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DOSSIER : SCT-5001-13

RÉFÉRENCE : 2019 TRPC 3

DATE : 20190730

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE KAWACATOOSE, PREMIÈRE NATION DE PASQUA, PREMIÈRE NATION DE PIAPOT, PREMIÈRE NATION DE MUSCOWPETUNG, PREMIÈRE NATION DE GEORGE GORDON, PREMIÈRE NATION DE MUSKOWEKWAN ET PREMIÈRE NATION DE DAY STAR

Revendicatrices

 

Me David Knoll, pour les revendicatrices

– et –

 

 

PREMIÈRE NATION DE STAR BLANKET

Revendicatrice

 

Me Aaron B. Starr, Me Galen Richardson et Me Dusty Ernewein, pour la revendicatrice

– et –

 

 

PREMIÈRE NATION DE LITTLE BLACK BEAR

Revendicatrice

 

Me Ryan Lake, Me Aron Taylor et Me Aaron Christoff, pour la revendicatrice

– et –

 

 

PREMIÈRE NATION DAKOTA DE STANDING BUFFALO

Revendicatrice

 

Me Mervin C. Phillips et Me Leane Phillips, pour la revendicatrice

– et –

 

 

PREMIÈRE NATION DE PEEPEEKISIS

Revendicatrice

 

Me Michelle Brass et Me Tom Waller, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Me Lauri M. Miller et Me Donna Harris, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Du 20 au 23 juin 2016, les 24 et 25 juillet 2017 et du 10 au 12 octobre 2018

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable W. L. Whalen


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Conseil de la bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54, 2002 CarswellYukon 58 (WL Can); Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, 417 DLR (4th) 239; Lac La Ronge Indian Band c Canada, 2001 SKCA 109, 2001 CarswellSask 662 (WL Can); Canada (AG) c Anishnabe of Wauzhushk Onigum Band, [2004] 1 CNLR 35 (CA Ont.), 2003 CarswellOnt 4835 (WL Can); Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, 2001 CarswellBC 2703 (WL Can); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd, (Re) [1998] 1 RCS 27, 1998 CarswellOnt 1 (WL Can); Nowegijick c R, [1983] 1 RCS 29, à la p 36, 1983 CarswellNat 123 (WL Can); Mitchell c Bande indienne Peguis, [1990] 2 RCS 85, à la p 143, 1990 CarswellMan 209 (WL Can); R c Badger, [1996] 1 RCS 771, 1996 CarswellAlta 587 (WL Can); R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, 1999 CarswellNS 262 (WL Can); Manitoba Métis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14, 2013 CarswellMan 61 (WL Can); R c Taylor, [1981] 3 CNLR 114 (ONCA), 1981 CaswellOnt 641 (WL Can); Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 1997 CarswellBC 235; Mitchell c MRN, 2001 CSC 33, 2001 CarswellNat 873 (WL Can); Kwicksutaineuk/Ah-Kwa-Mish First Nation c British Columbia (Minister of Agriculture & Lands), 2010 BCSC 1699, 2010 CarswellBC 3315 (WL Can); Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 1; Canada (AG) c Anishnabe of Wauzhushk Onigum Band, [2003] 1 CNLR 6 (CSJ Ont.), 2002 CarswellOnt 3212 (WL Can), conf. [2004] 1 CNLR 35 (CA Ont.); Première Nation des Malécites de Madawaska c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2017 TRPC 5; R c Sundown, [1999] 1 RCS 393, 1999 CarswellSask 94 (WL Can).

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14 et 22

Loi des Sauvages, SRC 1906, c 81, art 49

Acte relatif aux Sauvages, SC 1884, c 27

Acte des Sauvages, SRC 1886, c 43

Sommaire :

Droit autochtone – Revendications particulières – Création de réserves – Intention de la Couronne – Point de vue des Autochtones – Histoire orale

La présente revendication découle de la cession de la réserve indienne Last Moutain 80A (RI 80A ou réserve Last Mountain) survenue en 1918. La réserve a d’abord été arpentée par John C. Nelson, puis sa création a été confirmée par le décret CP 1151 (décret CP 1151) daté du 17 mai 1889, dans lequel elle était décrite comme un [traduction] « poste de pêche à l’usage des sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». En 1918, la RI 80A aurait donc été cédée par les bandes de George Gordon, de Poorman (aujourd’hui connue sous le nom de Kawacatoose), de Day Star, de Muskowekwan, de Muscowpetung, de Pasqua et de Piapot (les Premières Nations sont aujourd’hui appelées le groupe de Kawacatoose). Selon la déclaration de revendication, le Canada a manqué à ses obligations légales lorsqu’il a procédé à la cession de la réserve Last Mountain en 1918.

Quatre autres Premières Nations ont affirmé être bénéficiaires de la RI 80A aux termes du décret CP 1151 : les Premières Nations de Little Black Bear, de Star Blanket et de Peepeekisis (collectivement les bandes de File Hills), ainsi que la Première Nation dakota de Standing Buffalo. Elles ont toutes été ajoutées à titre de revendicatrices (les revendicatrices additionnelles) afin de déterminer plus facilement quelles Premières Nations devaient bénéficier de la réserve Last Mountain créée par le décret CP 1151 en 1889. Les présents motifs ne portent que sur cette question.

La présente sous-étape du bien‑fondé de la revendication porte essentiellement sur l’interprétation correcte des termes [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Une telle interprétation exige une analyse approfondie du contexte historique. L’histoire orale et le point de vue des Autochtones renseignent le Tribunal sur le contexte historique et lui permettent en définitive de se livrer à une véritable analyse du décret CP 1151. Cependant, le critère juridique à appliquer demeure axé sur les intentions qu’avait la Couronne au moment où elle a créé la réserve. La question consiste donc à savoir si la Couronne a pris en considération le point de vue des revendicatrices additionnelles.

Selon les bandes de File Hills, il est impossible de déterminer l’intention de la Couronne simplement à partir du sens ordinaire des mots « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Toujours selon elles, la preuve documentaire montre que le gouvernement n’était pas certain de sa propre intention, qu’il a notamment confondu la région géographique de la vallée de la Qu’Appelle et l’organisme administratif qu’est l’agence de Qu’Appelle. L’incertitude de la Couronne rend le contexte historique et le point de vue des Autochtones d’autant plus importants et déterminants quant à la question de l’intention. De leur point de vue, les peuples autochtones de la région faisaient partie de la vallée de la Qu’Appelle. Voilà, en partie, comment ils voyaient le monde et son organisation. Les bandes des Cris et des Saulteaux étaient étroitement liées, partageant les mêmes traditions, les mêmes croyances spirituelles et le même mode de vie nomade. La RI 80A (Kinookimaw) était une halte traditionnelle que tous les Autochtones utilisaient pour les fins dont il est question dans les présents motifs. De par son utilisation, les Autochtones acceptaient donc la réserve comme telle. S’il applique les principes d’interprétation de manière libérale, dans le meilleur intérêt des bandes et de façon à restreindre le moins possible leurs droits, le Tribunal devrait conclure que les bandes de File Hills étaient des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle ». Les bandes soutiennent aussi que la Couronne n’avait pas bien documenté son intention.

Pour la Première Nation dakota de Standing Buffalo (Standing Buffalo), la RI 80A était une façon pour le gouvernement de s’acquitter d’une obligation qui découlait d’une alliance. En faisant preuve de discrimination à l’égard de Standing Buffalo après la cession parce qu’il pensait que ses membres étaient des Sioux américains, le gouvernement a contrevenu au principe de l’honneur de la Couronne. Standing Buffalo a toujours fait partie du groupe des bandes de la vallée de la Qu’Appelle que le Canada a reconnues comme bénéficiaires. Elle devrait donc pouvoir retrouver son statut. Sa réserve avoisinait celle de trois bandes du groupe de Kawacatoose dont les membres ont été reconnus comme des sauvages de la vallée de la Qu’Appelle.

Essentiellement, les membres du groupe de Kawacatoose se sont principalement fondés sur la preuve documentaire pour affirmer que la Couronne avait considéré la RI 80A comme la leur pendant une centaine d’années. Ils soutiennent que les bandes de File Hills n’étaient pas établis dans la vallée de la Qu’Appelle et remettent en question le fait que les autres revendicatrices croient avoir été privées de certains droits à Kinookimaw, droits qui, selon le groupe de Kawacatoose, n’ont pas été déterminés.

La preuve par histoire orale a joué un rôle essentiel en ce qu’elle a permis au Tribunal de saisir le point de vue des Autochtones, tant avant qu’après la cession de la RI 80A. Il lui fallait comprendre ce point de vue pour déterminer les intentions qu’avait la Couronne lorsqu’elle a créé les réserves.

La preuve par histoire orale a été le lien avec le Traité n° 4. Il est clairement ressorti de l’ensemble des témoignages que, de façon générale, la création de réserves faisait partie de la mise en œuvre des traités au bénéfice des Premières Nations signataires. Aussi, à la lecture du décret CP 1151, il ne fait aucun doute qu’en 1889, le gouverneur général en conseil estimait que le décret allait porter sur les réserves situées dans la région visée par le Traité n° 4. Cependant, la preuve telle qu’elle a été présentée n’était pas suffisante pour étayer la conclusion que des postes de pêche avaient été promis au moment de la ratification du Traité, soit dans le cadre du Traité ou autrement.

Les témoins ont également présenté le point de vue de leurs ancêtres sur les circonstances dans lesquelles ils sont devenus bénéficiaires de la RI 80A, indépendamment des liens qui les unissaient déjà à cette terre. Cependant, considérée dans son ensemble, la preuve par histoire orale pose problème quant à l’origine du droit dans la réserve. Les versions des témoins étaient contradictoires d’une Première Nation à l’autre, et même d’un membre à l’autre au sein d’une même Première Nation.

La preuve par histoire orale a clairement établi l’attachement émotif et spirituel profond que ressentaient toutes les Premières Nations à l’égard de la RI 80A du fait qu’elles en avaient fait une utilisation traditionnelle, qu’elles y avaient été culturellement unies, et ce, pendant des décennies, voire des siècles. Cependant, ce sentiment d’appartenance fondé sur les pratiques traditionnelles n’est guère utile lorsque vient le temps d’interpréter l’intention de la Couronne quant à l’expression [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle », sauf s’il est démontré que la Couronne en était consciente et qu’elle voulait agir en conséquence. Certes, il permet de bien comprendre certains aspects du point de vue et du contexte autochtones à différentes époques et il faut en tenir compte au moment d’examiner les nombreux éléments de preuve documentaire produits en l’espèce.

La preuve documentaire révèle que M. Nelson a joué un rôle très actif dans la région de la vallée de la Qu’Appelle et des collines Touchwood durant la période ayant précédé la création de la RI 80A. Au moment où il a décrit la RI 80A, le 1er janvier 1883, il connaissait bien les bandes et les réserves qui se trouvaient dans la région. Il semble aussi avoir tenu compte des demandes formulées par les Premières Nations lorsqu’il a délimité les réserves. Il savait que ces lieux géographiques étaient distincts des collines File, où il n’avait pas encore travaillé. Il n’a pas précisé quelles bandes allaient profiter du poste de pêche puisqu’il n’avait pas fini d’arpenter les réserves de la région et qu’il ne pouvait pas affirmer avec certitude quelles bandes allaient se retrouver dans la région des collines Touchwood ou de la vallée de la Qu’Appelle.

M. Nelson était responsable de tous les aspects de l’arpentage de la RI 80A. L’intention qu’il avait en arpentant la réserve et en la décrivant est certainement déterminante puisque ses travaux sont à l’origine du décret CP 1151. Les bénéficiaires de la RI 80A sont ceux auxquels M. Nelson avait prévu qu’elle serait attribuée. Il entendait que la RI 80A bénéficie aux bandes qui vivaient dans la région géographique connue sous le nom de collines Touchwood ainsi qu’à celles qui vivaient sur les rives de la rivière ou des lacs Qu’Appelle, dont il a dit que c’était là où vivaient les [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle ». Les bandes qui vivaient dans les collines File n’étaient donc pas visées.

Standing Buffalo avait apporté un appui militaire important aux Britanniques et à leurs successeurs. Il ne fait aucun doute que la bande a été reconnue et honorée pour sa loyauté et son appui. Selon Standing Buffalo, elle jouissait d’une bonne réputation auprès des Britanniques en raison de la relation [traduction] d’« alliance » qui les unissait. Il n’est pas nécessaire en l’espèce de déterminer l’existence, la nature ou l’effet de l’« alliance ». Standing Buffalo était l’une des bandes qui occupaient sur les rives de la rivière et des lacs Qu’Appelle une réserve avoisinant celle des bandes connues comme étant les [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle ». M. Nelson n’avait aucune raison de ne pas vouloir aussi faire profiter Standing Buffalo de la RI 80A ou d’exclure cette bande, d’autant plus qu’il avait fait tout son possible pour accorder au chef l’emplacement qu’il avait choisi.

Nul doute que le point de vue de M. Nelson était différent de celui des Autochtones de la région, notamment en ce qui concerne l’auto-identification des bandes en tant qu’Indiens de la région de Qu’Appelle. Rien ne prouve qu’il existe un lien entre les deux points de vue. Celui de M. Nelson est à l’origine de l’intention de la Couronne en l’espèce. Malheureusement, il semble que les parties ne se soient pas beaucoup parlé, sauf lors des quelques consultations sur l’emplacement des réserves dont M. Nelson devait faire l’arpentage. Rien n’indique que M. Nelson avait adopté un point de vue plus inclusif des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle ». Les points de vue des Autochtones et du gouvernement du Canada ont apparemment évolué indépendamment l’un de l’autre et chacun de leur côté, sans que l’une ou l’autre des deux cultures n’adopte le point de vue de l’autre ou n’établisse un lien avec l’autre.

Les bandes de File Hills estimaient avoir un droit puisqu’elles avaient traditionnellement utilisé la RI 80A pendant des décennies et des siècles. Il ne fait aucun doute que le poste de pêche était une halte bien connue et utilisée depuis longtemps, voire sacrée. Ces faits, conjugués à l’utilisation ininterrompue de terres traditionnelles, ne conféraient pas aux revendicatrices additionnelles le statut de bénéficiaire en vertu du décret CP 1151 et de l’Acte des Sauvages, ou de toute autre loi applicable.

En rétrospective, et du point de vue des bandes de File Hills, il est injuste que les bandes de File Hills ne se soient pas vu accorder un poste de pêche. Cependant, rien n’indique que M. Nelson savait qu’elles avaient besoin d’un tel poste, soit au moment où il a conçu la réserve ou au moment où il l’a arpentée et qu’il a supervisé la confirmation légale de son statut de réserve. Aucun des principes d’interprétation, appliqués de façon libérale et dans le meilleur intérêt des bandes de File Hills, ne peut avoir pour effet d’élargir l’intention de M. Nelson, qu’il a exercée à titre d’agent autorisé du Canada.

Décision : Les revendications de la Première Nation de Star Blanket, de la Première Nation de Little Black Bear et de la Première Nation de Peepeekisis sont donc rejetées. Il est confirmé que la Première Nation dakota de Standing Buffalo fera dorénavant partie des revendicatrices dans la présente procédure.


 

TABLE des matières

I. Introduction  12

II. historique des procédures  14

III. exposé conjoint des questions en litige  16

IV. Faits  16

A. Introduction  16

B. Dossier documentaire  17

1. Période antérieure à la création de la réserve et création de la réserve  17

2. De la création à la cession de la RI 80A  33

3. Après la cession de la RI 80A  36

C. Histoire orale  42

1. Introduction  42

2. Point de vue des Autochtones  43

3. Point de vue de Standing Buffalo  45

4. Points de vue sur la signature du Traité  47

5. Utilisation de la RI 80A après la signature du Traité  48

6. Droit à la RI 80A  51

7. Restrictions quant à l’utilisation de la RI 80A  55

D. Peuve d’expert  58

V. APERÇU DU DROIT  58

A. La Loi sur le Tribunal des revendications particulières et les faits  58

B. Interprétation du décret CP 1151 : principes directeurs tirés des précédents en matière de création de réserves  62

C. Principes d’interprétation des lois applicables au décret CP 1151  64

1. Contexte législatif  64

2. Principes d’interprétation  65

3. Interprétation dans le contexte d’un traité et honneur de la Couronne  66

D. Précédents sur l’histoire orale et les perspectives autochtones  68

E. Anishnabe of Wauzhushk Onigum  76

F. Malécites de Madawaska  77

VI. Positions des Parties  78

A. La Couronne  78

B. Les revendicatrices  78

1. Approche générale et critères juridiques  78

2. Rôle et poids de la preuve par histoire orale  81

3. Le décret CP 1151 était-il ambigu?  82

4. Rôle du Traité nº 4  83

5. Standing Buffalo et l’alliance  85

6. Intention de la Couronne  86

7. Interprétation après la prise du décret CP 1151  89

8. Utilisation de la RI 80A  91

VII. AnalysE  92

A. Le contexte historique de la RI 80A tel qu’il est décrit dans l’histoire orale  92

B. Le lien entre le Traité nº 4 et la RI 80A  96

C. Les récits quant à la façon dont les revendicatrices sont devenues bénéficiaires de la RI 80A  97

D. L’utilisation de la RI 80A après sa création  102

E. Conclusions sur la preuve par histoire orale relative au droit à la réserve  103

F. Analyse du dossier documentaire  108

G. La demande pour la RI 80A  121

H. Les changements dans l’administration des agences et la confusion administrative qui s’en est suivie  122

I. Résumé des intentions de M. Nelson et inclusion de Standing Buffalo  126

J. L’importance de l’utilisation de la RI 80A et du système de laissez-passer  128

K. Observations finales  130


 

I.  Introduction

[1]  La présente revendication porte sur les manquements à ses obligations légales qu’aurait commis la Couronne dans le cadre de la cession de la réserve indienne Last Mountain n° 80A (RI 80A ou réserve Last Mountain) survenue en 1918. Les terres faisant l’objet du litige sont situées sur le territoire visé par le Traité n° 4 (Traité n° 4), sur la rive sud du lac Last Mountain, là où se déverse la rivière Little Arm dans la vallée de la Qu’Appelle (Saskatchewan). Les revendicatrices, des Cris et des Saulteaux, ont signé le Traité n° 4, à une exception près. La Première Nation dakota de Standing Buffalo est constituée de Dakotas et de Sioux et elle n’a pas signé le Traité n° 4. Elle affirme que la réserve se trouve dans les limites de son territoire traditionnel.

[2]  La réserve Last Mountain s’étendait sur 1 408 acres (environ 2,2 milles carrés) avant la cession irrégulière qui serait survenue en 1918. Elle a d’abord été arpentée par John C. Nelson, puis sa création a été confirmée par le décret CP 1151 (décret CP 1151) daté du 17 mai 1889, dans lequel elle était décrite comme un [traduction] « poste de pêche à l’usage des sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle » (recueil commun de documents [RCD] sous‑étape relative à la qualité pour agir, vol 1, doc 23 et 24; RCD, vol 3, doc 239, à la p 57). Le décret ne précisait pas quelles bandes étaient visées par les termes [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». En 1918, la RI 80A a apparemment été cédée par les bandes de George Gordon, de Poorman (aujourd’hui connue sous le nom de Kawacatoose), de Day Star, de Muskowekwan [1] , de Muscowpetung, de Pasqua et de Piapot. Le produit de la cession a été divisé entre ces sept bandes.

[3]  Les mêmes sept bandes ont déposé la présente revendication auprès du Tribunal des revendications particulières (Tribunal). Elles sont maintenant connues comme étant la Première Nation de Kawacatoose (Kawacatoose), la Première Nation de Pasqua (Pasqua), la Première Nation de Piapot (Piapot), la Première Nation de Muscowpetung (Muscowpetung), la Première Nation de George Gordon (George Gordon), la Première Nation de Muskowekwan (Muskowekwan) et la Première Nation de Day Star (Day Star) (collectivement, le groupe de Kawacatoose). Le groupe de Kawacatoose soutient que le Canada n’a pas respecté ses obligations légales lorsqu’il a géré la cession de la réserve Last Mountain en 1918. Il estime que cette cession n’a pas été effectuée : (1) conformément à l’article 49 de la Loi des Sauvages, SRC 1906, c 81; (2) conformément au Traité n° 4, qui, soutient-il, exigeait le consentement des [traduction] « Indiens qui y ont droit » avant que les terres en litige puissent être « vendues, louées ou autrement aliénées » (RCD, vol 1, doc 11); et (3) dans le meilleur intérêt de ceux qui avaient un droit dans la réserve Last Mountain. Le groupe de Kawacatoose ajoute que, alors qu’il administrait la réserve Last Mountain, le Canada a manqué aux obligations de fiduciaire qu’il avait envers lui : (4) en concluant des conventions de bail avec des tiers, contrairement aux conditions de la cession du 23 mars 1918, suivant lesquelles la réserve était détenue [traduction] « en fiducie aux fins de vendre » (RCD, vol 1, doc 75); (5) en autorisant la construction d’une route sur la réserve Last Mountain et en permettant que l’on y prenne de l’eau sans autorisation légale et sans indemnité; (6) en permettant à des squatteurs de pénétrer sur les terres; (7) en ne faisant rien pour empêcher que des campeurs causent des dommages à la réserve non plus que pour obtenir de ces derniers qu’ils l’indemnisent en conséquence; (8) en concluant des conventions de bail inappropriées sans consulter les Premières Nations concernées et sans obtenir leur approbation; et (9) en ne faisant rien pour empêcher que l’on y prenne du gravier sans qu’il soit indemnisé ou consulté. La revendication est fondée sur les alinéas 14(1)b), c), d) et e) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP].

[4]  Après que le groupe de Kawacatoose eut déposé sa revendication, quatre autres Premières Nations ont prétendu être bénéficiaires de la RI 80A en vertu du décret CP 1151 : la Première Nation dakota de Standing Buffalo (Standing Buffalo), la Première Nation de Little Black Bear (Little Black Bear), la Première Nation de Star Blanket (Star Blanket) et la Première Nation de Peepeekisis (Peepeekisis). Les Premières Nations de Little Black Bear, de Star Blanket et de Peepeekisis sont des signataires du Traité n° 4 dont les réserves sont situées dans la région des collines File. Elles seront parfois appelées les « bandes de File Hills » dans les présents motifs. Standing Buffalo n’a pas adhéré au Traité n° 4. Elle a décrit la relation particulière qu’elle avait eue avec la Couronne britannique et grâce à laquelle, selon elle, on lui aurait attribué une réserve dans la vallée de la Qu’Appelle. Ces quatre Premières Nations ont été reconnues comme revendicatrices afin qu’elles puissent présenter des observations sur leur qualité pour agir dans le cadre de la présente revendication. Elles seront collectivement appelées les « revendicatrices additionnelles ».

[5]  En plus de prétendre qu’elles sont bénéficiaires de la réserve en vertu du décret CP 1151, les revendicatrices additionnelles soutiennent que la Couronne a manqué aux obligations légales qu’elle avait à leur égard lors de la cession de la réserve Last Mountain qui a eu lieu en 1918, si elles sont autorisées à poursuivre au‑delà de la présente sous-étape (voir le paragraphe 10 pour des détails sur les étapes de la revendication).

[6]  Les bandes de File Hills et Standing Buffalo ont été ajoutées à titre de revendicatrices pendant le processus de gestion des instances afin qu’il soit plus facile de déterminer quelles Premières Nations devaient bénéficier de la réserve Last Mountain créée par le décret CP 1151 en 1889. Les présents motifs ne portent que sur cette question. La question du bien‑fondé de la revendication sera abordée à une date ultérieure, au besoin.

II.  historique des procédures

[7]  Le 7 juin 2008, le groupe de Kawacatoose, ainsi que Little Black Bear et Star Blanket, ont déposé des revendications auprès de la Direction générale des revendications particulières, qui doit mener des négociations avant qu’une revendication puisse être présentée au Tribunal. Le 20 juin 2013, le groupe de Kawacatoose a déposé sa revendication auprès du Tribunal (déclaration de revendication modifiée, déposée le 28 janvier 2014).

[8]  Le 28 octobre 2013, Star Blanket a présenté une demande d’intervention. Le 22 novembre 2013, Little Black Bear a demandé qu’on lui reconnaisse la qualité d’intervenante ou de partie. Sur consentement, ces deux demanderesses ont été constituées revendicatrices, le 27 février 2014.

[9]  Conformément à l’article 22 de la LTRP, le Tribunal a envoyé un avis à Peepeekisis, le 17 juin 2014, et à Standing Buffalo, le 19 août 2014. Standing Buffalo a demandé qu’on lui reconnaisse la qualité de partie, le 25 septembre 2014. Peepeekisis a aussi manifesté son intérêt à devenir partie à l’instance. Le Tribunal a ajouté Standing Buffalo et Peepeekisis à titre de revendicatrices, le 29 septembre 2014, sous réserve du consentement de Little Black Bear, lequel a été obtenu le 8 octobre 2014. Toutes les autres parties avaient déjà consenti à cet ajout. Le Tribunal a aussi envoyé l’avis prévu à l’article 22 à la Première Nation d’Okanese, mais cette dernière n’a pas manifesté d’intérêt à se joindre à l’instance.

[10]  À la demande des parties, le Tribunal a scindé la revendication en deux étapes : celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation. Il a ensuite divisé l’étape du bien‑fondé en sous-étapes, soit celle de la qualité pour agir et celle du bien‑fondé. Les présents motifs portent sur la sous-étape relative à la qualité pour agir.

[11]  Le 21 avril 2015, le groupe de Kawacatoose a demandé au Tribunal de déterminer s’il [traduction] « a pour mandat, en vertu de l’art. 16 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, de trancher les questions relatives au bien-fondé des allégations soulevées dans les revendications ou dans des parties de revendications qui ont été déposées auprès du ministre en vertu de la Politique sur les revendications particulières et qui ont été acceptées aux fins de négociation » (avis de demande, au para 1). L’intimée a répondu en invoquant le privilège lié aux négociations en vue d’un règlement. La demande a été suspendue jusqu’à ce que la sous‑étape relative à la qualité pour agir soit terminée.

[12]  Le 31 août 2015, Standing Buffalo a déposé une demande visant à faire admettre certains documents assujettis au privilège lié aux négociations en vue d’un règlement, ainsi que des transcriptions de témoignages livrés par des aînés maintenant décédés devant l’Office national de l’énergie. Le Tribunal a rejeté la demande (Première Nation de Kawacatoose et al. et Première Nation de Star Blanket et Première Nation de Little Black Bear et Première Nation Dakota de Standing Buffalo et Première Nation de Peepeekisis c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 1).

[13]  Entre le 20 et le 23 juin 2016, le Tribunal a tenu une audience consacrée à la preuve par histoire orale à l’Institut de gouvernance du Traité n° 4 à Fort Qu’Appelle, en Saskatchewan.

[14]  Le 22 juin 2017, Little Black Bear a présenté une demande pour interroger au préalable l’intimée au sujet de la politique du Canada sur la mise de côté des postes de pêche et des motifs justifiant cette mesure. Le Tribunal a accueilli la demande et a conclu que l’interrogatoire serait fait à partir des questions écrites modifiées par lui dans sa décision (Première Nation de Kawacatoose et al. et Première Nation de Star Blanket et Première Nation de Little Black Bear et Première Nation Dakota de Standing Buffalo et Première Nation de Peepeekisis c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 3).

[15]  Les 24 et 25 juillet 2017, le Tribunal a tenu une autre audience consacrée à la preuve par histoire orale et aux témoignages des experts à l’Institut de gouvernance du Traité n° 4 à Fort Qu’Appelle, en Saskatchewan.

[16]  Les parties ont présenté, de vive voix, leurs observations portant sur la sous-étape relative à la qualité pour agir lors de l’audience tenue du 10 au 12 octobre 2018, à Regina, en Saskatchewan.

III.  exposé conjoint des questions en litige

[17]  Les parties ont convenu que la réserve Last Mountain [traduction] « a été mise de côté et que sa création a été confirmée par le décret CP 1151 du 17 mai 1889, dans lequel elle était décrite comme un poste de pêche à l’usage des sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle » (énoncé des questions en litige à la sous-étape relative à la qualité pour agir de l’étape relative au bien‑fondé, au para 1), mais ne se sont pas entendues sur l’interprétation à donner aux termes « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Elles ont convenu que les questions suivantes devaient être tranchées dans le cadre de la présente sous‑étape relative à la qualité pour agir :

  1. En faveur de quelles revendicatrices la réserve Last Mountain a-t-elle été mise de côté et sa création confirmée par le décret CP 1151?

  2. Quelles revendicatrices ont utilisé la réserve Last Mountain?

IV.  Faits

A.  Introduction

[18]  Le contexte historique de la présente revendication revêt une importance fondamentale, car le Tribunal est pour l’essentiel appelé à déterminer l’intention de la Couronne après avoir examiné une vaste gamme de documents et de récits oraux faisant état d’événements et de points de vue (tant autochtone que non-autochtone) couvrant plus d’un siècle. Il est aussi important d’examiner les faits afin que les lecteurs puissent comprendre dans une certaine mesure la complexité de l’affaire et que l’appréciation de ces questions faite par le Tribunal soit empreinte de transparence.

B.  Dossier documentaire

1.  Période antérieure à la création de la réserve et création de la réserve

[19]  D’un point de vue historique, les revendicatrices sont des peuples d’origine crie, saulteaux et dakota‑sioux qui, des siècles avant la formation du Canada, ont occupé les plaines centrales du continent. Ces peuples nomades vivaient dans la région qui correspond aujourd’hui au sud de la Saskatchewan et suivaient une route migratoire qui traversait la vallée de la Qu’Appelle. Ils vivaient de la chasse et de la pêche, campaient en cours de route, cueillaient des baies et des plantes médicinales et faisaient du troc avec les peuples autochtones qu’ils rencontraient.

[20]  En 1874, toutes les revendicatrices, sauf une, et le Canada ont conclu le Traité n° 4. Standing Buffalo n’a jamais signé le traité bien que des terres lui aient été réservées en vertu de l’Acte des sauvages. Si le traité prévoyait que les bandes seraient consultées lors de l’attribution d’une réserve d’un mille carré à chaque famille de cinq personnes, la nature, la portée et les détails du processus de sélection des réserves n’y étaient pas expressément définis. La seule promesse qu’il contient en ce qui concerne les droits de pêche est la suivante :

[traduction] Et Sa Majesté consent par les présentes, par l’entremise des dits commissaires, à assigner des réserves pour les dits Indiens, telles réserves devant être choisies par des officiers du gouvernement de Sa Majesté pour le Canada nommés pour cette fin, après conférence avec chacune des bandes d’indiens, la superficie devant suffire pour fournir un mille carré à chaque famille de cinq, ou dans cette proportion pour les familles plus ou moins nombreuses. [...]

[…]

Et de plus, Sa Majesté consent à ce que ses dits Indiens aient le droit de se livrer à la chasse, à la trappe et à la pêche dans le pays cédé, sujet aux règlements qui pourront de temps à autre être faits par le gouvernement du pays agissant sous l’autorité de Sa Majesté, et exceptant les étendues qui pourraient être nécessaires ou prises de temps à autre pour la colonisation, l’exploitation des mines ou autres fins privilégiées, ou autre droit donné par le dit gouvernement de Sa Majesté. [RCD, vol 1, doc 11]

[21]  La politique relative à l’emplacement et aux caractéristiques des réserves semble avoir été élaborée principalement « sur le terrain », à mesure que les réserves étaient délimitées. Dans un procès‑verbal daté du 13 juillet 1875, l’arpenteur général J. S. Dennis a donné des directives pour l’arpentage des réserves mises de côté par le Traité n° 4. Il a proposé que William Wagner, arpenteur des terres du Dominion, arpente d’abord les réserves situées à [traduction] « proximité » de « Qu’Appelle », aux endroits désignés par le commissaire de Qu’Appelle, et qu’il procède ensuite à l’arpentage des réserves situées dans les « collines Touchwood » (RCD, vol 1, doc 12, aux pp 2-3). Il a aussi suggéré que les réserves soient établies là où elles ne nuiraient pas à une éventuelle colonisation ou à la construction future du chemin de fer, mais qu’elles devraient répondre aux besoins des Indiens en étant situées sur le bord de l’eau et sur des terres qu’ils pourraient cultiver et où ils pourraient chasser :

[traduction] […] le choix des réserves ne doit pas empiéter sur les besoins probables en matière d’établissements [illisible] futurs, ou de terres devant servir à la construction d’un chemin de fer […]  

[…]

Si le ministre est d’accord, il peut être suggéré au commissaire de prendre en considération les intérêts des Indiens lors de la mise de côté des réserves, et même de leur accorder l’étendue de front nécessaire en bordure d’une rivière ou d’un lac de sorte qu’ils puissent disposer d’une vaste étendue de terre agricole. Cette étendue de terre devra aussi s’éloigner du cours d’eau et inclure une part raisonnable de terres plus ou moins propices à l’agriculture, mais pouvant servir aux activités de la bande, comme la chasse, etc. [RCD, vol 1, doc 12, aux pp 4–6]

[22]  Le recueil conjoint des documents comprend des extraits de rapports annuels provenant du ministère des Affaires indiennes (le ministère), où sont décrites toutes les activités du ministère et les progrès accomplis auprès des Premières Nations par rapport à l’année précédente. Une seule page du rapport annuel de 1880 a été produite (RCD, vol 1, doc 7) et elle présente un tableau dressant la liste des réserves qui avaient été créées jusque-là, ainsi que leur emplacement et le nom des bandes bénéficiaires :  

[traduction]

Nombre d’Indiens dans les Territoires du Nord-Ouest et lieux où ils séjournaient en 1880

N° de la réserve

Nom de la bande

Emplacement de la réserve

Tribu

 

File Hills

 

 

81

Peepeekisis

collines File

Cris

82

Okanesse

id.

id.

83

Star Blanket

id.

id.

84

Little Black Bear

id.

id.

 

Touchwood Hills

 

 

85

Muscawecum

collines Touchwood

Cris

86

George Gordon

id.

id.

87

Day Star

id.

id.

88

Poor Man

id.

id.

 

Muscowpetungs

 

 

76

Piapot

Qu’Appelle

vallée

Cris

79

Pasqua

id.

lac

id.

80

Muscowpetung

id.

vallée

id.

[23]  Les notes prises par les divers arpenteurs des réserves de la région ne se trouvent pas dans le RCD. L’un des rares dossiers d’arpentage produits à l’époque est le long procès‑verbal manuscrit de John C. Nelson, daté du 10 janvier 1882, dans lequel ce dernier fait un compte rendu des travaux qu’il a effectués au cours du printemps, de l’été et de l’automne de l’année précédente. Le procès‑verbal débute par un résumé des emplacements géographiques qu’il a arpentés :

[traduction]

Les travaux effectués pendant cette période incluaient l’attribution de réserves dans les localités suivantes :

monts Moose,

lacs Crooked et Round,

lac Nut,

lac Fishing,

collines Touchwood,

Qu’Appelle.

[RCD, vol 3, doc 234, à la p 1]

[24]  M. Nelson décrit ensuite son périple. Il est parti d’Ottawa le 25 mai 1881, est passé par Winnipeg et est arrivé à Fort Ellis, dans l’actuelle province de la Saskatchewan, le 18 juin 1881 (RCD, vol 3, doc 234, aux pp 1–3). Là, l’agent des Indiens lui a demandé de se rendre aux monts Moose, où il a noté l’échange qu’il a eu avec le chef de la bande de White Bear. À la demande du chef, il a planté des poteaux de métal aux coins de la réserve, qui avait déjà été arpentée en 1877 par William Wagner. Il a souligné l’importance de la pêche de subsistance pour la collectivité autochtone :  

[traduction] Il y a un lac près du coin nord-ouest, que les Indiens appellent le lac où est le poisson, rempli de brochets et de brochets maillés. White Bear m’a informé qu’il souhaitait vraiment que ce lac reste dans les limites de sa réserve, car son peuple dépend en grande partie du poisson qui y est pêché. [Souligné dans l’original; RCD, vol 3, doc 234, aux pp 5–6]

[25]  M. Nelson a tenté d’examiner le lac, mais l’inondation qui touchait les forêts avoisinantes l’empêchait d’y accéder. Il a donc poursuivi son chemin.

[26]  Il a terminé l’arpentage des réserves de la région des monts Moose le 21 juillet 1881 et il s’est ensuite rendu au lac Crooked (RCD, vol 3, doc 234, aux pp 7–8). Des réserves avaient déjà été arpentées pour les bandes de la région, mais à la demande de ces bandes, M. Nelson les a arpentées de nouveau. Par suite de cet arpentage, les bandes qui étaient établies sur le versant sud de la vallée ont été déplacées sur le versant nord. M. Nelson avait aussi reçu la directive de réduire la largeur des terrains qui se trouvaient en bordure de la rivière Qu’Appelle, ce qu’il a fait.

[27]  Alors qu’il terminait ses travaux, M. Nelson a découvert que le cours d’eau qui bordait la réserve de Kahkewistahaw n’était pas propice à la pêche. Il a donc réservé une parcelle de terre de 96 acres à l’extrémité nord-est du lac Crooked et a dit qu’il s’agissait d’un [traduction] « poste de pêche ». Il a terminé l’arpentage de la réserve principale de Kahkewistahaw (réserve indienne n° 72) en août 1881, et du poste de pêche en février 1884 (RCD, vol 3, doc 239, aux pp 33-36 : le plan d’arpentage se trouve dans le RCD, vol 3, doc 239, à la p 36). M. Nelson a écrit à ce sujet dans son procès‑verbal de janvier 1882 :

[traduction] On voit sur la carte, plan B, que la bande de Ka Kee wistahaw n’a aucun lieu de pêche devant sa réserve, contrairement aux bandes établies aux abords des lacs Crooked et Round. J’ai donc pensé qu’il était préférable de lui réserver une petite parcelle de terre sur la rive nord du lac Crooked afin d’y établir un poste de pêche. [RCD, vol 3, doc 234, à la p 10]

[28]  Une note datée du 21 janvier 1897, rédigée par le surintendant général adjoint des Affaires indiennes Hayter Reed à l’intention du ministre responsable, permet de mieux comprendre l’origine des postes de pêche et leur raison d’être. M. Reed a participé à l’administration des Premières Nation de la région de la vallée de la Qu’Appelle dans les années 1880, et il en est fait mention dans les notes de M. Nelson, comme il en sera question plus loin. Il semble que le ministère ait d’abord désigné des lacs entiers qui devaient être utilisés exclusivement par les bandes aux fins de la pêche. Cependant, en 1881, il a modifié sa pratique et a instauré le concept de poste de pêche. Une parcelle de terres de réserve située en bordure d’un plan d’eau était alors mise de côté pour l’usage exclusif d’une ou plusieurs bandes désignées. Depuis le poste de pêche, les bandes pouvaient accéder au plan d’eau et pêcher. Par conséquent, elles n’avaient plus l’usage exclusif de tout un plan d’eau s’il dépassait les limites de leurs réserves. Elles le partageaient alors avec d’autres bandes ou des colons. Les Premières Nations avaient donc accès aux zones de pêche sans avoir à pénétrer sur des terres occupées par des colons, et le rivage pouvait alors accueillir plus d’établissements. Cette mesure a réduit le risque de conflits entre les colons et les bandes. Il était également dans l’intérêt financier du ministère que les bandes puissent continuer à subvenir à leurs besoins en pêchant et, bien que M. Reed ne l’ait pas mentionné, le droit de pêche était l’une des modalités du Traité. Voici la description des postes de pêche :

[traduction] […] l’idée de réserver des plans d’eau où les Indiens auraient le droit exclusif de pêcher semble venir du ministère qui, en 1881, a pressé le commissaire des Indiens du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest de reconnaître qu’il était nécessaire de déterminer quels lacs devaient être protégés compte tenu de la colonisation rapide du pays par les Blancs. Le lac Pigeon était l’un des lacs recommandés.

Par la suite, le ministère de la Marine et des Pêcheries a refusé de réserver aux Indiens des privilèges exclusifs et a adopté la politique visant à protéger les postes de pêche afin de garantir aux Indiens un accès à des plans d’eau et éviter les problèmes d’empiétement ou les autres différends avec les colons. [RCD, vol 3, doc 240]

[29]  Après avoir terminé son travail au lac Crooked, M. Nelson est parti le 26 août 1881 en direction du lac Nut : [traduction] « […] nous sommes partis la même journée en direction du lac Nut, en passant par les collines Touchwood et le lac Fishing. Entre les collines Touchwood et le lac Fishing, la majeure partie de la route était quasi impraticable […] » (RCD, vol 3, doc 234, à la p 11). Il a arpenté une réserve pour la bande de Yellow Quill sur la rive est du lac Nut, à propos de laquelle il a écrit ce qui suit (RCD, vol 3, doc 234, à la p 15) : [traduction] « […] le lac regorge de poissons et les oiseaux y sont nombreux ». Il a ensuite arpenté une autre réserve pour la bande de Yellow Quill au lac Fishing (qui est ensuite devenue la réserve du lac Fishing, réserve indienne n° 89 : réf. Pièce 1, carte), à propos de laquelle il a écrit ce qui suit (RCD, vol 3, doc 234, à la p 16) : [traduction] « […] [l]es oiseaux sauvages sont nombreux au lac Fishing puisque les Indiens y pêchent ».

[30]  Après qu’il eut fini d’arpenter la réserve du lac Fishing, le 29 septembre 1881, il est retourné dans les collines Touchwood où, le 28 octobre 1881, il a apporté les modifications à la réserve de Day Star que le chef avait demandées. Il a ensuite visité la réserve de George Gordon afin d’y ajouter une parcelle de terres agricoles, toujours à la demande de la bande.

[31]  Peu après le 2 novembre 1881, M. Nelson a arpenté une réserve pour Standing Buffalo. Comme il l’a rapporté, il avait visité l’endroit au début de l’été avec l’agent des Indiens et le chef Standing Buffalo. Il a fait observer que l’endroit était [traduction] « d’une beauté remarquable », que le sol était constitué de « limon argileux de première qualité » et qu’il y avait « une grande quantité de peupliers » (RCD, vol 3, doc 239, à la p 51). Cependant, comme le foin était rare, il a décidé de réserver un petit pré en amont de la rivière. Ce pré a finalement été confirmé en tant que réserve indienne n° 80B (RI 80B) en 1889 et décrit comme étant une [traduction] « “terre à foin” à l’usage des Indiens des bandes du chef de Muscowpeetung et d’autres » (RCD, vol 3, doc 239, à la p 59). Il s’agissait donc du deuxième site à usage particulier délimité par M. Nelson à l’extérieur d’une réserve principale.

[32]  Le dernier arpentage effectué par M. Nelson en 1881 était pour la « bande de Muskowpeetung » (RCD, vol 3, doc 234, à la p 22). Il a commencé cet arpentage en novembre 1881, mais l’a terminé seulement en mai 1882 (RCD, vol 3, doc 239, aux pp 55–56).

[33]  Le 1er janvier 1883, M. Nelson a rédigé à la main une liste des réserves qui n’avaient pas encore été arpentées :

[traduction]

Liste des réserves indiennes non arpentées dans les Territoires du Nord-Ouest

District de Qu’Appelle

 

Collines Little Touchwood

Bande de Muskow-equahn

 

Collines File

 

Little Black Bear

Star Blanket

Okanesse

Peepeekis

Arpentées en partie par M. Patrick

[…]

Lac Long ou Last Mountain

Un poste de pêche de 320 acres pour les Indiens de Qu’Appelle & Touchwood

Collines Little Touchwood

Certains changements doivent être apportés à la réserve de George Gordon [RCD, vol 3, doc 235]

[34]  Les identificateurs géographiques et le poste de pêche proposé au lac Long ou Last Mountain [traduction] « à l’usage des sauvages de Qu’Appelle et de Touchwood » sont particulièrement intéressants.

[35]  M. Nelson a terminé l’arpentage de la réserve de Muscowpetung en mai 1882. Cela étant, il n’existe aucune preuve documentaire permettant de savoir ce qu’il a fait cette année-là.

[36]  Seule une page du rapport annuel de 1883 du ministère se trouve dans le RCD. Cette page ne contient pas de tableau comme celui tiré du rapport de 1880 reproduit ci-dessus. Cependant, les bandes étaient regroupées de la même façon :

[traduction] « Pasqua », « Muscoweepeetung » et « Standing Buffalo », qui sont installées près de Fort Qu’Appelle, ont produit de bonnes récoltes et ont défriché une bonne partie de la terre cet automne.

Les sauvages de File Hills qui sont de Little Black Bear, de Star Blanket, d’Okaness et de Pee-pee-kee-sis s’en sortent plutôt bien.

Les sauvages de Touchwood, qui sont de Kah-wah-kah-toos, de Gordon, de Day Star et de Muscow-e-quan, s’améliorent également, mais pas autant qu’ils le devraient compte tenu de l’aide qu’ils ont reçue et de la réserve remarquable qu’ils occupent. Tant les sauvages de File Hills que ceux de Touchwood Hills ont la possibilité de chasser. Certains en profitent, mais la majeure partie d’entre eux sont trop paresseux. Nos agents ne font aucunement obstacle à leur chasse et ne sont que trop heureux de les voir gagner un peu d’argent, avec lequel ils peuvent acheter des vêtements.

[…]

Pi-a-pot vient juste de s’installer et il est difficile de savoir à quel point sa bande prospérera […] Selon ma recommandation, l’agence responsable de ce Traité, qui était à Fort Qu’Appelle, est rendue à Indian Head […] [RCD, vol 1, doc 16]

[37]  Les parties ont convenu que le guide d’archives intitulé Guide des bandes et agences indiennes de l’Ouest du Canada, 1871-1959, décrit avec précision l’organisation des agences indiennes de la région pendant la période en question (RCD, vol 2, doc 154, à la p 105). Par exemple, on y trouve le nom des agences qui ont administré Little Black Bear entre 1874 et 1959 :

[traduction]

AGENCES :  1874-1884 Qu’Appelle

1885-1899 File Hills

1900-1914 Qu’Appelle

1915-1948 File Hills

1949-1959 File Hills -Qu’Appelle [caractères gras dans l’original]

[38]  En 1883 et 1884, le chef Piapot et sa bande sont devenus une grande source de préoccupation pour les représentants de la région. Le chef Piapot était vraiment mécontent des modalités du Traité, de l’emplacement d’une réserve destinée à l’usage de ses membres, de la superficie de terrain que devaient recevoir ses membres, ainsi que de la nature et de la qualité de la nourriture offerte à ses membres alors qu’ils tentaient de s’adapter à la vie agricole dans une réserve. Selon lui, la nourriture offerte par le gouvernement tuait son peuple (RCD, vol 1, doc 15). Dans une lettre datée du 27 mai 1884, le commissaire des Indiens, A. J. Irvine, a indiqué qu’il dirigeait un détachement de 50 hommes muni d’une seule arme à feu pour éviter de semer la panique chez les colons alors que le chef Piapot et ses sympathisants armés rôdaient dans la région. Bien que le chef ait tenté de leur échapper, les policiers ont fini par le trouver et l’ont convaincu de rencontrer dès le lendemain le commissaire adjoint des Indiens, Hayter Reed, à Qu’Appelle. Le chef Piapot a reproché à M. Reed de ne pas avoir respecté sa promesse de procurer aux membres de la bande de nouveaux vêtements et d’offrir à ceux qui étaient malades des aliments de meilleure qualité. M. Reed a finalement convaincu le chef de retourner dans sa réserve. M. Irvine a également pris note du mécontentement du chef Piapot quant à la réserve qui lui avait été attribuée et du fait qu’il désirait obtenir un autre emplacement :  

[traduction] Pie-a-pot m’a prié d’user de mon influence pour lui obtenir une réserve située à un endroit appelé le « lac Last Mountain », près des lacs Qu’Appelle, ajoutant qu’à l’époque où il a signé le Traité, c’était l’emplacement qu’il voulait pour sa réserve. [RCD, vol 1, doc 18; RCD, vol 3, doc 236]

[39]  Le 5 juin 1884, l’arpenteur Nelson a rapporté qu’il avait visité la région du lac Long ou Last Mountain dans le but de mettre de côté un territoire pouvant accueillir un poste de pêche [traduction] « à l’usage des sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle » (RCD, vol 1, docs 19-20). C’était le poste de pêche qui, selon son procès‑verbal du 1er janvier 1883, n’avait toujours pas été arpenté (voir paragraphe 33 ci-dessus). M. Nelson a décrit l’emplacement qu’il entendait réserver pour le poste de pêche, mais ne l’a pas arpenté à l’époque. Il a fait remarquer qu’il s’agissait d’un endroit où les Indiens campaient habituellement pour pêcher et où il y avait même quelques cabanes à pêche :

[traduction] J’ai l’honneur de déclarer avoir visité la région du lac Long ou Last Mountain dans le but de mettre de côté des postes de pêche à l’usage des sauvages de Touchwood et de la vallée de la Qu’Appelle.

Après avoir fait un examen minutieux des divers endroits sur les rives du lac où les sauvages ont l’habitude de camper pendant la saison de la pêche, je suis d’avis que des postes de pêche devraient être réservés à l’embouchure de la rivière Little Arm — une baie ou un bras du lac susmentionné.

Ils ont érigé plusieurs petites cabanes pour y vivre pendant l’hiver. [RCD, vol 1, doc 19]

[40]  Le 11 juin 1884, M. Nelson a rapporté avoir rencontré le chef Piapot, qui lui a alors demandé une réserve située juste à côté de la réserve de Muscowpetung, sur la rive ouest. Cette réserve borderait aussi la rivière Qu’Appelle. M. Nelson lui a expliqué les difficultés que lui posait cette demande et ne s’est pas montré très optimiste, même si, dans la lettre qu’il a envoyée au ministère, il a reconnu qu’il s’agissait d’un bon emplacement et recommandé que l’on trouve un moyen d’accéder à la demande. Avec l’agent des Indiens McDonald, M. Nelson a plutôt proposé une réserve située à l’est du lac Last Mountain. Il s’agit de l’emplacement pour lequel le chef avait d’abord manifesté un intérêt. MM. Nelson et McDonald se sont rendus dans la région en compagnie du chef, mais comme l’a souligné M. Nelson, le chef Piapot a jugé que l’emplacement ne convenait pas parce que le bois y était rare, qu’il n’y avait pas de cours d’eau ni de bons endroits pour la pêche :

[traduction] Le colonel McDonald a suggéré à Piapot d’accepter la réserve située du côté est du lac Long ou Last Mountain, mais ce dernier a jugé que l’emplacement ne convenait pas parce que le bois y était rare, qu’il n’y avait pas de cours d’est ni de bons endroits pour la pêche.

Le chef Piapot a ensuite dit qu’il souhaitait obtenir une réserve où il y avait une rivière, beaucoup de poissons et un bonne quantité de bois, et que si les terres adjacentes à la réserve de la bande du chef Muscowpetung, auxquelles on avait déjà fait allusion, n’étaient pas libres, il serait ravi d’accepter une réserve en bordure de la rivière Saskatchewan Sud […] [RCD, vol 3, doc 237]

[41]  Le rapport annuel du ministère pour l’année 1885 (RCD, vol 1, doc 28, aux pp 2-3) décrit la structure des agences établies dans les districts d’Assiniboia et de l’Ouest du Manitoba. Le district d’Assiniboia était administré par l’agence de Birtle. L’ouest du Manitoba était administré par l’agence d’Indian Head. Les bandes parties à la présente revendication ainsi que dix autres Premières Nations, pour une population totale d’environ 3 940 membres, relevaient de cette dernière agence. Dans un autre document daté de la même année, les parties convenaient que la structure organisationnelle de l’agence est demeurée la même au moins jusqu’à la mi-août 1885. Voici un extrait du rapport :

  [traduction]

Les bandes et réserves indiennes établies dans ces parties des Territoires étaient, jusqu’à tout récemment, supervisées par deux agents et étaient réparties de la façon suivante :

Agence d’Indian Head.

 

Âmes

Bande de Day Star, collines Touchwood

 

 

113

Bande de Mus-cow-e-quahn, collines Touchwood

 

 

283

Bande de Tah-we-ke-ei-qua-pe (anciennement Ka-wa-ka-too), collines Touchwood

170

Bande de George Gordon

id.

id.

202

Little Black Bear

id.

collines File

117

Star Blanket

id.

id.

89

Pa-pee-kee-sis

id.

id.

124

Okanese

id.

id.

83

Pi-a-pot

id.

Qu’Appelle

394

Mus-cow-pe-tung

id.

id.

212

Pasquah

id.

id.

257

Standing Buffalo

id.

id.

250

[42]  Un seul agent des Indiens était chargé de répondre aux besoins de plus de 20 Premières Nations, dont la population totale s’élevait à 3 938 membres. Selon ce qui a été observé dans d’autres documents, les ressources du ministère étaient limitées à cette époque et il n’y avait pas suffisamment d’effectifs dans la région pour tout gérer.

[43]  Le rapport de l’arpenteur Nelson daté du 5 décembre 1885 est intégré au rapport annuel de 1885 du ministère (RCD, vol 1, doc 28, aux pp 8-9). M. Nelson y décrit les travaux qu’il a faits au printemps et à l’été de cette année‑là, en commençant par la consultation qu’il a menée auprès du chef de la bande de Jack (maintenant la Première Nation d’Assiniboine, près de Wolseley, en Saskatchewan : réf pièce 1, carte) à propos des limites de la réserve proposée. Il s’avère que le chef voulait la réserve qui avait été mise de côté pour la bande de Piapot avant d’être abandonnée. M. Nelson lui a donné satisfaction et a arpenté le territoire qui allait devenir la réserve indienne n° 76 (RCD, vol 3, doc 239, aux pp 49-50).

[44]  Le 20 juin 1885, M. Nelson s’est rendu dans la vallée de la Qu’Appelle, où il a arpenté la réserve que voulait Piapot et qui se trouvait juste à côté de celle de Muscowpetung, au bord de la rivière Qu’Appelle. Le commissaire des Indiens avait accepté la recommandation de M. Nelson à cet égard. Ce dernier a ensuite poursuivi sa route vers le lac Long ou Last Mountain, où il a arpenté [traduction« un poste de pêche à l’usage des sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Il a terminé ses travaux le 27 juin 1885 (RCD, vol 1, doc 28, aux pp 8‑9).

[45]  Selon le rapport annuel de 1885 du ministère, [traduction] « les sauvages commencent à se sentir chez eux dans leurs réserves et à y demeurer de façon plus continue ». Par ailleurs, des écoles avaient été construites [traduction] « dans la réserve de Little Black Bear située dans la région des collines File », dans « la réserve du chef Gordon » et dans d’autres réserves de la région, dont Pasqua. Il y avait également une école industrielle [traduction] « à Qu’Appelle, qui avait été établie en 1884 dans l’intérêt des jeunes sauvages du territoire couvert par le Traité n° 4 » (RCD, vol 1, doc 28, à la p 5).

[46]  La rébellion de Riel a éclaté en 1885 pour être ensuite réprimée la même année. Le rapport annuel de 1885 du ministère s’intéresse aux effets de cette rébellion sur le territoire couvert par le Traité n° 4 (RCD, vol 1, doc 28, à la p 4). Le gouvernement doutait manifestement de la loyauté des Premières Nations, se questionnant sur leur participation au soulèvement. Les bandes étaient agitées et certains membres avaient pris part à des actes de violence pour lesquels ils ont été emprisonnés. Quelques‑uns l’ont été sans raison. Les représentants du gouvernement ont alors entrepris d’imposer un contrôle et de maintenir la paix, et ont demandé aux chefs une déclaration de loyauté.

[47]  L’angoisse et la méfiance suscitées par la rébellion de Riel ont engendré des difficultés supplémentaires pour les collectivités autochtones. Dans une lettre datée du 16 août 1885, le commissaire adjoint des Indiens, Hayter Reed, a consenti à l’adoption de ce qui est devenu le « système de laissez-passer », qu’il a admis avoir créé sans fondement légal :

[traduction] J’adopte le système qui consiste à garder les sauvages dans leurs réserves respectives et à ne pas leur permettre d’en sortir sans laissez-passer. Je sais que cette mesure peut difficilement s’appuyer sur une loi, mais il faut parfois faire preuve de bon sens et agir pour le bien commun. J’envoie la police à tous les jours afin qu’elle renvoie dans leur réserve les Indiens qui ne détiennent pas de laissez-passer […] [RCD, vol 3, doc 210]

[48]  L’adoption par M. Reed du système de laissez-passer est expliquée plus en détail dans une lettre en date du 23 juin 1892 écrite par le surintendant général adjoint intérimaire, R. Sinclair. Le contenu et le ton de cette lettre donnent une idée de l’attitude du gouvernement et du fonctionnement du système :

[traduction] En ce qui concerne l’objet de la lettre adressée par le surintendant général adjoint au contrôleur de la Police montée du Nord-Ouest, le 17 courant, avec copie d’une lettre du commissaire de la Police montée au sujet du raccompagnement des sauvages qui quittent leur réserve sans laissez-passer, un [illisible] qui est maintenant devenu une réalité presque quotidienne, le soussigné a l’honneur d’annoncer que des laissez-passer sont maintenant accordés aux sauvages du Nord-Ouest afin qu’ils puissent, pour certaines raisons approuvées, quitter leurs réserves. Le ministère a commencé à accorder ces laissez-passer en 1885 lorsqu’il a été avisé, par lettre du commissaire des Indiens du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest de l’époque, qu’à la demande de ce dernier, le commissaire adjoint, M. Hayter Reed, avait mis par écrit plusieurs suggestions concernant la gestion future des Indiens dans ces territoires.

Parmi les suggestions rédigées par le commissaire adjoint des Indiens se trouvait la suggestion n° 7 :  

« Aucun Indien rebelle ne devrait pouvoir quitter les réserves sans un laissez-passer signé par un représentant du MAI. Le risque d’altercation avec des hommes blancs s’en trouvera donc réduit et, comme elles connaîtront les déplacements de chacun, les autorités pourront facilement contrôler ceux qui seraient enclins à commettre de petits larcins en les appréhendant dès leur première infraction ».

[Annotations]

« Il faut aller de l’avant et insister sur ce point dans la mesure du possible. Il faudra peut‑être une autre année pour légiférer en ce sens ». (signé) E.D.

Dans une lettre que le ministère a adressée au commissaire des Indiens, le 28 octobre de cette année-là, en ce qui concerne l’octroi de laissez-passer, le commissaire des Indiens a été informé que le surintendant général croit qu’il serait éminemment souhaitable que le système de laissez‑passer puisse être instauré en toute sécurité, et que, s’agissant des bandes déloyales, le système devrait être rigoureusement appliqué en conséquence, qu’il devrait être implanté dans la mesure du possible auprès des bandes loyales sans que leurs membres n’aient à subir aucune conséquence pour avoir [franchi] les limites, et que si des membres loyaux s’opposaient à la [illisible] des droits issus de traités, il ne leur serait pas nécessaire d’[obtenir] un laissez-passer avant de quitter la réserve.

Le formulaire de laissez-passer proposé a été soumis au surintendant général en mai 1886 et a été approuvé en juin. Un certain nombre de livrets de laissez‑passer ont donc été préparés. [RCD, vol 3, doc 214]

[49]  L’Acte relatif aux sauvages, SC 1880, c 43, a été modifié en avril 1884 (Acte relatif aux sauvages, SC 1884, c 27), de sorte qu’il est devenu illégal d’inciter « des Sauvages, des sauvages non compris dans les traités ou des métis agissant apparemment de concert, au nombre de trois ou en plus grand nombre […] [à] faire quelque requête ou demande à un agent ou autre serviteur du gouvernement d’une manière tumultueuse, violente, turbulante ou menaçante ou d’une manière propre à causer une infraction de la paix, ou […] [à] commettre un acte propre à causer une infraction de la paix » (article 1). Quiconque était reconnu coupable d’un tel délit était passible d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans, avec ou sans travail forcé. Aussi, il était interdit de « vendre, donner ou procurer d’autre manière, à aucun Sauvage […] dans les territoires du Nord-Ouest […] des munitions préparées ou cartouches à balle » (article 2). Enfin, commettait une infraction tout « Sauvage » qui participait ou assistait à la célébration d’une « Potlatche » ou à la danse désignée sous le nom de « Tamanawas » (article 3).

[50]  L’avocat de Little Black Bear a informé le Tribunal qu’après la rébellion de Riel, la bande n’avait pas été autorisée à nommer un chef pendant 60 ans. Bien qu’aucun document n’ait été produit à l’appui de cette déclaration, aucune des autres parties ne l’a contestée.

[51]  Dans le rapport annuel de 1887 du ministère des Affaires indiennes, les bandes et les réserves étaient regroupées selon leur agence administrative et leur emplacement (RCD, vol 1, doc 29, aux pp 3-4) :

N° de la réserve

Nom de la bande

Emplacement de la réserve

Tribu

 

Agence de File Hills

 

 

81

Pee-pee-kisis

Collines File

Crie

82

Okanesse

id.

id.

83

Star Blanket

id.

id.

84

Little Black Bear

id.

id.

 

Agence de Touchwood Hills

 

 

85

Mus-cow-equahn

Collines Touchwood

Crie

86

Geo. Gordon

id.

id.

87

Day Star

id.

id.

88

Kah wah-kan-toose

id.

id.

89

Yellow Quill

Lac Fishing

id.

90

id.

Lac Nut

id.

 

Agence de Mus-cow-pe-tungs

 

 

75

Pia-pot

Qu’Appelle

vallée

Crie

79

Pas-quah

id.

lac

id.

80

Mus-cow-pe-tungs

id.

vallée

id.

[52]  Ce n’est que le 17 mai 1889 que les réserves ont officiellement été approuvées et attribuées par le décret CP 1151 (RCD, vol 3, doc 239). Quatre-vingt-quatre réserves, deux postes de pêche, une terre à foin et deux concessions forestières ont donc été approuvés en bloc. La disposition liminaire du décret CP 1151 est ainsi formulée (à la page 3) :  

[traduction] […] [les] plans des diverses réserves, ainsi que les descriptions desdites réserves qui ont, à un moment ou à un autre, été attribuées ou mises de côté au profit des bandes indiennes mentionnées ci-après, qui avaient un intérêt dans ces terres […] des Territoires du Nord-Ouest visées par les Traités n° 4 […], les limites desdites réserves ayant été définies lors de l’arpentage, comme le démontrent […], et recommande que les réserves ainsi définies et décrites ci-après sous le nom des chefs des diverses bandes ou autres soient confirmées […] [Soulignements ajoutés.]

[53]  Les parties conviennent que la RI 80A était une « réserve » dûment constituée en vertu de l’Acte des sauvages. Les réserves de toutes les revendicatrices participant à cette sous-étape, y compris la RI 80A, ont été approuvées par le décret CP 1151 (RCD, vol 3, doc 239, aux pp 57‑58).

[54]  À la page 7 du décret CP 1151 se trouve un procès‑verbal rédigé par John C. Nelson, que l’on décrit comme étant [traduction] « le responsable de l’arpentage des réserves indiennes » (RCD, vol 3, doc 239, à la p 7). Le plan d’arpentage de chacune des réserves approuvées est reproduit dans le décret CP 1151. Le nom de l’arpenteur de chaque réserve figure dans le coin inférieur droit de chaque plan. On peut également voir le nom et la signature de M. Nelson dans le coin inférieur gauche de chaque plan, ce qui montre qu’il l’a vérifié et approuvé.

[55]  Un aperçu des détails de l’arpentage des réserves des revendicatrices figure dans le tableau ci-dessous :

Les réserves des revendicatrices (excluant la RI 80A)

  1. Revendicatrices reconnues comme étant des sauvages de « Touchwood Hills »

Bande

Année d’arpentage et arpenteur

RI n°

N° de page du RCD, vol 3, doc 239

Day Star

 

1876 (Wagner)

1881 (Nelson)

1888 (Nelson)

RI 87

73-75

George Gordon

1883 (Ponton)

RI 86

71-72

Muskowekwan

1884 (Nelson)

RI 85

69-70

Kawacatoose (Poorman)

1876 (Wagner)

1889 (Nelson)

RI 88

76-77

  1. Revendicatrices reconnues comme étant des « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle »

Bande

Année d’arpentage et arpenteur

RI n°

N° de page du RCD, vol 3, doc 239

Pasqua

1876 (Wagner)

RI 79

53-54

Muscowpetung

1881 (Nelson)

1882 (Nelson)

RI 80

55-56

Muscowpetung

1881 (Nelson)

RI 80B

59-60

Piapot

1885 (Nelson)

RI 75

47-48

  1. Revendicatrices non reconnues comme étant des « sauvages de Touchwood Hills » ou « de la vallée de la Qu’Appelle »

(p. ex. bandes de File Hills et Standing Buffalo)

Bande

Année d’arpentage et arpenteur

RI n°

N° de page du RCD, vol 3, doc 239

Star Blanket

1880 (Patrick)

RI 83

65-66

Little Black Bear

1880 (Patrick)

1884 (Nelson)

RI 84

67-68

Standing Buffalo

1881 (Nelson)

RI 78

51-52

Standing Buffalo

1881 (Nelson)

RI 80B

59-60

Peepeekisis

1880 (Patrick)

1887 (Nelson)

RI 81

61-62

[56]  Dans le décret CP 1151, les réserves approuvées sont traitées en ordre numérique. Sur la page précédant chaque plan d’arpentage, on trouve une description de la réserve concernée, notamment des précisions sur l’arpentage, sa superficie, ses tenants et aboutissants et un résumé de ses caractéristiques physiques.

[57]  En ce qui concerne les réserves des bandes reconnues comme étant des sauvages de Qu’Appelle, elles bordaient toutes la rivière Qu’Appelle ou le lac Qu’Appelle (aussi connu sous le nom de lac Fishing), et cela est dûment noté dans les descriptions. Cependant, il n’est pas question de la qualité des plans d’eau ou de la pêche, sauf dans le cas de la réserve de Pasqua où il est indiqué ce qui suit : [traduction] « [l]e lac regorge de poissons et les oiseaux sauvages y sont nombreux […] » (RCD, vol 3, doc 239, à la p 53).

[58]  Les descriptions des réserves arpentées des bandes de File Hills traitent également des plans d’eau. S’agissant de la réserve de Star Blanket, il est indiqué (RCD, vol 3, doc 239, à la p 65) : [traduction] « Les lacs et les marécages de foin sont nombreux ». En ce qui concerne la réserve de Little Black Bear (RCD, vol 3, doc 239, à la p 67) : [traduction] « Il y a de nombeux marais, étangs et lacs ». Enfin, la description de la réserve de Peepeekisis contient la mention suivante (RCD, vol 3, doc 239, à la 61) : [traduction] « Il y a de nombreux lacs et petits ruisseaux ».

[59]  Quant à la réserve de Standing Buffalo, il est mentionné qu’elle se trouve [traduction] « sur la rive nord des lacs Qu’Appelle ou Fishing, à l’est du ruisseau Jumping » (RCD, vol 3, doc 239, à la p 51).

2.  De la création à la cession de la RI 80A

[60]  Bien que les parties conviennent que la RI 80A était une « réserve » dûment constituée au sens de l’Acte des sauvages, certains prétendent que le ministère n’en était pas aussi sûr lorsqu’il a commencé à envisager de l’aliéner au début des années 1900. Comme le décret CP 1151 la décrivait comme étant un [traduction] « poste de pêche », plutôt qu’une réserve, et qu’elle ne portait pas le nom d’un chef ou d’une bande en particulier, le ministère se questionnait sur la façon dont il pourrait le faire.

[61]  Dans une lettre adressée au ministre en date du 20 novembre 1906, le surintendant général adjoint intérimaire du ministère explique que, selon un avis juridique de la Direction des terres et du bois d’œuvre (fondé sur la disposition liminaire du décret CP 1151; voir le paragraphe 52 ci‑dessus), le gouvernement a l’intention de désigner la RI 80A en tant que réserve afin qu’elle soit visée par la Loi des sauvages. Cela étant, [traduction] « avant qu’une partie de cette réserve puisse être vendue ou louée, il faut qu’elle soit cédée par les sauvages conformément aux dispositions de la Loi des sauvages » (RCD, vol 1, doc 41). Le surintendant général adjoint intérimaire ajoute qu’il s’est renseigné à ce sujet auprès de l’inspecteur des réserves indiennes, W. M. Graham, qui lui a répondu que trois familles habitaient à cet endroit et y pêchaient régulièrement, et que des membres des bandes de Piapot et de Muscowpetung y pêchaient aussi occasionnellement (RCD, vol 1, doc 41, à la p 2; RCD, vol 1, doc 40). L’index joint au RCD révèle que M. Graham a aussi occupé le poste d’agent des Indiens dans la région au début des années 1900. L’avis juridique de la Direction des terres et du bois a été confirmé par le sous-ministre de la Justice en janvier 1907 (RCD, vol 1, doc 42). Le ministre de l’Intérieur du Canada l’a accepté, encore qu’il ne pensait pas qu’il était « équitable » (RCD, vol 1, doc 43).

[62]  La question est donc de savoir quels « sauvages » devaient participer au processus de cession puisque le décret CP 1151 ne nommait pas expressément les bandes à qui le droit à la RI 80A devait revenir.

[63]  Dans une lettre en date du 4 mai 1907 adressée au secrétaire du ministère des Affaires indiennes, l’inspecteur des agences indiennes W. M. Graham reconnaît avoir eu pour instruction de demander la cession de la RI 80A. M. Graham se demandait si, pour obtenir cette cession, il devait s’adresser aux bandes de Piapot, de Muscowpetung, de Pasqua, de Sioux (c.-à-d. Standing Buffalo), de Gordon, de Muskowekwan, de Day Star et de Poor Man (c.-à-d. Kawacatoose) — ce qui, selon lui, allait être [traduction] « toute une tâche » (RCD, vol 1, doc 45-46). Comme autre solution, il pouvait demander aux personnes résidant véritablement dans la RI 80A de lui céder la réserve, ce qui serait [traduction] « chose facile ». M. Graham souligne qu’aucune des bandes susmentionnées n’utilisait la réserve comme poste de pêche, à l’exception de quatre ou cinq membres de la bande de Muscowpetung qui y vivaient en permanence depuis les sept ou huit dernières années et qui se considéraient comme étant les seuls propriétaires. Il conclut comme suit : [traduction] « Je ne crois pas que les sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle vont la revendiquer ».

[64]  Le 2 septembre 1913, les agents des Indiens W. Murison et H. Nichol ont écrit au secrétaire pour lui faire savoir qu’ils avaient [traduction] « tenu un conseil avec les quatre bandes relevant de l’agence de Touchwood Hills et les trois bandes relevant de l’agence de Qu’Appelle, lesquelles regroupaient les Indiens ayant un intérêt dans la réserve […], et [que] ces dernières [avaient] signifié leur consentement à céder l’ensemble de cette réserve » (soulignements ajoutés; RCD, vol 1, doc 61). En réponse, le secrétaire a demandé quelles bandes précisément y avaient un intérêt puisque l’agence de Touchwood Hills englobait cinq bandes (et non quatre) et que l’agence de Qu’Appelle représentait quatre bandes (et non trois) (RCD, vol 1, doc 63). Dans cet échange de lettres, les bandes sont désignées selon l’agence qui les administrait.

[65]  L’agent des Indiens de Touchwood Hills, M. Murison, a répondu que les bandes de Muskowekwan, de Gordon, de Day Star et de Poorman revendiquaient un intérêt dans la réserve. Il a cependant ajouté que les [traduction] « vieux Indiens » de ces bandes estimaient que la bande de Piapot ne pouvait prétendre y avoir un intérêt puisque sa réserve ne se trouvait pas dans la région des collines Touchwood au moment de la signature du traité. De plus, les bandes de Pasqua et de Muscowpetung jouissaient de certains privilèges de pêche au lac et à la rivière Qu’Appelle, de sorte qu’elles non plus ne devraient pas pouvoir revendiquer un intérêt dans la réserve. Enfin, la bande de Peepeekisis, qui était au départ une bande de Touchwood Hills censée obtenir une réserve à cet endroit, avait finalement accepté une réserve dans les collines File. Elle non plus ne devrait donc avoir aucun intérêt dans la réserve 80A. L’agent des Indiens a laissé entendre que les documents ministériels pourraient clarifier la question (RCD, vol 1, docs 64-65). Or, le RCD ne contient aucune réponse du ministère. 

[66]  Le 15 mai 1914, l’inspecteur des agences indiennes, W. M. Graham, s’est de nouveau prononcé sur la question et a déclaré que les Indiens de l’agence de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle s’entendaient de [traduction] « tous les Indiens des agences de Qu’Appelle, de File Hills et de Crooked Lake » (RCD, vol 1, doc 68). M. Graham a parlé d’agences plutôt que d’emplacements géographiques. Jusque-là, rien ne laissait croire que Standing Buffalo, qui était alors administrée par l’agence de Qu’Appelle, avait un intérêt dans la réserve.

[67]  En fin de compte, les cessions de la RI 80A consenties en vue de la vente ont été obtenues, confirmées et approuvées, le 20 juillet 1918, par le décret CP 1815 (RCD, vol 1, doc 74). Il était précisé dans ce décret que les cessions avaient été obtenues des bandes de Muscowpetung, de Pasqua et de Piapot de l’agence de Qu’Appelle, ainsi que des bandes de Poorman, de Day Star, de George Gordon et de Muskowekwan de l’agence de Touchwood Hills. Les documents de cession sous-jacents ont apparemment été signés par les chefs des sept bandes, tout comme les affidavits à l’appui déposés par l’agent des Indiens (RCD, vol 1, docs 70, 75-77). Les documents de cession ne désignaient pas chacune des bandes, mentionnant seulement que la cession avait été consentie par [traduction] « les sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle qui avaient un intérêt dans la réserve indienne n° 80A ».  

[68]  Le ministère a mis les terres en vente. La question était alors de savoir qui pourrait prétendre au produit de la vente.

[69]  Sans qu’aucune raison ne soit donnée dans les documents au dossier, Standing Buffalo ne figurait pas parmi les bandes admissibles. Une note simplement datée de « 1914 » présente le calcul des sommes que chacune des sept bandes allait recevoir par suite de la vente des 1 490 acres de terres, dont la valeur s’élevait à 74 000 $. Le nom de Standing Buffalo apparaissait dans la liste comme si elle était la huitième bande bénéficiaire, mais le calcul figurant à côté de son nom a été biffé sans explication (RCD, vol 1, doc 66).

3.  Après la cession de la RI 80A

[70]  Une fois le processus de cession terminé, la RI 80A a été sous-divisée en lots, dont plusieurs ont été vendus. Il a ensuite fallu régler les derniers détails de la répartition du produit de la vente. Le 12 mars 1924, W. M. Graham (alors commissaire des Indiens) a écrit au secrétaire adjoint du ministère pour lui présenter le calcul qu’il avait réalisé en vue d’une répartition juste du produit parmi les sept bandes et lui demander un chèque. Il n’a pas remis en question le bien‑fondé de la cession pour ce qui est des bandes pouvant prétendre au produit de la vente (RCD, vol 1, doc 80). Cependant, quelques mois plus tard, dans une lettre datée du 30 juin 1924 qu’il a envoyée au surintendant général adjoint, M. Graham a réitéré ce qu’il avait avancé en mai 1914 (RCD, vol 1, doc 96; RCD, vol 3, doc 241), à savoir que, selon les Indiens de File Hills, ainsi que [traduction] « les vieux Indiens » de Touchwood Hills, les bandes de File Hills avaient un intérêt dans la RI 80A alors que les bandes de la vallée de la Qu’Appelle, dont les réserves se trouvaient en bordure de l’eau, n’en avaient pas :  

[traduction] Les vieux Indiens de Touchwood prétendent que, lorsque le poste de pêche a été mis de côté, c’était pour les bandes qui n’avaient pas de lacs où pêcher près de leurs réserves, nommément les bandes de Poorman, de Day Star, de Muscowequan, de Gordon, deMuscowpetung et de File Hills, ainsi que les bandes pour qui le poste situé au lac Last Moutain avait été mis de côté. Ils prétendent que la bande de Pasqua n’y avait pas droit étant donné qu’elle avait accès à un lac de pêche, qui fait partie de la limite nord de sa réserve, et que la bande de Piapot ne s’était installée dans sa réserve que plus tard. C’est là une question qui, selon moi, devrait être examinée très attentivement puisque les Indiens de File Hills estiment être privés d’argent auquel ils ont à juste titre droit , et il me semblerait raisonnable de les inclure en tant qu’Indiens de la vallée de la Qu’Appelle.

Nul doute que le ministère a gardé une trace de l’entente originale […] [RCD, vol 1, doc 96; RCD, vol 3, doc 241]

[71]  Cette lettre semble avoir déclenché un débat au sein du ministère. Le surintendant général adjoint D. C. Scott y a répondu le 19 juillet 1924, se disant d’avis que, si les [traduction] « Indiens de File Hills étaient géographiquement visés par le terme “sauvages de la vallée de la Qu’Appelle” », les bandes d’Assiniboine et de Crooked Lake pourraient l’être aussi (RCD, vol 1, docs 82, 85). Force est donc de constater qu’il s’agit d’un terme mal choisi. Il a fait remarquer qu’au moment où la RI 80A a été choisie, les réserves des bandes de Star Blanket, de Little Black de Bear, d’Okanese et de Peepeekisis étaient désignées comme étant les réserves de File Hills dans les dossiers ministériels et les réserves des bandes de Day Star, de Kawacatoose, de Muskowekwan et de George Gordon comme étant celles de Touchwood Hills. Les réserves situées près de Fort Qu’Appelle étaient connues sous le nom de réserves de Qu’Appelle (sauf la réserve indienne n° 78 de Standing Buffalo, à propos de laquelle M. Scott a dit que [traduction] « les Indiens y habitant [étaient] des Sioux américains »). M. Scott a expliqué que, si le ministère avait eu l’intention d’inclure les bandes de File Hills parmi les bénéficiaires de la réserve, il l’aurait précisé. La bande de Pasqua ne devait peut-être pas compter parmi les bénéficiaires à l’époque, mais rien dans la correspondance du ministère ne permet de le savoir. Par conséquent, M. Scott ne se sentait pas en droit de l’exclure :

[traduction] Au moment de choisir la réserve indienne n° 80A, les réserves n° 81, 82, 83 et 84 étaient connues et désignées par le ministère comme étant les réserves de File Hills,et les réserves n° 85, 86 et 87, comme étant celles de Touchwood Hills. Il est donc évident que si l’on avait voulu que les Indiens des réserves de File Hills fassent partie des bénéficiaires de la réserve, ils auraient été nommés comme l’ont été ceux de Touchwood Hills.

Les réserves situées près de Fort Qu’Appelle étaient connues et désignées par le ministère comme étant les réserves de Qu’Appelle, et les Indiens de ces réserves, à l’exception de la réserve n° 78 dont les Indiens sont des Sioux américains, ont le droit de participer au partage du produit de la vente de la réserve indienne n° 80A au même titre que les Indiens de Touchwood Hills. Il est possible que le ministère n’ait pas eu l’intention d’accorder un poste de pêche aux membres de la bande de Pasqua dans la réserve n° 80A, mais comme la correspondance de l’époque ne précise pas que les Indiens de cette réserve étaient exclus, je ne crois pas qu’il soit justifié de conclure qu’ils ne devraient pas recevoir une part du produit.

[72]  Dans une lettre datée du 12 juillet 1924, l’arpenteur en chef D. Robertson a souscrit à l’analyse de M. Scott (RCD, vol 1, doc 84) et a ajouté que les bandes de File Hills auraient probablement dû se voir attribuer un poste de pêche, mais au lac Fishing :

[traduction] Compte tenu de l’endroit où ils sont établis, il semblerait que les Indiens de la réserve de File Hills auraient dû se voir attribuer un poste de pêche, mais dans ce cas, il est évident que ce poste aurait dû être au lac Fishing. Les réserves les plus à l’est de la vallée de la Qu’Appelle peuvent être éliminées sans risque selon moi, car trois d’entre elles bordent les lacs Crooked et Round et que les Indiens de la quatrième réserve, soit celle de Kakewistahaw, ont reçu une réserve spéciale au lac Crooked. Les Indiens de la réserve d’Assi[ni]boine auraient, à mon avis, autant le droit de toucher une part du produit que les Indiens de File Hills.

Un argument invoqué à l’encontre de la revendication des Indiens de File Hills est que ces réserves étaient désignées comme étant les réserves de File Hills dans les rapports du ministère, et que celles de Touchwood Hills étaient désignées comme étant les réserves de Touchwood Hills. Il semble probable que si le représentant qui a choisi de créer un poste de pêche au lac Last Moutain avait voulu inclure parmi les bénéficiaires de ce poste les réserves de File Hills, il les aurait nommées au même titre que les réserves de Touchwood Hills. Personnellement, j’ai tendance à croire que les Indiens visés par le terme « les sauvages de Qu’Appelle ou de la vallée de la Qu’Appelle » étaient les Indiens des réserves connues, dans les rapports et la correspondance du ministère de l’époque, comme étant les réserves de Qu’Appelle, à savoir : Piapot, Muscowpetung, Pasqua et Standing Buffalo, et il est tout à fait possible que l’on ait même prévu de ne pas inclure les bandes de Pasqua et Standing Buffalo étant donné que leurs réserves étaient situées sur le bord des lacs Fishing.

[73]  Il semble que l’exclusion de Standing Buffalo en tant que [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » découle de la conviction que ses membres étaient des « Sioux américains ». Ce terme revient d’ailleurs fréquemment dans les rapports de terrain présentés au surintendant général ou au surintendant adjoint des Affaires indiennes. Ces rapports étaient probablement rédigés chaque année, bien que seules des parties aient été publiées au fil des ans. Par exemple :

  1. Selon W. M. Graham, agent des Indiens, le 28 août 1901 (RCD, vol 1, doc 33, à la p 4) : [traduction] « Ces Indiens sont connus sous le nom de Sioux, ou Dakotahs, et résidaient auparavant au Minnesota, aux États-Unis ».

  2. Selon W. M. Graham, agent des Indiens, le 14 août 1902 (RCD, vol 1, doc 34, à la p 4; commentaire identique à celui-ci-dessus (RCD, vol 1, doc 34, à la p 4).

  3. Selon W. M. Graham, inspecteur des agences indiennes, le 1er août 1905 (RCD, vol 1, doc 38, à la p 4) : [traduction] « Il est très difficile de proccéder à un recensement exact, car bon nombre de ces Indiens font des aller-retour entre les États-Unis et le Canada et sont pratiquement résidents des deux pays ».

  4. Selon W. M. Gordon, agent des Indiens, le 23 juillet 1906 (RCD, vol 1, doc 39, à la p 2) : [traduction] « Les Indiens de cette réserve sont des Sioux ou des Dakotas, et ils résidaient auparavant aux États-Unis. En fait, bon nombre d’entre eux font des aller-retour entre cette réserve et les États-Unis ».

  5. Selon W. M. Gordon, agent des Indiens, le 30 avril 1908 (RCD, vol 1, doc 49, à la p 2) : [traduction] « Ces Indiens sont des Sioux ou des Dakotas. Ils résidaient auparavant aux États-Unis et ne concluent pas de traité ici ».

[74]  En revanche, dans tous les rapports annuels du ministère publiés au cours de la période en question, il était reconnu que les membres de Standing Buffalo formaient un peuple vaillant et productif. Ils exploitaient leurs propres petites fermes et travaillaient pour les colons installés dans la région, qui appréciaient leur travail. Les membres de Standing Buffalo étaient décrits comme des gens en santé et propres. Ils prenaient soin de leurs maisons, de leurs animaux et de leurs outils. Ils pratiquaient la religion catholique romaine et envoyaient leurs enfants à l’école.  

[75]  La question du droit à la RI 80A se posait toujours. Dans une lettre datée du 19 mai 1931, l’agent des Indiens de Touchwood Hills a demandé au secrétaire du ministère quelles bandes [traduction] « possédaient » la RI 80A, car ses bandes « se demand[aient] constamment à qui elle appart[enait] », et « elles [avaient] toutes des idées différentes » (RCD, vol 1, doc 92). Le 28 mai 1931, le secrétaire a répondu en lui expliquant à l’aide d’un bref historique que les sept bandes du groupe de Kawacatoose étaient les [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de Qu’Appelle, ou de la vallée de la Qu’Appelle » qui avaient droit à la RI 80A et qui étaient donc des parties concernées par la cession (RCD, vol 1, doc 93).

[76]  Le 15 août 1932, l’agent des Indiens de Touchwood Hills a écrit de nouveau que la bande de Muskowekwan revendiquait toute la réserve en tant que sienne et que les [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » souhaitaient que l’argent qu’ils avaient reçu soit remis la bande de Muskowekwan (RCD, vol 1, doc 94).

[77]  Le superviseur régional des agences indiennes, J. P. B. Ostrander, a de nouveau soulevé la question dans une lettre datée du 14 mars 1949 qu’il a envoyée au ministère. Les bandes de Muskowekwan et de Kawacatoose de l’agence de Touchwood Hills prétendaient qu’au moment de la conclusion du Traité n° 4, leurs chefs respectifs s’étaient fait dire que le poste de pêche leur avait été attribué. Elles prétendaient aussi que les bandes établies au bord du lac ou de la rivière Qu’Appelle n’y avaient pas droit parce qu’elles avaient accès à des plans d’eau où elles pouvaient pêcher. M. Ostrander a supposé que la réserve avait été mise de côté pour certaines bandes, et il a demandé au ministère de vérifier dans ses dossiers si c’était bien le cas et de l’en informer afin qu’il puisse dissiper la confusion qui régnait (RCD, vol , doc 111). Le 2 avril 1949, le surintendant D. J. Allan a répondu que l’examen des dossiers du ministère avait révélé que la RI 80A avait été mise de côté pour l’usage des sept bandes qui l’avaient cédée, et qu’aucune bande ne s’en était vu attribuer une parcelle particulière (RCD, vol 1, doc 112).

[78]  Les Premières Nations ont continué de poser des questions quant au droit à la réserve. Voici quelques exemples documentés :

  1. Le 9 mars 1925 (RCD, vol 1, doc 91) : Dans un rapport manuscrit intitulé [traduction] « Déclaration de Buffalo Bow », il est indiqué qu’il y a eu une rencontre entre les chefs au sujet du Lac Long et que « tant que le soleil brillera, cette terre appartiendra aux Indiens qui étaient représentés par leurs chefs », et que « tant que la terre tournera, il y aura une route pour aller au lac Fishing ». Le rapport indiquait seulement que [traduction] « quatre chefs étaient présents : Peepeekisis, Okanesse, S.B. et Little Black Bear ».

  2. Le 29 août 1938 (RCD, vol 1, doc 103) : Les bandes de George Gordon, de Poorman, de Day Star et de Muskowekwan ont fait valoir que [traduction] « l’honorable M. Laird » leur avait promis un poste de pêche qui, d’après elles, devait être la RI 80A. Elles ont également prétendu qu’aucune autre bande n’avait d’intérêt dans le poste de pêche, encore moins les Indiens de Qu’Appelle qui vivaient sur le bord d’un lac. Quelques membres de la bande de Poorman ont déclaré qu’ils étaient présents lorsque l’honorable M. Laird avait fait sa promesse. Les bandes ont aussi affirmé que les bandes de la vallée de la Qu’Appelle avaient reconnu publiquement n’avoir aucun intérêt dans la RI 80A. Elles ont demandé au ministère de trouver une copie de l’entente qui leur conférait un droit dans la réserve. S’il y a eu une réponse, elle n’a pas été produite.

  3. Le 20 février 1953 (RCD, vol 1, doc 121) : La bande de Muskowekwan a refusé d’adopter une résolution autorisant le ministère à négocier les modalités relatives à la location d’une terre non vendue de la RI 80A, alléguant qu’elle seule avait un droit dans la réserve. Elle a demandé pourquoi d’autres bandes avaient commencé à s’y intéresser. La bande de Poorman a refusé d’étudier une résolution qui devait donner au ministère la permission de négocier puisque la cession de 1918 aurait dû suffire. S’il y a eu une réponse, elle n’a pas été produite.

  4. Le 15 juillet 1953 (RCD, vol 1, docs 122, 124) : La bande de Peepeekisis a demandé des renseignements à propos de son intérêt dans la RI 80A, qu’elle revendiquait au motif qu’elle faisait partie de l’agence de Qu’Appelle au moment où le poste pêche avait été mis de côté et que l’agence de File Hills n’avait été créée que plus tard. Le ministère a répondu que les sept bandes qui avaient cédé la RI 80A étaient les seules intéressées.

  5. Le 9 février 1954 (RCD, vol 1, doc 126) : Les dirigeants de la bande de Piapot se sont plaints au ministre de ce que la cession de la RI 80A était entachée d’irrégularités, et ils ont demandé la tenue d’une [traduction] « enquête approfondie ». La bande a affirmé qu’elle avait demandé un poste de pêche pour elle-même et pour six autres bandes, si bien que le commissaire des Indiens, Hayter Reed, leur avait attribué la RI 80A. Elle a ajouté que la bande de Pasqua n’avait aucun intérêt parce qu’elle vivait au bord d’un lac. Le ministre a répondu le 15 mars 1954 (RCD, vol 1, doc 133), reconnaissant que tous les documents de cession n’avaient pas encore été retrouvés, mais que la RI 80A avait été mise de côté pour les bandes des régions de Qu’Appelle et des collines Touchwood, ce qui excluait les bandes de File Hills puisqu’elles n’étaient pas établies dans l’une ou l’autre de ces deux régions. Cpendant, la bande de Pasqua se trouvait dans la région de Qu’Appelle. Elle a donc écrit de nouveau (lettre datée du 21 mai 1954; RCD, vol 1, doc 129) pour indiquer que des parties de la RI 80A avaient été mises de côté pour chacune des bandes de Touchwood Hills, parties qui étaient ensuite décrites. On a de nouveau allégué que la cession comportait des irrégularités et que la bande de Pasqua n’avait aucun intérêt dans la réserve. La bande a déclaré qu’elle ne considérerait pas les documents de cession comme étant définitifs.

  6. Le 2 mai 1965 (timbre dateur ministériel; RCD, vol 1, doc 6) : Le chef Day Star a demandé si les bandes de Touchwood Hills possédaient à elles seules la RI 80A ou si elles la partageaient avec d’autres bandes. Il voulait aussi savoir si les terres avaient été vendues ou louées.

C.  Histoire orale

1.  Introduction

[79]  Le Tribunal a recueilli les déclarations de quatorze témoins pendant cinq jours. Ces témoins, tous des aînés très respectés (ou des [traduction] « orateurs », comme Noel Starblanket se plaisait à le dire; transcription de l’audience, le 24 juillet 2017, à la p 72) dans leurs collectivités respectives, avaient, pour la plupart, agi comme chefs, conseillers ou chefs spirituels. Bon nombre d’entre eux avaient joué un rôle actif au sein d’organisations politiques autochtones à l’échelle régionale, provinciale ou nationale. En raison de leurs origines et de leur rôle de chef, tous étaient imprégnés de l’histoire, de la culture et de la société de leurs collectivités respectives. Chacun d’eux avait aussi une riche expérience de vie. Certains avaient fait des études postsecondaires menant à des carrières modernes, ou avaient occupé des postes importants, malgré des débuts très difficiles.

[80]  Les noms des témoins, les Premières Nations dont ils sont membres, l’âge qu’ils avaient au moment de leur témoignage et les dates de leur comparution sont :

Mervin Frank Cyr

George Gordon

77 ans

20 juin 2016

Michael McNab

George Gordon

79 ans

20 juin 2016

Lindsay Cyr

Pasqua

63 ans

20 juin 2016

Robert Bellegarde

Little Black Bear

61 ans

21 juin 2016

Vernon Bellegarde

Little Black Bear

75 ans

21 juin 2016

John Bellegarde

Little Black Bear

60 ans

21 juin 2016

Margaret Starblanket

Star Blanket

75 ans

21 juin 2016

Michael Thomas Pinay

Peepeekisis

69 ans

22 juin 2016

Elwood John Pinay

Peepeekisis

70 ans

22 juin 2016

Douglas Grant Starr

Star Blanket

69 ans

22 juin 2016

Irvin Buffalo

Day Star

80 ans

22 juin 2016

Vincent Ryder

Standing Buffalo

85 ans

23 juin 2016

Wayne Goodwill

Standing Buffalo

75 ans

23 juin 2016

Noel Starblanket

Star Blanket

69 ans

24 juillet 2017

[81]  Tous les témoins ont expliqué quelles étaient les sources de leur histoire orale, qui avait clairement été un important facteur culturel dans leur éducation. Aucun des témoignages par histoire orale n’a été contesté quant à son admissibilité, et le Tribunal a jugé qu’ils étaient tous admissibles.

[82]  Un bref passage du témoignage de l’orateur Noel Starblanket donne un aperçu de l’importance et de la place de l’histoire orale dans les cultures de ces Premières Nations :  

[traduction] Wapii-Moostoosis était un homme très spirituel qui avait une grande force d’expression politique. Il a pensé à nous à – sur cette même terre en 1874. Mon arrière-grand-père, Ahchuchwahauhatohapit, était aussi un homme très spirituel, mais il était plus politisé que mon arrière-arrière-grand-père. Et, mon grand-père, appelé Kîsikâw-Kêhkêhk (ph) (Day Hawk/Allan Starblanket), était spirituel, totalement spirituel et – il était apolitique et c’est avec lui que j’ai appris. Mon père, c’était le contraire. Il était totalement politisé, moins spirituel et j’ai appris de lui aussi. J’ai donc toutes les connaissances – les enseignements de tous ces aînés, qui ont été transmis au fil des années, et j’espère les avoir mémorisés – suffisamment bien – pour en parler maintenant devant un tribunal comme celui-ci et que vous comprendrez que ces enseignements proviennent d’aînés respectés et vénérables qui – qui racontaient ces vérités dans l’espoir qu’elles soient entendues encore aujourd’hui […] [Transcription de l’audience, le 24 juillet 2017, aux pp 34‑35; Note : Wapii-Moostoosis était un chef signataire du Traité n° 4]

2.  Perspectives autochtones

[83]  L’histoire orale a été la source la plus importante des perspectives autochtones en l’espèce. Les témoins des quatre bandes de File Hills et de Standing Buffalo ont livré la plupart des témoignages par histoire orale parce que c’était la meilleure façon pour eux d’établir le rôle traditionnel et l’importance de la RI 80A dans leur histoire. Le point de vue de ces témoins était aussi important puisqu’il reflétait la façon dont les bandes voyaient leurs relations et leurs ententes avec le gouvernement canadien. Les aînés du groupe de Kawacatoose ont peu parlé de la place qu’occupait la RI 80A dans leurs traditions puisque le droit au poste de pêche de leurs bandes n’était pas remis en question. Cependant, leurs traditions et cultures étaient manifestement très semblables et les aînés des autres bandes y ont fait allusion pour cette raison. En ce qui concerne Standing Buffalo, leurs témoins ont offert une perspective quelque peu différente, comme nous le verrons plus loin.

[84]  Les Cris et les Saulteaux ont dit clairement qu’ils ne s’étaient jamais définis par des frontières et qu’ils ne se voyaient pas comme des collectivités distinctes. Comme l’a déclaré Robert Bellegarde lors de son témoignage, le mot « cri » ne faisait pas partie du vocabulaire de l’époque. Les peuples de File Hills considéraient qu’ils étaient liés les uns aux autres, sans égard aux frontières géographiques ou aux divisions, comme ce fut le cas une fois que le gouvernement eut établi les réserves et identifié les Premières Nations comme des groupes distincts. Comme l’a dit l’aîné Bellegarde, ils se considéraient comme des « Nēhiyaw ». Tout ce qu’ils faisaient était « Nēhiyaw » et le territoire était « Nēhiyaw ». Ils ont grandi en sachant que tout ce que représentait leur culture, leur langue et leurs cérémonies était « Nēhiyaw » (Robert Bellegarde—transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 20-24; Noel Starblanket— transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux pp 29, 82 et 99).

[85]  Les revendicatrices, qui étaient autrefois des chasseurs et des cueilleurs nomades, ont parcouru les plaines centrales de l’Amérique du Nord pendant des centaines d’années, voire plus. Les revendicatrices d’origine crie et saulteaux suivaient une route migratoire traditionnelle allant du sud du Montana et du sud-ouest de la Saskatchewan (dans la région des collines Cypress) jusqu’au lac Diefenbaker dans le centre de la Saskatchewan (environ 250 kilomètres au nord-ouest du lac Last Mountain ou Long (Noel Starblanket— transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux pp 22-23)). Dans le cas des Dakotas de Standing Buffalo et des Sioux, leur territoire de migration était un peu plus vaste, partant à l’est de la région de Nigara Falls, de Sault Ste. Marie et de Sioux Lookout pour s’étendre à l’ouest jusqu’aux Rocheuses canadiennes, et toucher au sud au Montana, aux collines noires du Dakota du sud et au Wyoming (Wayne Goodwill— transcription de l’audience, 23 juin 2016, à la p 65). Pour subvenir à leurs besoins, ces peuples nomades chassaient le bison et d’autres gros gibiers jusqu’à ce que la population de bisons commence à décliner. Ils campaient le long de leur route, chassaient, pêchaient et cueillaient des baies et des herbes médicinales. Ils voyageaient en petits groupes et avaient l’habitude de se rencontrer à certains endroits pour participer à des cérémonies ou encore pour socialiser et faire du commerce.

[86]  Les histoires sur le « créateur » et la création faisaient partie intégrante de leur vie. Jamais remises en question, elles ont façonné leur vision du monde, qui était très différente de celle des nouveaux arrivants européens (Robert Bellegarde — transcription de l’audience, 21 juin 2016, à la p 22). Les cérémonies étaient très importantes et chacune d’elles commençait par des remerciements au « créateur », ce qui confirme que leur vision du monde était respectueuse de la terre et de la nature. Comme l’a déclaré Noel Starblanket, les peuples autochtones de la région partageaient les terres et les étendues d’eau. Ils pêchaient, chassaient et faisaient la cueillette pour subvenir à leurs besoins et ils réglementaient leur propre utilisation de la terre. Ils n’avaient ni permis ni règlement, contrairement à ce que prévoyait le droit britannique ou canadien, et ils n’en avaient pas besoin. Ils s’en remettaient à ce que Noel Starblanket a appelé les [traduction] « règlements de Dieu » (transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux pp 38-39).

[87]  Sur la route migratoire des différents peuples autochtones, qui se déplaçaient autant vers le nord que vers le sud, le lac Long a été une halte naturelle (Vernon Bellegarde — transcription de l’audience, 21 juin 2016, à la p 69). Kinookimaw (nom autochtone pour désigner la RI 80A) était l’un de ces endroits près du lac où ils s’arrêtaient pour permettre aux chevaux de se reposer. Ils y campaient pendant une journée ou quelques semaines et en profitaient pour pratiquer la pêche, la chasse, le piégeage et la cueillette, et rencontrer d’autres groupes migratoires afin de socialiser et commercer. Selon l’aîné Lindsay Cyr, des peuples autochtones ont probablement déjà vécu à Kinookimaw ou dans les environs, compte tenu des cercles de tipi que l’on a pu observer dans la région (transcription de l’audience, 20 juin 2016, aux pp 67-68, 72-73, 84). Toutefois, il ne savait pas que l’endroit avait probablement servi de halte pour [traduction] « de nombreuses [bandes] » jusqu’à ce que des études environnementales récentes sur les chemins de fer fassent état de la découverte d’artéfacts près de Kinookimaw (et non à Kinookimaw) (transcription de l’audience, 20 juin 2016, aux pp 86-87).

3.  Point de vue de Standing Buffalo

[88]  Standing Buffalo a offert un point de vue différent à plusieurs égards. Cette Première Nation n’avait pas signé le Traité n° 4, ni aucun traité, et évidemment, elle n’appartenait pas à la nation crie et saulteaux qui composait la majeure partie de la population autochtone de la région à l’époque (Wayne Goodwill — transcription de l’audience, 23 juin 2016, aux pp 100 – 101). Elle entretenait des liens avec les Dakotas, les Nakotas et les Lakotas Sioux des plaines américaines. Standing Buffalo faisait partie d’un conseil spirituel et de gouvernance vieux de 400 ans, connu sous le nom de Conseil des Sept feux. Ce conseil était formé de sections divisées par régions, et Standing Buffalo y était connue sous le nom de [traduction] « Peuple du poisson » ou de « Peuple mangeur de poisson » (Wayne Goodwill — transcription de l’audience, 23 juin 2016, à la p 81).

[89]  Fait important, comme l’ont expliqué en détail les témoins des bandes, Standing Buffalo avait un sentiment d’attachement envers le Canada si l’on se fie à son alliance de longue date avec la Couronne britannique, laquelle remonte à la période précédant la Révolution américaine. Cette alliance s’est formée lorsque les ancêtres de la bande ont rencontré des Britanniques arrivés sur des bateaux qu’ils ont appelés des [traduction] « tipis flottants ». En leur offrant des cadeaux, les Britanniques leur signifiaient qu’ils ne leur voulaient aucun mal. Peu de temps après, ils ont commencé à s’échanger des biens et de cette relation commerciale est née une relation de confiance et de bonne foi où chacune des parties avait des obligations et des responsabilités. Standing Buffalo a décrit la relation comme une « alliance », qui est également devenue une alliance militaire. Les aînés de Standing Buffalo ont expliqué comment leur peuple avait combattu aux côtés des Britanniques et de leurs successeurs canadiens dans presque toutes les guerres depuis la Révolution américaine. Comme preuve, ils ont présenté un grand nombre de médailles, de médaillons, de citations et de souvenirs qui leur ont été donnés par les gouvernements britannique et canadien. Une de ces médailles a été décernée à Standing Bufflo pour avoir soutenu les Britanniques pendant la guerre d’Indépendance américaine. La bande, qui s’était aussi battue aux côtés des Britanniques pendant la Guerre de 1812, a reçu un drapeau de l’Union royale pour souligner son rôle. Dans ce conflit en particulier, Standing Buffalo s’était battue contre des membres de sa propre famille, soit des Sioux américains. Certains membres de Standing Buffalo avaient également pris part aux deux guerres mondiales et s’étaient vu décerner des médailles de service. Pour souligner le 200anniversaire de la Guerre de 1812, les dirigeants de Standing Buffalo ont été invités à Ottawa, où ils ont reçu une autre médaille en reconnaissance des services rendus par leur Première Nation (Vincent Ryder — transcription de l’audience, 23 juin 2016, à la p 34; Wayne Goodwill — transcription de l’audience, 23 juin 2016, aux pp 64-74). Après la Confédération, la bande a gardé contact avec ses proches sioux américains, dont Sitting Bull, mais elle est toujours restée au Canada.

[90]  Bien qu’elle n’ait pas signé le Traité n° 4, la Première Nation de Standing Buffalo s’est tout de même vu attribuer une réserve dans la vallée de la Qu’Appelle. Selon les témoins, son alliance avec les Britanniques a joué un rôle important à cet égard. À l’époque, le chef de la bande s’est rendu à Fort Garry, au Manitoba, pour inspecter les terres que l’on se proposait de leur attribuer comme réserve. Cependant, il en est venu à la conclusion que ces terres ne convenaient pas parce qu’on n’y trouvait pas suffisamment de gibier pour subvenir aux besoins de son peuple et qu’elles étaient situées dans des plaines inondables. Il s’est ensuite rendu dans la vallée de la Qu’Appelle qu’il a explorée. Il avait été attiré par cette région à cause de ses lacs et de ses forêts, ainsi que du gibier et des bonnes terres agricoles qu’on y trouvait. Il a repéré et demandé une parcelle de terre en particulier et sa demande a été acceptée. Le chef croyait que cette terre allait permettre à son peuple de subvenir à ses besoins puisqu’il y avait de l’eau douce, des pâturages à proximité pour le bétail, du gibier, des poissons et de bonnes terres agricoles. Le fait que le chef Standing Buffalo ait eu la possibilité de choisir et d’obtenir une terre de qualité était considéré comme un gage du respect que pouvait imposer sa bande en raison de son alliance avec les Britanniques (Wayne Goodwill — transcription de l’audience, 23 juin 2016, aux pp 86-88).

4.  Points de vue sur la signature du Traité

[91]  La preuve par histoire orale a également abordé la question de la perspective autochtone sur la signature du Traité, ses conséquences et les événements qui ont suivi. L’aîné de Peepeekisis, Michael Thomas Pinay, a déclaré que lors de la négociation du Traité n° 4, Alexander Morris avait fait la promesse suivante (transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 38-39) : [traduction] « Les animaux et les plantes qui se trouvent ici sont à vous ». L’aîné Pinay a expliqué que son peuple en avait déduit que cela comprenait toutes les créatures vivantes, y compris les animaux, les oiseaux et les poissons, ainsi que tous les végétaux nécessaires pour se nourrir, se soigner, se transporter, se loger et se chauffer, soit tout ce dont le peuple avait besoin pour subvenir à ses besoins et survivre, tout en respectant son mode de vie traditionnel (transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 38-39, 42-44).

[92]  L’orateur Noel Starblanket a décrit en détail le point de vue de sa collectivité sur le Traité et ses conséquences :

[traduction] Tout chrétien qui croit dans le christianisme, quelle que soit sa confession, vous dira « heureux les doux : ils auront la terre en partage » et cela aussi fait partie intégrante du système de croyances de notre peuple, de notre peuple cri, et plus particulièrement de la nation crie Starblanket. Voilà pourquoi je vous dis ces choses. Vous devez savoir que nous avons partagé cette terre aux termes d’un traité avec nos frères blancs, comme je vous l’ai dit ce matin. Nous ne vous avons pas donné la terre. Nous ne vous l’avons pas vendue. Nous l’avons partagée parce que cela est dans notre nature. Nous l’avons partagée par gentillesse et par générosité. Or, dans vos propres systèmes juridiques, vous avez décidé de nous voler le titre de propriété et de vous l’approprier […] [Transcription de l’audience, 24 juillet 2017, à la p 18]

[93]  L’aîné Michael Thomas Pinay s’est dit déçu que la promesse d’une police pour protéger le peuple soit devenue une façon pour les agents des Indiens et la police de contrôler le peuple, et que la suite à la promesse d’écoles et d’enseignants ait été les pensionnats (transcription de l’audience, 22 juin 2016, à la p 39).

[94]  L’orateur Noel Starblanket a parlé des conséquences actuelles du conflit entre les différentes visions du monde, de la déception avec laquelle le Traité a été accueilli et des promesses qui semblent ne pas avoir été tenues :

[traduction] Autrefois, quand vous alliez au pensionnat, c’était le christianisme ou rien. C’est donc pour cela que nous avons été battus et qu’aujourd’hui, je suis très catégorique à ce sujet. J’ai dû m’en sortir. J’ai dû m’en éloigner parce que je méprisais les Français. Je méprisais les Chrétiens. Je méprisais les Catholiques. Je méprisais les Blancs. Je les détestais. Je voulais leur faire mal comme ils m’avaient fait mal. Voilà ce qui m’est arrivé au pensionnat. J’ai dû apprendre de tout cela. Je suis allé à des séminaires. J’ai lu des livres. J’ai assisté à des cérémonies. Tout cela pour finalement apprendre à pardonner. Il faut pardonner à ceux qui nous ont fait du mal et c’est ce que j’ai choisi de faire. Cependant, je n’oublie pas et c’est la raison pour laquelle je suis ici, car oui, j’ai pardonné aux non-Autochtones, mais non, je n’oublie pas. [Transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux pp 35-36]

5.  Utilisation de la RI 80A après la signature du Traité

[95]  Il est ressorti de tous les témoignages par histoire orale que les utilisations et les activités traditionnelles liées à Kinookimaw se sont poursuivies après la signature du Traité n° 4, et après que la RI 80 soit officiellement devenue une réserve, tout particulièrement à l’époque du transport à cheval et en calèche. Des témoins ont mentionné que des membres de leurs collectivités s’arrêtaient à Kinookimaw pour camper, pour permettre aux chevaux de se reposer et pour pêcher, chasser et cueillir des baies, des racines et des herbes médicinales. Ils se rassemblaient aussi à cet endroit pour participer à des cérémonies. Plusieurs témoins se sont eux-mêmes rendus à Kinookimaw avec leurs grands-parents ou leurs parents quand ils étaient enfants. Ils ont dit avoir dormi dans des tentes pendant quelques jours, voire quelques semaines. Tous les témoins avaient au moins 60 ans, et certains d’entre eux étaient beaucoup plus âgés au moment de leur témoignage. Leurs premières expériences à Kinookimaw remontent donc pour la plupart aux années 1920 et 1930. Une fois le Traité signé et après l’établissement des bandes dans les réserves, leurs membres se rendaient encore parfois dans les lieux traditionnels de migration pour y mener leurs activités de subsistance habituelles. Les bandes de Touchwood Hills et de File Hills se rendaient régulièrement à Kinookimaw pour pêcher, car leurs réserves étaient enclavées. Kinookimaw était l’endroit le plus proche où se trouvait un lac propice à la pêche. De l’avis général, le lac Long abondait en corégones, en grands brochets, en brochets maillés, en perches et même en œufs de poisson en période de frai.

[96]  L’aîné Michael McNab (de George Gordon) a indiqué que son peuple pêchait à Kinookimaw surtout à l’automne afin d’avoir du poisson pour l’hiver. L’aîné Robert Bellegarde (de Little Black Bear) a précisé que sa famille y pêchait surtout l’hiver, pour se nourrir. L’aîné Vernon Bellegarde (de Little Black Bear) a décrit Kinookimaw comme une halte traditionnelle pour ceux qui se dirigeaient vers les terrains de chasse des collines Cypress. Il a également parlé de la pêche de subsistance hivernale. L’aîné Michael Thomas Pinay (de Peepeekisis) a expliqué que son peuple avait déménagé entre le lac Long (où se trouvait la RI 80A) et les collines Cypress. Il connaissait l’emplacement des camps d’été et d’hiver de son grand-père et savait qu’il y avait encore des activités aux endroits traditionnels après la création de la RI 80A. Il semble que les peuples se soient livré à la pêche, à la chasse, etc., à divers endroits autour du lac Long. Cependant, après sa création, des membres du peuple de l’aîné Pinay s’arrêtaient dans la RI 80A pour chasser, pêcher, se baigner et cueillir des baies. Ils en profitaient également pour visiter d’autres collectivités qui s’y arrêtaient et commercer avec elles, notamment les Premières Nations de Peepeekisis, de Cote, de Day Star et de Nekannet. L’aîné Elwood John Pinay (de Peepeekisis) a parlé de ses grands-parents qui ont séjourné à Kinookimaw. Ils y pratiquaient leurs activités traditionnelles d’avril à octobre. L’aîné Douglas Grant Starr (de Star Blanket) a souligné que son peuple avait aussi pêché à Kinookimaw et qu’il y restait habituellement pendant quelques jours ou quelques semaines le temps d’attraper du poisson, de le sécher et de l’apprêter en pemmican. Il a dit qu’il avait aussi campé à Kinookimaw avec ses parents pour participer à des pow-wow et à des cérémonies. L’aîné Vincent Ryder (de Standing Buffalo) a déclaré que ses grands-parents avaient déjà pêché au lac Long tout au long de l’année, mais surtout au début du printemps et à l’hiver. Ils partageaient ensuite le poisson avec les membres de la collectivité et, s’il en restait, ils le vendaient aux agriculteurs. L’aîné a fait remarquer qu’il lui était interdit d’y pêcher quand il était enfant, car l’endroit était considéré comme dangereux pour les jeunes, d’autant plus que des phénomènes paranormaux y auraient été observés. Il a ajouté que son peuple avait pris l’habitude de s’arrêter à Kinookimaw puisqu’à une certaine époque, il se rendait régulièrement aux terrains de chasse situés dans les collines Cypress. L’orateur Noel Starblanket (de Star Blanket) a expliqué que son peuple pêchait, chassait, piégeait, se rassemblait, faisait du commerce et prenait part à des cérémonies à Kinookimaw parce que l’endroit se trouvait sur sa route migratoire traditionnelle. Même s’ils pêchaient dans d’autres lacs, les gens étaient particulièrement attirés par Kinookimaw parce qu’il s’agissait d’un lieu de rassemblement pour plusieurs autres Premières Nations (Mervin Frank Cyr — transcription de l’audience, 20 juin 2016, à la p 32; Michael McNab — transcription de l’audience, 20 juin 2016, aux pp 43-47, 50-51; Robert Bellegarde — transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 28-30, 36-37; Vernon Bellegarde — transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 68-72, 84; Margaret Starblanket — transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 126-128; Michael Thomas Pinay — transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 49, 51-57; Elwood John Pinay — transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 95-98; Douglas Grant Starr — transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 157-158, 173; Vincent Ryder — transcription de l’audience, 23 juin 2016, aux pp 24-29, 31, 41-43; Noel Starblanket — transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux pp 22-23).

[97]  Kinookimaw était également considéré comme un lieu sacré pour ces Premières Nations. L’aîné de Pasqua, Lindsay Cyr, a aussi déclaré que des sites réservés aux usages rituels de son peuple se trouvaient dans la RI 80A. Il a admis que d’autres Premières Nations avaient de tels sites dans la région, mais il ne pensait pas qu’il y en avait à Kinookimaw. Il a ajouté que des membres de Pasqua et d’autres Premières Nations étaient enterrés à Kinookimaw; il avait vu les sépultures (transcription de l’audience, 20 juin 2016, aux pp 75, 84).

[98]  L’aîné John Bellegarde a affirmé que les chefs Little Black Bear et Peepeekisis étaient tous les deux morts et enterrés à Kinookimaw. Il croit que d’autres membres de ces bandes y sont aussi enterrés (transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 109-110, 116-117).

[99]  L’aîné Michael Thomas Pinay a confirmé que le chef Peepeekisis était enterré à Kinookimaw, qu’il a décrit comme un lieu sacré où se trouvait une roue médicinale (transcription de l’audience, 22 juin 2016, à la p 76). Pour sa part, l’aîné Elwood John Pinay a affirmé qu’en 1889, le chef Peepeekisis et son fils, le chef Sparrow Hawk, étaient décédés à Kinookimaw et qu’ils y avaient été enterrés. Il a décrit les « collines Last Moutain » comme un endroit sacré très important pour de nombreuses Premières Nations (transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 94, 101-110). L’aîné Irvin Buffalo ne savait pas que le chef Peepeekisis était mort et enterré à Kinookimaw (transcription de l’audience, 22 juin 2016, à la p 225).

[100]  L’aîné Vincent Ryder de Standing Buffalo a déclaré qu’au nord de Kinookimaw, il y avait jadis un énorme rocher en forme de femme en prière. Son peuple se rendait à cet endroit pour y tenir des cérémonies. Malheureusement, le rocher a mystérieusement disparu. Selon le récit de l’aîné Ryder, des tertres cérémoniels et des lieux de sépulture se trouvaient aussi dans les collines entourant le lac Long (transcription de l’audience, 23 juin 2016, aux pp 26, 31). L’aîné Wayne Goodwill a confirmé que le rocher était sacré pour les Dakotas. Ces derniers s’y recueillaient chaque fois qu’ils le pouvaient. Il a ajouté qu’on pouvait trouver plusieurs roues médicinales appartenant aux Dakotas autour du lac Long (transcription de l’audience, 23 juin 2016, aux pp 82, 90, 108).

6.  Droit à la RI 80A

[101]  Michael McNab, aîné de la Première Nation de George Gordon, a déclaré que son père et son grand-père lui avaient dit que la RI 80A avait été mise de côté pour les sept bandes des agences de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle. Selon lui, la réserve avait été utilisée surtout par ces Premières Nations. Il croyait notamment que la Première Nation de Peepeekisis avait un poste de pêche à Katepwa (transcription de l’audience, 20 juin 2016, aux pp 43, 46-47).

[102]  L’aîné Lindsay Cyr de la Première Nation de Pasqua croyait, d’après ses sources historiques orales, que Kinookimaw avait été attribuée uniquement à son peuple. Il a déclaré qu’un certain nombre de bandes fréquentaient et utilisaient les terres de la région, mais que ce n’était pas tant le cas de Kinookimaw, bien qu’il ait fini par admettre que des membres d’autres bandes auraient pu l’avoir utilisée. Selon les récits qui lui ont été transmis, il avait été question des terres utilisées pour la chasse, la pêche et le bois durant les discussions ayant entouré la conclusion du Traité, et des postes de pêche avaient été promis dans le cadre de ces négociations (transcription de l’audience, 20 juin 2016, aux 66-67, 85-86).

[103]  Selon l’aîné Robert Bellegarde, Kinookimaw avait été attribuée uniquement à la Première Nation de Little Black Bear. Cette dernière avait aussi pêché à Katepwa, qui était beaucoup plus près de son village que Kinookimaw, mais elle n’y était pas à l’aise et savait que sa place était à Kinookimaw. Il a déclaré qu’il n’avait jamais été question de partager Kinookimaw avec d’autres Premières Nations, ou d’accorder des droits de pêcher à Kinookimaw à d’autres Premières Nations. Cependant, un peu plus loin dans son témoignage, il a affirmé qu’un oncle lui avait dit que Pasqua et Muscowpetung partageaient la RI 80A avec Little Black Bear. Selon lui, Peepeekisis disposait aussi d’un poste de pêche à Katepwa (transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 28-31, 38). L’aîné John Bellegarde, aussi de la Première Nation de Little Black Bear, a déclaré que, selon ses aînés, Kinookimaw appartenait uniquement à Little Black Bear parce que sa réserve était enclavée. Un de ses oncles avait été catégorique à ce sujet et lui avait dit que le poste de pêche avait été promis à la bande à la signature du Traité. Cet oncle lui avait aussi dit que la Première Nation de Peepeekisis avait un poste de pêche à Katepwa. Lors de son témoignage, l’aîné Bellegarde a déclaré qu’il était allé à Kinookimaw avec son père quand il avait 9 ans et qu’il avait vu une famille de Pasqua et une de Peepeekisis y camper. Son père lui aurait alors dit que ces bandes avaient aussi des droits de pêche à cet endroit (transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 68-73, 92-93). Il croyait également que Peepeekisis avait un poste de pêche à Katepwa (transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 101-103, 106).

[104]  L’aînée Margaret Starblanket a déclaré que, selon son père, beaucoup de gens avaient le droit de pêcher à Kinookimaw, y compris les membres de Little Black Bear, de George Gordon, de Muscowpetung et de Peepeekisis (transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 127-128). Selon l’orateur Noel Starblanket, le Traité renfermait la promesse d’un poste de pêche. Il a aussi précisé que le premier poste de pêche de Star Blanket était situé à proximité d’une réserve qui avait été offerte à la bande, tout près de l’actuelle réserve de Sakimay au lac Crooked. Cependant, la bande n’a pas accepté cette réserve, de sorte que la terre a été vendue et que les droits de pêche ont été perdus. Comme la réserve qui a finalement été attribuée à Star Blanket dans les collines File était enclavée, il était, selon lui, logique de conclure que la bande exercerait des droits de pêche à Kinookimaw puisque c’était un lieu de pêche traditionnel. Il estimait que l’existence de monticules liés à Star Blanket à Kinookimaw étayait cette conclusion. L’orateur Starblanket n’a pas nié que d’autres bandes avaient un intérêt dans Kinookimaw ou qu’elles l’avaient même utilisée. Quoi qu’il en soit, Star Blanket y avait droit dans les circonstances (transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux pp 22-23, 108, 131-132).

[105]  L’aîné Michael Thomas Pinay avait compris qu’au moment de la signature du Traité, un poste de pêche avait été promis à chaque collectivité en fonction de son emplacement, ce qui expliquerait pourquoi la RI 80A avait été attribuée uniquement à Peepeekisis (transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 40-41). Toutefois, plus loin dans son témoignage, il a déclaré que quelques Premières Nations avaient eu un intérêt dans la RI 80A. Il ne se souvenait pas de chacune d’elles, mais il se rappelait de Little Black Bear, de Star Blanket et de Pasqua (transcription de l’audience, 22 juin 2016, à la p 57). Il a fait remarquer que les bandes auraient dû pouvoir pêcher dans tout le territoire, mais que le gouvernement souhaitait que chaque collectivité ait un poste de pêche. Après la rébellion de Riel, et avec la pression de la croissance coloniale, le gouvernement a supprime l’attribution des terres est prévue par le Traité pour la remplacer par l’attribution d’un poste de pêche à chaque collectivité. Il y avait d’importants lieux de pêche tout autour du lac Long. Cependant, le gouvernement voulait que les peuples autochtones soient confinés à la RI 80A. Jusque là, les Premières Nations pêchaient là où elles le voulaient. L’aîné Michael Thomas Pinay a déclaré qu’un représentant du gouvernement (probablement M. Graham) aurait dit au peuple Peepeekisis que leur poste de pêche était la RI 80A (transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux 72-74, 82-83). Par contre, l’aîné de Peepeekisis Elwood John Pinay a affirmé que rien dans les négociations du Traité ne laissait croire que la RI 80A appartenait à la bande. Selon ses propres dires : (transcription de l’audience, 22 juin 2016, à la p 96) : [traduction] « Nous l’utilisions et quand nous avions terminé, nous quittions. »

[106]  L’aîné Douglas Grant Starr de la Première Nation de Star Blanket a déclaré que son peuple avait eu accès à la RI 80A parce que leurs terres étaient enclavées (transcription de l’audience, 22 juin 2016, à la p 163).

[107]  L’aîné Irvin Buffalo de Day Star a raconté que le chef Kawacatoose avait envoyé son frère à Winnipeg pour obtenir du ministère qu’il attribue un poste de pêche aux bandes de Kawacatoose, de Day Star, de George Gordon et de Muskowekwan. Cependant, comme les travaux d’arpentage étaient terminés pour cette année-là, le frère du chef Kawacatoose s’est fait dire qu’il était trop tard et qu’il devait revenir l’année suivante. Une décision serait prise à ce moment-là. Entre-temps, M. Graham a été nommé commissaire des Indiens et, contre toute attente, le poste de pêche de Kinookimaw a été créé pour les quatre bandes de Touchwood Hills, ainsi que celles de Pasqua, de Piapot et de Muscowpetung. Le fait que les bandes de la vallée de la Qu’Appelle aient accès à une rivière et à des lacs tout près de leurs réserves a suscité beaucoup de ressentiment au sein des bandes de Touchwood Hills. L’aîné Buffalo croit aussi que les trois autres bandes ont acquis un intérêt dans la RI 80A parce que leurs chefs étaient des amis du commissaire des Indiens Graham. Il croit que, même si des membres d’autres réserves de la région l’utilisaient, la RI 80A servait surtout aux Premières Nations de Touchwood Hills. Il n’a jamais entendu dire que les bandes de File Hills ou de Peepeekisis y pêchaient (transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 207-217, 221-222, 225).

[108]  L’aîné Wayne Goodwill a déclaré que, selon les aînés de Standing Buffalo, la RI 80A a été offerte à son peuple, qui l’a effectivement utilisée. La principale réserve de Standing Buffalo comptait de nombreux plans d’eau, mais il s’est avéré que les lacs de la vallée étaient très peu profonds et marécageux. L’aîné Goodwil a dit que le plus grand lac, le lac Pasqua, était si peu profond qu’il était possible de le traverser à pied ou en chariot et que son eau était trouble et boueuse. Autrement dit, les plans d’eau de la réserve ne se prêtaient à la pêche. Pour cette raison, la collectivité (souvent appelée le [traduction] « Peuple du poisson » ou le « Peuple mangeur de poissons ») s’est tournée vers Kinookimaw, un lieu traditionnel de pêche et de rassemblement. L’aîné Goodwill a dit que son grand-père avait participé aux négociations visant à obtenir l’accès à Kinookimaw. Il a reconnu que d’autres Premières Nations utilisaient aussi la réserve, d’autant plus qu’il fallait plus de zones de pêche pour répondre à la pression exercée par la colonisation grandissante. Le peuple de l’aîné Goodwill pêchait dans la RI 80A et participait aux cérémonies qui s’y tenaient (transcription de l’audience, 23 juin 2016, aux pp 79-80, 89, 93-96, 107-108). L’aîné Goodwill a aussi affirmé que le chef Standing Buffalo avait été invité à une réunion des chefs à Kinookimaw 46 ans auparavant. On lui avait alors remis une lettre confirmant que sa bande était de celles ayant droit au poste de pêche. Quant à l’aîné Vincent Ryder, il a déclaré qu’aucun agent des Indiens ne leur avait dit qu’ils ne pouvaient pas utiliser la RI 80A ou leur avait interdit de l’utiliser, bien que d’autres bandes leur aient dit qu’ils n’avaient aucun droit dans cette réserve. Au contraire, un agent des Indiens leur avait dit que toutes les bandes de la région pouvaient y pêcher (transcription de l’audience, 23 juin 2016, aux pp 29, 44-45). L’aîné de Pasqua, Lindsay Cyr, a aussi affirmé que le lac Pasqua ressemblait à un marais avant la construction du barrage (transcription de l’audience, 20 juin 2016, à la p 81). Aucune des parties n’a nié que les lacs de la vallée étaient peu profonds ou marécageux.

7.  Restrictions quant à l’utilisation de la RI 80A

[109]  Les Premières Nations fréquentaient et utilisaient de moins en moins la RI 80A, et ce, pour diverses raisons. Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’y allaient pas du tout : elles y allaient, mais moins souvent, et lorsqu’elles y allaient, c’était pour les mêmes raisons que celles dont nous avons déjà parlé.

[110]  L’aînée Margaret Starblanket, qui est née et a grandi dans la réserve de Little Black Bear, a affirmé que les peuples ont cessé d’aller dans la RI 80A après qu’on leur eut attribué des réserves qu’ils s’y soient installés et y aient construit des maisons. Autrement dit, les bandes ont laissé tomber leur vie de nomade. Une fois installées dans les réserves, elles ont adopté un mode de vie axé sur l’agriculture (transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 141-142).

[111]  Il était beaucoup plus difficile d’aller à Kinookimaw après que le gouvernement eut instauré le système de laissez-passer, pour certaines bandes du moins. L’aîné Lindsay Cyr de Pasqua ne croit pas que son peuple avait besoin d’un laissez-passer pour aller à la RI 80A. Il a affirmé qu’aucun [traduction] « ancien » ne parlait du système et que les gens y faisaient fréquement des allers-retours (transcription de l’audience, 20 juin 2016, aux pp 89-90). L’aîné Vernon Bellegarde a déclaré que le peuple de Little Black Bear n’avait pas eu besoin d’un laissez‑passer pour aller dans les collines Cypress ou à Kinookimaw. Il s’est rappelé que son père avait dû présenter à un agent de conservation la carte d’identité exigée par le Traité pour pouvoir pêcher à Katepwa, mais que cela n’avait pas posé de problèmes (transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 83-84).

[112]  En revanche, Michael Thomas Pinay, aîné de Peepeekisis, a déclaré que ce système de laissez-passer était une conséquence de la rébellion de Riel, et qu’il était strict et rigoureusement appliqué. Il a expliqué que les membres avaient besoin d’un laissez-passer pour quitter la réserve, aller en ville ou même visiter des proches dans une autre réserve. Il a raconté que ses grands‑parents, qui étaient des agriculteurs prospères, avaient besoin d’un laissez-passer pour aller vendre leur propre grain et qu’après l’avoir vendu, ils devaient remettre l’argent obtenu à l’agent des Indiens. Ils devaient ensuite lui demander la permission d’utiliser leur propre argent pour acheter des biens pour la ferme. Il a aussi raconté l’histoire poignante d’un fermier qui, n’ayant plus de viande pour nourrir sa famille après qu’une grosse tempête de neige l’eut confiné chez lui, avait dû abattre une de ses propres bêtes. L’agent des Indiens est passé plus tard et a remarqué qu’il manquait une vache. Il a arrêté et emprisonné le fermier pendant 30 jours, malgré ses explications, parce qu’il n’avait pas demandé la permission d’abattre la vache. L’aîné Pinay a dit que son peuple avait eu l’agent des Indiens le [traduction] « plus célèbre », William Graham, qui était très strict et gérait d’une main de fer les affaires de la bande. Il a déclaré qu’obtenir un laissez-passer pour visiter, chasser ou pêcher était une question de chance. Il croyait également qu’on avait limité le nombre de laissez-passer pour empêcher les gens de se rassembler dans la RI 80A. Le système de laissez-passer a pris fin lorsque les hommes des Premières Nations sont revenus de la Deuxième Guerre mondiale et qu’ils ont remis en question sa légalité. On a alors découvert que le système avait été instauré sur la foi d’une simple note de service adressée aux agents des Indiens. Il n’avait été autorisé par aucune loi ni aucun règlement. Bien que le système ait commencé à disparaître en 1951, l’aîné Pinay a dit que son peuple y avait été soumis jusqu’en 1960 (transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 30-31, 38-39, 62-64, 74).

[113]  L’aîné Elwood John Pinay a confirmé que le système de laissez-passer avait été sévèrement appliqué aux membres de Peepeekisis, et que M. Graham, qui avait une ferme juste au sud et à l’ouest des collines File, avait été agent des Indiens, puis commissaire aux Indiens, jusqu’en 1930 (transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 104-105).

[114]  L’aîné Irvin Buffalo n’a pas parlé du système de laissez-passer ni de son application à la Première Nation de Day Star.

[115]  Le système de laissez‑passer a toutefois eu un effet contraignant sur les membres de la Première Nation de Star Blanket. L’orateur Noel Starblanket a expliqué avec énergie son fonctionnement. Il a déclaré que le système avait été mis en place juste après la signature du Traité en 1874, qu’il conférait aux agents des Indiens les pouvoirs d’un magistrat et qu’il était très arbitraire et contraignant. Par exemple, pour aller pêcher à Kinookimaw, la personne devait dire où elle voulait aller, pourquoi elle voulait y aller, combien de temps elle mettrait à faire l’aller‑retour et combien de temps elle passerait à pêcher. Si elle ne revenait pas à la date prévue, elle était emprisonnée. Si elle voulait vendre du grain, ou tout autre produit, elle devait également obtenir une autorisation. L’agent des Indiens se servait de ces laissez-passer pour contrôler les déplacements et les activités des membres de la bande. Ainsi, il récompensait les personnes ou les familles qui lui plaisaient ou qui étaient très obéissantes et il punissait celles qu’il n’aimait pas. Par exemple, un membre pouvait demander la permission de vendre 300 boisseaux de grain, mais être autorisé à n’en vendre que 25. Si l’agent des Indiens n’appouvait pas une danse du soleil à l’extérieur de la réserve, il ne permettait pas aux gens d’y assister. L’orateur Starblanket a raconté que son grand‑père avait été emprisonné pour avoir abattu une de ses vaches alors qu’il n’y avait plus rien à chasser. Le système de laissez-passer a considérablement réduit les déplacements à l’extérieur des réserves, y compris les séjours dans la RI 80A (transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux pp 52-57, 71-76, 82-83, 118-120).

[116]  Les témoins de Standing Buffalo ayant rapporté les récits oraux n’ont pas dit que le système de laissez-passer avait gêné leur peuple, ou qu’il avait restreint leurs déplacements ou activités.

[117]  Enfin, si Kinookimaw est devenue moins fréquentée, c’est à cause de la création ou de l’amélioration du lac Katepwa par suite de la construction d’un barrage dans les eaux de la vallée de la Qu’Appelle. Cela s’est passé vers 1943 et on a vu apparaître un nouveau site de pêche. Comme Katepwa était plus près des réserves que Kinookimaw et qu’on y trouvait les mêmes types de poissons, il semblerait que plusieurs Premières Nations aient fini par préférer cet endroit. Elles n’ont pas cessé d’aller dans la RI 80A ou de l’utiliser comme elles l’avaient toujours fait. Il était simplement plus facile pour elles de se rendre à Katepwa. Le barrage qui a fait de Katepwa un bon endroit pour pêcher a également fait monter le niveau d’eau des autres lacs de la vallée, de sorte que la qualité de l’eau était meilleure. Comme on a pu le voir, certaines revendicatrices croyaient que Peepeekisis s’était vu attribuer un poste de pêche à Katepwa (Robert Bellegarde — transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 30-31, 46‑47, 54; Vernon Bellegarde — transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 72, 103; Noel Starblanket — transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux 49, 115-116).

D.  Peuve d’expert

[118]  Standing Buffalo a présenté un rapport écrit (pièce 4A) et le témoignage de Geoffrey Ian Brace (le 25 juillet 2017, pièce 4B), à qui l’on a reconnu la qualité d’expert en archéologie et en anthropologie, dans le contexte de l’analyse visant à déterminer si les Sioux avaient occupé et utilisé des terres près de la RI 80A et du lac Last Mountain.

[119]  M. Brace a dressé brièvement l’historique anthropologique de la région. Il a décrit des pétroglyphes, des peintures, des monuments faits de roches et des artéfacts et os archéologiques qui témoignent de la présence des Sioux et de leur utilisation du territoire entourant le lac Last Mountain il y a de 500 à 900 ans. Son témoignage n’a pas été contredit ni véritablement contesté. Il n’est donc pas nécessaire d’en dire plus qu’il en dit dans ses conclusions générales.

V.  APERÇU DU DROIT

A.  La Loi sur le Tribunal des revendications particulières et les faits

[120]  Les revendicatrices en l’espèce contestent la validité et l’administration de la cession, en 1918, de 1 408 acres de terres pris à même la RI 80A. Le paragraphe 14(1) de la LTRP énumère les faits sur le fondement desquels le Tribunal peut conclure au bien‑fondé d’une revendication. Les revendicatrices ont invoqué les alinéas 14(1)b), c), d) et e) de la LTRP, qui portent sur les obligations légales, l’administration des réserves, les dispositions sans droit et l’absence de compensation adéquate pour la prise des terres en vertu d’un pouvoir légal.

[121]  L’article 49 de la Loi des sauvages, SRC 1906, c 81, établit le mécanisme de cession des terres qui répondaient à la définition de « réserve » de l’alinéa 2(i) : « […] toute étendue de terre mise à part par traité ou autrement, pour l’usage ou le profit d’une bande particulière de sauvages, ou concédé à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, mais qui fait encore partie de la réserve […] ». Dans l’arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54, 2002 CarswellYukon 58 (WL Can) [Ross River], la Cour suprême du Canada a dit que la définition « vise principalement à identifier les terres qui sont assujetties à la Loi » (au para 49).

[122]  L’alinéa 14(1)c) de la LTRP s’applique aux revendications qui portent à la fois sur le processus menant à l’officialisation des réserves et sur la façon dont les réserves sont administrées, en vertu de la Loi sur les Indiens, après leur création. Voici l’alinéa 14(1)c) dans son intégralité :

14 (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

[…]

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation; [soulignements ajoutés]

[123]  Les passages soulignés de l’alinéa 14(1)c) sont séparés par la conjonction « ou ». En citant cet alinéa, les revendicatrices additionnelles ont toutes omis les mots « la fourniture ou de la non‑fourniture de terres d’une réserves » dans leurs actes de procédure. Elles ont paraphrasé l’alinéa 14(1)c) comme suit :

[traduction] […] la violation d’une obligation légale découlant de son administration de terres d’une réserve, ou de tout autre élément d’actif des Premières Nations, notamment d’un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale [soulignements ajoutés; déclaration de revendication déposée par Little Black Bear, au para 16; déclaration de revendication déposée par Standing Buffalo, au para 16; déclaration de revendication déposée par Star Blanket, au para 16; déclaration de revendication déposée par Peepeekisis, au para 15]

[124]  À l’audience, les revendicatrices additionnelles ont été invitées à clarifier ce point et elles ont toutes confirmé dans leurs observations orales qu’elles avaient l’intention de ne pas fonder leurs revendications sur la fourniture ou la non-fourniture de terres de réserve et, par conséquent, de ne pas soulever cette question dans le cadre de la présente sous-étape relative à la qualité pour agir. Les violations alléguées à l’obligation de fiduciaire ont trait à l’administration de la cession de 1918, et non à la création de la réserve :

  1. Little Black Bear a confirmé oralement qu’il s’agissait seulement de déterminer [traduction] « au profit de quelles Premières Nations la RI 80A a été mise de côté et confirmée par le décret en conseil CP 1151 » et « lesquelles des Premières Nations revendicatrices ont utilisé la RI 80A » (enregistrement de l’audience, 10 octobre 2018, vers 15 h 16).

  2. Peepeekisis a confirmé oralement que [traduction] « pour ce qui est de la première question, au profit de quelles Premières Nations la RI [80]A a été mise de côté et confirmé par le décret en conseil CP 1151, il n’est pas contesté que la RI 80A a bel et bien été mise de côté et confirmée par le décret en conseil CP 1151 » et qu’elle estimait faire partie des « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » dont il est fait mention dans le CP 1151 (enregistrement de l’audience, 11 octobre 2018, vers 10 h 17). Peepeekisis a aussi confirmé oralement que, pour sa part, l’affaire concernait l’administration des terres de réserve (enregistrement de l’audience, 11 octobre 2018, vers 13 h 01).

  3. Star Blanket a de nouveau confirmé oralement le paragraphe 25 de ses observations écrites, selon lequel [traduction] « [l]a revendication ne soulève aucune question quant à savoir s’il y avait ou non une intention de créer une réserve puisque la RI 80A a été approuvée par le décret en conseil. La question consiste toutefois à savoir quelle était l’intention de la Couronne lorsqu’elle a créé la RI 80A, et si elle entendait que la Première Nation fasse partie des bénéficiaires ». Star Blanket a ajouté : [traduction] « Afin de rendre cette décision, il faut examiner les points suivants : les facteurs que le Tribunal doit prendre en considération pour déterminer si Star Blanket a un droit de bénéficiaire dans la RI 80A; l’intention de la Couronne et de Star Blanket lorsqu’elles ont créé la RI 80A; si cette intention était que les membres de Star Blanket fassent partie des “sauvages de la vallée de la Qu’Appelle”; et l’acceptation et l’utilisation pas Star Blanket de la RI 80A […] Une analyse complète […] exige que le Tribunal se penche sur les intentions des parties […] »(enregistrement de l’audience, 11 octobre 2018, vers 14 h 23).

  4. Standing Buffalo a confirmé oralement que la RI 80A [traduction] « a été attribuée [par le CP 1151] et que [l’]administration des terres de réserve et la disposition sans droit de ces terres de réserve sont les points qui [l’]intéressent » (enregistrement de l’audience, 11 octobre 2018, vers 16 h 53). L’argument soulevé au cours de la sous-étape consiste essentiellement à dire que, suivant l’interprétation qu’il convient de donner, la RI 80A a été mise de côté pour Standing Buffalo et que pour procéder à une interprétation appropriée, il faut lire le CP 1151 à la lumière des événements antérieurs, y compris l’attribution de la RI 78 et de la RI 80B, et l’historique de l’alliance (12 octobre 2018, vers 10 h 25) : [traduction] « L’argument soulevé […] [consiste essentiellement à dire] qu’une réserve a été fournie et que cette réserve se rattache aux événements antérieurs […] la réserve 80A est directement liée à la fourniture [inaudible] de la réserve nº 78 de Standing Buffalo et à la fourniture de la réserve 80B et enfin, de la réserve 80A. Que les trois réserves doivent être considérées ensemble […] »(enregistrement de l’audience, 11 octobre 2018, vers 16 h 56).

[125]  Dans leurs actes de procédure et observations, les revendicatrices additionnelles n’ont pas parlé de la « non-fourniture de terres d’une réserve » lorsqu’elles ont invoqué l’alinéa 14(1)c) de la LTRP. Elles ont plutôt soutenu que, selon l’interprétation qu’il convient de donner aux faits, elles étaient bénéficiaires de la RI 80A. Ainsi, aucune des parties n’a nié que la RI 80A a été validement créée par le CP 1151 pour les [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ».

[126]  Les revendications commandent donc un examen attentif des droits et intérêts qui sont, et ne sont pas, en cause. Lors de l’audition des observations orales, il a été question de l’attachement profond des revendicatrices pour la terre et des relations fondamentales qu’elles entretenaient avec la Couronne. Bien que les revendicatrices puissent avoir des intérêts autres qu’un intérêt dans la réserve au sens de la Loi sur les Indiens, elles ne les ont pas invoqués à l’appui de l’allégation de non‑fourniture de terres de réserve aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP.

[127]  Dans les arrêts de la Cour suprême du Canada qui portent sur les processus et les événements historiques ayant mené à la création officielle des réserves en droit, une distinction est établie entre l’examen visant à déterminer si une réserve a été créée en vertu de la Loi sur les Indiens et la question de savoir si la collectivité autochtone avait un intérêt préexistant ou « identifiable » pendant la période où la Couronne se demandait si elle devait officialiser la création de la réserve en vertu de la Loi sur les Indiens (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, aux paras 51, 85, 89, 93, 98, [2002] 4 RCS 245; Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, aux paras 54, 64-65, 417 DLR (4th) 239).

[128]  La jurisprudence sur les droits fonciers issus de traités établit également une distinction entre la promesse d’attribuer des terres faite dans le cadre du processus de négociation d’un traité et la création officielle de la réserve (Lac La Ronge Indian Band c Canada, 2001 SKCA 109, 2001 CarswellSask 662 (WL Can), autorisation d’appel refusée). Dans l’affaire portant sur le Traité nº 3, Canada (AG) c Anishnabe of Wauzhushk Onigum Band, [2004] 1 CNLR 35 (CA Ont.), 2003 CarswellOnt 4835 (WL Can), la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué ce qui suit au paragraphe 10 de sa décision : [traduction] « Si aucune réserve n’est mise de côté par le Traité nº 3, celui‑ci créé un processus permettant de le faire. »

[129]  De même, le Traité nº 4 prévoyait des droits aux terres de réserve à certaines conditions, mais ne précisait quelles parcelles allaient devenir des « réserves » au sens de la Loi sur les Indiens. À ce stade-ci de l’instance, il n’est question d’aucun manquement à une obligation légale liée au processus de création ou d’officialisation des réserves.

[130]  La question qui nécessite des éclaircissements à cette sous‑étape de l’instance est simplement celle de savoir qui fait partie du groupe bénéficiaire décrit dans le décret CP 1151. Aucun autre droit foncier n’est directement en cause. Cela dit, comme les revendicatrices l’ont expliqué dans leurs observations, leurs relations avec la Couronne, le Traité nº 4 et l’historique de la création de la réserve demeurent très importants pour l’interprétation, non seulement du décret CP 1151, mais aussi, selon certains témoins, des promesses qui ont été faites au moment de la signature du Traité nº 4.

B.  Interprétation du décret CP 1151 : principes directeurs tirés des précédents en matière de création de réserves

[131]  Les revendicatrices ont renvoyé le Tribunal à l’arrêt Ross River, qui est l’arrêt de principe sur la création des « réserves » au sens de la Loi sur les Indiens. Cette affaire fiscale, qui s’inscrit dans un contexte de réserve non régie par un traité, portait essentiellement sur la question de savoir si les terres en question constituaient une « réserve » au sens de la Loi sur les Indiens. Il est vrai que dans la présente revendication, personne ne conteste que la réserve a été créée non plus qu’il n,Y a de différend quant à savoir de quel document ou promesse elle tire son origine, mais l’arrêt Ross River donne des indications sur l’approche à adopter pour interpréter le décret CP 1151.

[132]  La Cour suprême du Canada a précisé que : (i) la décision rendue dans l’arrêt Ross River n’était pas un jugement définitif sur le processus de création des réserves prévu par la Loi sur les Indiens; (ii) un jugement définitif serait « prématur[é] et nuirait à l’évolution normale du droit dans ce domaine »; et, (iii) des réserves ont été créées de diverses façons partout au Canada (Ross River, aux paras 41-43). Néanmoins, au paragraphe 67, la Cour a résumé les principes généraux suivants : 

Par conséquent, tant au Yukon qu’ailleurs au Canada, il ne semble pas exister une seule et unique procédure de création de réserves, quoique la prise d’un décret ait été la mesure la plus courante et, indubitablement, la meilleure et la plus claire des procédures utilisées à cette fin. (Voir : Canadien Pacifique Ltée c. Paul[1988] 2 R.C.S. 654 (C.S.C.), p. 674-675; Woodward, op. cit., p. 233-237.) Quelle que soit la méthode utilisée, la Couronne doit avoir eu l’intention de créer une réserve. Il faut que ce soit des représentants de la Couronne investis de l’autorité suffisante pour lier celle-ci qui aient eu cette intention. Par exemple, cette intention peut être dégagée soit de l’exercice du pouvoir de l’exécutif — par exemple la prise d’un décret — soit de l’application de certaines dispositions législatives créant une réserve particulière. Des mesures doivent être prises lorsqu’on veut mettre des terres à part. Cette mise à part doit être faite au profit des Indiens. Et, enfin, la bande visée doit avoir accepté la mise à part et avoir commencé à utiliser les terres en question. Le processus demeure donc fonction des faits. L’évaluation de ses effets juridiques repose sur une analyse éminemment contextuelle et factuelle. En conséquence, l’analyse doit être effectuée au regard des éléments de preuve au dossier. [Soulignements ajoutés.]

[133]  En outre, la Cour a fait remarquer dans l’arrêt Ross River que lorsqu’un décret crée une réserve, il est probable que ce soit de façon définitive :

La mise de côté d’une parcelle de terrain à titre de réserve en vertu de la Loi sur les Indiens suppose à la fois une action et une intention. En d’autres termes, la Couronne doit non seulement prendre certaines mesures pour mettre des terres de côté, mais elle doit également agir dans l’intention de créer une réserve. Dans certains cas, il est possible que certaines mesures politiques ou juridiques prises par la Couronne aient un caractère tellement définitif ou concluant qu’il devient inutile de prouver que cette dernière avait subjectivement l’intention de mettre de côté des terres pour créer une réserve. Par exemple, la signature d’un traité ou la prise d’un décret ont une telle autorité que l’élément moral — ou intention — serait implicite ou présumé. [para 50]

[134]  Dans l’affaire Lac La Ronge Indian Band c Canada, 2001 SKCA 109, 2001 CarswellSask 662 (WL Can), la Cour d’appel de la Saskatchewan a examiné le processus de création des réserves dans le contexte d’un traité. Au paragraphe 207 de sa décision, elle a confirmé l’approche adoptée par le juge de première instance quant à la création de réserves, laquelle ressemblait à certains égards au critère élaboré dans l’arrêt Ross River :

[traduction]

Le juge qui préside a conclu qu’il n’y a aucune procédure particulière ou unique qui, à elle seule, permet la création d’une réserve. Il y a quatre éléments essentiels à la création d’une réserve :

1. La Couronne doit avoir délibérément décidé de créer une réserve.

2. Il doit y avoir eu consultation de la bande.

3. Il doit y avoir une délimitation claire des terres.

4. La Couronne doit avoir manifesté d’une quelconque façon son intention de créer une réserve avec ces terres.

[135]  Ces précédents montrent que les tribunaux se sont beaucoup intéressés aux intentions de la Couronne lorsqu’ils ont examiné ses actions afin de déterminer dans quelles circonstances exactement il y a création d’une réserve au sens de la Loi sur les Indiens.

C.  Principes d’interprétation des lois applicables au décret CP 1151

1.  Contexte législatif

[136]  Le décret CP 1151 prévoit ce qui suit :

[traduction] Dans un procès‑verbal daté du 15 mai 1889, le surintendant général des Affaires indiennes a présenté des plans lithographiés et des descriptions des diverses réserves, lesquelles ont été été attribuées et mises de côté, à un moment ou à un autre, au profit des bandes de sauvages ci-après mentionnées qui étaient intéressées dans ces parcelles de terre du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest visées par les Traités 4, 6 et 7, ainsi que par le Traité 2, les limites desdites réserves ayant été définies par arpentage, comme le montrent les plans lithographiés, et a il recommandé que les réserves ainsi définies et décrites ci-après sous les noms des chefs des diverses bandes ou autrement soient confirmées par Votre Excellence en conseil. [Soulignements ajoutés; RCD, vol 3, doc 239, à la p 3]

[137]  Le décret CP 1151 était un texte « omnibus » contenant pour chaque réserve une brève description et un plan d’arpentage. Le décret CP 1151 décrit la RI 80A comme suit : [traduction] « […] mise de côté comme poste de pêche à l’usage des sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle […] » (RCD, vol 3, doc 239, à la p 57).

[138]  En 1889, l’Acte des sauvages, SRC 1886, c 43, était en vigueur. Aux termes de l’alinéa 2k), une « “réserve” signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l’usage ou le profit d’une bande particulière de sauvages, ou concédée à cette bande » (soulignements ajoutés).

2.  Principes d’interprétation

[139]  Les principes d’interprétation des lois s’appliquent aux décrets (Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, 2001 CarswellBC 2703 (WL Can). Suivant la règle générale tirée de l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd, (Re) [1998] 1 RCS 27, 1998 CarswellOnt 1 (WL Can), les lois doivent être interprétées à la lumière de leur objet et de leur contexte :

Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. [au para 21; citant Elmer Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983) à la p 87]

[140]  En outre, toute disposition ambiguë « visant les Indiens » doit recevoir une interprétation libérale. En ce qui a trait à la Loi sur les Indiens, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit, au paragraphe 25 de l’arrêt Nowegijick c R, [1983] 1 RCS 29, à la p 36, 1983 CarswellNat 123 (WL Can) :

Selon un principe bien établi, pour être valide, toute exemption d’impôts doit être clairement exprimée. Il me semble toutefois que les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens. Si la loi contient des dispositions qui, suivant une interprétation raisonnable, peuvent conférer une exemption d’impôts, il faut, selon moi, préférer cette interprétation à une interprétation plus stricte qui pourrait être utilisée pour refuser l’exemption.

[141]  Dans l’arrêt Mitchell c Bande indienne Peguis, [1990] 2 RCS 85, à la p 143, 1990 CarswellMan 209 (WL Can), au para 118 [Mitchell], la Cour suprême du Canada a également indiqué qu’« […] il convient d’interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d’interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger ». Dans l’arrêt Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, 2001 CarswellBC 2703 (WL Can), la Cour suprême du Canada a de nouveau confirmé cette approche :

[…] si deux façons d’interpréter et d’appliquer une loi sont raisonnablement soutenables en droit, il faut retenir celle qui porte atteinte de façon minimale aux droits des Indiens, dans la mesure où l’ambiguïté est réelle et où l’interprétation favorable aux droits des Indiens peut raisonnablement s’appuyer sur la loi, compte tenu des objectifs visés par celle-ci : voir Nowegijick, précité; Mitchell, précité; Bande indienne de Semiahmoo, le juge en chef Isaac, p. 25; and Sparrow, précité, p. 1119, le juge en chef Dickson [au para 68]

3.  Interprétation dans le contexte d’un traité et honneur de la Couronne

[142]  Les bandes de File Hills ont souligné l’importance du contexte historique et, plus particulièrement du Traité nº 4, pour l’interprétation du décret CP 1151. Quant à Standing Buffalo, son alliance avec la Couronne était très importante.

[143]  Voici quelques conditions écrites du Traité nº 4 :

[traduction] Et Sa Majesté consent par les présentes, par l’entremise des dits commissaires, à assigner des réserves pour les dits Indiens, telles réserves devant être choisies par des officiers du gouvernement de Sa Majesté pour le Canada nommés pour cette fin, après conférence avec chacune des bandes d’indiens, la superficie devant suffire après conférence avec chacune des bandes d’indiens, la superficie devant suffire pour fournir un mille carré à chaque famille de cinq […]

[…]

Et de plus, Sa Majesté consent à ce que ses dits Indiens aient le droit de se livrer à la chasse, à la trappe et à la pêche dans le pays cédé, sujet aux règlements qui pourront de temps à autre être faits par le gouvernement du pays assissant sous l’autorité de Sa Majesté, et exceptant les étendues qui pourraient être nécessaires ou prises de temps à autre pour la colonisation, l’exploitation des mines ou autres fins privilégiées, ou autre droit donné par le dit gouvernement de Sa Majesté. [RCD, vol 1, doc 11]

[144]  La Cour suprême du Canada a confirmé que les traités pouvaient aussi comporter des conditions verbales (R c Badger, [1996] 1 RCS 771, au para 52, 1996 CarswellAlta 587 (WL Can) [Badger]; R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, au para 12, 1999 CarswellNS 262 (WL Can) [Marshall]).

[145]  Elle a également déclaré que la Couronne doit agir honorablement dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, y compris lors « du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités » (Manitoba Metis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14, au para 70, 2013 CarswellMan 61 (WL Can) [Manitoba Metis], citant Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au para 17, [2004] 3 RCS 511; Manitoba Metis, au para 66, citant Première nation Tlingit de Taku River c Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, au para 24, [2004] 3 RCS 550; Manitoba Métis, au para 68, citant Badger au para 41). Même si toutes les interactions ne donnent pas naissance à des obligations spécifiques, la Cour a énoncé certains principes dans l’arrêt Badger :

Premièrement, il convient de rappeler qu’un traité est un échange de promesses solennelles entre la Couronne et les diverses nations indiennes concernées, un accord dont le caractère est sacré. […] Deuxièmement, l’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsqu’elle transige avec les Indiens. Les traités et les dispositions législatives qui ont une incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités doivent être interprétés de manière à préserver l’intégrité de la Couronne. Il faut toujours présumer que cette dernière entend respecter ses promesses. […] Troisièmement, toute ambiguïté dans le texte du traité ou du document doit profiter aux Indiens. Ce principe a pour corollaire que toute limitation ayant pour effet de restreindre les droits qu’ont les Indiens en vertu des traités doit être interprétée de façon restrictive. [au para 41]

[146]  Dans l’arrêt R c Taylor, [1981] 3 CNLR 114 (ONCA), au para 8, 1981 CaswellOnt 641 (WL Can), (autorisation d’appel refusée), la Cour d’appel de l’Ontario a aussi rappelé l’importance du contexte, de l’histoire et de la tradition orale lorsque vient le temps d’examiner les effets d’un traité : [traduction] « Les affaires relatives aux droits des Indiens ou aux droits ancestraux ne peuvent être tranchées hors de tout contexte. Au moment de déterminer les effets du traité, il est important de tenir compte de l’histoire et des traditions orales des tribus concernées, ainsi que des circonstances prévalant au moment du traité qui ont été invoquées par les deux parties ».

[147]  La Cour suprême du Canada a tiré une autre conclusion dans l’arrêt Manitoba Metis en ce qui a trait à l’honneur de la Couronne : « Le principe de l’honneur de la Couronne exige qu’elle agisse de manière à ce que les traités conclus avec les Autochtones et les concessions prévues par la loi en leur faveur atteignent leut but […] » (au para 73(4)). La Cour a ajouté que « l’honneur de la Couronne exige que les obligations constitutionnelles envers les peuples autochtones reçoivent une interprétation libérale, téléologique » et que « l’honneur de la Couronne commande qu’elle agisse avec diligence dans l’exécution de ses obligations solennelles et la conciliation de ses intérêts avec ceux des Autochtones » (aux paras 77-78).

[148]  Vu la façon dont les parties ont formulé les questions en litige (voir les paragraphes 124 à 130), le Tribunal comprend que les revendicatrices ont cité ces principes d’interprétation des traités et celui de l’honneur de la Couronne dans le contexte de l’interprétation du décret CP 1151, et pour étayer de quelconque prétention de manquement à une obligation au moment de la création de la réserve. Toutefois, ces principes sont moins utiles lorsque, comme en l’espèce, les bénéficiaires autochtones d’une promesse faite par la Couronne ont des perspectives et des intérêts divergents quant à l’objet de la promesse.

D.  Précédents sur l’histoire orale et les perspectives autochtones

[149]  Il arrive souvent que, lors de l’instruction d’une revendication particulière, le Tribunal reçoive une preuve par histoire orale présentée par des témoins membres de Premières Nations qui ont eux-mêmes obtenu cette preuve grâce aux traditions orales. Les témoins peuvent aussi présenter un témoignage renfermant des renseignements obtenus directement. Un témoin peut livrer un témoignage contenant des renseignements obtenus des deux façons. Les parties emploient parfois l’expression « perspective autochtone » pour désigner les renseignements contenus dans les deux types de témoignages. Ces deux types de témoignages ont été présentés lors de l’audition de la présente sous-étape.

[150]  Dans une série de décisions portant sur les droits ancestraux et le titre ancestral, la Cour suprême du Canada a élaboré une approche à l’égard de la preuve par histoire orale qui est fondée sur les principes de la nécessité, de la fiabilité, de la pertinence et de la conciliation. Dans l’arrêt Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 1997 CarswellBC 2358 [Delgamuukw], la Cour suprême du Canada a expliqué ceci :

Comme je l’ai dit dans VanderPeet, au par. 68 :

Pour déterminer si un demandeur autochtone a produit une preuve suffisante pour établir que ses activités sont un aspect d’une coutume, pratique ou tradition qui fait partie intégrante d’une culture autochtone distinctive, le tribunal doit appliquer les règles de preuve et interpréter la preuve existante en étant conscient de la nature particulière des revendications des autochtones et des difficultés que soulève la preuve d’un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n’étaient pas consignées par écrit. Les tribunaux doivent se garder d’accorder un poids insuffisant à la preuve présentée par les demandeurs autochtones simplement parce que cette preuve ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple.

La justification de cette approche spéciale découle de la nature même des droits ancestraux. Dans Van der Peet, j’ai expliqué que ces droits visent à concilier l’occupation antérieure de l’Amérique du Nord par des sociétés autochtones distinctives avec l’affirmation de la souveraineté britannique sur le territoire du Cannanda. Ils visent à réaliser cette conciliation en établissant un « rapprochement entre les cultures autochtones et non autochtones » (au par. 42). Par conséquent, « le tribunal doit tenir compte du point de vue des autochtones qui revendiquent ce droit […] [tout en tenant compte] de la common law » de sorte que « [l]a conciliation véritable accorde, également, de l’importance à chacun de ces éléments » (aux par. 49 et 50).

En d’autres termes, bien que la doctrine des droits ancestraux soit une doctrine de common law, les droits ancestraux sont véritablement des droits sui generis qui exigent, quant au traitement de la preuve, une approche unique, accordant le poids qu’il faut au point de vue des peuples autochtones. Toutefois, l’adaptation doit se faire d’une manière qui ne fasse pas entorse à « l’organisation juridique et constitutionnelle du Canada » (au par. 49). Les deux principes exposés dans Van der Peet — premièrement, le fait que les tribunaux de première instance doivent aborder les règles de preuve en tenant compte des difficultés de preuve inhérentes à l’examen des revendications de droits ancestraux, et, deuxièmement, le fait que les tribunaux de première instance doivent interpréter cette preuve dans le même esprit — doivent être compris dans ce contexte.

[…]

Le présent pourvoi exige que nous […] adaptions les règles du droit de la preuve de manière à ce que les tribunaux accordent le poids qui convient au point de vue des autochtones sur leurs coutumes, pratiques et traditions, de même que sur les rapports qu’ils entretiennent avec le territoire. En pratique, cela exige que les tribunaux acceptent les récits oraux des sociétés autochtones, récits qui, pour bon nombre de nations autochtones, sont les seuls témoignages de leur passé.

[…]

Malgré les problèmes que crée l’utilisation des récits oraux comme preuve de faits historiques, le droit de la preuve doit être adapté afin que ce type de preuve puisse être placé sur un pied d’égalité avec les différents types d’éléments de preuve historique familiers aux tribunaux, le plus souvent des documents historiques. […] Cette méthode doit être appliquée au cas par cas. [aux paras 80-82, 84, 87]

[151]  Dans l’arrêt Mitchell c MRN, 2001 CSC 33, 2001 CarswellNat 873 (WL Can) [Mitchell], la Cour suprême du Canada a décrit le mécanisme pratique à adopter, recourant pour ce faire à une méthode d’analyse raisonnée de l’admissibilité de la preuve et aux exceptions à la règle du ouï-dire :

L’adaptation souple des règles traditionnelles de preuve au défi de rendre justice dans les revendications autochtones n’est qu’une application du principe traditionnel selon lequel les règles de preuve n’ont rien d’« immuable et n’ont pas été établies dans l’abstrait » (R. c. Levogiannis, [1993] 4 R.C.S. 475 (C.S.C.), p. 487). Elles s’inspirent plutôt de principes larges et souples, appliqués dans le but de promouvoir la recherche de la vérité et l’équité. Les règles de preuve devraient favoriser la justice, et non pas y faire obstacle. Les différentes règles d’admissibilité de la preuve reposent sur trois idées simples. Premièrement, la preuve doit être utile au sens où elle doit tendre à prouver un fait pertinent quant au litige. Deuxièmement, la preuve doit être raisonnablement fiable; une preuve non fiable est davantage susceptible de nuire à la recherche de la vérité que de la favoriser. Troisièmement, même une preuve utile et raisonnablement fiable peut être exclue à la discrétion du juge de première instance si le préjudice qu’elle peut causer l’emporte sur sa valeur probante.

Dans Delgamuukw, la majorité, tenant compte de ces principes, conclut que les règles de preuve doit être adaptées aux récits oraux, mais elle n’impose pas leur admissibilité générale ni la valeur que devrait leur accorder le juge des faits; elle souligne plutôt que l’admissibilité doit être décidée cas par cas (par. 87). Les récits oraux sont admissibles en preuve lorsqu’ils sont à la fois utiles et raisonnablement fiables, sous réserve toujours du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance de les exclure.

Les récits oraux autochtones peuvent satisfaire au critère de l’utilité de deux façons. Premièrement, ils peuvent offrir une preuve de pratiques ancestrales et de leur importance, qui ne pourrait être obtenue autrement. Il peut n’exister aucun autre moyen d’obtenir la même preuve, compte tenu de l’absence d’archives contemporaines. Deuxièmement, les récits oraux peuvent fournir le point de vue autochtone sur le droit revendiqué. Sans cette preuve, il serait peut-être impossible de se faire une idée exacte de la pratique autochtone invoquée ou de sa signification pour la société en question. Il n’est pas facile après 400 ans de déterminer quelles pratiques existaient et de distinguer les caractéristiques principales et déterminantes d’une culture de celles qui sont marginales. L’identité culturelle est une question subjective difficile à saisir […] [aux paras 30-32]

[152]  Dans Mitchell toujours, la Cour suprême du Canada s’est exprimée sur le fait que les juges doivent se garder de faire des suppositions inappropriées. Elle a aussi rejeté l’idée d’un « abandon complet de[s] règles [de preuve] » :

Pour déterminer l’utilité et la fiabilité des récits oraux, les juges doivent se garder de faire des suppositions faciles fondées sur les traditions eurocentriques de collecte et de transmission des traditions et des faits historiques. Les récits oraux reflètent les perspectives et les cultures distinctives des communautés dont ils sont issus et ne devraient pas être écartés pour le simple motif qu’ils ne sont pas conformes aux attentes d’un point de vue non autochtone. D’où les mises en garde énoncées dans Delgamuukw de ne pas rejeter à la légère des récits oraux pour la simple raison qu’ils ne transmettent pas la vérité « historique », comportent des éléments mythologiques, manquent de détails précis, renferment des données tangentielles au processus judiciaire ou se limitent à la communauté dont ils retracent l’histoire.

[…]

Il y a une limite à ne pas franchir entre l’applicatioin éclairée des règles de preuve et l’abandon complet de ces règles. Comme le note le juge Binnie dans le contexte des droits issus de traités, « [i]l ne faut pas confondre “généreuses” d’interprétation avec un vague sentiment de largesse a posteriori » (Marshall c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 456 (C.S.C.), par. 14). En particulier, la démarche de l’arrêt Van der Peet n’a pas pour effet d’augmenter la force probante de la preuve soumise à l’appui d’une revendication autochtone. La preuve à l’appui des revendications autochtones, comme la preuve produite dans n’importe quelle affaire, peut couvrir toute la gamme des forces probantes, de la preuve hautement convaincante à la preuve hautement contestable. Il faut encore établir le bien-fondé des revendications sur la base d’une preuve convaincante qui démontre leur validité selon la prépondérance des probabilités. Dire qu’il faut accorder « le poids qui convient » au point de vue autochtone ou s’assurer que la preuve à l’appui de ce point de vue est placée sur un « pied d’égalité » avec les types de preuve plus familiers, c’est précisément dire ce que cela veut dire : un traitement égal et approprié. Si la preuve des demandeurs autochtones ne devrait pas être sous-estimée « simplement parce [qu’elle] ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple » (Van der Peet, précité, par. 68), on ne devrait pas non plus la faire ployer artificiellement sous plus de poids que ce qu’elle peut raisonnablement étayer. [Soulignements dans l’original; aux paras 34, 39]

[153]  Bien que les précédents judiciaires invoqués s’inscrivent dans un contexte où des droits ancestraux et un titre ancestral sont en litige, aucune des parties n’a soulevé une telle limite ou distinction et les principes de nécessité, de fiabilité, de pertinence et de conciliation ne sont pas forcément réservés à ce contexte.

[154]  Les revendicatrices additionnelles ont longuement parlé de l’importance du point de vue autochtone sur les questions soulevées à cette sous-étape. Comme les tribunaux l’ont fait remarquer, le concept de « point de vue autochtone » peut s’entendre de l’histoire orale et de la tradition orale, ainsi que des autres points de vue des témoins et revendicateurs autochtones. Certains des facteurs que les tribunaux doivent prendre en considération dans l’examen des deux types de preuve sont décrits dans l’ouvrage des Cours fédérales intitulé Lignes directrices sur la pratique en matière de procédures intéressant le droit des Autochtones, lequel renvoie au « Témoignage des aînés et histoire orale », pas seulement à l’histoire orale (en ligne : <https://www.fct-cf.gc.ca/Content/assets/pdf/base/AboriginalLawPracticeGuidelinesApril-2016(FR).pdf>).

[155]  L’impartialité exige que chaque partie doive être entendue sur un pied d’égalité. La loi pertinente est alors appliquée., Dans les arrêts susmentionnés, la Cour suprême du Canada a indiqué comment procéder dans les cas où l’histoire orale se heurte à la tradition de common law et a relevé certains des défis qui se posaient.

[156]  La présente sous-étape porte essentiellement sur l’interprétation du décret CP 1151. Conformément aux indications de la Cour suprême du Canada, il faut déterminer si la preuve peut aider le Tribunal à interpréter le décret CP 1151 à la lumière du contexte historique et des présomptions d’interprétation législative applicables, notamment la preuve relative aux motivations et aux considérations que pouvait avoir la Couronne en 1889.

[157]  Dans les observations portant sur la pertinence de certains points de vue autochtones à cette sous-étape, il a été possible de dégager différents principes juridiques. Ces principes sont examinés afin de mieux comprendre l’approche adoptée à l’égard de la preuve dans les présents motifs de décision. Little Black Bear a cité la décision Kwicksutaineuk/Ah-Kwa-Mish First Nation c British Columbia (Minister of Agriculture & Lands), 2010 BCSC 1699, 2010 CarswellBC 3315 (WL Can) [Kwicksutaineuk], pour étayer la proposition selon laquelle l’expression [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » qui figure dans le décret CP 1151 devrait être considérée dans le contexte de l’époque précédant l’arrivée des Blancs. L’affaire Kwicksutaineuk portait sur les membres d’un groupe autorisé à intenter un recours collectif concernant des droits de pêche autochtones. Au sujet des détenteurs de droits, le juge Slade a conclu ce qui suit : 

[traduction] Si l’on veut que le descriptif couramment utilisé « Premières Nations » ait un sens dans le contexte d’une discussion portant sur les droits autochtones, il doit, à mon avis, renvoyer à une collectivité autochtone qui croit, à juste titre, avoir un lien ancestral avec un groupe identifiable qui, au cours de son histoire, s’est livré à des pratiques qui constituent le fondement du droit revendiqué.

Le fait que le groupe proposé soit composé de bandes n’aide pas à trancher la question. La Loi sur les Indiens n’existait pas avant l’arrivée des Européens et l’appartenance à une bande n’établit pas nécessairement un lien ancestral avec les membres du groupe autochtone dont les activités de pêche faisaient partie intégrante d’une culture distinctive au moment du contact avec les Européens. [aux paras 19-20]

[158]  La présente revendication diffère des cas où un droit ancestral doit être défini en fonction d’une preuve établissant qu’il faisait [traduction] « partie intégrante d’une culture distinctive au moment du contact avec les Européens ». Dans la présente revendication, le Tribunal est chargé d’interpréter un décret créé par la Couronne pour renforcer les liens que les revendicatrices et elle avaient conjointementétablis. L’interprétation de ce décret exige, comme il est indiqué précédemment, une analyse approfondie du contexte historique, y compris le Traité nº 4 et la relation particulière que Standing Buffalo entretenait avec la Couronne. À cet égard, l’histoire orale et les points de vue autochtones sont essentiels pour que le Tribunal comprenne bien le contexte historique et qu’il puisse ultimement procéder à une analyse appropriée du décret CP 1151. Cependant, le critère juridique applicable demeure axé sur les intentions de la Couronne. En invoquant la décision Kwicksutaineuk ainsi qu’elle le propose, Little Black Bear fait fausse route, à moins que l’on puisse établir que c’est cette époque antérieure à l’arrivée des Européens que la Couronne avait en tête, ou que son intention était liée d’une manière ou d’une autre à ce contexte.

[159]  Peepeekisis a fait remarquer que [traduction] « [t]ant le point de vue de la Couronne que celui des Autochtones doivent être pris en compte » lors de l’examen de la création de la réserve (observations écrites de Peepeekisis déposées le 18 septembre 2018, au para 43). Plus précisément, il faut [traduction] « trouver un équilibre respectueux entre » le point de vue des Autochtones sur l’intention sous-jacente à la création de la RI 80A et la preuve faisant état du point de vue de la Couronne, « y compris la façon dont cela se rapporte aux intentions sous-jacentes au Traité nº 4 et à sa mise en œuvre » (observations écrites Peepeekisis déposées en réponse le 5 octobre 2018, au para 9).

[160]  Le Tribunal comprend qu’une appréciation respectueuse de la preuve à la présente sous-étape exige une analyse approfondie du contexte historique, tel qu’il a été présenté par les témoins des Premières Nations et reflété dans la preuve documentaire. Il doit procéder à cette appréciation en tenant compte des principes d’interprétation législative examinés précédemment.

[161]  Mais encore là, il faut interpréter une mesure prise par la Couronne, soit le décret CP 1151, et non pas se demander ce que la Couronne aurait dû faire au vu des intentions des ancêtres des revendicatrices, ou s’intéresser aux motifs qui pourraient être invoqués pour justifier la responsabilité de la Couronne et qui trouvent leur source dans d’autres types d’intérêts dans les terres. L’affaire Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine chef du Canada, 2013 TRPC 1 [Kitselas], à laquelle renvoie également Peepeekisis dans ses observations écrites, était une revendication relative à des terres qui auraient dû être mises de côté à titre de réserve, mais qui ne l’ont pas été. Cette affaire diffère donc de la présente espèce à cet égard.

[162]  Peepeekisis a cité le paragraphe 83 de la décision Kitselas lorsqu’il a été question de l’application de la preuve par histoire orale et des points de vue autochtones aux questions soulevées à la présente sous-étape. Dans la décision Kitselas, le Tribunal a pris en considération l’histoire orale qui se rapportait à la signification des noms de lieux, à la connaissance des lieux et de leur importance pour l’identité du peuple Kitselas, et à la compréhension qu’avaient les aînés du lieu contesté — qu’ils affirmaient ne pas avoir abandonné. Pour rendre sa décision, le Tribunal a appliqué le critère juridique relatif à l’existence d’un droit identifiable, décrivant ce droit comme un droit préexistant qui n’avait pas été créé par le commissaire des réserves indiennes. L’histoire orale de la Première Nation de Kitselas à propos des terres a joué un rôle essentiel dans la détermination du droit identifiable et dans l’analyse des obligations de fiduciaire. Les droits identifiables qui auraient pu exister avant la création de la réserve, contrairement aux intérêts dans la réserve qui découlent du décret CP 1151, ne sont pas en litige dans la présente sous‑étape. En l’espèce, les revendicatrices additionnelles veulent établir qu’elles étaient de fait visées par l’instrument préparé par la Couronne, à la lumière de toutes les circonstances de l’époque, voire en vertu du régime administratif de la Couronne, et conformément aux motivations et aux intentions de celle‑ci.

[163]  Peepeekisis s’est également fondée sur le paragraphe 64 de l’arrêt Ross River, où l’on trouve un autre exemple de l’utilisation de la preuve par histoire orale : « il faut examiner à la fois le point de vue de la Couronne et celui des Autochtones pour déterminer, au regard des faits d’une affaire donnée, si la partie qui, prétend-on, aurait exercé le pouvoir de créer une réserve pouvait raisonnablement être considérée comme titulaire du droit de lier la Couronne lorsqu’elle a mis à part et affecté des terres et les a ensuite désignées comme réserve » (enregistrement de l’audience, 11 octobre 2018, à environ 11 h 15). Toutefois, dans cet extrait, la Cour suprême du Canada expliquait comment déterminer le moment de la création d’une réserve lorsque l’existence de la réserve est contestée :  

La question qui se pose dans l’un et l’autre cas est de savoir si les pouvoirs du gouverneur en conseil doivent être exercés par lui personnellement ou s’ils peuvent être délégués à un représentant du gouvernement. Comme le soutient la Coalition intervenante, il faut examiner à la fois le point de vue de la Couronne et celui des Autochtones pour déterminer, au regard des faits d’une affaire donnée, si la partie qui, prétend-on, aurait exercé le pouvoir de créer une réserve pouvait raisonnablement être considérée comme titulaire du pouvoir de lier la Couronne lorsqu’elle a mis à part et affecté des terres et les a ensuite désignées comme réserve.

[164]  À cette sous-étape, toutes les parties conviennent que le décret CP 1151 est à l’origine de la réserve. La question n’est pas de savoir si une déclaration contraignante distincte du décret CP 1151 a été faite à un autre moment. Il convient de préciser que l’histoire orale relative aux intentions et aux motivations de la Couronne est très pertinente. Cependant, le Tribunal n’est pas chargé de déterminer si la réserve a, dans les faits, été créée autrement que par le décret CP 1151.

[165]  Enfin, Peepeekisis a soutenu que le [traduction] « point de vue des Autochtones s’entend notamment des traditions juridiques autochtones et [que] les tribunaux doivent prendre en considération le point de vue des Autochtones tout en tenant compte de la common law, notamment la façon dont les peuples autochtones s’identifient, s’organisent et se gouvernent » (observations écrites de Peepeekisis déposées le 18 septembre 2018, au para 44, citant Spookw c Gitxsan Treaty Society, 2017 BCCA 16, aux paras 50-54). Peepeekisis a déclaré qu’elle s’identifiait aux bandes de la vallée de la Qu’Appelle (observations écrites de Peepeekisis déposées le 18 septembre 2018, aux para 49-50). Elle a souligné que les points de vue autochtones exprimés dans la présente revendication ne devraient pas être écartés au profit des [traduction] « points de vue variables » des représentants de la Couronne qui sont présentés dans le dossier documentaire (observations écrites de Peepeekisis déposées en réponse le 5 octobre 2018, au para 9). En d’autres termes, Peepeekisis a soutenu que les membres de la Première Nation s’étaient toujours identifiés comme des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » alors que les représentants de la Couronne étaient mêlés et incohérents, de sorte qu’elle devrait bénéficier d’une interprétation qui tient compte de son point de vue et qui n’a pas d’effet restrictif.

[166]  Les points de vue des revendicatrices s’inscrivaient dans le contexte historique et font partie de la preuve qui permet d’interpréter le décret CP 1151. Cependant, il ne faut pas oublier que le rôle du Tribunal consiste à donner au décret une interprétation correcte qui, à la lumière du droit examiné précédemment, repose sur les intentions de la Couronne. Il est possible que la preuve révèle que les intentions de la Couronne aient été influencées par l’organisation et les collectivités autochtones de l’époque, ainsi que par le contexte des traités et des alliances. Il est également possible que la preuve, combinée à l’interprétation libérale la plus favorable aux collectivités autochtones, mène à la conclusion que la Couronne entendait que toutes les revendicatrices additionnelles soient visées par le décret. Si toutefois les faits permettaient de conclure que l’intention de la Couronne était que seules quelques‑unes des revendicatrices soient visées par le décret CP 1151, le sentiment d’appartenance d’une revendicatrice, ou celui d’avoir appartenu, aux [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » ne changerait rien à cette intention. Le droit relatif à l’interprétation des traités, à l’honneur de la Couronne et aux obligations de fiduciaire ne peut pas non plus modifier rétroactivement un décret alors que la preuve montre clairement qu’il avait une portée plus limitée.

[167]  Tel que mentionné, la présente sous-étape repose sur la prémisse que le décret CP 1151 a eu pour effet de créer la réserve, et la question consiste à savoir qui, suivant une interprétation cprrecte, sont les bénéficiaires de la RI 80A en vertu de ce décret.

E.  Anishnabe of Wauzhushk Onigum

[168]  Little Black Bear a renvoyé à l’affaire Canada (AG) c Anishnabe of Wauzhushk Onigum Band, [2003] 1 CNLR 6 (C. sup. j. Ont.), 2002 CarswellOnt 3212 (WL Can) [Anishnabe of Wauzhushk Onigum], conf. [2004] 1 CNLR 35 (CA Ont.), dans laquelle une réserve visée par le Traité nº 3 avait été mise de côté [traduction] « pour aucun chef ni aucune bande en particulier, mais pour la tribu des Saulteaux en général, et ce, dans le but d’y maintenir une agence indienne, ainsi que les terrains et bâtiments nécessaires » (au para 17). Les bandes de Rainy Lake et de Rainy River ont toutes revendiqué un intérêt dans cette réserve, bien qu’en 1908, le Canada ait accepté une cession de la part des bandes de Rainy Lake seulement. La question en litige était donc la suivante : les bandes de Rainy River avaient-elles le même droit dans la réserve que les bandes de Rainy Lake? L’analyse visait donc à déterminer l’intention de la Couronne au moment où elle avait créé la réserve.

[169]  Pour ce faire, le juge de première instance a examiné le contexte historique dans son ensemble, notamment le libellé du décret créant la réserve pour la [traduction] « tribu des Saulteaux en général », le contexte historique avant et juste après la prise du décret et les actes accomplis par les parties au moment de la cession de 1908 et par la suite. Ce qui distingue cette affaire, c’est que le décret de 1875 créant la réserve était provisoire parce qu’il restait un arpentage à faire. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que le décret de 1875 avait créé la réserve même s’il était de nature provisoire, que le libellé du décret ne précisait pas quels Indiens ou quelles bandes en étaient les bénéficiaires, que la preuve relative à l’ensemble des événements survenus entre 1875 et 1908 était [traduction] « peu concluante, assez vague et souvent contradictoire » en ce qui concerne l’intention de la Couronne quant aux bénéficiaires, que la cession de 1908 était « un acte distinct sans équivoque » qui reflétait l’intention de la Couronne que les bandes de Rainy Lake soient les seules propriétaires bénéficiaires de la réserve, que l’intention de la Couronne est restée claire après 1908 et qu’il n’y avait aucune preuve d’un intérêt ou d’un droit des bandes de Rainy River dans la réserve avant le dépôt de la revendication (Anishnabe of Wauzhushk Onigum, au para 83). La Cour a donc conclu que la réserve avait été mise de côté uniquement pour les bandes de Rainy Lake.

[170]  Little Black Bear s’est fondée en partie sur l’approche contextuelle adoptée dans la décision Anishnabe of Wauzhushk Onigum. Selon elle, le Tribunal doit examiner le contexte historique ayant présidé à la mise de côté de la réserve. Elle a ajouté que les points de vue autochtones et les circonstances ayant entouré la conception et la mise de côté de la RI 80A, ainsi que l’utilisation constante de la réserve par la bande, les revendications d’intérêts qui ont suivi la cession et le débat au sein de la Couronne quant au droit à la réserve à l’époque de la cession et dans les années qui ont suivi, étayaient la conclusion selon laquelle la bande bénéficiait d’un droit, surtout que les principes d’interprétation des lois étaient appliqués de façon libérale.

F.  Malécites de Madawaska

[171]  Little Black Bear a aussi laissé entendre que la Couronne avait manqué à son obligation de diligence pour ne pas avoir tenu de registres adéquats indiquant qui parmi les bandes avaient droit à la RI 80A. Cela étant, le principe de l’honneur de la Couronne exige que toute ambiguïté soit résolue en faveur des revendicatrices autochtones, tel que le Tribunal l’a conclu dans la décision Première Nation des Malécites du Madawaska c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2017 TRPC 5 :

J’estime que, en l’espèce, le principe de l’honneur de la Couronne exige que toute ambiguïté soit interprétée en faveur des Malécites de Madawaska, alors que le dossier est incomplet et qu’il manque, vu la mauvaise gestion de la Couronne, des documents importants susceptibles d’apporter des précisions sur cette question. [au para 368]

[172]  Les parties qui cherchaient à s’appuyer sur la décision Première Nation des Malécites du Madawaska c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2017 TRPC 5, n’ont pas présenté d’éléments de preuve qui étayent directement cette prétention; elle sera donc évaluée au vu de l’ensemble du dossier de preuve.

VI.  Positions des Parties

A.  La Couronne

[173]  La Couronne n’a fait aucune observation quant aux revendicatrices qui pourraient être considérées comme des [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle » relativement à la RI 80A visée par le décret CP 1151. Cela étant, elle n’a pas reconnu le caractère raisonnable de sa décision quant à savoir quelles Premières Nations devraient en bénéficier.

[174]  La Couronne a également soutenu qu’il n’était pas nécessaire de définir ce qu’est une « alliance » pour déterminer si Standing Buffalo devrait faire partie des bénéficiaires.

[175]  Enfin, le Canada a fait valoir qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si une promesse avait été faite verbalement dans le cadre du Traité nº 4 en vue de fournir des postes de pêche aux Premières Nations signataires. Il a déclaré que cette question ne s’inscrivait pas dans les paramètres des questions dont le Tribunal est saisi à la présente sous-étape (observations écrites de l’intimée déposées le 28 septembre 2018, aux paras 2-5).

B.  Les revendicatrices

1.  Approche générale et critères juridiques

[176]  Toutes les bandes de File Hills se sont appuyées sur la décision Ross River pour savoir comment procéder dans les cas de description imprécise de bénéficiaires. Little Black Bear s’est également fondée sur la décision Anishnabe of Wauzhushk Onigum. Selon ces bandes, pour déterminer l’intention de la Couronne, le Tribunal doit tenir compte du libellé du décret CP 1151, du contexte historique à l’époque où la réserve a été mise de côté et de la conduite et des actes subséquents des parties. S’agissant du libellé du décret CP 1151, il faut en examiner le sens ordinaire, ainsi que l’objet sous-jacent (c.-à-d. en faire une « interprétation téléologique »). Il convient d’appliquer les principes d’interprétation dont il était question dans ces décisions pour déterminer le sens ordinaire et l’objet du décret. Les points de vue autochtones sont tout aussi importants pour l’interprétation du décret CP 1151 et ils doivent tous être pris en considération, comme il a été établi dans la jurisprudence.

[177]  Selon les bandes de File Hills, il est impossible de déterminer l’intention de la Couronne seulement à partir du sens ordinaire des mots [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Au vu de la preuve documentaire, il y avait, au moment où la cession a été proposée et dans les années qui ont suivi, un débat au sein du gouvernement à propos de ses propres intentions, notamment parce qu’il avait confondu la région géographique de la vallée de la Qu’Appelle et l’agence administrative de Qu’Appelle. L’incertitude de la Couronne rend le contexte historique et les points de vue autochtones d’autant plus importants et déterminants pour trancher la question de l’intention.

[178]  Toutes les revendicatrices ont été administrées par l’agence de Qu’Appelle jusqu’en août 1885. La RI 80A a été créée et arpentée pendant l’administration de cette agence, alors que les ressources gouvernementales étaient trop peu nombreuses pour le travail à accomplir. En août 1885, les bandes de File Hills sont passées sous l’administration de la nouvelle agence de File Hills avant de revenir sous l’administration de l’agence de Qu’Appelle en 1901. Il a été avancé que l’incertitude et la confusion de la Couronne tenaient aux efforts que celle‑ci avait mis à comprendre quelles bandes devaient bénéficier de la réserve eu égard aux différentes structures administratives mises en place après que M. Nelson eut fini ses travaux au début des années 1880 et qui, encore une fois, rendaient les points de vue autochtones d’autant plus importants comme outil d’interprétation.

[179]  Du point de vue des bandes de File Hills, les Nēhiyaw de la région s’identifiaient à la vallée de la Qu’Appelle : cela faisait partie de leur vision du monde et de leur organisation. Les bandes d’origine crie et saulteaux étaient toutes étroitement liées. Elles partageaient les mêmes traditions, les mêmes croyances spirituelles et le même mode de vie nomade. La RI 80A (Kinookimaw) était une halte traditionnelle utilisée par tous aux fins qui ont été exposées.

[180]  Il n’est pas contesté que le Canada a créé la RI 80A dans le but de séparer la collectivité autochtone des colons, qui voulaient vivre au bord du lac. En établissant le poste de pêche, le gouvernement a donc facilité la colonisation, maintenu la paix et respecté les obligations qui lui incombaient en vertu du Traité nº 4. Les bandes enclavées, y compris les bandes de File Hills, étaient alors assurées d’avoir des endroits où pêcher et d’y avoir accès.

[181]  Les membres des bandes de File Hills s’entendent pour dire qu’ils devraient être considérés comme des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » du fait qu’ils s’identifient, tant sur le plan ethnographique que géographique, à la vallée de la Qu’Appelle, qu’ils ont utilisé Kinookimaw avant et après la signature du Traité et que le gouvernement était incertain quant à la signification du mot « Qu’Appelle », à savoir s’il s’agissait d’une région géographique ou d’une administration, au moment où la RI 80A a été conçue et arpentée. Dès lors que les principes d’interprétation ont été appliqués de manière libérale, dans l’intérêt des bandes et dans la mesure la moins restrictive de leurs droits, le Tribunal devrait conclure que les bandes de File Hills faisaient partie des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle ». Les membres de ces bandes soulignent que l’imprécision du gouvernement quant à savoir si « Qu’Appelle » était une région géographique ou un descriptif administratif devrait être tranchée en leur faveur. Ils affirment également que la Couronne n’a pas bien documenté son intention. Au moment de la cession et par la suite, les intervenants de première ligne ont demandé au ministère de préciser son intention en examinant ses dossiers, mais ils n’ont reçu aucune réponse. Cela tend à indiquer que les dossiers n’avaient pas été conservés ou qu’ils n’avaient jamais existé.

[182]  Les membres des bandes de File Hills soutiennent qu’ils satisfaisaient aux exigences de l’arrêt Ross River lorsqu’ils utilisaient la RI 80A. De par cette utilisation, ils ont donc accepté la réserve comme telle.

[183]  Pour Standing Buffalo, la cession de la RI 80A était une façon pour le gouvernement de s’acquitter d’une obligation découlant de l’alliance qui les unissait. La discrimination dont il avait fait preuve à son égard sur le fondement sa nationalité (c.-à-d. que les membres de Standing Buffalo étaient considérés comme des Sioux américains) constituait une atteinte à l’honneur de la Couronne. Standing Buffalo avait toujours fait partie des bandes de la vallée de la Qu’Appelle que le Canada avait reconnues comme bénéficiaires, et son statut devrait maintenant être rétabli.

[184]  Les membres du groupe de Kawacatoose rappellent que la Couronne a considéré la RI 80A comme étant la leur pendant une centaine d’années, se fondant essentiellement à cet égard sur le dossier documentaire. Ils font valoir que les bandes de File Hills ne vivaient pas dans la région géographique de la vallée de la Qu’Appelle et doutent que les revendicatrices additionnelles aient été privées de certains droits dans Kinookimaw, droits qui, selon eux, n’ont pas été reconnus. Ils affirment également que les revendicatrices additionnelles pourraient peut-être présenter une revendication fondée sur le principe d’un « droit identifiable » ayant pris naissance avant la création de la réserve, bien qu’il n’ait pas été invoqué, et que les membres du groupe de Kawacatoose ne se soient pas prononcés à cet égard.

2.  Rôle et poids de la preuve par histoire orale

[185]  En résumé, les revendicatrices additionnelles se fondent toutes sur la preuve par histoire orale présentée dans le cadre des témoignages des aînés. Elles invoquent des précédents judiciaires qui établissent que l’histoire orale est admissible en preuve et elles font valoir qu’elle doit être admise au même titre que tous les autres types de preuve, y compris la preuve documentaire en l’espèce. Elles ajoutent que la preuve par histoire orale n’a pas besoin d’être corroborée par une preuve documentaire pour être admise. Si elle est incompatible avec la preuve documentaire, elle peut quand même être admise au détriment de la preuve documentaire, surtout si cette dernière est elle-même contradictoire et ne permet pas de trancher la question, comme cela a été avancé en l’espèce. La preuve par histoire orale doit faire l’objet d’une appréciation respectueuse et pondérée, comme tout autre type de preuve.

[186]  En l’espèce, la preuve par histoire orale a joué un rôle essentiel, car elle a permis au Tribunal de mieux comprendre les points de vue qu’avaient les Autochtones, tant avant qu’après la création de la RI 80A. Elle explique l’importance qu’avait la réserve pour les revendicatrices et l’utilisation qu’elles en ont faite, et ce, avant la signature du Traité, après la création de la réserve, jusqu’à la cession et par la suite. C’est sur elle que reposent : l’auto-identification des revendicatrices additionnelles aux collectivités de Qu’Appelle; leur position sur la façon dont la RI 80A leur a été attribuée; et le rapport entre la RI 80A et les obligations que le Traité nº 4 impose à la Couronne. Grâce à l’histoire orale, le Tribunal a appris comment la collectivité autochtone s’organisait et se gouvernait, notamment comment les bandes étaient liées les unes aux autres. Bien que la preuve documentaire n’ait pas établi que la Couronne avait avisé les bandes de la création de la RI 80A, ni qu’elle avait précisé pour qui la RI 80A avait été créée, il reste que, selon les revendicatrices additionnelles, le témoignage des aînés permet de conclure qu’au moins certaines d’entre elles avaient été informées de sa création et qu’elles devaient donc en bénéficier.

[187]  Standing Buffalo s’appuie sur l’histoire orale pour étayer son point de vue sur l’alliance qu’elle dit avoir entretenue avec la Couronne et qui était à l’origine de son droit dans la RI 80A.

3.  Le décret CP 1151 était-il ambigu?

[188]  Les revendicatrices s’entendent essentiellement pour dire que le décret CP 1151 était ambigu en ce qui concerne l’identité des bénéficiaires de la RI 80A, même s’il s’agit d’un argument subsidiaire avancé par Little Black Bear. Évidemment, le problème réside dans la signification de l’expression [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle ». Le groupe de Kawacatoose estime qu’il est impossible de résoudre cette ambiguïté en se fondant sur le libellé du décret CP 1151, ou sur l’autre dossier documentaire datant de l’époque où la RI 80A a été mise de côté. Selon lui, l’intention du Canada se dégage clairement de la structure de la cession elle-même et des lettres qu’il a envoyées au fil des années et qui confirment le droit des sept bandes, qui a finalement été reconfirmé, dans les années 1960, par la création de la Kinookimaw Beach Association.

[189]  En revanche, Little Black Bear soutient que l’intention du Canada n’était pas ambiguë si on considère que l’expression désigne géographiquement les collectivités autochtones présentes à cet endroit au moment de la négociation du Traité nº 4. L’ambiguïté n’est apparue que plus tard, lorsque le gouvernement s’est intéressé à la cession de la RI 80A, comme le montrent la confusion et le débat interne révélés par le dossier documentaire. Cette ambiguïté devrait donc être résolue par l’interprétation la plus favorable à Little Black Bear, soit celle d’une désignation géographique des collectivités autochtones établies au moment du Traité. Ce point de vue concorde avec celui des Autochtones qui s’identifiaient comme des membres de la collectivité de Qu’Appelle. La structure de la première agence de la région reflétait cette approche axée sur la situation géographique et était, par conséquent, appelée « l’agence de Qu’Appelle ».

[190]  Little Black Bear soutient que son interprétation est renforcée par le fait que le Canada a admis qu’il n’existait aucun document historique indiquant clairement pour quelles bandes la RI 80A avait été mise de côté. Le Canada a également admis qu’il ne disposait d’aucun dossier documentaire énonçant les critères permettant de déterminer quand un poste de pêche devait être mis de côté (observations écrites de Little Black Bear déposées le 18 septembre 2018, au para 130).

4.  Rôle du Traité nº 4

[191]  Selon Little Black Bear, pour trancher la question fondamentale de l’affaire, il faut adopter une [traduction] « interprétation téléologique du contexte historique du Traité nº 4 et [appliquer] les principes d’interprétation des traités » (observations écrites de Little Black Bear déposées le 18 septembre 2018, au para 76). Il faut également tenir compte du contexte, des perspectives autochtones, de l’histoire et de la tradition orale pour prendre une décision à propos des [traduction] « droits ancestraux » et pour déterminer les « effets d’un traité » (observations écrites de Little Black Bear déposées le 18 septembre 2018, au para 83 citant R c Taylor, [1981] 3 CNLR 114 (ONCA), 1981 CaswellOnt 641 (WL Can)).

[192]  Bon nombre des revendicatrices additionnelles sont d’avis que la RI 80A est liée au Traité nº 4 et pas seulement en raison de la promesse de réserves qui y était faite. S’appuyant sur les témoignages de ses aînés, Little Black Bear soutient que les droits de pêche accordés par le Traité nº 4 vont au-delà de la promesse écrite et englobent des postes de pêche qui avaient été promis verbalement (aînés John Bellegarde, Robert Bellegarde et Vernon Bellegarde). Par ces promesses, le gouvernement voulait maintenir les droits de pêche issus de traités, en particulier pour les bandes enclavées, tout en facilitant la croissance coloniale et en évitant les conflits entre les colons et les Premières Nations. Les principes d’interprétation exposés précédemment exigent une interprétation qui porte le moins possible atteinte aux droits de pêche conférés par le Traité. Exclure Little Black Bear comme bénéficiaire de la RI 80A porterait atteinte aux droits de pêche de la bande puisqu’elle était enclavée, et reviendrait à faire fi de la raison pour laquelle les postes de pêche avaient été créés, soit faciliter la colonisation, réduire au minimum les risques de conflits entre les colons et voir à ce que le droit de pêche promis aux Autochtones dans le Traité soit respecté. Little Black Bear fait aussi valoir que « le principe de l’honneur de la Couronne exige qu’elle agisse de manière à ce que les traités conclus avec les Autochtones et les concessions prévues par la loi en leur faveur atteignent leur but » (observations écrites de Little Black Bear déposées le 18 septembre 2018, au para 89 citant Manitoba Métis au para 73).

[193]  Peepeekisis soutient que le Traité nº 4 envisageait la création de réserves pour soutenir les activités de pêche. Bien que le Traité ne le précise pas, la création des réserves de pêche s’accordait avec son esprit et son objet. Peepeekisis s’appuie sur la preuve par histoire orale pour [traduction] « démontrer dans quel esprit le Traité nº 4 a été négocié en vue d’offrir un contexte essentiel à la compréhension des intentions qui ont mené à la création de la RI 80A, qui faisait partie des promesses du Traité nº 4 » (observations écrites de Peepeekisis déposées en réponse le 5 octobre 2018, au para 3). À l’instar de Little Black Bear, Peepeekisis demande au Tribunal d’adopter une interprétation générale et libérale qui ne restreindrait pas ses droits de pêche, mais qui préserverait l’honneur de la Couronne.

[194]  L’approche de Star Blanket est très semblable à celle de Little Black Bear et de Peepeekisis. Elle souligne notamment la position de la Cour suprême du Canada dans les affaires qui mettent en cause des Premières Nations et qui soulèvent des questions d’interprétation. Star Blanket rappelle d’ailleurs au Tribunal la déclaration faite par le juge Cory, au paragraphe 9 de l’arrêt Badger selon laquelle « toute ambiguïté dans le traité doit profiter aux Indiens », et les explications que ce dernier a données sur ce même principe au paragraphe 24 de l’arrêt R c Sundown, [1999] 1 RCS 393, 1999 CarswellSask 94 (WL Can), citant Badger au para 41, selon lesquelles « toute ambiguïté dans le texte du traité ou du document en cause doit profiter aux Indiens. Ce principe a pour corollaire que toute limitation ayant pour effet de restreindre les droits qu’ont les Indiens en vertu des traités doit être interprétée de façon restrictive. […] ». Compte tenu du point de vue de la bande à l’époque du Traité, des promesses du Traité, de l’histoire orale à cet égard et de l’utilisation traditionnelle de Kinookimaw par la bande avant et après le Traité, Star Blanket soutient que de la reconnaître comme bénéficiaire aurait pour effet de respecter le Traité et la promesse relative aux droits de pêche de la manière la moins restrictive possible.

[195]  S’appuyant sur la décision Madawaska, Little Black Bear et Day Star affirment que l’honneur de la Couronne exige que toute ambiguïté soit résolue en faveur de la revendicatrice autochtone si les dossiers de la Couronne sont insuffisants. Little Black Bear soutient que le Canada n’a pas constitué ni conservé de dossier, faisant valoir que les agents des Indiens qui avaient demandé au ministère d’examiner les dossiers dans le but d’obtenir certaines précisions quant aux bénéficiaires de la RI 80A n’avaient reçu aucune réponse. Il a été conclu qu’il n’y avait aucun dossier, soit parce qu’ils n’existaient pas, soit parce qu’ils avaient été mal conservés. Little Black Bear se fonde aussi sur les aveux de la Couronne, qui a admis ne disposer d’aucun autre document expliquant l’intention ou la politique sous-jacente à la création des postes de pêche. La Couronne a répondu que, contrairement à l’affaire Madawaska, rien ne prouve en l’espèce qu’il manque des documents, et personne ne lui a reproché sa mauvaise gestion. Le dossier documentaire est complet, bien qu’il soit peu clair.

5.  Standing Buffalo et l’alliance

[196]  Standing Buffalo s’appuie essentiellement sur la preuve par histoire orale présentée par ses aînés pour expliquer la relation qu’elle avait développée avec la Couronne. Selon elle, parmi les obligations inhérentes à cette relation, il y avait des promesses se rapportant à un mode de vie axé sur la pêche et d’autres activités liées à la terre. Elle décrit la mise de côté de sa réserve principale et des terres à foin comme un signe de cette alliance. Les médailles, le drapeau et les citations que la Couronne a remis à la bande en reconnaissance de son soutien militaire en sont également une preuve. La bande soutient que cette relation a fait naître des obligations découlant de l’honneur de la Couronne et que les faits qui la sous‑tendent ont aussi donné lieu à un engagement constitutionnel (observations écrites de Standing Buffalo déposées le 18 septembre 2018, au para 3).

[197]  Standing Buffalo s’appuie sur les principes énoncés dans les arrêts Marshall et Badger selon lesquels : (i) l’honneur de la Couronne exige qu’elle agisse de manière à ce que les traités conclus avec les Autochtones et les concessions prévues par la loi en leur faveur atteignent leur but; et (ii) il faut toujours présumer que la Couronne entend respecter ses promesses, et ce, sans aucune apparence de « manœuvres malhonnêtes » (Marshall, au para 49, citant Badger, au para 41). La réserve de Standing Buffalo était située dans la vallée de la Qu’Appelle, dans la même région que trois des bandes bénéficiaires et près de leurs réserves. Il était reconnu que Standing Buffalo pêchait le poisson à des fins de subsistance. Bien qu’elle n’ait pas signé le Traité, elle s’est vu attribuer une réserve de choix grâce à la relation particulière qu’elle entretenait avec la Couronne. En outre, les besoins en fourrage de la bande ont été reconnus puisque celle-ci s’est vu attribuer une réserve à des fins spéciales (RI 80B). La RI 80A se trouvait sur des terres traditionnellement utilisées par la bande, tant avant qu’après sa création. En résumé, Standing Buffalo soutient que l’honneur de la Couronne, l’engagement constitutionnel découlant de l’alliance, et les principes d’interprétation exigent qu’elle soit reconnue comme bénéficiaire de la RI 80A.

6.  Intention de la Couronne

[198]  Selon le groupe de Kawacatoose, aucune politique ministérielle ne prévoyait la création de postes de pêche dans les années 1880. Il souligne que M. Nelson avait inscrit « Touchwood Hills » dans la description de la RI 80A parce que les bandes de Touchwood Hills ne se trouvaient pas dans la vallée de la Qu’Appelle, pas plus que les bandes de File Hills. M. Nelson distinguait les bandes en fonction de l’emplacement géographique où elles étaient établies. Le groupe de Kawacatoose estime que si M. Nelson avait voulu que les bandes de File Hills fassent partie des bénéficiaires de la RI 80A, il l’aurait fait, car tout comme les bandes de Touchwood Hills, elles étaient établies dans un lieu géographique distinct. Les bandes qui se trouvaient plus loin en aval dans la vallée de la Qu’Appelle n’étaient pas visées, car elles pouvaient déjà pêcher dans les eaux des lacs Crooked et Round.

[199]  Selon Little Black Bear, les représentants de la Couronne ne se sont pas intéressés à la création de postes de pêche avant 1881, lorsqu’ils ont voulu atténuer les pressions liées à la colonisation et les risques de conflit, comme l’expliquait M. Hayter Reed dans sa note du 21 janvier 1897 (voir le paragraphe 28 ci-dessus). Lorsque M. Nelson a commencé à envisager de créer la RI 80A, il connaissait la géographie de la région de la vallée de la Qu’Appelle, la collectivité qui y était installée et le sens des mots [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Quand il a songé pour la première fois à inscrire la RI 80A dans sa liste de réserves non arpentées du 1er janvier 1883, il l’a fait sous la rubrique « district de Qu’Appelle » (voir le paragraphe 33 ci-dessus). La RI 80A et une réserve prévue pour Little Black Bear étaient toutes deux inscrites sous cette rubrique. Little Black Bear a explique que le « district de Qu’Appelle » constituait une région géographique générale et que l’expression « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » désignait les Premières Nations vivant dans ce district.

[200]  M. Nelson a arpenté des réserves pour des bandes établies dans le district de Qu’Appelle. Il pensait que la RI 80A allait répondre aux besoins de la collectivité autochtone en matière de pêche. Pour Little Black Bear, le moment où M. Nelson a conçu la RI 80A et les travaux d’arpentage qu’il a réalisés en vue de créer des réserves principales pour les bandes du district, dont elle-même, donnent à croire que la RI 80A était créée pour les [traduction] « sauvages » du district de Qu’Appelle. Cela concorderait également avec le fait que la Première Nation s’identifie comme faisant partie des sauvages de la Qu’Appelle, avec sa vision du Traité nº 4 et son utilisation traditionnelle de Kinookimaw. À l’époque, l’expression [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » devait inclure toutes les bandes établies dans la vallée de la Qu’Appelle, dont la Première Nation enclavée de Little Black Bear. La bande souligne également que la RI 80A était considérablement plus grande que la plupart des postes de pêche créés pour une seule bande, ce qui laisse croire qu’elle était destinée à un certain nombre de bandes. L’inclusion de Little Black Bear parmi les bénéficiaires de la RI 80A serait aussi compatible avec les droits de pêche moins restreints qui lui conférait le Traité.

[201]  Peepeekisis considère la RI 80A comme l’expression des promesses écrites et verbales faites dans le cadre du Traité nº 4 pour garantir aux Premières Nations de la région des droits de pêche. Les représentants de la Couronne savaient que Peepeekisis était autrefois l’un des groupes autochtones de la vallée de la Qu’Appelle et qu’elle utilisait sa voie navigable. M. Nelson connaissait la politique ministérielle qui prévoyait la création de postes de pêche pour les bandes qui n’avaient pas de zones de pêche près de leurs réserves, et il a respecté cette politique lorsqu’il a créé un poste de pêche pour Kahkewistahaw (observations écrites de Peepeekisis déposées le 18 septembre 2018, aux paras 49, 51-54). M. Nelson a fait certains commentaires sur la gestion de Day Star et sur la nature autrement [traduction] « répugnante » des peuples autochtones (RCD, vol 3, doc 234, à la p 18), ce qui, selon Peepeekisis, démontre qu’il connaissait peu les peuples eux‑mêmes ou qu’il était peu sensible à leurs besoins. Sinon, il aurait décrit de façon plus précise les bandes auxquelles la RI 80A était destinée. Cependant, M. Nelson ne pouvait pas faire abstraction du Traité et des promesses qui y étaient faites. Son manque de précision ne devrait pas jouer contre Peepeekisis puisqu’il a par ailleurs respecté la politique qui consistait à répondre aux besoins des bandes enclavées de la vallée de la Qu’Appelle en créant un poste de pêche. Les descriptions qui ont été faites ultérieurement de la structure de l’agence et des emplacements géographiques ne sauraient avoir pour effet de diminuer ou restreindre les droits de pêche de Peepeekisis à titre de bénéficiaire de la RI 80A.  

[202]  Star Blanket estime que l’expression [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » visait toutes les bandes dont les réserves se trouvaient dans le « district de Qu’Appelle ». M. Nelson avait inscrit le district de Qu’Appelle dans sa liste des réserves non arpentées du 1er janvier 1883, qui incluait la RI 80A et des réserves de Touchwood Hills et de File Hills. Star Blanket fait remarquer qu’en créant la RI 80B pour Muscowpetung et Standing Buffalo, M. Nelson a montré qu’il connaissait la pratique consistant à désigner certaines bandes à titre de bénéficiaires de réserves à des fins spéciales. Comme il n’a pas respecté cette pratique lorsqu’il a créé la RI 80A, il a montré qu’il voulait que toutes les bandes du district de Qu’Appelle soient bénéficiaires. Cette intention générale est aussi compatible avec le point de vue des Autochtones et l’historique d’utilisation de la RI 80A. Il ressort également de la preuve orale qu’à l’époque où M. Nelson arpentait la région, le Canada se représentait la collectivité autochtone comme un ensemble plutôt que comme des bandes. Se fondant sur la preuve par histoire orale, Star Blanket soutient que le ministère avait invité toutes les bandes établies dans le district de Qu’Appelle à pêcher dans la RI 80A. Star Blanket était une bande établie de la collectivité de la vallée de la Qu’Appelle. Elle était connue sous le nom de [traduction] « peuple de Calling River » parce qu’elle avait parcouru les voies navigables de la vallée de la Qu’Appelle au cours de ses migrations traditionnelles (Noel Starblanket — transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux pp 37, 91).

[203]  Standing Buffalo soutient que son droit dans la RI 80A découle de son alliance avec la Couronne. Dans les années 1870 et 1880, le Canada tentait de répondre aux besoins de la collectivité autochtone de la région. Une bande n’avait pas à signer le Traité nº 4 pour mériter l’attention de la Couronne. Standing Buffalo s’était vu attribuer une excellente réserve choisie par son chef. Cela reflétait la relation cordiale et le respect mutuel qui unissaient la bande et la Couronne de par leur alliance. Le Canada savait que Standing Buffalo pêchait pour subvenir à ses besoins. La bande était aussi connue sous le nom de [traduction] « Peuple du poisson » ou « Peuple mangeur de poissons ». Quand il a attribué la réserve de Standing Buffalo, le Canada s’est montré sensible aux besoins de la bande puisqu’il a aussi mis de côté la RI 80B comme [traduction] « terre à foin » devant être partagée avec Muscowpetung. Il a créé la RI 80A en même temps pour répondre aux besoins de Standing Buffalo en matière de pêche. Le plan d’eau situé aux abords de la réserve principale de la bande était trop peu profond pour accueillir le type et la quantité de poissons nécessaires à la subsistance de la bande. La RI 80A était bien connue de Standing Buffalo comme étant un lieu de rassemblement traditionnel pour la pêche, la cueillette et les cérémonies. Kinookimaw avait aussi été un lieu sacré pour le peuple de Standing Buffalo. Pendant les années 1880 et par la suite, le ministère inscrivait dans ses rapports que Standing Buffalo se trouvait à [traduction] « Qu’Appelle » ou aux « lac(s) Qu’Appelle », avec ses voisins, Pasqua, Muscowpetung et Piapot, qui étaient des bénéficiaires reconnus de la RI 80A. Comme elle se trouvait dans la même région géographique que ces trois bandes, Standing Buffalo faisait partie des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle ».

7.  Interprétation après la prise du décret CP 1151

[204]  Le groupe de Kawacatoose soutient que les événements survenus après la confirmation de la RI 80A par le décret CP 1151 montrent que les sept bandes sont celles qui ont droit à la réserve. La cession de 1918 est venue valider l’intention de la Couronne puisque les sept bandes ont dû y participer. Dans la correspondance qui a suivi où il était question des bénéficiaires du droit à la réserve, des cadres supérieurs du ministère ont confirmé que les sept bandes y avaient droit, notamment le sous-ministre adjoint et secrétaire McLean en 1922, le surintendant général adjoint Scott en 1924, les directeurs des Affaires indiennes en 1936 et en 1938, le superviseur général Ostrander en 1949, le ministre Harris en 1954 et le sous-ministre adjoint Battle en 1965. Dans les années 1960, le ministère a demandé qu’une certaine partie de la RI 80A lui soit cédée pour qu’elle puisse la louer. Encore une fois, il s’est adressé aux sept bandes. C’est de là qu’est née la Kinookimaw Beach Association. Quand les cadres supérieurs du ministère ont confirmé que les sept bandes avaient un droit dans la réserve, ils ont également exclu les bandes de File Hills. Le ministère a toujours considéré que les sept bandes avaient droit à la réserve pour une période de 100 ans.

[205]  Le groupe de Kawacatoose prétend que Standing Buffalo a été exclue du bénéfice de la RI 80A parce que le ministère considérait que ses membres étaient des « Sioux américains ». Aussi, Standing Buffalo a revendiqué un intérêt dans la RI 80A seulement après que la présente revendication a été déposée. Peepeekisis se trouve dans la même situation et Little Black Bear n’avait pas revendiqué d’intérêt avant que le chef et le conseil de Piapot n’aient prétendu en avoir un en 1954. Les propres actions de ces bandes montrent qu’elles n’ont aucun droit dans la réserve.

[206]  Little Black Bear soutient que c’est après la mise de côté officielle de la RI 80A que la confusion s’est installée au ministère. Avant cela, c’est‑à‑dire lorsqu’il a conçu et établi la réserve, le ministère voyait les Autochtones comme un groupe. C’est plus tard qu’il a compris qu’il y avait plusieurs bandes. Qui plus est, le ministère n’avait pas suffisamment de ressources à l’époque de sorte qu’il avait de la difficulté à faire un suivi des bandes, de leurs caractéristiques et de leurs besoins. Cela pourrait expliquer la confusion et l’absence de dossiers indiquant clairement l’intention du gouvernement. Little Black Bear soutient que l’intention qu’avait le Canada en créant la RI 80A s’était formée dans un contexte de collectivité, pour que l’ensemble des bandes du district de Qu’Appelle puissent en profiter. La RI 80A était une solution pratique et peu coûteuse qui permettait de répondre aux besoins des bandes en matière de pêche, mais qui favorisait aussi, de manière pacifique, la colonisation. Little Black Bear attire notre attention sur le point de vue des intervenants de première ligne qui est exprimé dans la correspondance et qui confirme le droit des bandes de File Hills à la RI 80A.

[207]  Tout en maintenant la position qu’elle a défendue plus tôt, Peepeekisis soutient que le fait que la Couronne ait fait appel aux sept bandes lors de la cession de 1918 n’était qu’une commodité administrative, et que les confirmations qui ont suivi s’y sont simplement ajoutées. Cependant, rien de cela n’a pour effet de modifier l’intention initiale du Canada, qui englobait les bandes de File Hills. De plus, les noms des agences administratives des bandes étaient sans importance, d’autant plus que ces noms ont changé au fil du temps. Ces changements ont ajouté à la confusion, mais encore là, ils n’ont pas eu pour effet de modifier l’intention initiale du Canada et n’ont pas éteint le droit de Peepeekisis. Par ailleurs, Peepeekisis insiste sur le fait qu’elle faisait historiquement partie du district de la vallée de la Qu’Appelle, peu importe la façon dont les agences étaient organisées et le nom qu’elles portaient. Peepeekisis soutient qu’il faut accorder du poids ce que M. Graham a écrit en 1924 – que les bandes de File Hills faisaient partie des bénéficiaires – puisqu’il a vécu et travaillé avec les bandes pendant de nombreuses années. De même, il faut prêter attention à l’opinion exprimée par l’agent des Indiens Deason en 1925, selon laquelle toutes les bandes qui recevaient des paiements en vertu d’un traité à Fort Qu’Appelle devaient être considérées comme des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle ». Il comprenait assez bien les points de vue des Autochtones et les peuples de la région. Les bandes de File Hills recevaient leurs paiements à Fort Qu’Appelle à l’époque.

[208]  Star Blanket estime que le dossier documentaire postérieur au décret CP 1151 témoigne de son droit de participer au partage du produit de la cession de la RI 80A et de l’incertitude ou la confusion qui régnait au ministère quant aux bénéficiaires de ce droit.

[209]  Standing Buffalo souligne que son nom figurait sur une liste de bandes qui devaient bénéficier de la cession, mais qu’il avait été biffé sans qu’une raison soit donnée. Elle fait remarquer que l’arpenteur en chef Robertson (lettre du 12 juillet 1924; RCD, vol 1, doc 84) et le directeur des Affaires indiennes (lettre du 10 septembre 1938; RCD, vol 1, doc 104-105) ont indiqué qu’elle devait être admissible. L’idée qu’elle avait été exclue parce que ses membres étaient des [traduction] « Sioux américains » est erronée et discriminatoire, selon ce qui ressort de l’histoire orale et de la preuve des experts.

8.  Utilisation de la RI 80A

[210]  Le groupe de Kawacatoose reconnaît que la majeure partie de la preuve relative à l’utilisation de la RI 80A fournie par les revendicatrices additionnelles est tirée de l’histoire orale. Il ne conteste pas cette preuve, mais soutient que l’utilisation était occasionnelle et peu fréquente considérant l’histoire et le contexte au moment où le Traité a été signé et au cours des années qui ont suivi. Bref, cette utilisation n’était pas suffisante pour que le Canada puisse inclure ces Premières Nations parmi les bénéficiaires du poste de pêche mis de côté.

[211]  Le groupe de Kawacatoose reconnaît également qu’il n’a pas empêché les autres bandes d’avoir accès à la RI 80A. Cependant, ce n’est pas parce qu’elles y avaient accès que la réserve avait été mise de côté à leur profit ou qu’elles y avaient droit.

[212]  Little Black Bear et Peepeekisis soutiennent que leur utilisation traditionnelle de la RI 80A est un aspect important du point de vue des Autochtones et de leur théorie sur le droit à la réserve. Le fait qu’elles aient utilisé la RI 80A après sa mise de côté satisfait au principe de l’arrêt Ross River selon lequel la bande doit accepter la réserve en l’utilisant. Peepeekisis souligne qu’après qu’on lui eut imposé un mode de vie agricole, des écoles résidentielles et un système de laissez‑passer, les bandes ont moins utilisé la RI 80A, mais que cela ne doit pas jouer contre elles ni porter atteinte à leur droit. Toutes les bandes de File Hills ont utilisé la RI 80A parce qu’elles étaient enclavées, qu’elles n’avaient pas leurs propres zones de pêche et que Kinookimaw était l’endroit le plus proche de leurs réserves où ils pouvaient trouver du poisson en abondance.

[213]  Pour Standing Buffalo, l’utilisation de la réserve n’a que peu d’importance pour sa théorie sur le droit à la réserve. Cependant, elle fait remarquer que son utilisation de la RI 80A avait été globale, et non limitée. Elle fait aussi remarquer que la réserve a été utilisée par de nombreuses Premières Nations, et non pas seulement par une ou quelques-unes d’entre elles.

VII.  AnalysE

A.  Le contexte historique de la RI 80A tel qu’il est décrit dans l’histoire orale

[214]  Le meilleur point de départ pour cette analyse se trouve dans l’imposante preuve par histoire orale qui a été présentée. Il en est ainsi parce que selon l’histoire autochtone, les « faits » à l’origine du problème dont est saisi le Tribunal remontent à bien avant la création de la RI 80A. Il est impossible de régler la question de l’interprétation sans connaître et reconnaître le point de vue des Autochtones et le contexte historique qui sous‑tendent ces faits. Je souscris entièrement aux principes juridiques exposés à cet égard. Ce point de départ me permet également de m’interroger sur la nature et l’effet de la preuve par histoire orale, et sur la façon dont elle s’inscrit dans la présente affaire.

[215]  L’histoire orale est la seule façon pour les revendicatrices de faire connaître leur histoire, leur point de vue et le contexte de l’époque qui nous concerne. Au moment de la signature du Traité nº 4 et de la création des réserves, y compris la RI 80A, il n’était pas dans la culture des Autochtones que de conserver des documents papiers. De plus, ils n’en avaient pas les moyens technologiques. Toutefois, cela ne signifie pas que les ancêtres des revendicatrices n’ont gardé aucune trace de leur histoire, de leur vision du monde et de leurs lois. Ils ont transmis ces connaissances oralement d’une génération à l’autre. Ainsi, de façon délibérée et structurée, ils ont réussi à maintenir une conscience collective de leurs racines. En droit canadien, l’histoire orale est considérée comme une preuve entière et égale aux autres types de preuve pouvant être présentés aux tribunaux. Pour être admissible, la preuve par histoire orale doit être nécessaire, fiable et pertinente. Dès lors qu’elle satisfait à ce critère, la preuve par histoire orale peut être admise et utilisée comme tout autre élément de preuve, à condition de tenir compte des différences culturelles. Elle doit aussi recevoir un « traitement égal et approprié » (souligné dans l’original; Mitchell au para 39; voir paragraphe 152 ci-dessus). Le tribunal doit apprécier la preuve par histoire orale selon les principes applicables en matière preuve, quelle qu’elle soit.

[216]  Je conviens qu’il est important, sur le plan juridique, d’essayer de comprendre le point de vue et l’histoire des revendicatrices. Ainsi, ces dernières auront l’occasion d’établir, en toute équité, un lien entre leur point de vue et l’intention qu’avait la Couronne lorsqu’elle a créé la RI 80A. Il sera peut-être alors plus facile d’appliquer généreusement les règles d’interprétation de façon à respecter l’objectif de la création de la RI 80A, tout en préservant les droits des revendicatrices et en évitant d’adopter une approche qui aurait pour effet de restreindre ou de limiter ces droits. Les principes exposés aux paragraphes 136 à 148 ci-dessus n’ont été contestés d’aucune manière. Le Tribunal s’inspire donc de ces principes.

[217]  Aucune des parties ne s’est opposée à la preuve par histoire orale qui a été présentée au cours de la présente sous-étape de l’audience, mais elles ont demandé au Tribunal d’accorder un poids différent aux divers aspects de cette preuve. Alors, bien que personne n’ait contesté l’admissibilité de la preuve par histoire orale, il convient de formuler quelques observations.

[218]  Tout d’abord, je suis convaincu que tous les témoins se sont efforcés de la vérité telle qu’ils la connaissaient et la percevaient, et qu’ils ont tenté de faciliter le règlement du litige même s’ils connaissaient la dynamique du différend opposant les Premières Nations participantes à la Couronne. Les aînés ont témoigné de façon solennelle. Chaque jour, les témoignages étaient précédés d’une cérémonie importante et souvent élaborée au cours de laquelle l’obligation de parler ouvertement et honnêtement était sans cesse soulignée. Le Tribunal a été invité à observer ces cérémonies et à y participer. Chaque journée d’audience a été empreinte de la solennité des activités de la journée et du désir d’arriver à un règlement équitable dans un esprit de réconciliation, non seulement entre les Premières Nations et la Couronne, mais aussi parmi les Premières Nations.

[219]  Les aînés ont tous expliqué leurs origines et leurs sources d’apprentissage, c’est-à-dire qu’ils bénéficiaient continuellement des enseignements sur leur histoire et leur culture que leur transmettaient des membres de la famille proche et des aînés, dont plusieurs avaient été chefs à leur époque et avaient eux-mêmes appris des chefs précédents. Ensemble, ces témoins ont brossé un tableau de leur histoire et de leur point de vue. À certains moments, les témoignages étaient bouleversants tellement il y avait de détails sur la façon dont les peuples avaient été maltraités, opprimés et marginalisés au fil du temps. La plupart des Canadiens seraient scandalisés par ces révélations sombres et convaincantes. Bien sûr, les témoignages ont aussi permis de révéler de nombreux renseignements sur le mode de vie d’une société nomade qui vivait dans une prairie sans frontière, autrefois riche en ressources de subsistance et où les frontières juridiques et politiques actuelles n’existaient pas. Du point de vue des Premières Nations revendicatrices, la RI 80A ne représente qu’une facette de l’histoire, de la vie et des événements qui sont survenus au fil des années tant avant qu’après le contact avec les Européens.

[220]  Les revendicatrices ont toutes convenu qu’il est impossible de trancher les questions soulevées à la présente sous-étape sans tenir compte des points de vue historique et culturel des Autochtones. Leurs ancêtres étaient des nomades qui suivaient des parcours traditionnels dans les territoires en question, pour y pratiquer la chasse, la pêche et la cueillette. Ce mode de vie nomade explique la vision qu’on les Autochtones de la terre ainsi que la façon dont ils y étaient liés et la façon dont ils interagissaient les uns avec les autres. Ils n’étaient pas organisés en bandes, comme ils ont fini par l’être lorsque la Loi sur les Indiens a commencé à s’appliquer à eux. Ils ne connaissaient pas les divisions et les limites géographiques qui constituaient la norme dans le système canadien de gestion des terres et en common law, et ils n’en tenaient pas compte quand venait le temps de s’organiser. Ils étaient dirigés par des chefs lorsqu’ils se déplaçaient dans leurs territoires traditionnels, voyageant parfois avec des partisans d’autres chefs et rencontrant souvent d’autres groupes à des endroits reconnus comme étant des haltes traditionnelles. La RI 80A, connue des Premières Nations sous le nom de « Kinookimaw », était l’un de ces lieux de rencontre traditionnels.

[221]  Les Cris et les Saulteaux se considéraient, ainsi que tout ce qui les concernait, comme étant « Nēhiyaw ». La vision du monde sioux de Standing Buffalo était semblable à celle du Conseil des Sept Feux, vieux de plusieurs siècles. Ces peuples des Plaines avaient des lois qui régissaient leurs comportements et leurs croyances, qu’un aîné a qualifiées de lois [traduction] « de Dieu ». Non seulement leurs lois étaient pratiques, mais elles revêtaient aussi une force spirituelle.

[222]  Comme l’ont indiqué les témoins, la terre a assuré la subsistance de leurs ancêtres. Elle a permis à ces derniers de se nourrir, de se soigner, de s’abriter et de s’abreuver, et elle était profondément spirituelle. Vu leur mode de vie, ils avaient tous le même point de vue sur la façon dont ils étaient liés à la terre ainsi qu’au monde qui leur entourait, y compris les uns aux autres. Ils ont ainsi créé un système de croyances fondé sur le partage. Par conséquent, quand le Traité nº 4 a été négocié et qu’Alexander Morris a promis que [traduction] « [l]es animaux et les plantes qui se trouvent ici sont à vous », les Autochtones y ont vu une déclaration solennelle qu’ils pourraient continuer à utiliser la terre pour subvenir à leurs besoins comme ils l’avaient toujours fait, et ce, dans un esprit de partage. L’importance fondamentale de la relation que les Cris et les Saulteaux, ainsi que les Dakotas et les Sioux, entretenaient avec la terre a été vivement soulignée dans le témoignage d’un certain nombre d’aînés, alors qu’ils parlaient de [traduction] « Mère nature » (aîné de Peepeekisis Thomas Michael Pinay — transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 39, 72; aîné de Pasqua Lindsay Cyr — transcription de l’audience, 20 juin 2016, à la p 59; aîné de Little Black Bear Robert Bellegarde — transcription de l’audience, 21 juin 2016, à la p 12; aîné de Day Star Irvin Buffalo — transcription de l’audience, 22 juin 2016, à la p 202; aîné de Standing Buffalo Wayne Goodwill — transcription de l’audience, 23 juin 2016, à la p 90; et, orateur de Star Blanket Noel Starblanket, transcription de l’audience, 24 juillet 2017, aux pp 51, 92). La terre était et est toujours une [traduction] « mère ». C’est une image puissante.

[223]  Les descriptions qu’ont faites les aînés de leur vision du monde et du contexte historique s’appuient sur des siècles d’expérience de vie. C’est dans ce contexte, tant avant qu’après la création de la réserve, que s’inscrit la vision qu’avaient les ancêtres des revendicatrices des terres composant la RI 80A. En fait, les points de vue présentés par les témoins relatant l’histoire orale laissent voir une culture et des croyances qui débordent le cadre juridique institutionnel de la présente instance. Selon de nombreux témoins, le droit canadien n’était qu’une ingérence frustrante dans leur vision de la justice et du fonctionnement du monde.

[224]  Au vu de cette preuve, il importe de reconnaître, aussi petit que ce pas puisse être, que Kinookimaw était un endroit qui comptait pour les peuples autochtones de la région tant avant qu’après la signature du Traité nº 4. Presque tous les aînés ont reconnu son importance en tant que halte sur la route migratoire qu’empruntaient les Autochtones pour se rendre aux collines Cypress, lesquelles se trouvent dans ce qui constitue aujourd’hui le sud-ouest de la Saskatchewan, et en revenir. Tous s’entendaient pour dire que ce lieu était traditionnellement un endroit pour se reposer, nourrir les chevaux, cueillir des baies, des herbes et des herbes médicinales, chasser le gibier local et pêcher. Il s’agissait donc d’un lieu de rencontre important qui permettait aux Autochtones de se rassembler, de commercer et de participer à des cérémonies. Comme le lac Long contenait une grande variété de poissons, il constituait également une importante source de subsistance. Le poisson était pêché en grand nombre, séché et transformé en pemmican afin de permettre aux bandes de subsister pendant les mois d’hiver et leurs déplacements. Kinookimaw avait aussi une dimension sacrée puisqu’il y avait des formations rocheuses de nature spirituelle qui sont devenues des monuments importants pour ceux qui s’y réunissaient. Pour les Sioux, Kinookimaw présentait aussi des qualités paranormales, de sorte que les enfants étaient étroitement surveillés pour leur sécurité. Avant la signature du Traité, les ancêtres des revendicatrices se rassemblaient aussi à d’autres endroits près du lac ou sur ses rives et s’arrêtaient dans d’autres haltes traditionnelles importantes sur la route migratoire. Cependant, ils préféraient Kinookimaw parce que c’était un lieu de rassemblement traditionnel pour un grand nombre de bandes.

[225]  C’est là le point de vue des prédécesseurs des revendicatrices qui ont signé le Traité nº 4, lequel est demeuré le même après la signature du Traité. Plusieurs des témoins ont rapporté que leurs ancêtres avaient continué à utiliser Kinookimaw, presque de la même manière qu’avant la signature du Traité. Ils ont également parlé de leurs propres visites à Kinookinaw alors qu’ils étaient enfants, avec leurs grands-parents, leurs parents ou d’autres membres de leur famille. Ils voyageaient à cheval et en chariot et ils restaient à Kinookimaw pour quelques jours ou quelques semaines afin de se livrer aux usages traditionnels de la terre et du lac. Kinookimaw est devenue encore plus importante lorsqu’un certain nombre de membres des Premières Nations, dont plusieurs grands chefs, sont décédés des suites de maladies introduites par les colons et qu’ils ont été enterrés à cet endroit.   

B.  Le lien entre le Traité nº 4 et la RI 80A

[226]  Le texte du Traité nº 4 fait référence, de façon brève et générale, au droit des signataires autochtones de pêcher, de chasser et de trapper. Il est simplement indiqué que les [traduction] « les Indiens [ont] le droit de se livrer à la chasse, à la trappe et à la pêche dans le pays cédé ». Cette déclaration générale est limitée en ce qu’elle ne s’applique pas aux étendues [traduction] « qui pourraient être nécessaires ou prises de temps à autre pour la colonisation, l’exploitation des mines ou autres fins privilégiées » approuvées par le gouvernement. À l’époque du Traité, bien entendu, la région ouverte à la chasse, à la trappe et à la pêche représentait la majeure partie du territoire, soit une vaste superficie. Le Traité ne fait mention d’aucun « poste » à usage spécifique, comme pour la pêche, la chasse, la fenaison ou le bois. Cependant, comme les tribunaux l’ont établi, les traités écrits peuvent également comporter des conditions convenues oralement (Badger; Marshall).

[227]  Les revendicatrices justifient le droit à la RI 80A que leur confère le décret CP 1151 en établissant un lien entre la réserve et le Traité ou les promesses relatives au Traité qui ont été faites à l’époque, ou dans le cas de Standing Buffalo, en établissant un lien entre son alliance et l’emplacement géographique de sa réserve principale. S’agissant des bandes de File Hills, elles considèrent aussi qu’elles étaient aussi géographiquement et culturellement (« Nēhiyaw ») liées à la région de Qu’Appelle à l’époque du Traité, plutôt qu’à l’endroit où leurs réserves ont finalement été établies. Le lien avec le Traité, ainsi que de l’identification géographique et culturelle, proviennent de l’histoire orale. Les arguments relatifs à l’emplacement géographique réel ont été essentiellement présentés dans les observations des avocats qui se rapportaient à la preuve, tant orale que documentaire.

C.  Les récits des circonstances dans lesquelles les revendicatrices sont devenues bénéficiaires de la RI 80A

[228]   Les témoins relatant l’histoire orale ont rapporté le point de vue de leurs ancêtres quant à la façon dont ils sont devenus bénéficiaires de la RI 80A, indépendamment des liens préexistants avec cette terre. Les récits et les explications quant au droit à la RI 80A variaient d’un aîné à l’autre. Or, le meilleur récit est celui de l’aîné de Day Star, Irvin Buffalo. Selon sa tradition orale, un chef malade de Kawacatoose a envoyé son frère demander au ministère des Affaires indiennes d’accorder un poste de pêche aux bandes de Kawacatoose, de Day Star, de George Gordon et de Muskowekwan. Ces bandes étaient enclavées dans les collines Touchwood et avaient besoin d’un endroit où pêcher. Le frère en question s’est rendu [traduction] « près de Winnipeg » (transcription de l’audience, 22 juin 2016, aux pp 207-208) et a présenté la demande au nom des quatre bandes. On lui a toutefois répondu que les travaux d’arpentage étaient terminés pour l’année en cours et qu’il devait revenir l’année suivante, que sa demande serait alors examinée et qu’une décision serait rendue. L’aîné Buffalo a affirmé que [traduction] « du jour au lendemain » sept bandes sont devenues bénéficiaires de Kinookimaw — les quatre bandes susmentionnées en plus de Pasqua, de Piapot et de Muscowpetung. Selon Day Star, les trois autres bandes sont venues s’ajouter aux bénéficiaires parce que W. M. Graham, qui était agent ou commissaire des Indiens ainsi qu’un ami des chefs en question, a décidé de leur accorder une faveur.

[229]  Lors de son témoignage, l’aîné Buffalo a déclaré que son peuple avait pêché à Regina Beach qui se trouve sur la rive sud du lac Long, ainsi que sur la rive nord. Cependant, l’arpenteur s’est rendu sur la rive nord et a arpenté un poste de pêche à cet endroit. Les membres de Day Star ont ensuite cherché des bornes d’arpentage sur les deux rives du lac, mais sans succès. L’aîné a expliqué que l’ajout de ces trois bandes avait été très mal accueilli par les bandes de Touchwood Hills parce que ces trois bandes étaient établies dans la vallée de la Qu’Appelle, le long du réseau hydrographique de la rivière et du lac, et qu’elles avaient déjà accès à des zones de pêche. L’aîné Buffalo a admis qu’un certain nombre de personnes provenant d’autres bandes locales avaient aussi utilisé la RI 80A parce qu’elles savaient qu’il s’agissait d’une réserve, mais il prétend que ce sont principalement les Premières Nations de Touchwood Hills qui l’ont utilisée.

[230]  L’aîné de George Gordon, Mervin Frank Cyr, a surtout parlé de ce qu’il savait de la cession de la RI 80A. Sans préciser davantage, il a affirmé que sa bande avait des droits de pêche dans la RI 80A et qu’elle s’en était prévalu. Il a également raconté que le chef Kawacatoose avait dessiné une carte en forme de losange montrant le poste de pêche, et qu’il y avait indiqué où chacune des bandes de Touchwood Hills occupait une part des terres pour son propre usage. Selon l’histoire orale fournie par l’aîné de George Gordon, Michael McNab, la RI 80A avait été mise de côté pour les sept bandes du groupe de Kawacatoose, qu’il a décrites comme étant les bandes des agences de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle, et elle avait été utilisée principalement par ces bandes. Sans entrer dans les détails, il a affirmé qu’elle avait été mise de côté pour les bandes qui n’avaient pas leurs propres zones de pêche.

[231]  L’aîné de Pasqua, Lindsay Cyr, a déclaré que la RI 80A avait été mise de côté exclusivement pour son peuple. Plus tard dans son témoignage, il a admis que la réserve avait peut‑être aussi été utilisée par d’autres bandes, la plupart venant des environs. Il a affirmé que les terres utilisées pour la chasse, la pêche et le bois avaient fait l’objet des négociations ayant entouré la conclusion du Traité et il a répété que des postes de pêche leur avaient alors été promis..

[232]  Les aînés Irvin Buffalo, Mervin Frank Cyr, Lindsay Cyr et Michael McNab ont présenté, au nom du groupe de Kawacatoose qui a finalement dû céder la RI 80A, l’ensemble de la preuve par histoire orale. Il n’est pas contesté que ces Premières Nations sont des bénéficiaires légitimes de la RI 80A.

[233]  L’aîné de Star Blanket, Douglas Grant Starr, a parlé en termes généraux de la façon dont son peuple pratiquait la pêche et des endroits où il se livrait à cette activité. Il a déclaré que son peuple avait eu accès aux lacs Qu’Appelle ainsi qu’à la réserve de Kinookimaw Beach, même s’il pêchait à Katepwa. Il a dit très brièvement, et sans donner de détails, que ses aînés lui avaient appris que Star Blanket avait accès à Kinookimaw pour la pêche.

[234]  Selon l’orateur Noel Starblanket, un poste de pêche avait été promis à son peuple dans le cadre du Traité. À l’origine, la bande avait le droit de pêcher près du lac Crooked, où elle s’était vu attribuer une réserve. Cependant, en refusant d’occuper cette réserve, la bande a perdu les droits de pêche qui s’y rattachaient. On lui a finalement attribué une nouvelle réserve enclavée qui était assortie du droit de pêcher à Kinookimaw, là où les membres de Star Blanket s’arrêtaient traditionnellement pour se reposer, pêcher et faire de la cueillette. Toujours selon l’orateur Noel Starblanket, cette histoire lui venait du [traduction] « vieux Pat Cappo » (un chef de l’époque de son père), qui avait dit que son peuple partageait Kinookimaw avec un autre peuple. Le père de Noel Starblanket a aussi été chef. L’orateur était persuadé de la véracité de cette histoire : [traduction] « […] quand je parle de ces choses-là, je ne parle pas à travers mon chapeau. Ce n’est pas qu’une histoire. Ce sont des faits, tels que nous — nous les rappelons à travers les témoignages des aînés […] » (transcription de l’audience, 24 juillet 2017, à la p 41). Plus tard dans son témoignage, il a affirmé que le chef Cappo soutenait que Star Blanket aurait dû avoir des droits de pêche et une part des terres à Kinookimaw, mais que le gouvernement les avait accordés aux bandes de Touchwood Hills, ce qui était [traduction] « correct » selon lui puisque ces bandes n’étaient pas établies près d’un plan d’eau. Cependant, le gouvernement avait aussi accordé des droits à Pasqua, à Muscowpetung et à Piapot, dont les réserves disposaient déjà de plans d’eau propices à la pêche. Ce n’était ni correct ni juste. L’orateur Starblanket a aussi reconnu que son peuple pêchait à Katepwa lorsque l’endroit est devenu accessible puisque c’était le lac le plus proche de sa réserve.   

[235]  L’aînée de Star Blanket, Margaret Starblanket, est née et a grandi sur la réserve de Little Black Bear avant de marier un chef de Star Blanket et d’aller vivre dans sa réserve. Elle a affirmé que la RI 80A était une réserve pour plusieurs peuples qui avaient besoin d’un endroit pour chasser, pêcher et piéger, y compris Little Black Bear, George Gordon, Muscowpetung et Peepeekisis. Elle savait que la RI 80A avait fait partie des terres de Little Black Bear, bien qu’elle ait dit avoir perdu le fil quand Little Black Bear a obtenu sa réserve.

[236]  L’aîné de Little Black Bear, Robert Bellegarde, a aussi affirmé que la RI 80A avait été mise de côté uniquement pour sa bande. Il a d’abord dit que la réserve n’avait été partagée avec aucune autre bande, mais il a ensuite déclaré qu’elle avait été partagée avec Pasqua et Muscowpetung. Il a ajouté que, selon un oncle, le poste de pêche avait été promis à l’époque du Traité. Les membres de la bande savaient que Kinookimaw leur appartenait, mais selon l’aîné Robert Bellegrade, ils ont fini par pêcher principalement à Katepwa parce que c’était plus proche de la réserve.  

[237]  L’aîné de Little Black Bear, Vernon Bellegarde, a aussi déclaré que le poste de pêche avait été attribué à sa bande seulement. Son grand-père lui avait dit [traduction] « c’est notre terre » et un oncle, qui avait été chef, avait été catégorique en affirmant que la RI 80A n’appartenait qu’à Little Black Bear (transcription de l’audience, 21 juin 2016, aux pp 69, 72-73, 92). L’oncle avait insisté sur le fait que la bande s’était vu promettre un poste de pêche lors de la signature du Traité. Par ailleurs, l’aîné Vernon Bellegarde a raconté que, vers l’âge de neuf ans, il était allé à Kinookimaw avec son père et qu’ils y avaient rencontré une famille de Pasqua et une autre de Muscowpetung. Selon son père, ces bandes détenaient aussi des droits de pêche à Kinookimaw; la présence de ces familles ne posait donc pas problème. Plus tard dans son témoignage, l’aîné Vernon Bellegrade a ajouté que, selon son père, des membres d’autres réserves, dont Pasqua et Muscowpetung, y campaient. L’aîné croyait que le poste de pêche avait été attribué à Little Black Bear parce qu’il s’agissait d’une halte traditionnelle de la bande à l’époque du Traité.

[238]  L’aîné de Little Black Bear, John Bellegarde, a aussi affirmé que Kinookimaw avait été mise de côté pour sa bande seulement, et ce, parce qu’elle était enclavée et ne disposait d’aucune zone de pêche. Il a déclaré que cela lui avait été confirmé par plusieurs aînés et que la réserve était le seul endroit reconnu comme étant une zone de pêche de Little Black Bear. Cependant, à partir du moment où Katepwa est devenue accessible, la bande a commencé à y pêcher, surtout parce qu’il était beaucoup plus près. Or, la bande a toujours considéré Kinookimaw comme sa réserve. L’aîné a admis qu’un oncle avait affirmé que Kinookimaw était partagée avec Pasqua et Muscowpetung.

[239]  L’aîné de Peepeekisis, Michael Thomas Pinay, a affirmé que des postes de pêche avaient été promis à chaque collectivité, en fonction de l’endroit où elle était établie, et que le gouvernement souhaitait que chaque collectivité ait son propre poste de pêche. Au départ, il a dit que la RI 80A avait été attribuée à Peepeekisis seulement, mais il a ensuite dit que quelques Premières Nations avaient un intérêt dans la réserve. Il n’a pas pu toutes les nommer, mais il y avait Little Black Bear, Star Blanket et Pasqua. Selon lui, un représentant du gouvernement (probablement M. Graham) avait dit à Peepeekisis qu’elle avait accès à la RI 80A parce que sa réserve était enclavée. Or, l’aîné de Peepeekisis, Elwood John Pinay, a affirmé que la RI 80A était un lieu de pêche pour son peuple, mais qu’elle ne leur avait pas été accordée au moment de la signature du Traité : [traduction] « Nous l’utilisions et quand nous avions terminé, nous quittions ».

[240]  L’aîné de Standing Buffalo, Wayne Goodwill, a déclaré que la RI 80A avait été donnée à son peuple, aussi connu comme le « Peuple du poisson » ou le « Peuple mangeur de poissons », parce que le cours d’eau qui bordait leur réserve était trop peu profond pour pouvoir vraiment y pêcher. La bande en était venue à dépendre de la pêche pour se nourrir quand la population de bisons a commencé à décliner. Plus tard dans son témoignage, il a affirmé que son grand‑père avait participé aux négociations visant à obtenir l’accès à Kinookimaw, et il a reconnu que plusieurs autres bandes avaient également utilisé la réserve pour la pêche de subsistance et les cérémonies. Selon l’aîné Goodwill, les aînés avaient vu une lettre dans laquelle le droit de Standing Buffalo à la RI 80A était reconnu. Il avait lui-même accompagné le chef Standing Buffalo, environ 46 ans auparavant. à une rencontre qui avait pour but de discuter de l’attribution de la RI 80A aux Premières Nations ayant le droit d’en bénéficier, et Standing Buffalo figurait alors sur la liste des bandes bénéficiaires. L’aîné de Standing Buffalo, Vincent Ryder, a affirmé qu’aucun agent des Indiens n’avait interdit à la bande d’utiliser la RI 80A. Un ou plusieurs des agents des Indiens avaient déclaré que toutes les bandes, collectivement, pouvaient y pêcher. Cependant, d’autres bandes avaient informé Standing Buffalo qu’elle n’avait pas le droit d’utiliser la RI 80A. Il a ajouté que son peuple avait pêché non seulement dans la RI 80A, mais aussi dans plusieurs lacs de la région, y compris les lacs Echo et Pasqua.

[241]  L’aîné de Standing Buffalo, Vincent Ryder, n’a pas abordé la question du droit à la réserve. Il s’est plutôt concentré sur l’importance traditionnelle de Kinookimaw et sur la façon dont elle a été utilisée avant et après la signature du Traité. Il a toutefois convenu que des membres d’autres tribus l’utilisaient parfois, mais il a affirmé qu’il ne savait pas de qui il s’agissait.

D.  L’utilisation de la RI 80A après sa création

[242]  Il est clair que l’accès à Kinookimaw a considérablement diminué quand les Premières Nations se sont établies dans les réserves qui leur avaient été attribuées. Leurs membres ne se déplaçaient pas autant qu’à l’époque, car ils passaient leur temps à apprendre les rudiments de l’agriculture et à construire des fermes et des maisons. De plus, comme les enfants devaient aller à l’école, ils restaient près de la maison, surtout pendant l’année scolaire.

[243]  Fait très important, la rébellion de Riel et les soupçons du gouvernement à propos de la loyauté des Autochtones ont mené à l’institution du système de laissez-passer. Les aspects de ce système liés au contrôle ont déjà été abordés. C’était un moyen pour le gouvernement de contrôler et de superviser étroitement presque tous les aspects de la vie des Autochtones, sauf ceux déjà contrôlés par la Loi sur les Indiens. En procédant de manière coordonnée pour distribuer les laissez-passer, les agents des Indiens pouvaient limiter les occasions de rencontre entre les bandes de la région et ainsi, limiter les risques d’insurrection.

[244]  D’après ma compréhension de la preuve, le système de laissez-passer était encore bien plus contrôlant. Comme l’ont indiqué les aînés, ce système était devenu une façon de récompenser et de punir chaque aspect de la vie quotidienne d’un individu ou d’une famille. Par conséquent, les occasions de se rendre à la RI 80A et de se livrer à des usages traditionnels étaient très limitées pour les bandes. Il semble que toutes les bandes n’aient pas été soumises au même degré de contrôle. Selon les aînés qui ont témoigné au nom de Pasqua et de Little Black Bear, le système de laissez-passer ne s’appliquait pas à leur peuple. Cela dit, les bandes ne se rencontraient plus aussi souvent, voire jamais, ce qui a sans doute renforcé chez elles l’impression que les autres bandes n’utilisaient pas la réserve. Le système peut aussi avoir eu une incidence sur le point de vue des bandes quant au droit à la réserve, d’autant plus que la RI 80A n’a été officiellement mise de côté qu’après la fin de la rébellion de Riel, la mise en œuvre du système de laissez-passer et l’établissement de la plupart des Premières Nations de la région dans leurs réserves. Lorsque Katepwa est devenue accessible, les Premières Nations revendicatrices ont encore moins utilisé la RI 80A. Le fait que certains témoins et leurs ancêtres aient eu l’impression qu’aucune autre bande n’utilisait Kinookimaw a pu renforcer l’idée selon laquelle la RI 80A était la leur.

E.  Conclusions sur la preuve par histoire orale relative au droit à la réserve  

[245]  Considérée dans son ensemble, la preuve par histoire orale sur la question du droit à la réserve pose problème. L’histoire rapportée par les témoins diverge d’une Première Nation à l’autre, et même d’un membre d’une Première Nation à l’autre. Un aîné de Star Blanket a simplement affirmé que sa bande avait eu accès à la RI 80A et qu’elle avait le droit d’y pêcher. Un autre a déclaré, sans toutefois expliquer comment cela pouvait être possible, que les droits de pêche qui avaient été perdus au moment où la bande a refusé de s’installer sur la réserve proposée avaient été transférés à Kinookimaw. Plus tard, il a déclaré que, même si Star Blanket aurait dû avoir des droits de pêche et une part dans la réserve, le gouvernement les avait accordés aux bandes de Touchwood Hills (ce qui était justifié puisque ces bandes étaient enclavées) et à Pasqua, à Muscowpetung et à Piapot (ce qui n’était pas justifié puisque ces bandes étaient établies sur le bord d’un plan d’eau). La troisième aînée de Star Blanket a dit que la RI 80A servait à ceux qui avaient besoin d’un endroit où pêcher, dont les membres de Little Black Bear, de George Gordon, de Muscowpetung et de Peepeekisis, même si elle croyait que la RI 80a faisait partie des terres de Little Black Bear.

[246]  De même, les aînés de Little Black Bear ont manqué de cohérence en ce qui concerne le droit à la réserve. Ils ont tous commencé par dire que la RI 80A avait appartenu uniquement à Little Black Bear, mais ils ont ensuite reconnu qu’elle aurait pu être partagée avec d’autres bandes, plus particulièrement Pasqua et Muscowpetung.

[247]  Un aîné de Peepeekisis a affirmé que la RI 80A avait d’abord été attribuée à sa bande, mais il a plus tard admis qu’elle avait été utilisée par d’autres bandes. Il ne pouvait pas les nommer, à l’exception de Little Black Bear, de Star Blanket et de Pasqua. Un autre aîné de Peepeekisis a déclaré que la RI 80A était simplement un endroit où son peuple allait pêcher et que, quand ils avaient terminé, ils quittaient.

[248]  Quant à Standing Buffalo, un aîné a indiqué que la RI 80A avait été offerte à sa bande parce qu’elle ne disposait pas de zone de pêche adéquate. Ce n’est pas clair, mais on pourrait supposer que seule Standing Buffalo y avait droit. Plus tard dans son témoignage, il a toutefois déclaré que la RI 80A avait été utilisée par plusieurs autres bandes pour la pêche et les cérémonies. Il a fait remarquer que le nom de Standing Buffalo figurait dans une lettre ou sur une liste, ce qui confirmait qu’elle avait droit à la réserve, bien que d’autres bandes aient dit qu’elle n’y avait pas droit. Le deuxième aîné de Standing Buffalo n’a pas abordé la question du droit à la réserve, mais a reconnu qu’il avait vu des membres d’autres bandes dans la réserve, sans pouvoir dire de qui il s’agissait.

[249]  J’ai résumé la preuve par histoire orale sur le droit à la réserve afin de démontrer les différences de perception chez les aînés des Premières Nations qui ont témoigné. Certains aînés pensaient que la RI 80A avait été mise de côté exclusivement pour leur Première Nation, bien que plusieurs d’entre eux aient finalement admis que d’autres Premières Nations l’utilisaient ou la partageaient. D’autres croyaient que leur collectivité y avait seulement accès, sans toutefois y avoir droit. Vu ces divergences, variations et incohérences dans la preuve par histoire orale, il est donc difficile de dire en toute confiance que les revendicatrices additionnelles avaient droit à la RI 80A.

[250]  Par cette observation, je ne mets nullement en doute la sincérité des témoins, ni l’authenticité de leur témoignage. À mon avis, ils ont rapporté avec exactitude les renseignements que leur avaient transmis leurs ancêtres en fonction de leur compréhension et de leur perspective.

[251]  Cependant, ces incohérences ont affaibli leurs témoignages, tant sur le plan individuel que collectif. Certains témoins ont déclaré qu’une seule Première Nation était bénéficiaire de la réserve. Je conclus qu’il est impossible que la RI 80A ait été attribuée à une seule Première Nation parce que les parties s’accordent pour dire que le groupe Kawacatoose, composé de sept bandes, avait valablement droit à la réserve. Le terme [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle » n’est pas non plus compatible avec l’idée qu’une seule bande y ait eu droit. Tous s’entendent pour dire qu’il s’agissait de deux régions géographiques distinctes. Le ministère a associé des bandes aux réserves après l’adoption de l’Acte des sauvages et, selon la logique ministérielle, une seule bande ne saurait avoir été désignée comme étant les [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Une seule bande ne pouvait se trouver aux deux endroits ni appartenir aux deux régions. Par ailleurs, le ministère a recensé plusieurs bandes dans chacune des deux zones géographiques. Si je comprends bien, les revendicatrices additionnelles ont essentiellement fait valoir que l’expression [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » devrait être interprétée de manière à les inclure. Il est impossible de conclure que le décret CP 1151 ait désigné une seule bande comme bénéficiaire alors que des bandes de zones géographiques distinctes sont déjà reconnues comme bénéficiaires. Pour les mêmes raisons, l’argument avancé par les revendicatrices additionnelles – qu’elles s’identifiaient à la grande région de Qu’Appelle et faisaient partie d’une collectivité autochtone plus vaste qui devrait être visée par l’expression [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » – ne peut être retenu alors que certaines bandes revendiquent un droit exclusif. Aucun des principes d’interprétation ne permet de démêler ces positions et d’y souscrire.

[252]  Un certain nombre d’aînés croyaient également que la RI 80A était le fruit d’une promesse faite verbalement dans le cadre du Traité nº 4, ou qu’elle était autrement liée au Traité. Il ressort clairement de la preuve que, de façon générale, la création des réserves s’inscrivait dans la mise en œuvre des traités au bénéfice des Premières Nations signataires. À la lecture du décret CP 1151, il apparaît aussi clairement qu’en 1889, le gouverneur général en conseil estimait que le décret portait sur les réserves situées dans la région visée par le Traité nº 4. Cependant, le témoignage selon lequel des postes de pêche avaient été verbalement promis n’était pas suffisamment détaillé et ne présentait pas un fondement factuel assez solide pour étayer cette position. En l’absence de plus amples renseignements, je demeure sceptique. Ce témoignage n’était pas suffisamment détaillé pour que je puisse conclure que des postes de pêche avaient été promis au moment de la signature du Traité, soit dans le cadre du Traité ou autrement. Si de tels postes avaient été promis dans le cadre du Traité, je me serais attendu à ce qu’ils constituent un sujet important, constant et commun dans l’histoire orale, mais ce n’est pas le cas. Par ailleurs, si la Couronne avait fait des promesses autres que celles contenues dans le Traité — dont elle aurait dû assurer le suivi, l’exécution et le respect —, elle l’aurait sans doute mentionné dans ses documents. Je n’ai rien trouvé en ce sens. Je n’ai trouvé aucun lien entre le point de vue de la Couronne et celui des Autochtones à ce sujet.

[253]  Selon moi, Little Black Bear et d’autres revendicatrices additionnelles ont soulevé l’argument de la promesse verbale pour renforcer l’interprétation du décret CP 1151 qu’elles proposent. Elles ont formulé les questions en litige à la présente sous‑étape en insistant sur l’importance que revêt le contexte du Traité pour l’interprétation du décret CP 1151. Or, elles n’ont pas allégué qu’il y avait eu manquement au Traité parce qu’une de ses promesses, verbale ou écrite, n’avait pas été respectée. Je fais cette observation, car l’interprétation du Traité n’est pas le principal objectif de la présente sous-étape et qu’il faut veiller à limiter les conclusions tirées en l’espèce aux conclusions nécessaires à la présente sous-étape.

[254]  Bien que preuve ne permette pas de corroborer l’affirmation de Little Black Bear, il ne fait aucun doute que la RI 80A a été désignée, arpentée et confirmée en tenant compte du contexte du Traité. D’après l’histoire orale et les documents écrits, il est évident que l’accès à la pêche était une préoccupation au moment de la négociation du Traité, tant pour les participants autochtones que pour les représentants de la Couronne ayant participé au processus de création de réserves qui a suivi la conclusion du Traité. Dans l’ensemble, les éléments de preuve confirment que cela s’inscrivait dans la stratégie et les intentions générales de la Couronne pendant les arpentages et la prise du décret CP 1151. La preuve est claire : l’arpenteur Nelson et ses supérieurs auraient été au courant du Traité nº 4. Le décret CP 1151 renvoie expressément au Traité nº 4 et M. Nelson était chargé des arpentages approuvés par le décret CP 1151.

[255]  Il ressort clairement du dossier écrit qu’aux termes du Traité, le gouvernement, par le biais des commissaires, allait [traduction] « attribuer » des réserves d’une superficie déterminée par ses représentants en consultation avec les bandes. Le Traité stipulait également que les [traduction] « Indiens [ont] le droit de se livrer à la chasse, à la trappe et à la pêche dans le pays cédé », sujet aux règlements du gouvernement, et exceptant les étendues qui pourraient être nécessaires ou prises de temps à autre pour la colonisation, l’exploitation des mines ou autres fins privilégiées.

[256]  La population autochtone avait cédé l’ensemble de son territoire traditionnel. Quand le Traité a été signé, il n’existait encore aucune réserve et la colonisation en était à ses débuts. Les Autochtones ne savaient pas où leurs réserves allaient être établies, ni quelles en seraient les caractéristiques. Cependant, ils pouvaient pêcher n’importe où sur ce vaste territoire, sauf dans les limites fixées par le Traité.

[257]  Dans les années qui ont suivi la signature du Traité, les postes de pêche ont permis aux bandes qui avaient besoin d’endroits où pêcher d’avoir encore accès à des ressources halieutiques, et à la Couronne de modérer les conflits entre les peuples autochtones et les colons. Les postes de pêche étaient donc une façon de répondre aux préoccupations de la Couronne et des autochtones signataires du Traité sur l’accès aux ressources halieutiques.

[258]  Il convient de noter que, dans aucun des témoignages relatant l’histoire orale, il a été mentionné ou suggéré que les revendicatrices se seraient déjà trouvées sans endroit où pêcher. Aucun des témoins n’a laissé entendre qu’elles auraient été incapables de répondre à leurs besoins en poissons pour assurer leur subsistance. Il n’a pas non plus été proposé ou avancé qu’il y avait eu manquement à cette modalité du Traité.

[259]  En 1874, lors de la négociation du Traité nº 4, il n’était pas nécessaire de penser aux postes de pêche, même si le concept des postes de pêche existait déjà, ce que je ne puis admettre. Je ne vois pas pourquoi il aurait été question de postes de pêche alors que les bandes pouvaient pêcher à tous les endroits non colonisés ou autrement aménagés, c’est-à-dire dans la majeure partie du territoire. C’était d’autant plus vrai qu’aucune réserve n’avait encore été mise de côté et que les groupes autochtones signataires ne savaient pas exactement où ils seraient établis ni quelles seraient les caractéristiques de leurs réserves.

[260]  À cause du système de laissez-passer, plusieurs bandes avaient beaucoup de mal à se rendre à quelque endroit que ce soit en dehors de leurs réserves, y compris la RI 80A. Ce n’est pas qu’elles ne pouvaient pas se rendre à la RI 80A pour pêcher ou chasser, mais l’accès était contrôlé, ce qui a certainement causé des désagréments et suscité un sentiment d’oppression. Le changement de mode de vie des Premières Nations, qui sont passées d’un mode de vie nomade axé sur la chasse et la cueillette à un mode de vie fondé sur l’agriculture, a également eu pour effet de limiter leurs déplacements. Les pressions liées à la vie quotidienne sur une ferme, à l’entretien d’un foyer, à la scolarisation des enfants et, pour certains, à l’exercice d’un emploi, ont incité les gens à rester près de leurs réserves. Cependant, rien de tout ça n’a empêché les revendicatrices d’avoir un accès suffisant aux eaux de pêche ni limité la disponibilité du poisson lorsque leur mode de vie et leur économie ont changé. En effet, quand un barrage a été construit dans la vallée de la Qu’Appelle pour créer Katepwa, la plupart des bandes pêchaient à cet endroit parce que c’était plus près de leurs réserves et plus pratique. Katepwa jouissait de la même abondance et de la même variété de poissons. Selon les aînés, leur peuple pêchait aussi ailleurs. Le problème ne résidait pas dans le manque de poissons ou d’endroits où pêcher.

[261]  En ce qui concerne la façon dont certaines bandes sont devenues bénéficiaires de la RI 80A, le témoignage de l’aîné Irvin Buffalo portant sur le chef Kawacatoose qui, alors qu’il était malade, a envoyé son frère à Winnipeg pour demander un poste de pêche est intéressant parce qu’il fournit des détails qui peuvent être comparés aux preuves documentaires. Il ne s’agit pas simplement d’une affirmation catégorique.

[262]  Le témoignage de l’aîné a clairement établi que les Premières Nations étaient profondément attachées à la RI 80A, eu égard à leur utilisation traditionnelle et à leur perspective culturelle. Je reconnais que cet attachement était profond, émotionnel et spirituel. À mon avis, il s’agit là de la principale raison pour laquelle les revendicatrices additionnelles ont le sentiment d’y avoir droit. Ce sentiment découle de l’utilisation traditionnelle qu’en ont faite leurs collectivités et de tout ce que cela a représenté au fil des décennies et des siècles. Toutefois, ce sentiment d’avoir droit à la réserve, qui repose sur la tradition, n’est pas utile pour interpréter les intentions qu’avait la Couronne quand elle a utilisé l’expression [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle », à moins qu’il puisse être démontré que la Couronne connaissait ce sentiment et qu’elle a agi en fonction de lui. Le témoignage permet de bien saisir certains aspects des points de vue et de la situation des Autochtones à différents moments, que l’on doit garder à l’esprit au moment d’apprécier les nombreuses preuves documentaires présentées en l’espèce.

F.  Analyse du dossier documentaire

[263]  Je vais maintenant passer à l’examen de ce que le dossier documentaire propose pour interpréter l’expression [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle », telle qu’elle est utilisée dans le décret CP 1151 et des documents qui l’ont précédés. L’expression a été imaginée et utilisée par le gouvernement pour créer ce qui, de l’avis de tous, était une réserve valide au sens de l’Acte des sauvages. Il demeure important de souligner que les représentants coloniaux ont aussi agi suivant leur propre conception du contexte social de l’époque, qui ne tenait peut-être pas compte du point de vue des Autochtones.

[264]  Que révèle le dossier documentaire à propos de l’intention qu’avait le gouvernement en utilisant et en approuvant cette formulation? Qui le gouvernement avait-il l’intention de constituer bénéficiaire de la réserve, et pourquoi? Plus particulièrement, quelle était l’intention de la Couronne, compte tenu du point de vue des collectivités autochtones de l’époque et du fait que le Traité nº 4 avait été signé peu d’années auparavant?

[265]  Les premières réserves de la région de la vallée de la Qu’Appelle ont été arpentées par William Wagner deux ans après la signature du Traité nº 4. En septembre 1876, il a arpenté la réserve de Day Stard (réserve indienne nº 87) et celle de Kawacatoose (réserve indienne nº 88), que J. C. Nelson a arpentées de nouveau en 1881, 1888 et 1889 pour en modifier les limites. Les deux réserves étaient situées dans les collines Touchwood. M. Wagner a aussi arpenté la réserve de Pasqua (réserve indienne nº 79) en octobre 1876, laquelle était située dans la vallée de la Qu’Appelle, non loin de Fort Qu’Appelle.

[266]  Dans le procès‑verbal de l’arpenteur général J. S. Dennis daté du 13 juillet 1875, il était recommandé que M. Wagner soit embauché pour suivre le commissaire et arpenter les parcelles des réserves désignées par le commissaire à Qu’Appelle, dans les collines Touchwood et partout où le commissaire risquait d’aller cette saison-là. C’était là la première référence aux collines Touchwood et à Qu’Appelle en tant que lieux géographiques distincts. Il n’y avait aucune indication précise quant à savoir ce que M. Dennis entendait par « Qu’Appelle » — la vallée de la Qu’Appelle, Fort Qu’Appelle ou la ville de Qu’Appelle (voir pièce 1, carte). Le procès‑verbal rédigé par M. Dennis donne l’impression que la politique et le processus de création de réserves dans la région a été élaborés sur le terrain au fur et à mesure que les travaux progressaient et dans les jours qui ont suivi la conclusion du Traité. Il était aussi question de l’équilibre entre les besoins de la collectivité autochtone et ceux liés à la colonisation et au développement. M. Dennis a proposé que les réserves conviennent à l’agriculture et qu’elles soient situées sur le bord d’une rivière ou d’un lac. Selon lui, les réserves devaient aussi comprendre des terres se prêtant à d’autres usages, comme la chasse. Il semble que M. Dennis était conscient de l’obligation qu’avait le Canada de tenir compte des droits de chasse et de pêche des Premières Nations. Il est aussi évident que le gouvernement voulait pousser les bandes à pratiquer l’agriculture. On ne peut imaginer à quel point ces premières années ont dû être troublantes et difficiles pour les Autochtones.

[267]  Le rapport annuel de 1880 du ministère donnait la liste des bandes, de leurs réserves et des [traduction] « lieux où [elles] séjournaient » (voir le paragraphe 22 ci-dessus). Sous la rubrique [traduction] « Emplacement de la réserve », les réserves étaient regroupées sous les titres « collines File », « collines Touchwood », « vallée de la Qu’Appelle » ou « lac Qu’Appelle ». Comme tous ces titres désignaient des « emplacements », il fallait qu’ils représentent des lieux géographiques distincts, autrement il n’aurait pas été nécessaire de les désigner séparément. Les réserves de la région de la vallée de la Qu’Appelle et du lac Qu’Appelle comprenaient les réserves de Piapot, de Pasqua et de Muscowpetung. L’emplacement de la réserve de Standing Buffalo n’avait pas encore été choisi; elle ne figurait donc pas sur la liste. Les réserves de « Touchwood Hills » comprenaient les réserves de Muskowekwan, de George Gordon, deDay Star et de Poor Man (c.-à-d. Kawacatoose). Les réserves de « File Hills » comprenaient les réserves de Peepeekisis, d’Okanese, de Star Blanket et de Little Black Bear. L’emplacement de la réserve de Piapot n’avait pas encore été choisi; elle ne figurait donc pas non plus sur la liste. Ainsi, même en 1880, les bandes qui ont plus tard été appelées à céder la RI 80A se sont vu attribuer des réserves dans la vallée de la Qu’Appelle (ou au lac Qu’Appelle) et dans les collines Touchwood. Dans la liste, il n’était pas question des agences, bien qu’à partir de 1874 jusqu’en août 1885, les bandes dont les réserves étaient situées dans l’un ou l’autre de ces endroits étaient administrées par l’agence de Qu’Appelle. Si la distinction avait été fondée sur le territoire administratif des agences plutôt que sur les emplacements géographiques, il n’aurait pas été nécessaire d’établir une distinction entre les collines File et les collines Touchwood, ou encore entre les collines File et Touchwood et la vallée de la Qu’Appelle et le lac Qu’Appelle.

[268]  La RI 80A a été créée et arpentée par J. C. Nelson. La longue chronique des travaux effectués au printemps, à l’été et à l’automne 1882 qu’il a rédigée à la main permet de mieux comprendre ce qu’il pensait, comment il travaillait et quels rapports il entretenait avec les collectivités autochtones de la région. Pour commencer, il est impossible d’échapper au fait que M. Nelson avait une opinion coloniale typique de l’époque sur les Premières Nations. Dans son récit, il a décrit une visite chez le chef Day Star, où il a été [traduction] « très surpris de voir qu’il vivait dans un endroit confortable et bien rangé » (RCD, vol 3, doc 234, à la p 18). Il a observé que le chef avait une très grande famille, composée de filles [traduction] « qui sembl[aient] être assez habiles pour s’occuper du ménage et des activités laitières ». Il a ensuite formulé le commentaire suivant : [traduction] « Ils sont beaucoup moins répugnants que leurs semblables ».

[269]  Au début de son rapport, il a résumé où il avait été pendant [traduction] « la dernière saison », notamment dans les « collines Touchwood » et dans la région de « Qu’Appelle ». Il s’agissait évidemment de lieux géographiques, tout comme les monts Moose, les lacs Crooked et Round, le lac Nut et le lac Fishing. Il s’agissait également de lieux distincts. Les travaux d’arpentage effectués par M. Nelson en 1881 dans les collines Touchwood visaient à modifier les limites de la réserve de Day Star. Dans la région de « Qu’Appelle », il devait délimiter des réserves pour Standing Buffalo et Muscowpetung, y compris une petite réserve partagée par ces bandes et constituée de « terres à foin » en amont de la rivière, parce que leurs réserves n’avaient pas suffisamment de prés pour cultiver le foin (voir les paragraphes 31 et 52 ci-dessus). L’observation de M. Nelson selon laquelle la réserve choisie par Standing Buffalo était un endroit [traduction] « d’une beauté remarquable », que le sol était constitué de « limon argileux de première qualité » et qu’il y avait « une grande quantité de peupliers » confirme le récit selon lequel le chef Standing Buffalo avait minutieusement cherché un emplacement de choix. Elle confirme également que les vœux de Standing Buffalo avaient une certaine importance et qu’ils étaient respectés, considérant que la bande n’avait pas adhéré au Traité. M. Nelson n’a pas remis en question le droit de Standing Buffalo à l’emplacement qu’il avait choisi. La création des terres à foin montre également que l’arpenteur était conscient des besoins de Muscowpetung et de Standing Buffalo en termes de prés. Je doute fort qu’il ait fait preuve de sensibilité et qu’il ait pris les mesures nécessaires de façon spontanée et de sa propre initiative. Il est fort probable que la question des terres à foin ait été soulevée et que leur création ait été demandée par les chefs des deux bandes, surtout Standing Buffalo, qui était très pointilleux lorsqu’il était question des besoins de sa bande. Quoi qu’il en soit, M. Nelson a été plutôt conciliant. Il est évident qu’il avait le pouvoir de créer les terres à foin et d’en faire une réserve distincte devant être partagée par deux ou plusieurs bandes de la région.

[270]  À d’autres occasions cette année-là, M. Nelson a fait preuve d’une sensibilité et d’une volonté similaires à l’égard des demandes des Premières Nations. Aux monts Moose, il a enfoncé des barres de fer à chaque coin d’une réserve qui avait déjà été arpentée par M. Wagner, et ce, après que la bande lui eut expressément demandé que ses terres soient délimitées par des poteaux de fer [traduction] « comme celles des hommes blancs » (RCD, vol 3, doc 234, à la p 5; voir paragraphe 24 ci-dessus). Il a aussi pris conscience de l’importance de la pêche de subsistance pour la bande du chef White Bear. Le chef voulait qu’un lac tout près de sa réserve en fasse partie parce que son peuple dépendait pour sa subsistance du poisson qui se trouvait en abondance dans le lac. M. Nelson semblait disposé à répondre à la demande et a tenté de faire une reconnaissance du lac, mais il en a été incapable parce qu’une inondation l’avait rendu inaccessible. Après avoir arpenté plusieurs autres réserves de la région, il s’est rendu au lac Crooked dans la vallée de la Qu’Appelle, là où, selon un extrait du rapport annuel de 1880 du ministère, se trouvaient les bandes d’Ochapowace, de Kahkewistahaw, de Cowessess et de Sakimay (RCD, vol 1, doc 7).

[271]  Au lac Crooked, à la demande de certaines bandes dont les réserves avaient déjà été arpentées, M. Nelson a effectué de nouveaux arpentages. Les bandes établies du côté sud de la vallée ont été déplacées du côté nord. Il a aussi arpenté de nouvelles réserves, notamment pour Kahkewistahaw (réserve indienne nº 72), et il a constaté que, contrairement aux réserves avoisinantes, celle-ci n’était pas située au bord d’une zone de pêche. Il a donc exercé son pouvoir pour délimiter un « lieu de pêche » de 96 acres (réserve indienne nº 72A) à l’extrémité nord-est du lac Crooked. Il s’agissait donc d’un poste de pêche, tout comme la RI 80A, sauf qu’il était destiné uniquement à Kahkewistahaw. En fait, M. Nelson a arpenté la réserve indienne nº 72A en 1884, la même année où il a arpenté la RI 80A. Une fois de plus, il a démontré qu’il était conscient de l’importance de la pêche pour une Première Nation et qu’il était prêt à répondre à ce besoin. Il a donc exercé son pouvoir pour mettre de côté une petite réserve dans un but précis. Il devait donc disposer d’un tel pouvoir, car les mesures qu’il a prises n’ont jamais été remises en question et elles ont été approuvées dans le décret CP 1151.

[272]  M. Nelson a terminé son travail au lac Crooked à la fin août 1881, puis il s’est rendu au lac Nut. Dans son procès‑verbal de janvier 1882, il a décrit son voyage à travers les collines Touchwood et a fait état de la mauvaise qualité du chemin. Il ne fait aucun doute qu’il connaissait les collines Touchwood en tant que lieu géographique. Il a arpenté deux réserves pour Yellow Quill, l’une sur la rive sur lac Nut et l’autre en bordure du lac Fishing. Dans chaque cas, il a souligné l’abondance de poissons et la présence de lieux de pêche, ce qui témoigne une fois de plus de sa sensibilité à l’importance de la pêche dans le mode de vie des Autochtones.

[273]  Après avoir terminé l’arpentage des réserves de Yellow Quill, il est retourné dans les collines Touchwood. C’était la troisième ou quatrième fois qu’il s’y rendait ou qu’il passait par là. Il devait donc bien connaître l’endroit. Cette fois, il avait comme destination la réserve de Day Star. Une fois sur place, il a consulté le chef et ses dirigeants à propos des changements qu’ils voulaient apporter à leur réserve (réserve indienne nº 87), initialement arpentée en 1876 par William Wagner. M. Nelson a apporté les changements désirés, notamment en repoussant la limite de la réserve parce qu’un certain nombre de maisons et de fermes appartenant à des membres de la bande se trouvaient à l’extérieur de la réserve. Encore là, M. Nelson s’est montré disposé à répondre aux souhaits d’une bande. Il y est retourné en 1888 pour apporter d’autres modifications à la réserve (RCD, vol 3, doc 234, aux pp 73-74).

[274]  Il est ensuite allé rencontrer la bande de George Gordon, qui souhaitait modifier ses limites en retirant une bande de terres à bois et en ajoutant une parcelle de terres agricoles de même superficie. Dans son procès‑verbal, M. Nelson explique qu’il a étudié la demande et parle des changements qui, selon lui, allaient le mieux répondre aux besoins de la bande. Par ailleurs, il semble que, tout comme dans le cas de la réserve de Day Star, un certain nombre de maisons et de terres agricoles appartenant à des membres de la bande de George Gordon se trouvaient à l’extérieur des limites de la réserve, ce qu’il a corrigé. Le compte rendu que M. Nelson a rédigé en janvier 1882 était formulé comme si la réserve de la bande de George Gordon avait déjà été arpentée. Or, selon le décret C. P. 1151, elle a été arpentée par A. W. Ponton en 1883 (RCD, vol 3, doc 239, aux pp 71-72). Il n’y a aucune explication. Il se peut qu’un premier arpentage ait été écarté et qu’un nouvel arpentage ait été effectué en 1883. La réserve de George Gordon se trouve dans les collines Touchwood.

[275]  Ensuite, M. Nelson a rencontré le chef de la bande de Muskowekwan pour savoir si la bande avait décidé de l’endroit oèu elle voulait établir sa réserve. Le beau-frère du chef était présent et a apparemment pris le contrôle de la rencontre. M. Nelson l’a décrit comme étant une personne si difficile et désagréable qu’il a décidé de ne pas procéder tout de suite à l’arpentage. Cependant, il a préparé un croquis montrant l’endroit choisi par la bande. Là encore, il s’est montré conciliant. La rencontre a eu lieu dans les collines Touchwood, là où se trouvait également l’emplacement proposé. Il y est retourné pour arpenter la réserve indienne nº 85 en 1884.

[276]  Il a ensuite remonté la vallée de la Qu’Appelle jusqu’à un endroit situé à environ 20 milles passé Fort Qu’Appelle, là où la bande de Muscowpetung s’était installée. Le chef l’a informé qu’il voulait que sa réserve soit située sur la rive sud de la rivière Qu’Appelle et qu’elle soit attenante à la réserve de Pasqua à l’ouest. M. Nelson a accédé à la demande et a établi la limite ouest de la réserve de Muscowpetung, mais a dû partir pour ne revenir qu’au printemps suivant parce l’hiver s’était installé.

[277]  En résumé, en 1881, M. Nelson a été amené à s’occuper de trois des quatre bandes de la vallée de la Qu’Appelle qui ont plus tard été appelées à céder la RI 80A. En 1889, il a arpenté la réserve de la quatrième bande en vue d’y apporter des modifications. Il s’agit des bandes que la Couronne a désignées comme les [traduction] « sauvages de Qu’Appelle ». Il a aussi travaillé sur deux des réserves de Touchwood Hills (Standing Buffalo et Muscowpetung). La réserve de Kawacatoose avait déjà été arpentée en 1876. Le chef Piapot n’a eu sa réserve (réserve indienne nº 75) qu’en 1885. M. Nelson devait donc bien connaître la géographie de ces deux régions.

[278]  M. Nelson n’a pas travaillé dans les collines File au cours du printemps, de l’été et de l’automne 1881. Cependant, en 1881, M. A. P. Patrick a arpenté des réserves pour les bandes de File Hills : Star Blanket, Little Black Bear et Peepeekisis. M. Nelson a arpenté les réserves modifiées de Little Black Bear et de Peepeekisis en 1884 et en 1887 respectivement. Les réserves de File Hills ont été décrites comme elles l’étaient dans le rapport annuel de 1880 du ministère. Il est difficile de croire que M. Nelson n’était pas au courant de l’existence et de l’emplacement géographique des collines File lorsqu’il a réalisé ses travaux en 1881. Il devait aussi connaître les rapports annuels puisqu’ils contenaient un résumé de ses travaux, probablement faits à partir des rapports qu’il envoyait en fin d’année au ministère. Il devait aussi connaître les autres arpenteurs qui faisaient des travaux dans la région. Avant 1884, il ne faisait lui-même aucun travail d’arpentage dans les collines Files.

[279]  Dans une note datée du 1er janvier 1883, soit un an après avoir rédigé son procès‑verbal du 10 janvier 1882, M. Nelson a écrit à la main une [traduction] « Liste des réserves indiennes non arpentées dans les Territoires du Nord-Ouest ». La partie pertinente de la liste a été reproduite au paragraphe 33 ci-dessus. Le titre général de la liste est [traduction] « District de Qu’Appelle », lequel était souligné de deux traits. Suivaient ensuite quelques sous-titres, sous lesquels figuraient un ou plusieurs noms de bande. Il est évident que les sous-titres représentaient des lieux géographiques du [traduction] « District de Qu’Appelle ». Bien que seules les [traduction] « réserves indiennes non arpentées » des collines Little Touchwood, des collines File et du lac Long ou Last Mountain soient mentionnées, la liste qui se trouve dans le document 235 du volume 3 du recueil conjoint des documents comprend environ 19 autres régions géographiques. Ce document semble avoir été la liste de « choses à faire » de l’arpenteur. Il s’agissait de travaux à faire dans le futur, mais pas nécessairement dans l’année suivante. On n’y trouve aucune indication du moment auquel chaque arpentage allait être effectué, ni dans quel ordre.

[280]  C’est sur cette liste que M. Nelson a inscrit sous le sous-titre [traduction] « lac Long ou Last Mountain » « [u]n poste de pêche de 320 acres pour les Indiens de Qu’Appelle & Touchwood ». La liste fait également référence à deux autres postes de pêche, bien qu’il ne soit pas précisé s’ils ont finalement été mis de côté.  

[281]  Il me paraît évident, et je conclus, que le [traduction] « District de Qu’Appelle » était un lieu géographique général et que les sous-titres « collines Little Touchwood », « collines File », « Fort Ellice », etc. étaient des lieux géographiques distincts situés à l’intérieur de ce vaste district. La liste des bandes ayant été dressée en fonction de zones géographiques, il est à supposer que M. Nelson était au courant de l’existence des bandes et savait où elles étaient établies dans ces zones. En procédant ainsi, M. Nelson déterminait où les réserves de certaines bandes seraient établies. Il adoptait le point de vue d’un arpenteur travaillant sur le terrain. C’est également sous cette forme qu’il présentait ses travaux dans les rapports annuels du ministère.

[282]  Dans le rapport annuel de 1883 du ministère, il était indiqué que les bandes de Pasqua, de Muscowpetung et de Standing Buffalo se trouvaient [traduction] « près de Fort Qu’Appelle ». Les membres de Little Black Bear, de Star Blanket, d’Okanese et de Peepeekisis étaient décrits comme étant les [traduction] « sauvages de File Hills », et les membres de Kawacatoose, de George Gordon, de Day Star et de Muskowekwan étaient désignés comme étant les « sauvages de Touchwood ». Il convient de souligner que les trois mêmes lieux géographiques distincts ont été repris d’un rapport annuel à l’autre : Fort Qu’Appelle, collines File et collines Touchwood (voir les paragraphes 22 et 36 ci‑dessous).

[283]  En 1883 et en 1884, le chef Piapot et sa bande représentaient un défi de taille pour le ministère. Le chef était mécontent du Traité et de la réserve qui avait été arpentée pour lui. Son peuple était malade et affamé. En fait, le chef Piapot croyait que le gouvernement essayait de les tuer avec les aliments qu’il leur fournissait. Quand il a commencé à parcourir la vallée avec des hommes armés, le Canada a alors envoyé des soldats afin de traiter avec lui. Les soldats ont fini par le persuader de s’installer et l’ont incité à choisir un endroit où il souhaitait établir sa réserve. Au début, il voulait une parcelle près du lac Last Mountain, précisant que c’était là où il voulait établir la réserve au moment où il a signé le Traité. En 1884, M. Nelson est retourné dans la région, notamment pour délimiter une réserve pour le chef Piapot. Or, le chef voulait alors une réserve avoisinante à celle de Muscowpetung en bordure de la rivière Qu’Appelle. M. Nelson a expliqué qu’il aurait de la difficulté à accéder à cette demande et, avec l’agent des Indiens, il a proposé un endroit près de la parcelle du lac Last Mountain convoitée par le chef Piapot l’année précédente. Cependant, le chef Piapot a rejeté la proposition parce que, selon lui, il n’y avait pas de bois et de cours d’eau sur ce site. Curieusement, il croyait aussi que la pêche n’y était pas bonne. Il tenait beaucoup à l’emplacement en bordure de la rivière Qu’Appelle. M. Nelson n’a pas donné espoir au chef, mais il pensait lui-même qu’il s’agissait d’un bon emplacement et s’est battu pour que le chef puisse l’obtenir. Encore là, M. Nelson a démontré une aptitude à consulter une bande et à communiquer avec elle, à comprendre ses besoins et à y répondre. En juin 1885, M. Nelson a arpenté la réserve de Piapot à l’endroit sollicité par le chef (voir les paragraphes 40 et 44 ci-dessus).

[284]  Onze jours avant de rencontrer le chef Piapot, M. Nelson s’est rendu au lac Last Mountain pour délimiter l’emplacement du poste de pêche qui, selon sa liste du 1er janvier 1883, n’avait pas encore été arpenté. Dans le rapport daté du 5 juin 1884 qu’il a envoyé au commissaire des Affaires indiennes, il explique que le poste de pêche proposé est destiné aux [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Il a choisi un endroit où, avait-il appris, les bandes allaient camper et où se trouvaient déjà quelques petites cabanes à pêche (voir le paragraphe 39 ci-dessus). Il a remarqué que l’endroit convenait pour le camping et la chasse aux oiseaux aquatiques. Il y avait aussi du bois. M. Nelson voulait que la réserve soit éloignée des colons. Comme le côté sud-est du lac était [traduction] « densément peuplé », il a choisi le côté nord (RCD, vol 1, doc 19). Il était aussi conscient des bonnes conditions de pêche du lac, ayant observé que les bandes vendaient du poisson aux colons et se plaignaient que les colons avaient [traduction] « éliminé d’immenses quantités de poissons blancs pendant la saison du frai ». Il convient également de noter que M. Nelson avait arpenté la réserve de Little Black Bear en mars 1884, soit plusieurs mois avant de déterminer l’emplacement de la RI 80A, dans le but d’y apporter des modifications. Little Black était l’une des bandes de File Hills. On ne peut donc pas dire que M. Nelson ne connaissait pas les collines File quand il a choisi l’emplacement du poste de pêche pour les [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». Il venait d’aller travailler dans les collines File, et pourtant, il n’a pas inclus les bandes de File Hills parmi les bénéficiaires du poste de pêche.

[285]  Le rapport daté du 5 décembre 1885 de M. Nelson fait état des travaux d’arpentage que ce dernier a réalisés cette année-là et il est présenté dans le rapport annuel de 1885 du ministère (voir les paragraphes 43 et 44 ci-dessus). En juin 1885, M. Nelson a consulté le chef de la bande de Jack à propos de l’emplacement de sa réserve. Le chef a demandé qu’on lui attribue la réserve précédemment abandonnée par le chef Piapot. M. Nelson a accédé à sa demande et a arpenté la réserve indienne nº 76. Il s’est ensuite rendu au lac Last Mountain où il a terminé l’arpentage de la RI 80A le 27 juin 1885, qu’il a décrite dans son rapport et sur son plan d’arpentage comme un [traduction] « [u]n poste de pêche pour les sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ».

[286]  Dans son rapport annuel de 1885, le ministère passe à nouveau en revue les emplacements des bandes et des réserves en les regroupant, comme avant, selon qu’elles se trouvent dans les collines Touchwood, dans les collines File ou à Qu’Appelle. Les descriptifs géographiques n’ont pas changé. Il est aussi indiqué que [traduction] « jusqu’à tout récemment », les réserves étaient sous la supervision de deux agents d’une agence connue sous le nom de « agence d’Indian Head » (voir les paragraphes 41 et 42 ci-dessus).

[287]  Au moment où il a conçu la RI 80A, M. Nelson n’en était pas à sa première expérience avec le concept d’une petite réserve créée à des fins particulières. Il avait déjà arpenté un poste de pêche à l’usage exclusif de la bande de Kahkewistahaw. Les terres à foin mises de côté pour Muscowpetung et Standing Buffalo reposaient sur le même concept, mais pour la culture du foin. D’après son procès‑verbal daté du 10 janvier 1882, M. Nelson semblait à l’aise de détenir et d’exercer le pouvoir de créer ces réserves à usage particulier. On ignore quand précisément on a commencé à en créer. Cependant, la raison pour laquelle elles ont été créées est expliquée dans la note datée du 21 janvier 1897 que le surintendant général adjoint des Affaires indiennes Hayter Reed a envoyée au ministre de l’époque (voir le paragraphe 28 ci-dessus). Il était apparemment habituel de réserver des lacs entiers à l’usage exclusif des Premières Nations pour la pêche. Cette pratique visait probablement à assurer la préservation des droits de pêche des Autochtones malgré les pressions exercées par la colonisation rapide et grandissante des Blancs. Cependant, à un certain moment, le ministère de la Marine et des Pêches a refusé de suivre la pratique et a adopté l’idée du poste de pêche pour s’assurer que les Premières Nations aient accès à des zones de pêche, tout en évitant les conflits que l’empiétement des Autochtones sur les propriétés des colons risquaient de créer. C’était une solution pratique à une situation potentiellement explosive. À mon avis, il s’agissait d’une politique, laquelle a été élaborée sur le terrain au fur et à mesure que des établissements et des réserves étaient délimités. Il était également logique de laisser la création des postes de pêche à la discrétion des arpenteurs qui délimitaient des réserves à l’intention des bandes et qui, par conséquent, connaissaient également les besoins des bandes et le territoire comme tel. La description qu’a faite M. Reed de la politique est compatible avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire de M. Nelson dans la création du poste de foin et des deux postes de pêche dont il a été question.

[288]  En 1887, M. Nelson a terminé l’arpentage de la réserve de Peepeekisis dans les collines File (réserve indienne nº 81), lequel avait été entamé par M. A. P. Patrick en 1880. C’était la deuxième fois que M. Nelson allait arpenter des terres dans les collines File. Toutes les réserves situées à Qu’Appelle, dans les collines Touchwood et dans les collines File ont été confirmées dans le décret omnibus CP 1151 daté du 17 mai 1889. Dans ce document, le gouverneur en conseil a mis de côté la RI 80A à titre de [traduction] « poste de pêche à l’usage des sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». La description et la vocation de la réserve n’ont pas changé entre sa conception en 1884 et son approbation officielle en 1889. Les parties conviennent que la RI 80A était une « réserve » au sens de l’Acte des sauvages (voir le paragraphe 60 ci-dessus).

[289]  Il convient de noter qu’il était indiqué sur chaque rapport d’arpentage effectué en vertu du décret CP 1151 que M. Nelson était [traduction] « chargé de l’arpentage des réserves indiennes » et qu’il était inscrit sur chaque plan d’arpentage qu’il l’avait « [a]pprouvé ». De toute évidence, cela comprenait les arpentages des réserves situées dans les collines File. Il a signé chaque plan d’arpentage inclus dans le décret CP 1151, ce qui veut dire qu’il l’a vérifié. La description et la vocation de la RI 80A n’ont pas changé entre 1882 et 1889. Comme il examinait et vérifiait chaque rapport d’arpentage, M. Nelson devait comprendre où était située chaque réserve et ses caractéristiques, y compris la vocation et les bénéficiaires du poste de pêche de la RI 80A qu’il avait lui-même créé. Il n’a jamais rien ajouté au texte de ses rapports non plus qu’il ne l’a modifié. S’il avait eu l’intention d’inclure les bandes de File Hills, il l’aurait certainement indiqué. Il connaissait certainement la géographie et l’identité des bandes de la région. Rien n’indique que l’intention qu’il avait au départ en mettant de côté la RI 80A ait changé.

[290]  Pourquoi la RI 80A a-t-elle été créée au bénéfice des Premières Nations de certaines régions géographiques plutôt que de Premières Nations identifiées en fonction du nom de leur chef? Pourquoi M. Nelson a-t-il conclu que les bandes de ces régions géographiques avaient besoin d’un poste de pêche?

[291]  Il n’y a aucune explication écrite dans les documents produits. Cependant, on peut facilement deviner pourquoi. Au moment où M. Nelson a conçu, et ensuite arpenté, la RI 80A, le processus global d’arpentage était déjà bien entamé dans la région, mais il n’était pas terminé. Il s’agissait d’un processus délicat qui consistait à essayer de faire vivre des bandes auparavant nomades dans des réserves, à connaître leurs préférences, à comprendre leurs besoins et à tenter d’y répondre. Puis, il y avait les bandes qui ne voulaient pas s’établir sur des réserves, comme Piapot et Day Star. Quand il a arpenté les collines Touchwood et la vallée de la Qu’Appelle, M. Nelson ne pouvait savoir quelles bandes se verraient finalement attribuer des réserves dans chacune de ces régions. Bien qu’il se soit rendu compte (par lui-même ou à la suite d’une plainte des bandes) que les collines Touchwood étaient enclavées et dépourvues de zones de pêche, il ne pouvait pas savoir quelles bandes pourraient tout de même s’y installer ou qui réaliserait l’arpentage des futures réserves. De même, il ne pouvait pas savoir quelles autres bandes se trouvaient dans la vallée de la Qu’Appelle elle-même. Il n’était pas le seul arpenteur à travailler dans la région. Or, il pouvait régler le problème assez facilement en créant un poste de pêche pour les bandes qui finiraient par s’établir dans les collines Touchwood ou dans la vallée de la Qu’Appelle. Encore là, il s’agissait d’une solution pratique permettant de faire face aux imprévus.

[292]  Je ne crois pas que le descriptif « Touchwood Hills » était vague. Les collines Touchwood constituaient une région géographique distincte de la plaine qui bordait la vallée de la Qu’Appelle. Les collines File constituaient également une région géographique distincte, encore là située sur des terres plus élevées de la plaine, mais longeant la vallée de la Qu’Appelle, ou encore s’étendant en partie jusque dans la vallée. Les bandes établies dans les collines Touchwood ne pouvaient pas l’être aussi dans les collines File, ou vice versa. De même, les bandes établies dans les collines Touchwood ou File ne pouvaient pas se trouver aussi dans la vallée de la Qu’Appelle. Aux yeux de M. Nelson, il s’agissait de lieux distincts.

[293]  Je suis convaincu que les collines File constituaient un lieu géographique distinct où Little Black Bear, Star Blanket et Peepeekisis se sont finalement établies. Certes, des réserves avaient été arpentées pour ces trois bandes à l’automne 1881 — c.-à-d. avant que M. Nelson ne conçoive, situe et arpente le poste de pêche. M. Nelson connaissait manifestement les collines File — il les connaissait probablement lorsqu’il a travaillé dans la région en 1881 et, très certainement, lorsqu’il a arpenté la RI 80A et que le décret CP 1151 a été promulgué, tel que mentionné précédemment. Les bandes de Touchwood Hills et de File Hills étaient établies dans la prairie alors que les bandes de Pasqua, de Muscowpetung, de Piapot et de Standing Buffalo étaient établies dans la vallée, le long du réseau hydrographique de la vallée de la rivière et du lac Qu’Appelle. Les collines Touchwood, les collines File et le lac Qu’Appelle et la vallée de la Qu’Appelle étaient des lieux géographiques distincts, et c’est ainsi que M. Nelson et le ministère les voyaient.

[294]  Quant à savoir comment M. Nelson s’est rendu compte qu’un poste de pêche était nécessaire, là encore, il n’y a pas de réponse directe dans le dossier documentaire. S’il a pris d’autres notes, en particulier pour les années 1882 à 1884, elles n’ont pas été produites et rien ne permet de savoir pourquoi. Cependant, comme je l’ai fait remarquer à plusieurs reprises, M. Nelson semble avoir étroitement consulté les chefs dont il arpentait les réserves et quand ces derniers lui demandaient quelque chose, il était généralement réceptif et conciliant. Il est certain que la superficie des terres en question — soit quelques centaines d’acres supplémentaires ici ou là — n’était pas très importante étant donné l’immensité du territoire non colonisé qui restait et qui avait été cédé par traité par la collectivité autochtone.

G.  La demande d’attribution de la RI 80A

[295]  Dans toute la preuve, il n’y a qu’une seule explication réaliste et raisonnablement probable quant à la façon dont la RI 80A a vu le jour, et c’est le témoignage de l’aîné de Day Star, Irvin Buffalo, selon qui le chef Kawacatoose a envoyé son frère à Winnipeg pour demander au ministère de leur accorder un poste de pêche. Cet élément de preuve est résumé au paragraphe 107 ci-dessus. Une quantité assez abondante de détails a été fournie sur le voyage et la demande, notamment la raison pour laquelle le chef a envoyé son frère, la destination de Winnipeg, le fait que la saison d’arpentage était terminée, le fait que le frère du chef a été prié de retourner l’année suivante, l’attribution soudaine (et inattendue) de la réserve aux quatre bandes, en plus de Pasqua, de Piapot et de Muscowpetung, le ressentiment que cette attribution a suscité et la perception que ces bandes n’avaient pas besoin de la réserve, car bien que les bandes de Touchwood Hills aient été enclavées et dépourvues de zones de pêche, les trois bandes de la vallée de la Qu’Appelle se trouvaient en bordure ou à proximité d’une rivière et de lacs. Les détails relatifs au ressentiment et à la suspicion engendrés par l’inclusion des trois bandes de la vallée de la Qu’Appelle parmi les bénéficiaires de la réserve – parce que leurs chefs entretenaient des rapports amicaux avec M. Graham – donnent du poids et de la crédibilité au témoignage. On ne peut pas oublier les plaintes. D’ailleurs, la plainte relative à l’inclusion des quatre bandes établies en bordure du réseau hydrographique de la rivière de la vallée de la Qu’Appelle a été mentionnée à plusieurs reprises, mais pas par Kawacatoose.

[296]  Le témoignage de l’aîné Buffalo n’a été contesté par aucune des autres parties. Il a fait son récit de manière directe, sans fioriture ni hésitation. Je ne vois aucune raison de ne pas le croire. Au vu de toute la preuve documentaire, quand un chef présentait une demande à M. Nelson relativement à la configuration de sa réserve, M. Nelson semblait toujours écouter, comprendre et essayer d’accéder à la demande. Si on lui a demandé, directement ou par l’intermédiaire du ministère, de créer un poste de pêche pour quatre ou sept des bandes avec qui il avait déjà travaillé, pourquoi ne l’aurait-il pas fait? Il connaissait certainement les régions dans lesquelles se trouvaient les réserves des sept bandes. Il devait savoir que les collines Touchwood étaient enclavées. Il savait aussi probablement, ou en avait été informé, que le réseau hydrographique de la rivière Qu’Appelle et des lacs connexes, y compris le lac Pasqua, étaient très peu profonds et peu propices à la pêche, comme il a été suggéré à plusieurs reprises dans la preuve par histoire orale, sans que ce soit contesté. Il avait passé suffisamment de temps dans la région pour observer les niveaux d’eau. Au moment où il a inscrit le poste de pêche sur sa liste de réserves non arpentées, les bandes de Kawacatoose et de Day Star étaient installées dans leurs réserves arpentées depuis environ six ans. Elles ont donc eu amplement le temps de constater qu’il était difficile de pêcher dans les eaux qui les entouraient. Quand M. Nelson a arpenté la RI 80A, les réserves de Muskowekwan et George Gordon avaient aussi été arpentées; il devait donc encore mieux connaître les collines Touchwood.

[297]  L’idée que M. W. M. Graham aurait ajouté les trois bandes de la vallée de la Qu’Appelle pour rendre service à ses amis est quelque peu étonnante. Cependant, il n’est pas impossible qu’il ait pu travailler dans la région à la fin de l’automne 1882. Il appert du RCD que M. Graham est l’agent des Indiens qui a rédigé un rapport en date du 31 août 1900 (RCD, vol 1, index au sujet du doc 32). Je doute que ce soit le cas, mais il est possible qu’il ait été présent quand M. Nelson a eu vent de la nécessité du poste de pêche. Cela n’a pas vraiment d’importance. D’une manière ou d’une autre, M. Nelson en a été informé, que ce soit directement ou indirectement grâce aux efforts du frère du chef Kawacatoose ou aux demandes formulées par l’une des bandes établies le long le réseau hydrographique de la rivière Qu’Appelle ou par un autre représentant.

H.  Les changements dans l’administration des agences et la confusion administrative qui s’en est suivie

[298]  Pendant plus de dix ans, après la signature du Traité, toutes les Premières Nations revendicatrices étaient administrées par la même agence, connue sous le nom de « Indian Head » ou « Qu’Appelle ». En août 1885, une réorganisation a eu lieu, de sorte que les bandes de File Hills ont commencé à être administrées par la nouvelle agence de File Hills. En 1900, il y a eu une autre réorganisation et ces bandes ont été administrées par l’agence de Qu’Appelle jusqu’en 1914, puis de nouveau par l’agence de File Hills de 1915 à 1948. Si ces bandes avaient été identifiées en fonction de leur appartenance aux agences, on les auraient appelées les bandes de « Qu’Appelle », puis les bandes de « File Hills », et ainsi de suite. Les bandes auraient été identifiées différemment quand la RI 80A a été arpentée, confirmée par le décret CP 1151 et cédée. La désignation des bandes de Touchwood Hills et de celles établies dans la vallée a aussi changé en fonction des agences qui les administraient.

[299]  Je comprends que cela ait pu semer la confusion chez les bandes et les représentants, et que cela ait pu être source de malentendus. Les communications entre les bandes et le ministère se faisaient presqu’exclusivement par l’entremise des agences et de leurs représentants. Le point de vue des représentants était donc aussi celui des agences. Cependant, le point de vue adopté en l’espèce est celui de M. Nelson, un arpenteur dont les repères étaient géographiques et non administratifs. Les mémoires, les notes et les lettres de M. Nelson ne faisaient que très peu référence aux agences, voire pas du tout. Pour parler d’une agence, il faisait référence à un endroit où il avait rencontré un certain représentant ou groupe et, même là, c’était vraiment dans un contexte géographique. Par exemple, il a évoqué une rencontre à Fort Qu’Appelle ou à Qu’Appelle, où se trouvait l’agence, mais il s’agissait d’un lieu.

[300]  M. Nelson était responsable de tous les aspects de l’arpentage de la RI 80A. En conséquence, l’intention qu’il avait en créant la RI 80A et en la décrivant doit sûrement primer en ce sens que c’est sur la foi de ses travaux qu’a été pris le décret CP 1151 qui, en retour, représente le sceau d’approbation de ce qui en a découlé. Une fois la réserve créée, les représentants du ministère ne pouvaient pas modifier unilatéralement les bénéficiaires, pour leurs propres fins ou de leur propre gré. Il aurait fallu un autre décret pour pouvoir faire un tel changement. Je suis entièrement convaincu, et je conclus, que les bénéficiaires de la RI 80A étaient ceux que M. Nelson avait prévus et voulus, compte tenu du fait qu’il ne pouvait pas savoir au moment de ses arpentages combien de bandes pourraient finalement s’établir dans chaque zone géographique. Il voulait que la RI 80A profite à toutes les bandes établies dans la région géographique des collines Touchwood, ainsi que dans la vallée de la Qu’Appelle elle-même, sur les rives de la rivière ou des lacs Qu’Appelle. Sont donc exclues les bandes établies autour des lacs Crooked et Nut, qu’il avait désignées de façon distincte et aux besoins de qui il avait pourvu séparément, notamment en créant le poste de pêche créé pour la bande de Kahkewistahaw (voir le paragraphe 27 ci-dessus).

[301]  Le point de vue de M. Nelson était tributaire des travaux d’arpentage qu’il réalisait chaque année. Il était incontestablement différent du point de vue des Autochtones que le Tribunal a été examiné, notamment que les bandes s’identifiaient comme des Indiens de la région de Qu’Appelle. Rien ne prouve qu’il y ait un lien entre les deux points de vue. Sans un tel lien, je ne peux que conclure qu’ils étaient différents, mais je ne peux pas dire qu’ils étaient vraiment contradictoires au point de faire intervenir les principes d’interprétation, comme le suggère Little Black Bear au paragraphe 189 ci-dessus. Le point de vue de M. Nelson et son intention sous-jacente tiennent compte de la géographie et de l’obligation qu’il avait en tant qu’arpenteur professionnel de voir à établir les bandes sur certaines terres dans un délai donné. Le point de vue des Autochtones était le reflet de la portée immense de leur histoire et de leurs traditions. En l’espèce, c’est dans le point de vue de M. Nelson que l’intention de la Couronne trouve sa source. Malheureusement, il semble que les parties ne se soient pas beaucoup parlé, sauf lors des quelques consultations qui ont eu lieu au sujet de l’emplacement des réserves examinées précédemment. Rien ne prouve que M. Nelson ait adopté un point de vue plus inclusif des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » que celui qui a été évoqué. Les points de vue des Autochtones et des non‑Autochtones ont apparemment évolué indépendamment l’un de l’autre et chacun de leur côté, sans que l’une ou l’autre des deux cultures n’adopte le point de vue de l’autre ou n’établisse de lien avec l’autre.

[302]  Quand le ministère a commencé à envisager la cession de la RI 80A, des questions ont été soulevées à propos du statut du poste de pêche et de la procédure à suivre pour le vendre. Comme aucun nom de bande n’apparaissait dans le descriptif de la RI 80A, et qu’il ne s’agissait pas d’une réserve résidentielle, ces questions étaient pertinentes. Il était raisonnable de demander des avis juridiques et que ces avis concluent que la RI 80A était une réserve au sens de l’Acte des sauvages vu qu’elle avait été approuvée par le décret CP 1151. Je soupçonne que ces avis reposent à peu près sur la même méthode d’analyse que celle qui a été suivie dans la présente décision. Cela étant, il était nécessaire de procéder à la cession et cela soulevait bien sûr la question de savoir qui, dans la collectivité autochtone, devait l’approuver. Il est intéressant de noter que M. Graham, alors inspecteur des Indiens, semble n’avoir eu aucune difficulté à désigner Piapot, Muscowpetung, Pasqua, Standing Buffalo, George Gordon, Muskowekwan, Kawacatoose et Day Star comme étant les bandes à qui il faudrait s’adresser advenant qu’il soit nécessaire d’obtenir l’approbation des bandes, plutôt qu’aux personnes qui vivaient dans la RI 80A à l’époque (voir le paragraphe 63 ci‑dessus). Il va sans dire que cette interprétation est celle que M. Graham a adoptée, le 7 mai 1907, pour déterminer qui étaient les [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle ». C’est d’ailleurs ce qu’il a déclaré : [traduction] « Je ne crois pas que les sauvages de Touchwood [Hills] et de [la vallée de la] Qu’Appelle la revendiquent » (non souligné dans l’original).

[303]  À l’automne 1913, l’agent des Indiens de l’agence de Touchwood Hills a rapporté que les quatre bandes de l’agence de Touchwood Hills et les trois de l’agence de Qu’Appelle ont tenu un conseil et approuvé la cession. L’administration centrale a alors exprimé des préoccupations puisqu’elle croyait que l’agence de Touchwood Hills comptait cinq bandes et que celle de Qu’Appelle en comptait quatre. Comme la cession était formulée en fonction des agences, il y a eu une certaine confusion. De plus, Standing Buffalo ne figurait pas sur la liste, car, comme il est plus tard devenu clair, elle avait été exclue parce que ses membres étaient considérés comme des Sioux américains. Il semble que Peepeekisis avait initialement obtenu une réserve dans les collines Touchwood, mais qu’elle avait été réinstallée dans une nouvelle réserve dans les collines File. Elle n’était pas donc admissible. L’agent des Indiens de Touchwood Hills a aussi indiqué que les bandes de la région s’opposaient à la participation de Pasqua, de Muscowpetung et de Piapot parce que ces bandes étaient établies en bordure du réseau hydrographique de la rivière ou du lac Qu’Appelle. Cette objection a été de nouveau soulevée dans les années qui ont suivi la cession. Il est intéressant de le mentionner parce que cela concorde avec la preuve par histoire orale qui allait dans le même sens. En mai 1914, l’inspecteur des agences indiennes Graham a déclaré que les bandes de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle incluaient [traduction] « tous les Indiens des agences de Qu’Appelle, de File Hills et de Crooked Lake ». Cette affirmation, qui ne reflétait pas le point de vue des bandes de Touchwood Hills, s’explique peut-être par l’organisation administrative du ministère de l’époque. Les bandes de Crooked Lake incluaient les bandes de Sakimay, de Cowessess, de Kahkewistahaw et d’Ochapowace, lesquelles étaient administrées par l’agence de Qu’Appelle jusqu’en 1885 (RCD, vol 2, doc 154).

[304]  En mars 1924, M. Graham a calculé le produit de la vente de la RI 80A à répartir entre les sept bandes. Il n’a pas dit qu’une de ces bandes ne devrait pas en bénéficier, ou qu’il devrait y avoir davantage de bandes bénéficiaires. Cependant, en juin de la même année, il a fait savoir que, selon les bandes de Touchwood Hills, les bandes de File Hills avaient un intérêt dans la RI 80A et il a rappelé l’objection soulevée à l’encontre de la participation des bandes de la vallée de la Qu’Appelle. Les bandes de File Hills étaient évidemment favorables à sa proposition et M. Graham, qui estimait qu’elle était raisonnable, a suggéré qu’elle soit attentivement examinée. Il a été question de la conversation ou du débat qui s’en est suivi plus tôt dans la présente décision (voir les paragraphes 70 à 78). Il est évident que certains représentants de première ligne étaient sympathiques à la cause des bandes de File Hills parce qu’elles parlaient souvent de la RI 80A. Cependant, les cadres supérieurs du ministère et les arpenteurs ont toujours soutenu que la RI 80A avait été conçue au bénéfice des sept bandes. À aucun moment le ministère n’a modifié sa position initiale à cet égard. Le fait que des questions aient été posées par les bandes de temps à autre, et communiquées ou même appuyées par des représentants de première ligne, n’a pas semé la confusion au sein du ministère. Le ministère a écouté les questions, les a examinées, mais n’a pas changé d’avis. À mon avis, la conclusion du ministère était la bonne, sauf en ce qui concerne Standing Buffalo. Elle est également conforme à l’intention qu’avait M. Nelson. Nous ne savons pas comment le ministère est arrivé à cette conclusion, mais il y est probablement parvenu après avoir analysé les dossiers de M. Nelson ou même après l’avoir consulté directement.

I.  Résumé des intentions de M. Nelson et inclusion de Standing Buffalo

[305]   M. Nelson a visité l’emplacement de la réserve choisi par le chef Standing Buffalo à l’été 1881 et l’a arpenté (réserve indienne nº 78) au début du mois de novembre. M. Nelson a constaté la grande qualité du site. Il est évident que le chef savait ce qu’il cherchait. J’accepte l’histoire orale présentée au nom de la bande qui décrit la quête que menait le chef Standing Buffalo pour trouver une réserve, ses critères, sa visite de reconnaissance à Fort Garry et le fait qu’il ait refusé des terres au Manitoba pour les raisons expliquées. Il a poursuivi ses recherches dans la vallée de la Qu’Appelle, là où il a désigné les terres qu’il voulait. Standing Buffalo n’avait pas adhéré à un traité; or, il s’est vu attribuer l’emplacement de son choix sans aucune hésitation ni plainte. De plus, il s’est vu attribuer une petite réserve de « terres à foin » (RI 80B) qu’il devait partager avec Muscowpetung à un endroit distinct situé tout près de là. La RI 80B a aussi été arpentée en novembre 1881. Les réserves indiennes nº 78 et 80B se trouvaient près des réserves de Pasqua et de Muscowpetung, en bordure du réseau hydrographique de la rivière et du lac Qu’Appelle. La réserve de Piapot n’a été arpentée que quatre ans plus tard.

[306]  M. Nelson a fait sa liste des réserves non arpentées le 1er janvier 1883. Pour les raisons susmentionnées, il connaissait déjà bien les bandes et les réserves qui se trouvaient dans les collines Touchwood et dans la vallée de la Qu’Appelle. Il savait que ces emplacements géographiques étaient séparés et distincts des collines File, là où il n’avait pas encore travaillé. Quand il a arpenté la RI 80A, il n’a pas précisé quels « sauvages » des collines Touchwood et de la vallée de la Qu’Appelle devaient bénéficier du poste de pêche. J’en conclus qu’il voulait que tous les Indiens de ces régions géographiques en bénéficient. Il n’a exclu aucune des six réserves établies à l’époque. Je ne vois pas pourquoi M. Nelson n’aurait pas voulu que Standing Buffalo bénéficie de la RI 80A, ni pourquoi cette bande serait exclue, d’autant plus qu’il avait fait tout le nécessaire pour lui réserver l’endroit choisi par le chef et qu’il lui avait attribué une terre à foin destinée à être partagée avec Muscowpetung. Peu importe les besoins qu’il avait relevés pour justifier la création de la RI 80A pour les Indiens de la vallée de la Qu’Appelle, ces besoins étaient ceux de toutes les bandes de la vallée, y compris Standing Buffalo.

[307]  La Couronne a exclu Standing Buffalo du processus de cession et des avantages pécuniaires connexes pour plusieurs raisons, notamment parce que les membres de Standing Buffalo étaient des Sioux américains ou Dakotas, qu’ils avaient vécu au Minnesota, qu’ils faisaient des aller‑retour entre le Canada et les États-Unis et qu’ils n’avaient [traduction] « pas conclu de traité » au Canada. La bande n’avait pas signé le Traité; elle ne recevait donc pas les paiements annuels prévus par celui-ci. Il est vrai que les membres de Standing Buffalo ont visité les États-Unis, où ils avaient de la famille, mais ils résidaient clairement au Canada. Dans ses rapports, le ministère a toujours salué la nature travaillante des membres de la bande, leurs capacités en matière d’exploitation agricole, la façon dont ils prenaient soin des animaux et s’occupaient des outils, leur propreté et leur bon état de santé. Les membres de la bande étaient aussi de fervents catholiques romains et envoyaient leurs enfants à l’école. Tout cela n’aurait pas pu être possible s’ils avaient passé la majorité de leur temps, ou même une grande partie de leur temps, aux États-Unis. En fait, les membres de Standing Buffalo étaient très loyaux et travaillants. Si on se réfère aux objectifs que le ministère avait fixés pour les collectivités autochtones de la région, Standing Buffalo était une bande modèle. Elle ne méritait pas de subir de la discrimination, ni d’être exclue des bénéficiaires de la RI 80A, et il n’y avait aucune raison valable de la traiter de la sorte.

[308]  Je conviens que Standing Buffalo a apporté un soutien militaire important aux Britanniques et à leurs successeurs. Il ne fait aucun doute que la bande a été reconnue et honorée pour sa loyauté et son soutien, du moins jusqu’à ce que le gouvernement canadien se méfie des collectivités autochtones des Prairies à la suite de la rébellion de Riel, et craigne peut-être aussi le chef Sitting Bull et ses tendances de guerre.

[309]  Standing Buffalo a attribué sa bonne réputation auprès des Britanniques à la relation qu’elle qualifiait d’« alliance ». Il n’est pas nécessaire en l’espèce de déterminer si cette « alliance » est réelle, quelle en est la nature ou quels en sont les effets. À mon avis, Standing Buffalo était l’une des bandes qui occupaient une réserve dans la vallée de la Qu’Appelle, avec Pasqua, Muscowpetung et plus tard, Piapot. Par conséquent, les membres de Standing Buffalo étaient des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » au sens de ces mots. De ce fait, Standing Buffalo avait autant le droit d’utiliser la RI 80A et d’en bénéficier que ses bandes voisines, Kawacatoose, Muscowpetung, Pasqua et Piapot. Les raisons invoquées par la Couronne pour justifier la discrimination à l’encontre de Standing Buffalo n’étaient pas fondées et peu pertinentes quant à la conception de la RI 80A. Cette discrimination ne préserve pas l’honneur de la Couronne. Les membres de Standing Buffalo étaient tout aussi canadiens que leurs voisins. Je conclus qu’ils faisaient donc partie des [traduction] « sauvages de la vallée de la Qu’Appelle » en ce qui concerne la RI 80A dans le décret CP 1151.  

J.  L’importance de l’utilisation de la RI 80A et du système de laissez-passer

[310]  Comme toutes les parties ont convenu que la RI 80A était une réserve dûment constituée en vertu du décret CP 1151 et au sens de la Loi sur les Indiens, la RI 80A doit avoir satisfait aux principes de création de réserves énoncés dans l’arrêt Ross River. M. Nelson était autorisé par le Canada à définir des réserves dans la région en question. Le Canada a démontré qu’il avait une intention suffisante et irrévocable de créer la RI 80A en prenant le décret CP 1151, dans lequel M. Nelson était aussi l’arpenteur approbateur. La Couronne a pris les mesures nécessaires pour définir la réserve par arpentage et par le décret CP 1151. La réserve a donc été mise de côté au bénéfice des « sauvages », bien qu’ils étaient identifiés en fonction de leur emplacement géographique plutôt qu’en fonction du nom du chef ou de la bande. L’intention de la Couronne a ensuite été corroborée par le processus de cession au cours duquel les bandes bénéficiaires ont été appelées à approuver la cession. Au vu de la preuve par histoire orale, toutes les Premières Nations revendicatrices utilisaient la RI 80A, y compris les sept bandes que la Couronne voulait faire bénéficier.

[311]  Le fait que des bandes, outre les sept bandes, aient également utilisé la RI 80A après qu’elle ait été arpentée et officiellement mise de côté ne suffit pas à faire de ces bandes des bénéficiaires en vertu du décret CP 1151. Selon l’histoire orale, à l’époque où des réserves étaient attribuées aux revendicatrices, les bandes ne se préoccupaient pas vraiment des limites et passaient souvent sur les réserves des autres. Le fait de se rendre dans une réserve attribuée à une autre bande et de l’utiliser n’avait pas pour effet de diminuer le droit de la bande à qui la réserve avait été attribuée et ne conférait pas non plus un droit à la visiteuse en vertu du décret CP 1151. Suivant l’arrêt Ross River, la réserve doit être utilisée par les Premières Nations que la Couronne avait l’intention de faire bénéficier. L’utilisation en soi ne confère pas de droit, si ce n’est à une bande qui devait en bénéficier en vertu d’un décret en conseil.

[312]  Je reconnais que les revendicatrices additionnelles avaient toutes le sentiment d’avoir droit à la RI 80A puisqu’elles l’avaient traditionnellement utilisée au fil des décennies et des siècles. Il ne fait aucun doute que le poste de pêche était une halte très connue, utilisée depuis longtemps, voire même sacrée. Or, cette réalité et l’utilisation traditionnelle prolongée n’ont pas suffi à leur conférer le statut de bénéficiaire au titre du décret CP 1151 et de la Loi sur les Indiens, ou de toute autre loi applicable. Selon l’histoire orale, des bandes ne provenant pas des collines Touchwood ou de la vallée de la Qu’Appelle ont eu l’avantage pratique de pouvoir utiliser la RI 80A à des fins traditionnelles. Le fait que les bandes ayant droit à la réserve et la Couronne n’aient pas tenté d’exclure les autres bandes de la réserve n’a conféré aucun avantage juridique au titre du décret CP 1151.

[313]  J’accepte pleinement la preuve relative aux limitations imposées après le traité à l’utilisation de la RI 80A par les bandes, telle qu’elle a été rapportée dans les récits oraux, notamment l’impact terrible du système de laissez-passer, lequel avait été conçu pour limiter les déplacements des bandes et contrôler plusieurs aspects de leur vie. Il s’agissait d’une politique brutale et illégale et elle aura eu pour effet de ternir l’histoire du Canada pendant longtemps. Le système de laissez-passer était choquant et injuste, mais il n’a eu aucun effet sur le droit de bénéficier de la RI 80A. Nul doute que ce système a considérablement réduit la libre utilisation de la réserve, au gré des bandes. L’utilisation de la RI 80A a aussi diminué en raison des énormes changements survenus dans le mode de vie traditionnel des Autochtones des Prairies à la suite de la colonisation et du Traité. Les peuples autochtones ont dû passer d’un mode de vie nomade axé sur la chasse et la cueillette à un mode de vie tout à fait inconnu, sédentaire, agraire et exagérément contrôlé.

[314]  Je suis arrivé à mes conclusions relatives à l’intention en me fondant sur la façon dont les réserves ont été identifiées sur le terrain par un arpenteur autorisé de la Couronne, qui a parcouru la région et appris à connaître ses caractéristiques géographiques et démographiques. L’arpenteur accordait une attention toute particulière à la collectivité autochtone, mais était tout de même sensible à la colonisation par les non-Autochtones et au développement y afférent, dans ce temps-là et dans un avenir rapproché. C’était une période de changements importants pour tout ceux qui vivaient dans les Prairies.

K.  Observations finales

[315]  M. Nelson était l’arpenteur autorisé et il était attentif à la nature du terrain qu’il arpentait. Il consultait les chefs des bandes pour lesquelles il arpentait des réserves. Il avait des opinions eurocoloniales stéréotypées, mais il essayait aussi de comprendre les besoins des collectivités qu’il servait et il était toujours conciliant. Tout le système utilisé par la Couronne pour diviser et sous-diviser les terres était d’origine juridique anglophone et complètement étranger à la collectivité autochtone. C’était un fait et un résultat malheureux pour cette collectivité. Les actions et les motivations de M. Nelson étaient au cœur de l’application du nouveau système juridique de common law parlementaire, de son implantation dans la région de la vallée de la Qu’Appelle et de son fonctionnement.

[316]  Pourquoi les bandes de File Hills ne se sont-elles pas vu attribuer un poste de pêche? Pourquoi n’étaient-elles pas incluses dans la définition de la RI 80A? Est-ce juste? En rétrospective, et du point de vue des bandes de File Hills, ce n’est pas juste. Avec du recul, on peut facilement comprendre et accepter leur point de vue. Toutefois, au vu de l’analyse qui précède, je conclus que M. Nelson ne savait pas qu’elles avaient besoin d’un poste de pêche, ni au moment où il l’a conçu ni au moment où il l’a arpenté et qu’il a supervisé sa confirmation par la loi. Je suis certain qu’il connaissait les collines File et qu’il savait où elles se trouvaient quand il a créé la RI 80A, mais rien n’indique qu’il savait que les bandes qui y étaient établies avaient besoin d’un poste de pêche. S’il avait su, ou s’il avait reçu une demande à cet effet, je crois qu’il aurait probablement essayé de trouver une solution.

[317]  On peut penser que le besoin était flagrant du fait que les réserves de File Hills étaient enclavées, mais ce n’était peut-être pas le cas. Au départ, toutes ces réserves avaient été arpentées par l’arpenteur A.P. Patrick. Dans la description qui figure dans l’arpentage de la réserve de Peepeekisis, il est indiqué que [traduction] « [i]l y a de nombreux lacs et petits ruisseaux ». Dans celle de la réserve de Little Black Bear, il était écrit que [traduction] « [i]l y a de nombreux marais, étangs et lacs ». La réserve d’Okanese (réserve indienne nº 82) était aussi située dans les collines File, mais la bande ne s’est jamais intéressée à la présente revendication et n’a pas cherché à participer. Selon l’arpentage de la réserve indienne nº 82, la terre avait une surface ondulée [traduction] « parsemée d’étangs, de lacs et de marécages de foin » (RCD, vol 3, doc 239, à la p 63). Le Tribunal n’a reçu aucune preuve permettant de croire que les bandes de File Hills avaient demandé de meilleures eaux de pêche, un poste de pêche ou l’accès à une réserve de pêche définie, notamment la RI 80A. Rien n’indique que les bandes de File Hills avaient de la difficulté à capturer des poissons, si ce n’est l’interférence créée par le système de laissez-passer et imposée à toutes les bandes du district.

[318]  Je reconnais le point de vue des collectivités de File Hills — et j’ai tenté de le décrire de façon assez détaillée —, mais cela ne change rien aux raisons pour lesquelles M. Nelson a conçu et arpenté la RI 80A, ni à sa motivation et à son intention sous-jacentes, comme je l’ai expliqué. Aucun des principes d’interprétation, appliqués de manière libérale et dans le meilleur intérêt des bandes de File Hills, ne peut élargir l’intention exprimée par M. Nelson alors qu’il était agent autorisé du Canada. Je ne peux pas prêter à M. Nelson une intention qu’il n’avait pas, que soit en en important une autre ou en élargissant la sienne, alors que la preuve indique le contraire. Il n’y a rien dans les règles de preuve qui le justifie et le Tribunal n’a pas non plus le pouvoir d’agir ainsi non plus. De même, il n’y a aucune raison de vouloir changer ce fait : dans le contexte dans lequel il travaillait, M. Nelson aurait considéré les collines Touchwood, les collines File et la vallée de la Qu’Appelle comme trois emplacements géographiques distincts.

[319]  Si la preuve atteste la façon dont M. Nelson comprenait les termes « vallée de la Qu’Appelle » et « collines File », l’approche qu’il avait à l’égard de la création de réserves, le Traité et le contexte général dans lequel il travaillait, rien ne permet de penser que M. Nelson était au courant des besoins — désormais exprimés — que pouvaient avoir les bandes de File Hills à l’époque où il jouait un rôle actif dans la création des réserves de la région. Certes, le Canada aurait pu élargir son intention afin de permettre aux bandes de File Hills de bénéficier de la RI 80A, mais rien ne prouve qu’il l’ait fait, même si certains représentants de première ligne ont éventuellement soulevé la question et ont même encouragé cette pratique. Cependant, le Canada a traité les bénéficiaires de la RI 80A comme M. Nelson l’avait voulu, et il a toujours agi de la sorte.

[320]  Bien qu’elle soit très générale, la promesse faite dans le Traité nº 4 quant à l’accès à des terres non colonisées et non exploitées pour la pêche était raisonnablement claire. Aucune des parties n’a prétendu le contraire. Certains témoins ayant rapporté l’histoire orale ont déclaré que les postes de pêche faisaient partie du Traité par inférence ou sur la base de promesses verbales qui auraient été faites à l’époque. Cependant, j’ai de la difficulté à accepter que des promesses verbales aient été faites à propos des postes de pêche vu la preuve limitée et contradictoire dont je dispose. Rien n’indique que le concept des postes de pêche avait été mis au point au moment de la signature du Traité. Il semblerait plutôt que les postes de pêche aient été conçus d’une manière particulière après 1874 pour régler les problèmes rencontrés par la Couronne et les peuples autochtones à mesure que la colonisation progressait et que l’accès aux eaux de pêche devenait plus difficile. En outre, comme je l’ai déjà fait remarquer, si quelqu’un avait verbalement promis d’attribuer des postes de pêche ou des réserves, non pas à des fins de résidence, mais pour soutenir la pêche ou à d’autres fins, je me serais attendu à ce que ce soit un point plus important, plus commun et plus fréquemment exprimé dans l’ensemble des récits oraux. Cela n’a pas été le cas.

[321]  Ni l’histoire orale ni la preuve documentaire n’ont révélé que la collectivité autochtone avait des difficultés à accéder aux zones de pêche ou à capturer des quantités suffisantes de poisson. Le système de laissez-passer contrôlait l’accès, mais ne l’empêchait pas. La RI 80A était un moyen pour la Couronne de garantir aux Autochtones un accès à des zones de pêche tout en limitant les conflits avec les colons. De plus, les Premières Nations parties à l’instance ont toutes utilisé la RI 80A, elles n’ont pas été exclues par la Couronne et ne faisaient pas partie des bénéficiaires désignés de la RI 80A. La façon dont la Couronne a finalement (paragraphes 157 et 158 ci-dessus) administré la RI 80A en ce qui concerne la présumée cession qui aurait eu lieu dépasse la portée de cette sous-étape.  

[322]  S’agissant des principes énoncés dans l’affaire Kwicksutaineuk dont il a été question, le point de vue qu’avaient les Autochtones avant le contact avec les Européens était nécessaire pour comprendre leur mode de vie, leurs traditions et leur vision du monde et ainsi saisir la raison pour laquelle Kinookimaw était si importante pour eux avant l’arrivée des Européens, leur utilisation de la réserve, l’importance de la pêche dans leur vie et les bouleversements qu’ils ont connus après avoir adhéré au Traité nº 4. Il a également permis de comprendre le travail nécessaire à la création des réserves après le contact avec les Européens. Cependant, même si le cadre du Traité nº 4 était le fruit d’une collaboration entre la Couronne et les adhérents autochtones, les réserves étaient des entités conçues par la Couronne selon les structures juridiques de la common law anglophone. Il fallait donc comprendre le processus qui a conduit à la création des réserves dans la région de la vallée de la Qu’Appelle, et finalement évaluer ce que la Couronne entendait par [traduction] « sauvages de Touchwood Hills et de la vallée de la Qu’Appelle » dans le décret CP 1151. Bien que le contexte historique soit très important pour arriver à comprendre ce processus, l’affaire Kwicksutaineuk ne permet pas d’interpréter directement le décret CP 1151 et les termes utilisés dans la description de la RI 80A.

[323]  Comme il a été question aux paragraphes 171 et 195 ci-dessus, plusieurs revendicatrices se sont fondées sur le principe énoncé dans l’affaire Madawaska, selon lequel les ambiguïtés doivent être résolues en faveur d’une revendicatrice autochtone quand le dossier de la Couronne est incomplet. En toute déférence, je ne crois pas que ce précédent s’applique en l’espèce. Rien n’indique que les dossiers de la Couronne étaient introuvables, inaccessibles ou mal gérés. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu qu’il était possible de clarifier l’ambiguïté sur le fondement de la preuve produite.

[324]  Pour toutes ces raisons, je conclus et je juge que toutes les revendicatrices de la présente sous‑étape ont la qualité requise pour poursuivre la présente revendication, à l’exception de la Première Nation de Star Blanket, la Première Nation de Little Black Bear et la Première Nation de Peepeekisis, dont les revendications sont par les présentes rejetées. Les parties qui poursuivent la revendication sont libres de modifier leurs actes de procédure afin de refléter l’issue des présents motifs. Le moment auquel ces modifications devront être présentées et l’ordre dans lequel elles devront être présentées seront déterminés par un membre du Tribunal nommé par le président. Pour la même raison, la question des dépens sera aussi tranchée suivant les instructions du président du Tribunal.

W. L. WHALEN

L’honorable W. L. Whalen

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20190730

Dossier : SCT-5001-13

OTTAWA (ONTARIO), le 30 juillet 2019

En présence de l’honorable W. L. Whalen

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE KAWACATOOSE, PREMIÈRE NATION DE PASQUA, PREMIÈRE NATION DE PIAPOT, PREMIÈRE NATION DE MUSCOWPETUNG, PREMIÈRE NATION DE GEORGE GORDON, PREMIÈRE NATION DE MUSKOWEKWAN ET PREMIÈRE NATION DE DAY STAR

Revendicatrices

et

PREMIÈRE NATION DE STAR BLANKET

Revendicatrice

et

PREMIÈRE NATION DE LITTLE BLACK BEAR

Revendicatrice

et

PREMIÈRE NATION DAKOTA DE STANDING BUFFALO

Revendicatrice

et

PREMIÈRE NATION DE PEEPEEKISIS

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

À :

Avocat des revendicatrices PREMIÈRE NATION DE KAWACATOOSE, PREMIÈRE NATION DE PASQUA, PREMIÈRE NATION DE PIAPOT, PREMIÈRE NATION DE MUSCOWPETUNG, PREMIÈRE NATION DE GEORGE GORDON, PREMIÈRE NATION DE MUSKOWEKWAN ET PREMIÈRE NATION DE DAY STAR

Représentées par David Knoll

Knoll & Co. Law Corp.

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DE STAR BLANKET

Représentée par Aaron B. Starr, Galen Richardson et Dusty Ernewein

McKercher LLP, avocats

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DE LITTLE BLACK BEAR

Représentée par Ryan Lake, Aron Taylor et Aaron Christoff

Maurice Law, avocats

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DAKOTA DE STANDING BUFFALO

Représentée par Mervin C. Phillips et Leane Phillips

Phillips & Co., avocats

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DE PEEPEEKISIS

Représentée par Michelle Brass et Tom Waller

Brass Law, avocats

ET AUX :

Avocates de l’intimée

Représentée par Lauri M. Miller et Donna Harris

Ministère de la Justice

 



[1] Remarque sur la terminologie : L’orthographe de certains noms de Première Nation, comme Muskowekwan, Muscowpetung, Kahkewistahaw, etc., varie dans le dossier documentaire. Quand ces noms apparaissent dans un passage tiré du dossier documentaire, l’ancienne orthographe a été conservée. Autrement, l’orthographe employée au paragraphe 2 est celle qui sera utilisée tout au long des motifs de la décision.

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