéral ou, dans des situations particulières telles celles découlant de relations consultatives professionnelles du type dont il est question dans Hodgkinson, du bénéficiaire, qui confie au fiducial des renseignements ou sollicite son avis dans des circonstances qui lui confèrent un pouvoir : voir, à titre d’exemple, Lac Minerals et Hodgkinson. Certes la question de savoir ce qui est suffisant pour attribuer un pouvoir au fiducial peut être sujet de controverse dans certaines situations, mais tel n’est pas le cas quant à la nécessité que le fiducial soit investi d’un tel pouvoir. Son existence ne suffira peut-être pas, à elle seule, à justifier l’existence d’une obligation fiduciale ad hoc; son absence, en revanche, fera obstacle à l’existence d’une telle obligation. [italiques ajoutés; Galambos, aux paras 83-84]

[152]  Selon l’intimée, comme la Colombie-Britannique appliquait une politique uniforme qui consistait à réserver les droits tréfonciers afférents aux terres domaniales provinciales transférées, notamment à des fins de création de réserves, le Canada ne pouvait disposer d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard de ces droits. À l’appui de cet argument, la Couronne a passé en revue l’historique des discussions et ententes intervenues entre elle et la province au sujet de leurs obligations respectives en matière de création de réserves, lesquelles ont mené au régime législatif provincial déjà mentionné. La Couronne fédérale ne pouvait acquérir de la province les droits tréfonciers.

[153]  L’intimée soutient également que la bande n’avait peut-être pas d’intérêt identifiable sur les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. La bande pouvait seulement avoir un intérêt identifiable à l’égard des droits de superficie, qu’elle a obtenu au moment où les réserves ont été mises de côté après avoir été acquises de la province. Quoi qu’il en soit, le Canada ne s’est jamais engagé à acquérir les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement et rien n’indique que la bande ait été intéressée par ces droits ou ait tenté de les exercer. C’est pourquoi l’intimée affirme qu’il n’existait aucune obligation de fiduciaire relativement aux droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement et qu’il ne peut donc pas y avoir manquement à une telle obligation de fiduciaire.

[154]  Bien que ce soit un argument intéressant, je ne suis pas d’accord. À mon avis, la bande avait un intérêt identifiable à l’égard de la réserve de Montney. Ce n’était pas une affaire de création de réserves. La réserve avait déjà été créée; la bande avait donc un intérêt quasi propriétal existant dans les terres. La bande a cédé la réserve de Montney à la condition que la Couronne obtienne des terres de remplacement qui répondraient à ses besoins, dont de l’argent. Dès lors que la Couronne a accepté d’exercer un pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’intérêt identifiable de la bande, soit la réserve de Montney, de même que les conditions sous-jacentes à la cession, elle avait l’obligation de respecter ces conditions en tant que fiduciaire. Après avoir cédé la réserve (et une fois la cession acceptée par la Couronne), la bande était en situation de vulnérabilité par rapport à la Couronne et elle était à la merci de celle-ci. La Couronne s’était engagée à agir au nom de la bande, et de personne d’autre. Elle était dans une position susceptible d’avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques de la bande, et elle était la seule partie ou entité à se trouver dans une telle position. La Couronne ne pouvait pas aliéner la réserve de Montney sans tenir compte des conditions sous-jacentes, y compris l’objectif visé par l’acquisition des terres de remplacement.

[155]  Si la Couronne n’exécutait pas son mandat, elle devenait un « fiduciaire déloyal » (Wewaykum, au para 91). Dans la mesure où il lui était impossible de respecter les conditions de ce mandat, la Couronne devait en informer les bandes, leur présenter les solutions possibles, obtenir des directives et agir dans leur intérêt (voir paragraphes 99 à 102 ci-dessus). Elle ne pouvait pas faire abstraction de l’objectif visé par l’acquisition des réserves de remplacement, qui faisait partie de l’obligation de fiduciaire qui a pris naissance lorsqu’elle a accepté d’exercer un pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’intérêt identifiable de la bande (c.-à-d. la réserve de Montney). Il s’agit donc de savoir si la Couronne a respecté ses engagements quant à l’intérêt identifiable de la bande, et si ce faisant, elle a agi dans l’intérêt de la bande et a, de par ses agissements, produit les effets escomptés sur les intérêts juridiques ou pratiques de la bande.

[156]  La réponse à cette question se trouve dans l’intention des parties, et surtout dans l’intention de la bande. Il se dégage de l’opinion majoritaire dans l’arrêt Blueberry qu’il convient de s’en remettre à la compréhension et à l’intention des bandes pour analyser les rapports entre la Couronne et la bande, plutôt que de procéder à une analyse juridique prenant appui sur des principes techniques (voir paragraphe 77 ci-dessus). Cette approche est aussi conforme aux principes de l’equity, qui visent à ce que justice soit faite là où les principes de common law pourraient mener à un résultat injuste et contraire à l’intention sous-jacente ou à la compréhension qu’avaient les parties au cours des événements donnés.

[157]  En l’espèce, la bande voulait des terres adaptées à ses activités traditionnelles de chasse et de piégeage. L’agriculture était une activité étrangère à son mode de vie, ce qui expliquait pourquoi les membres de la bande n’utilisaient pas les terres agricoles de qualité qui avaient été mises de côté pour eux dans la réserve de Montney. Ils avaient plutôt construit des habitations dans une région plus éloignée. Ils avaient aussi besoin de foin pour nourrir les chevaux, qui étaient leur principal moyen de transport lorsqu’ils pratiquaient la chasse et le piégeage. Pour ce faire, ils avaient donc besoin de quelques champs ouverts. En résumé, ils voulaient vivre conformément aux normes, croyances et pratiques traditionnelles qui faisaient partie de leur mode de vie depuis des temps immémoriaux. La bande voulait aussi de l’argent dont elle pourrait tirer des revenus et réduire ainsi la pauvreté de ses membres. Tout cela est bien établi dans la preuve documentaire examinée précédemment (voir paragraphes 126 et 127 ci-dessus). Je ne crois pas que l’intimée soit en désaccord. Je suis convaincu que la Couronne comprenait bien les intérêts de la bande à l’époque. La preuve documentaire regorge de références aux exigences fixées par la bande dans le cadre de la transaction. Le Canada a fait de gros efforts pour trouver des terres de remplacement disponibles près de l’endroit où les membres de la bande s’étaient établis. Il a aussi demandé l’aide de la bande pour choisir ces terres.

[158]  Le problème tient toutefois à l’« inadvertance » de la Couronne, comme il a été déterminé par la Cour suprême du Canada. Je conclus que, si le Canada avait fait attention à la qualité du titre afférent aux réserves de remplacement proposées, il se serait peut-être demandé si ce titre respectait bel et bien l’intention de la bande. Cela est particulièrement vrai si le Canada avait informé la bande que la province s’était réservé les droits tréfonciers et s’il l’avait consultée. J’estime que la Couronne a fait preuve d’inadvertance dans l’exécution de ses obligations de fiduciaire tant dans la cession et l’aliénation de la réserve de Montney que dans l’acquisition des réserves de remplacement, ce qui a donc entraîné d’autres manquements.

[159]  Une personne normalement prudente aurait examiné le titre afférent au bien immobilier qu’elle acquérait pour en contrôler la qualité et s’assurer qu’il répondait à ses besoins. Le Canada avait beaucoup d’expérience dans l’aliénation et l’acquisition de terres, y compris de terres de réserve. Il aurait dû connaître et prendre cette simple précaution. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada, les membres de la bande ne comprenaient la nature précise de l’intérêt juridique afférent à la réserve de Montney qu’ils cédaient. Il s’ensuit donc logiquement qu’ils ne savaient pas non plus quel intérêt juridique ils acquéraient dans les réserves de remplacement. En raison de son manque de connaissance du droit canadien sur la transmission des biens et de la pratique en cette matière, la bande était vulnérable à de telles opérations.

[160]  L’inadvertance de la Couronne n’aurait peut-être eu aucune conséquence si l’intention de la bande avait été respectée. Malheureusement, j’estime que ce ne fut pas le cas.

[161]  Le problème réside dans le fait que la Couronne provinciale a conservé les droits tréfonciers, y compris un accès étendu à ces droits, comme il en a été question aux paragraphes 117, 118 et 119 ci-dessus. En ce qui concerne les réserves de remplacement, la bande a reçu 6 194 acres répartis dans trois réserves distinctes. Cela représentait 34 % des 18 168 acres cédés dans la réserve de Montney. Le Canada a délibérément cherché à réduire au maximum la superficie des terres de remplacement mises de côté afin que le produit de la vente porté au crédit de la bande dans son compte en fiducie soit le plus élevé possible. Je suis convaincu que cette décision du Canada était fondée sur le désir et le besoin de la bande d’avoir des fonds dont elle tirerait un revenu. Je ne doute pas que la bande ait été satisfaite de cette partie de l’entente et que le territoire désigné comme réserve de remplacement (y compris la superficie) ait répondu, à première vue, aux besoins de la collectivité en matière de chasse, de piégeage, de culture du foin et de lieu de résidence.

[162]  Cependant, dans les faits, la bande était toujours vulnérable face au pouvoir discrétionnaire stratégique de la Couronne provinciale. La Colombie-Britannique pouvait à son gré utiliser les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement pour l’exploration de minéraux, y compris le pétrole et le gaz, ou assujettir leur utilisation à la délivrance d’un permis. Cela signifiait que d’autres personnes que les membres de la bande pouvaient pénétrer sur les réserves de remplacement et les utiliser à des fins d’exploration ou d’exploitation minière et de forage, et pouvaient utiliser l’eau et toute autre partie de la terre nécessaire à ces opérations. Elles pouvaient aussi prendre dans les réserves de remplacement les agrégats, le bois ou « autres matériaux » dont elles pourraient avoir besoin pour la construction, l’entretien ou la réparation de routes, traversiers, ponts et autres ouvrages publics. La province ou ses titulaires de permis pouvaient se déplacer sur les terres à la recherche de minéraux et y ériger des ouvrages, y compris des routes, des ponts ou tout autre moyen de transport visant à faciliter les opérations.

[163]  Rien de tout cela n’est conforme à la façon dont la bande utilisait la terre pour ses activités de piégeage, de chasse et de culture du foin, et tout ce qui touche à sa culture traditionnelle. Comment la bande aurait-elle pu chasser, piéger et cultiver le foin si des activités d’exploitation pétrolière ou autres avaient eu lieu sur les réserves, que ce soit à des fins d’exploration ou d’extraction minière, y compris le défrichement, la construction de routes et l’utilisation à cette fin des autres ressources des réserves de remplacement? Il faut se rappeler que les réserves de remplacement correspondaient à environ un tiers de la réserve de Montney et qu’elles incluaient les établissements de la bande. La bande disposait d’un territoire beaucoup plus petit, de sorte que les activités minières y seraient plus intrusives que dans un territoire plus grand.

[164]  La province, y compris ses titulaires de permis, n’avait pas à consulter la bande à propos de l’utilisation des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement, et elle n’avait pas à partager les profits ou autres avantages qui pouvaient découler des droits tréfonciers, même si elle devait indemniser la bande pour certains usages. À mon avis, comme la bande pouvait seulement utiliser les droits de superficie et tirer profit de ces droits, elle était complètement vulnérable aux perturbations ou entraves qui menaçaient l’usage qu’elle avait prévu faire des réserves de remplacement. Les droits de superficie ne lui auraient procuré que peu d’avantages si elle les avait exercés à des fins d’exploration ou d’extraction minière souterraine.

[165]  Si, à l’instar de la réserve de Montney, les réserves de remplacement avaient inclus les droits tréfonciers, la bande aurait pu les céder à des fins de location, comme elle l’avait d’ailleurs fait. Cependant, ce faisant, elle aurait pu imposer des limites ou des restrictions. Qui plus est, elle aurait bénéficié du produit d’une telle cession et, si elle avait jugé que la vie de la collectivité s’en trouvait perturbée, elle aurait demandé à la Couronne de mettre fin à la location ou de révoquer la cession. Rien de cela n’était possible étant donné que la Couronne provinciale s’était réservé les droits tréfonciers en plus de la jouissance et des privilèges étendus qui s’y rattachent.

[166]  Si j’examine les conséquences potentiellement désastreuses associées à la réserve des droits tréfonciers par la province, je conclus que la bande n’a pas atteint son objectif en acquérant les réserves de remplacement.

[167]  Le Canada aurait dû s’informer de l’existence et des conséquences de la réserve des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement par la Colombie-Britannique. Il aurait dû ensuite en informer la bande, lui expliquer ce que la réserve impliquait et tenir compte des désirs de la bande. Il n’est pas nécessaire de faire des conjectures sur ce que la bande aurait pu faire si elle avait été au courant. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’elle aurait dû être consultée afin de faire un choix éclairé. Je conclus donc que le fait que le Canada n’ait pas examiné la nature et la qualité du titre qu’il acquérait au nom de la bande constituait un manquement à son obligation de fiduciaire. Le fait que le Canada n’ait pas informé la bande de la nature et de la qualité de ce titre, qu’il n’ait pas expliqué les conséquences pratiques de la réserve des droits tréfonciers et qu’il n’ait pas consulté la bande sur ses désirs dans les circonstances constitue un autre manquement à son obligation de fiduciaire.

[168]  Qui plus est, après que le Canada eut découvert ce qui s’était produit et reconnu que la province était dans son droit, il n’a pas informé la bande de son « inadvertance ». Rien n’indique qu’il a informé ou consulté la bande de quelque façon que ce soit, ce que confirment le comportement de la bande et celui des bandes successeures. Je souligne la conclusion tirée par la juge McLachlin dans l’arrêt Blueberry (au para 29), selon laquelle un fonctionnaire du MAI, qui s’intéressait à la façon dont la bande avait perdu les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney, a porté la question à l’attention des revendicatrices et les a amenées à consulter un avocat, ce qui a donné lieu aux affaires Apsassin et Blueberry et à la présente revendication. Il ressort clairement de la conclusion de la juge McLachlin que c’est ainsi que les bandes ont découvert que les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney avaient été vendus. Je suis convaincu que cette divulgation a aussi amené les bandes à découvrir que la Colombie-Britannique avait réservé les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Ces deux révélations sont survenues environ 33 ans après le transfert et 25 ans après que le Canada eut découvert ce qui s’était produit. Ce n’est pas grâce aux efforts du Canada que les bandes ont été mises au courant de la véritable situation.

[169]  Le fait que l’intimée ait obtenu une cession des droits miniers afférents aux réserves de remplacement et qu’elle ait délivré un permis à Halfway relativement à ces droits vient aussi appuyer la conclusion selon laquelle le Canada croyait que les réserves de remplacement incluaient les droits de superficie et les droits tréfonciers. C’est ce que les lettres qu’il a échangées avec la Colombie-Britannique ont permis de confirmer, en plus du fait qu’il a admis avoir fait une grave erreur. La Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’aussitôt l’erreur ou le manquement découvert, le Canada avait l’obligation d’agir avec diligence et de corriger la situation.

[170]  Il ne fait aucun doute que les pouvoirs de réparation que la Loi sur les Indiens confère au Canada n’auraient pas pu s’appliquer à l’égard de la Couronne provinciale. Le Canada n’aurait pas pu annuler l’opération, comme la Cour suprême du Canada a conclu qu’il pouvait le faire dans l’arrêt Guerin. Or, je ne crois pas que cela dégageait le Canada de l’obligation d’essayer de corriger l’erreur. Je n’ai aucune idée des solutions dont il pouvait disposer. Le Canada aurait pu tenter de négocier une entente avec la Colombie-Britannique quant aux différentes façons dont la province aurait pu exercer les droits tréfonciers, dont un processus de consultation ou une entente de partage avec la bande. Il aurait pu vérifier si d’autres terres de la région étaient disponibles, des terres dont le titre aurait comporté les droits de superficie. Il aurait pu offrir à la bande une somme d’argent au lieu de droits de superficie. À ce stade-ci, il n’est pas nécessaire de faire des conjectures sur ce qui aurait pu se produire. Le fait est que le Canada n’a rien fait pour essayer de corriger la situation. Je conclus que cela constituait aussi un manquement à l’obligation de fiduciaire que le Canada avait à l’égard de la bande.

b)  Autres arguments de la Couronne

[171]  Indépendamment des questions de pouvoir discrétionnaire et d’intérêt autochtone identifiable, lesquelles ont déjà été abordées, l’intimée a soutenu que l’acquisition des réserves de remplacement n’était pas abusive. Selon elle, la bande a obtenu ces terres aux mêmes conditions que tout autre acquéreur potentiel (c.-à-d. sous réserve de la réserve des droits miniers). De plus, elle a obtenu les réserves de remplacement à la moitié du prix habituel parce que le ministre provincial a exercé le pouvoir discrétionnaire dont il disposait à cet égard. Ce faisant, la Couronne [Traduction] «assurait le bien-être de la bande », qui était pauvre et avait besoin de revenus, vue que le prix d’achat était déduit de son compte en fiducie. L’intimée a donc soutenu que la Couronne avait agi de façon appropriée.

[172]  Bien qu’il n’y ait aucune preuve relative à la juste valeur marchande des réserves de remplacement à l’époque, à cause de la politique prévue par la loi, il ne fait aucun doute que le prix fixé par la Colombie-Britannique tenait compte de la réserve des droits tréfonciers. Il ressort d’une lettre datée du 11 août 1945 (CCD à l’onglet 44), rédigée par le directeur de la division des Affaires indiennes à l’attention de M. Grew, qu’il existait un accord de longue date avec la Colombie-Britannique selon lequel le ministre exercerait son pouvoir discrétionnaire pour réduire le prix courant. L’accord constituait certainement un avantage pour les Premières Nations qui acquéraient des terres de réserve en Colombie-Britannique. Il a permis à la bande de réduire au minimum le prix qu’elle devait payer pour les réserves de remplacement et, par conséquent, de tirer le maximum du produit de la vente de la réserve de Montney, en tant que source de revenus. 

[173]  Le montant payé pour les droits de superficie afférents aux réserves de remplacement n’était peut-être pas abusif, mais cela ne règle pas la question. La bande était toujours vulnérable aux perturbations importantes qui menaçaient l’usage qu’elle prévoyait faire des réserves de remplacement à cause des droits tréfonciers que s’était réservé la Colombie-Britannique, et elle ne disposait d’aucun recours pour empêcher ou réglementer l’exercice des droits. J’estime que ce résultat était abusif et déraisonnable.

[174]  Par ailleurs, l’intimée soutient qu’elle n’a aucune responsabilité parce que les revendicatrices ont obtenu réparation lors du règlement définitif de l’affaire Blueberry. Cependant, je ne peux que conclure que les bandes ont obtenu réparation intégrale pour les manquements établis dans l’arrêt Blueberry. La Cour suprême du Canada a seulement traité de la perte des droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney. Elle n’a pas abordé la question de savoir si l’acquisition par le Canada des réserves de remplacement avait aussi entraîné des manquements à l’obligation de fiduciaire qu’il avait envers les bandes. Voilà la question dont est saisi le Tribunal en l’espèce. À cette étape de la procédure, il ne s’agit pas de savoir si les manquements établis ont donné lieu à une perte monétaire ouvrant droit à une indemnisation. La validité de la revendication ayant été établie, la question de l’indemnisation sera tranchée à la prochaine étape de la procédure. Les questions relatives à la perte seront, le cas échéant, tranchées en même temps.

VII.  conclusion

[175]  Pour toutes ces raisons, je conclus que l’intimée a manqué à son obligation de fiduciaire.

[176]  Après expiration du délai prescrit pour le contrôle judiciaire, le greffe fixera une conférence de gestion de l’instance visant à organiser l’audience relative à l’indemnisation.

W. L. WHALEN

L’honorable W.L. Whalen

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20151105

Dossier : SCT-7007-11

OTTAWA (ONTARIO), le 5 novembre 2015

En présence de l’honorable W.L. Whalen

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Revendicatrice

et

PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX:

Avocates de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Représentée par Allisun Rana et Emily Grier

Rana Law, avocates

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Représentée par James Tate, Ava G. Murphy et Michelle L. Bradley

Ratcliff & Company, s.r.l.

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Jonathan Sarin, Michael Mladen et Darlene Prosser

Ministère de la Justice

 

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