Motifs de la décision

Informations sur la décision

Contenu de la décision

DOSSIER : SCT-7006-12

RÉFÉRENCE : 2020 TRPC 1

DATE : 20200130

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE:

 

 

PREMIÈRE NATION D’ʔAKISQ̓NUK

Revendicatrice

 

Me Darwin Hanna, Me Caroline Roberts et Me Kirk Gehl, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

 

Me Deborah McIntosh, Me Shelan Miller et Me Michael Mladen, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Du 12 au 14 juin 2018, du 29 au 31 janvier 2019 et le 1er février 2019

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable William Grist


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Première Nation d’Akisq’nuk c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 2; Première Nation d’Akisq’nuk c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 3; Canada c Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175; Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, 417 DLR (4th) 239; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25; Nation de Lake Babine c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 5; Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine chef du Canada, 2013 TRPC 1; Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 3; Canada c Première nation de Kitselas, 2014 CAF 150, [2014] 4 CNLR 6; Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 6.

Lois citées :

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, app II, no 10, art 13.

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 22 et 14.

Land Act, SBC 1884, c 16, art 7 et 8.

Source et doctrine citées :

Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., sous l’entrée « want » (vouloir)

Cole Harris, Making Native Space, Colonialism, Resistance, and Reserves in British Columbia (University of British Columbia Press, 2002).

Sommaire :

Droit autochtone — Revendication particulière — Création de réserves — Obligation de fiduciaire

La revendicatrice allègue que l’intimée a manqué à son obligation de fiduciaire envers la Première Nation d’ʔAkisq̓nuk (la bande) dans le cadre du rôle qui lui incombait relativement à la création de la réserve indienne de Kootenay no 3 (la RI 3 ou la réserve), connue à l’origine sous le nom de réserve indienne nº 3 du lac Columbia.

La première question en litige a trait au rapport de décision initial établi en 1884 par le commissaire des réserves indiennes, Peter O’Reilly, et décrivant la réserve projetée, de même qu’aux changements apportés au périmètre de la réserve lors de l’arpentage de la RI no 3 réalisé en 1886 (terres arpentées : zones a et b).

La deuxième question en litige a trait à la recommandation formulée en 1915 par la Commission McKenna-McBride (la commission fédérale-provinciale mise sur pied afin de régler la question de l’attribution des reserves en Colombie-Britannique), et qui consistait en l’ajout de 2 960 acres de terres (les terres additionnelles) à la RI no 3. La province s’est opposée à cette recommandation, de même qu’à d’autres recommandations de la Commission McKenna-McBride, et l’impasse qui en a résulté a donné lieu à l’établissement, en 1920, de l’examen de MM. Ditchburn et Clark, lesquels ont reçu le mandat de réviser les recommandations de la précédente commission d’enquête. La province a continué de s’opposer à l’ajout des 2 960 acres de terres à la réserve, et au bout du compte, le Dominion s’est rangé à l’avis de la province. La superficie de 2 960 acres n’a donc pas été incluse dans la RI 3.

La revendicatrice soutient — et le Canada en convient — que la Première Nation avait un intérêt identifiable dans les terres arpentées et dans les terres additionnelles, et que le Canada était tenu à une obligation de fiduciaire envers la revendicatrice, en sa qualité de représentant de la bande dans le cadre du processus de création des réserves.

Le Tribunal a statué que l’obligation qu’avait le Canada envers la bande à l’égard de la création de la RI no 3 était de prendre en considération l’« intérêt identifiable » qu’elle détenait dans les terres, en tenant compte de ses besoins mais aussi de son occupation des terres et de son lien historique avec elles.

Dans l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’une telle obligation comprenait les devoirs de « loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et [le] devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation » (para 94). Dans le cas qui nous occupe, l’admission par la Couronne du fait que des obligations fiduciaires existaient dès le début du processus de création de la réserve du lac Columbia renvoie aux obligations, énoncées dans Wewaykum, qu’elle avait envers la bande. Dans l’arrêt Blueberry River, la mesure de la diligence qui s’imposait sur ce plan été comparée à celle « […] qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires » (para 104, citant Fales c Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302, à la p 315).

Le Tribunal a tranché que le levé établi par l’arpenteur G. M. Skinner ne respectait pas  l’obligation de fiduciaire qui incombait au Canada à l’égard de la bande. Rien ne justifiait que Skinner use de son pouvoir discrétionnaire pour modifier le rapport de décision O’Reilly au détriment de la bande. L’objectif déclaré de Skinner, qui était d’exclure des terres rocheuses et inutiles, et qui s’appliquait seulement à la partie supérieure de la zone a, n’a pas apporté d’amélioration à la réserve attribuée, mais a plutôt eu pour effet d’exclure d’importantes superficies de terres utiles et de rendre disponibles à des fins d’aliénation des terres situées dans une région sensible de la réserve. Skinner a exclu la zone b par une simple inadvertance, et à titre de fiduciaire, le Canada avait l'obligation de corriger cette erreur. L’argument du Canada selon lequel, somme toute, avec l’ajout de terres au sud, les modifications ont été avantageuses ne rachète pas la perte des zones exclues. Si des terres ont été ajoutées au sud de la réserve, c’est parce qu’elles servaient déjà de zone de jardinage, et non parce qu’il fallait compenser la perte des zones a et b qui avaient été exclues de la zone définie dans le rapport de décision.

En 1912, la Commission McKenna‑McBride s’est vue confier le mandat [traduction] « de résoudre tous les différends qui surgissent entre le gouvernement du Dominion et le gouvernement de la province relativement aux terres des Sauvages et, d’une façon générale, aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie-Britannique ». En 1916, elle recommandait l’ajout de 2 960 acres de terres à la RI no 3, ce qui aurait eu pour effet de prolonger la limite orientale de la réserve jusque dans les hautes terres.

Le gouvernement provincial n’a pas approuvé les recommandations formulées par la Commission dans son rapport.

En 1920, une deuxième commission d’examen fédérale-provinciale, connue sous le nom d’examen de MM. Ditchburn et Clark, a été créée pour examiner les recommandations formulées par la Commission McKenna‑McBride quant aux reserves des Premières Nations de la province et prendre une decision définitive en conséquence. Le représentant provincial de l’examen mené par Ditchburn et Clark s’est opposé à l’ajout de 2 960 acres à la RI 3. Le Canada a insisté auprès de la Colombie-Britannique, mais a finalement accepté de renoncer aux terres additionnelles dont l’ajout aux réserves de Kootenay était recommandé, y compris l’ajout de 2 960 acres à la  RI 3, après que la province eut garanti qu’un pâturage communal (et non une réserve indienne) serait attribué aux Indiens de Shuswap et du lac Columbia afin d’assurer le règlement du différend.

Le gouvernement provincial a ensuite omis de mettre de côté des terres pour le pâturage communal.

La Commission McKenna‑McBride avait pour objectif de régler la question des terres de réserve et le Dominion avait garanti que tout règlement serait conditionnel au consentement des Autochtones. Or, l’examen de Ditchburn et Clark s’est déroulé sans la participation des bandes, et le Dominion a accepté la proposition de la province — qui consistait à renoncer aux terres additionnelles qui avaient été recommandées pour les bandes de Kootenay — sans que les peuples autochtones concernés ne soient informés ou consultés. De plus, la promesse d’un pâturage communal s’est éteinte sans autre explication qu’une lettre dans laquelle on demandait à Thomas P. Mackenzie, le commissaire aux pâturages, de ne pas oublier son obligation.

Le Tribunal a conclu que, de par la façon dont il a géré l’examen des recommandations relatives aux réserves faites par MM. McKenna et McBride ainsi que par MM. Dichtburn et Clark, le Cananda a manqué à son obligation de fiduciaire de « loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et [à son] devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation » (Wewaykum, au para 94). Ce manquement est encore plus flagrant dans le cas des bandes de Kootenay à qui la décision du Canada de ne pas insister sur l’inclusion des terres additionnelles recommandées a fait subir la perte la plus importante. À tout le moins, le Canada aurait dû insister sur l’attribution du pâturage communal ou, s’il ne pouvait l’obtenir, renoncer à la possibilité de régler la situation aux conditions proposées par la province qui ne permettaient pas d’atténuer les conséquences de cette impossibilité.

De plus, la revendicatrice affirme que le fait de ne pas avoir réussi à régler la question des terres additionnelles aurait dû inciter le Canada à recourir au processus de règlement des différends prévu à l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, app II, nº 10 [Conditions de l’adhésion]. Les Conditions de l’adhésion ont été entérinées par les gouvernements provincial et fédéral au moment de l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération en 1871. Aux termes de l’article 13, tout « désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre » devant être concédées pour les réserves indiennes devait être renvoyé au secrétaire d’État pour les colonies.

L’intimée soutient que la décision de ne pas renvoyer le différend au secrétaire d’État pour les colonies était raisonnable et qu’il était peu probable que les Premières Nations de la Colombie‑Britannique aient gain de cause.

Le Tribunal estime que, vu la façon dont le Canada a géré l’affaire, il était devenu impossible de la renvoyer au secrétaire d’État pour les colonies.

Toute question portant sur la contribution potentielle de la Colombie-Britannique au manquement du Canada à son obligation de fiduciaire et toute contingence devant être prise en compte pourront être examinées à l’étape de l’indemnisation, après que les parties auront présenté l’ensemble de leurs arguments.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. revendication  8

II. HISTORIQUE DES PROCÉDURES  10

A. Direction générale des revendications particulières  10

B. Décisions précédentes du Tribunal des revendications particulières et de la Cour d’appel fédérale  10

1. Décision de la Cour d’appel fédérale  11

C. La nouvelle revendication  12

III. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES RELATIVES à la nouvelle audience  13

IV. Aperçu historique - crÉation DES RÉSERVES  14

V. Histoire orale  18

VI. lE COMPTE RENDU DE DÉCISION D’O’reilly  20

VII. Le levé de Skinner  29

VIII. TÉMOIGNAGE DE l’agent des Indiens Galbraith  38

A. Arguments des parties concernant les terres arpentées  41

1. Arguments de la revendicatrice  41

2. Arguments de l’intimée  42

3. Analyse—Les terres arpentées  43

a) Intérêt identifiable  43

B. Obligation du Canada dans le contexte de la question du levé d’arpentage  47

C. Conclusion  49

IX. La Commission MCKENNA-MCBRIDe  50

A. Retour sur la Commission McKenna-McBride  58

B. Arguments des parties sur les terres additionnelles  60

1. Arguments de la revendicatrice  60

2. Arguments de l’intimée  61

X. ANALYSE : RECOURS au renvoi prévu À L’ARTICLE 13 DES CONDITIONS DE L’ADHÉSION COMME MOYEN DE RÉGLER UN DIFFÉREND  62

XI. RELATION DE FIDUCIAIRE ENTRE CANADA ET LA BANDE  66

A. Analyse : l’obligation de fiduciaire du Canada à l’égard des terres additionnelles  67

B. Conclusion  73

XII. RESPONSABILITÉ ÉVENTUELLE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE  73

I.  revendication

[1]  Dans sa revendication, la Première Nation d’ʔAkisq̓nuk (la revendicatrice ou la bande) allègue que le Canada aurait commis deux manquements lors du processus ayant mené à la création de la réserve indienne de Kootenay no 3 (la RI 3 ou la réserve), connue à l’origine sous le nom de réserve indienne nº 3 du lac Columbia. Le premier de ces manquements se rapporte au rapport de décision initial établi en 1884 par le commissaire des réserves indiennes, Peter O’Reilly (recueil commun de documents modifié (RCDM), vol 2, onglet 119; exposé conjoint des faits modifié (ECFM) au para 35), ainsi qu’aux changements apportés au périmètre de la réserve lors de l’arpentage de la RI no 3 réalisé par G.M. Skinner en 1886 (RCDM, vol 2, onglet no 153; ECFM, au para 43).

[2]  Le deuxième manquement a trait à la recommandation qu’avait formulée, en 1915, une commission fédérale-provinciale, la Commission McKenna-McBride, et qui consistait en l’ajout de 2 960 acres de terres (les terres additionnelles) à la RI no 3 (ECFM, au para 69). Les changements proposés par la Commission n’ont pas été ratifiés par la province, et l’impasse qui en a résulté a donné lieu à l’établissement, en 1920, de l’examen de MM. Ditchburn et Clark, lesquels avaient pour mandat de réviser les recommandations de la précédente commission d’enquête (ECFM, au para 81).

[3]  Là encore, aucun consensus global n’a pu être atteint, et les commissaires —Ditchburn pour le Canada et Clark pour la province — sont parvenus à des conclusions distinctes quant à savoir si les terres en question devaient être ajoutées à la réserve. Ditchburn, pour sa part, aurait accepté une telle attribution, alors que Clark s’opposait à tout ajout à la réserve et proposait que le commissaire aux pâturages de la province affecte les terres additionnelles à l’usage exclusif des Premières Nations de la région pour qu’elles y fassent paître leur bétail, ce qui n’équivaudrait pas à une attribution de terres de réserve supplémentaires.

[4]  Au bout du compte, le Dominion s’est rangé à l’avis de la province, et la parcelle de 2 960 acres n’a pas été incluse dans le transfert définitif des terres de réserve de la province au Canada, en 1938. Même si elle avait proposé que le commissaire aux pâturages accorde des terres supplémentaires à utiliser comme pacage, la province n’a jamais mis de telles terres à disposition.

[5]  En ce qui concerne l’ajout des terres additionnelles, une proposition qui fut rejetée en raison de l’acceptation du point de vue de la province par le Canada, la position de la revendicatrice était que le Canada avait manqué à son obligation de loyauté envers la bande, mais aussi à son obligation, d’une part, d’informer la bande qu’il entendait renoncer à appuyer l’intégration des terres additionnelles à la réserve, et d’autre part, de consulter ensuite la bande avant de consentir à l’exclusion de ces terres (déclaration de revendication réamendée (3e amendement), aux para 97, 103, 107a) et m)). Le Canada était également tenu de renvoyer la question de l’attribution des terres additionnelles au secrétaire d’État pour les colonies, mais il n’en a rien fait (déclaration de revendication réamendée (3e amendement), aux para 102, 107n)).

[6]  La première question en litige (la question du levé d’arpentage), qui a trait au rapport de décision et au levé d’arpentage établi par la suite, concerne une époque et un contexte assez éloignés de ceux de la deuxième question en litige (la question des terres additionnelles). Elle met en cause les mesures prises par O’Reilly et Skinner au cours des années 1884 à 1887, de même que les modifications figurant sur le levé de la réserve réalisé en 1886. À terme, le rapport de décision et le levé ont été reçus et approuvés par le commissaire en chef des Terres et des Travaux publics (CCTT) provincial; cependant, le levé indiquant les limites officielles de la réserve faisait abstraction de deux zones qui totalisaient 960 acres, et qui, selon le rapport de décision d’O’Reilly, devaient faire partie de la réserve (ECFM, aux para 48, 52).

[7]  Quant à elle, la deuxième question en litige (la question des terres additionnelles) concerne l’examen mené en 1920 par Ditchburn et Clark en réponse au désaccord qui opposait les deux ordres de gouvernement depuis la Confédération, et qui n’a finalement été résolu qu’en 1938. Mais elle se rapporte aux mêmes faits que la question du levé d’arpentage. Car, si le levé en question avait reflété plus adéquatement une réserve allant du lac aux montagnes, ou, du moins, s’il n’avait pas eu pour conséquence de modifier l’attribution de la réserve par rapport à celle définie dans le rapport de décision, cela eût peut-être atténué le besoin en pâturages supplémentaires. Sur les 2 960 acres que la Commission McKenna-McBride envisageait d’ajouter à la réserve, 360 acres auraient déjà été inclus dans la réserve s’ils n’avaient pas été perdus à la suite du levé de Skinner. Mais, plus important encore est le fait que les modifications induites par ce levé ont eu pour effet d’exclure une zone de terres utilisables qui étaient situées immédiatement à l’est du centre de la réserve, et qui ont ultérieurement été offertes à des fins d’achat et d’acquisition par préemption. Des colons en sont ainsi arrivés à détenir des terres qui se seraient retrouvées entourées par celles de la réserve élargie recommandée par la Commission McKenna-McBride. Un résultat inadmissible, selon la province, qui l’a invoqué comme motif de rejet de l’ajout recommandé à la RI 3.

II.  HISTORIQUE DES PROCÉDURES

A.  Direction générale des revendications particulières

[8]  La revendicatrice a déposé la présente revendication auprès de la Direction générale des revendications particulières du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en mars 1999.

[9]  Le 21 février 2011, le ministre a refusé de négocier le règlement de la revendication.

B.  Décisions précédentes du Tribunal des revendications particulières et de la Cour d’appel fédérale

[10]  La présente revendication a été déposée pour la première fois auprès du Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) le 14 mars 2013.

[11]  Le 4 février 2016, le président du Tribunal, le juge Slade, a rendu une décision interlocutoire rejetant l’objection formulée par l’intimée à l’encontre de l’admission d’office, par le Tribunal, du contenu de plusieurs ouvrages historiques (Première Nation d’Akisq’nuk c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 2).

[12]  En date du 5 février 2016, le juge Slade a rendu une décision par laquelle le Tribunal déclarait valide la revendication d’ʔAkisq̓nuk (Première Nation d’Akisq’nuk c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 3).

[13]  L’intimée s’est alors adressée à la Cour d’appel fédérale pour solliciter le contrôle judiciaire des deux décisions du Tribunal, soit la décision interlocutoire et la décision sur le bien‑fondé de la revendication.

[14]  Dans une décision rendue le 1er septembre 2017, la Cour d’appel fédérale a accueilli les deux demandes de contrôle judiciaire, annulé la décision interlocutoire et la décision sur le bien‑fondé rendues par le Tribunal et ordonné le renvoi de la revendication pour nouvel examen « par une formation différente » (Canada c Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175, au para 70).

[15]  Dans ses décisions contestées, le juge Slade a pris connaissance d’office des faits rapportés dans trois documents à caractère historique qui relataient l’histoire de la création de réserves en Colombie‑Britannique, ainsi que du rapport de 1927 du comité mixte spécial établi par la Colombie-Britannique et le Canada, afin de compléter les éléments de preuve présentés au Tribunal par les parties. Le Tribunal devait déterminer si le Canada avait omis d’agir avec prudence et de s’acquitter de son obligation envers la Première nation d’ʔAkisq̓nuk lorsque, à la suite de l’échec de la commission d’examen fédérale-provinciale, c’est-à-dire la Commission Ditchburn-Clark, il avait choisi de ne pas renvoyer la question de l’attribution des réserves de Kootenay au secrétaire d’État britannique pour les Colonies. Il s’agissait là d’une voie de recours prescrite par les Conditions de l’adhésion de la Colombie Britannique, LRC 1985, app II, no 10 [Conditions de l’adhésion] entérinées par les deux gouvernements au moment de l’entrée de la Colombie‑Britannique dans la Confédération, en 1871.

[16]  Un tel renvoi « dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devr[aient] être ainsi concédées » à titre de réserves au moyen de transferts des terres de la province au Dominion, était en effet prévu à l’article 13 des Conditions de l’adhésion.

1.  Décision de la Cour d’appel fédérale

[17]  La Cour d’appel fédérale a tranché que, même si le juge juge Slade avait donné avis aux parties des documents qu’il jugeait nécessaires pour obtenir des renseignements contextuels — renseignements qui concernaient les relations entre les deux gouvernements au cours des 68 années qui se sont écoulées entre le moment de l’adhésion de la Colombie‑Britannique à la Confédération et le moment où les terres vouées à devenir des réserves ont finalement été transférées au Canada par la province, en 1938 —, il ne les avait pas suffisamment informées des faits contenus dans les documents qu’il entendait admettre d’office, ni des questions auxquelles ces faits se rapportaient (Canada c Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175). La Cour d’appel fédérale a donc annulé la décision interlocutoire et la décision sur le bien‑fondé rendues par le Tribunal.

[18]  Au paragraphe 70 de la décision de la Cour d’appel fédérale, le juge Dawson a tiré la conclusion suivante :

Je conclus que le Canada n’a pas eu la latitude réelle de défendre ses arguments intégralement et équitablement. Rien ne me permet de conclure que, si le gouvernement canadien avait connu les arguments qu’il devait discuter, il ne lui aurait pas été possible de présenter des renseignements additionnels au Tribunal pour répondre aux inquiétudes du Tribunal. Il s’ensuit que je suis d’avis d’accueillir les demandes de contrôle judiciaire, d’annuler les décisions interlocutoire et définitive du Tribunal et d’ordonner le renvoi de la réclamation au Tribunal pour nouvel examen par une formation différente.

C.  La nouvelle revendication

[19]  Le 14 novembre 2017, la revendicatrice a déposé une déclaration de revendication modifiée auprès du Tribunal. La revendication m’a été assignée pour réexamen.

[20]  Le 11 janvier 2018, l’intimée a déposé au Tribunal une réponse modifiée.

[21]  Le 5 juin 2018, la revendicatrice a déposé une déclaration de revendication réamendée auprès du Tribunal.

[22]  Le 11 juin 2018, le Tribunal, en vertu de l’article 22 de la Loi sur le tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 (la LTRP), a délivré aux bandes indiennes Shuswap et ʔaq̓am un avis leur indiquant qu’une décision dans la présente revendication serait susceptible d’avoir des répercussions importantes sur leurs intérêts. Le Tribunal n’a reçu aucune réponse à cet avis.

[23]  Le 17 juillet 2018, l’intimée a produit une réponse réamendée auprès du Tribunal.

[24]  Le 19 novembre 2018, la revendicatrice a déposé au Tribunal une déclaration de revendication réamendée (troisième amendement).

[25]  Les 12, 13 et 14 juin 2018, le Tribunal, qui s’est rendu dans la communauté de la Première Nation d’ʔAkisq̓nuk, y a tenu une audience consacrée à la preuve par histoire orale en plus d’effectuer une visite des lieux.

[26]  Les 29, 30 et 31 janvier et 1er février 2019, le Tribunal a tenu auprès de la Première Nation d’ʔAkisq̓nuk une audience portant sur les observations orales.

[27]  Par une ordonnance du Tribunal datée du 9 janvier 2014, l’instance a été scindée en fonction de deux questions à trancher, soit celle du bien‑fondé de la revendication et celle de l’indemnité afférente.

III.  QUESTIONS PRÉLIMINAIRES RELATIVES à la nouvelle audience

[28]  Dans sa décision, le juge Slade a donné raison à la revendicatrice, tant en ce qui concerne les terres arpentées que les terres additionnelles. Il a estimé que le Canada avait manqué à son obligation envers la bande lorsqu’il avait omis de proposer que la question des terres additionnelles soit renvoyée au secrétaire d’État pour les colonies. Aucun des documents qui avaient été présentés par le Tribunal lui-même afin de situer dans leur contexte les questions relatives aux terres additionnelles ne s’appliquait à l’égard de la question des terres d’arpentage. Par ailleurs, ces mêmes documents ont été déposés auprès du présent Tribunal, lequel les a admis en tant que sources secondaires qui font autorité, et qu’il lui est loisible de consulter aux fins de son nouvel examen de la question des terres additionnelles. Au cours des conférences de gestion de l’instance ayant été tenues préalablement à l’audience finale, le Tribunal a discuté de la situation avec les avocats par souci de favoriser la concision de l’instance. À cette occasion, on a également soulevé la question de savoir s’il convenait d’accorder une certaine autorité aux conclusions tirées par le juge Slade de façon générale, compte tenu notamment du fait que la Cour suprême du Canada a formulé des observations sur certaines parties de sa décision dans l’arrêt Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, 417 DLR (4th) 239 [Williams Lake CSC].

[29]  Le Canada a exprimé l’avis que l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale était claire, et que toutes les questions en litige devaient être débattues à nouveau. Le Canada a soutenu qu’il ne fallait s’en remettre à aucune des conclusions du juge Slade.

[30]  La revendicatrice, de son côté, a soutenu que la présente nouvelle audience offrait au Canada la possibilité de répondre à la décision rendue par le juge Slade, et qu’à moins que l’intimée ne réussisse à convaincre le présent Tribunal du contraire, cette décision initiale, ainsi que toutes les conclusions qu’elle contient, devrait être adoptée.

[31]  Outre le fait qu’elle évoque peut-être davantage le fardeau qui repose habituellement sur l’appelant en appel d’une décision antérieure, la façon de procéder décrite dans ces derniers arguments n’est pas celle indiquée dans l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale. Quant à la question de savoir si les conclusions du juge Slade doivent être prises en compte, chacune d’elles qui peut être considérée comme ayant été confirmée par l’arrêt de la Cour suprême du Canada doit se voir accorder un poids conséquent. Mais, en fin de compte, je n’ai pas jugé nécessaire de me référer aux parties du jugement en question. Les conclusions du présent Tribunal prennent appui dans les faits établis au cours de la présente nouvelle audience, mais aussi dans le droit applicable et dans la force probante des arguments présentés par les parties.

[32]  Dans le cadre de la présente audience, le Tribunal a notamment entendu le témoignage additionnel d’une témoin experte, Mme Dorothy Kennedy, qui a déposé un rapport écrit intitulé Referrals to the Secretary of State for the Colonies 1867-1924 et daté du 21 septembre 2018 (le rapport de Kennedy). Madame Kennedy, qui a fait l’objet d’un contre-interrogatoire, a donné son opinion sur l’issue probable d’un renvoi fondé sur l’article 13 des Conditions de l’adhésion, à supposer qu’un tel renvoi eût été effectué par un seul des gouvernements ou les deux au cours de la période pertinente ayant suivi la recommandation de la Commission McKenna-McBride d’inclure les terres additionnelles dans la RI 3.

[33]  Cela dit, selon l’ordre d’occurrence temporelle, la première des questions en litige est celle relative aux terres arpentées; aussi sera‑t‑elle examinée en premier.

IV.  Aperçu historique - crÉation DES RÉSERVES

[34]  Au moment où la Colombie-Britannique a intégré le Dominion du Canada, en 1871, la quasi-totalité des terres de la province dont la responsabilité n’avait pas été confiée à des intérêts privés étaient censées se trouver sous la garde et l’administration de la province. L’article 13 des Conditions de l’adhésion prévoyait que les terres vouées à l’établissement de réserves indiennes seraient transférées au Canada, qui en assurerait l’administration. En particulier, l’article 13 prévoyait ce qui suit :

13.  Le soin des Sauvages et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera constituée par le Gouvernement Fédéral après l’Union. Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les colonies. [RCDM, vol 1, onglet no 32.]

[35]  En 1876, les gouvernements provincial et fédéral ont confié la tâche d’attribuer les réserves à la Commission mixte des réserves indiennes (la CMRI), laquelle était à l’origine formée de trois commissaires; l’un était nommé par la province, l’autre, par le gouvernement fédéral, et le troisième était choisi par les deux premiers. Au départ, Gilbert Sproat agissait comme troisième commissaire (ECFM, au para 15). Mais, en 1877, par souci d’économie et de simplification des procédures, il a été chargé de poursuivre le mandat en tant qu’unique commissaire de la Commission des réserves indiennes (la CRI) (ECFM, au para 15). Sproat a remis sa démission en 1880 (ECFM, au para 18) et, la même année, il a été remplacé par Peter O’Reilly, un juge de cour de comté nommé conjointement par les deux gouvernements (RCDM, vol 2, onglet no 84).

[36]  L’entente établissant la CMRI se lit comme suit :

1. Que le règlement de cette affaire soit laissé à la décision de trois commissaires, dont l’un sera nommé par le gouvernement fédéral, l’autre par le gouvernement de cette province et le troisième conjointement par ces deux gouvernements.

2. Que ces commissaires se réuniront aussitôt que possible après leur nomination à Victoria, et là s’entendront pour visiter sous le plus court délai et en la manière qu’ils jugeront convenable chaque tribu Sauvage de la Colombie‑Britannique (c’est‑à‑dire toutes les tribus sauvages qui parlent la même langue), et après avoir fait sur les lieux une enquête minutieuse sur toutes les matières qui se rattachent à cette question, ils devront fixer et déterminer le nombre, l’étendue et la localité de la réserve ou des réserves qui seront établies en faveur de chaque tribu séparément.

3. Qu’en définissant l’étendue des réserves il ne soit arrêté aucune base déterminant le nombre d’acres que devra contenir chaque réserve, mais que les réclamations respectives de chaque tribu soient réglées séparément.

4. Que les commissaires en réglant cette question devront se guider d’après les termes de l’acte d’union entre le gouvernement fédéral et le gouvernement local, qui comportent que les Sauvages devront être traités avec libéralité, et dans le cas de chaque tribu en particulier il sera tenu compte de ses coutumes, de ses besoins et de ses occupations, de l’étendue de territoire disponible dans la région qu’ils habitent et des droits des colons blancs.

5. Que chaque réserve sera tenue en fidéicommis pour l’usage et au profit de la tribu de Sauvages à laquelle elle a été accordée, et dans le cas où la population d’une tribu occupant une réserve viendrait à diminuer ou à augmenter d’une manière sensible, telle réserve sera diminuée ou augmentée suivant le cas et de manière à établir une juste proportion relativement au nombre de la population de la tribu qui l’occupe. Le surplus de terre qui sera nécessaire pour telle réserve sera pris sur les terres non concédées de la Couronne, et toute étendue de terrain qui sera retranchée d’une réserve retournera à la province.

6. Que dès l’instant que les commissaires auront fixé et déterminé la réserve ou les réserves qui seront établies en faveur de chaque tribu en particulier, les réserves appartenant actuellement à telle tribu, en tant qu’elles ne feront pas partie de la réserve ou des réserves ainsi définies par les commissaires, seront remises par le gouvernement fédéral au gouvernement local, le plus tôt possible, en par ce dernier remboursant au premier, pour le profit des Sauvages, telle indemnité que les dits commissaires jugeront suffisante en compensation des défrichements et améliorations qui auront été faits sur aucune de ces réserves ainsi remises par le gouvernement fédéral et acceptées par la province. [Copie du rapport d’un Comité de l’Honorable Conseil Exécutif, approuvé par Son Excellence le Lieutenant‑Gouverneur le 6 janvier 1876; RCDM, vol 1, onglet no 46.]

[37]  Une fois nommé, O’Reilly a entrepris de visiter les régions où des réserves devaient être mises de côté. Il lui fallait parfois régler le cas de réserves que Sproat avait délimitées, mais qui n’avaient pas été approuvées par la province. Pour le reste, il devait s’occuper en priorité des régions où l’établissement de réserves s’imposait afin d’éviter les conflits avec des personnes susceptibles d’acquérir les terres par préemption ou achat en vertu de la Land Act, de même que des régions où les récriminations de la population autochtone se faisaient le plus entendre.

[38]  Le processus de mise de côté des terres de réserve avait pour point de départ la visite d’O’Reilly dans une région où, conformément au paragraphe 4 de l’entente de la CMRI, il devait consulter les peuples autochtones qui s’y trouvaient afin de déterminer leurs habitudes, leurs souhaits et leurs activités. En effet, le décret C.P. 1334 portant nomination du commissaire O’Reilly indiquait que celui-ci devait « déterminer avec exactitude les demandes des bandes indiennes [de la Colombie-Britannique] auxquelles la dernière Commission n’a[vait] pas assigné de terres et à leur attribuer des terres propices à la culture et au pâturage » (RCDM, vol 2, onglet no 83; ECFM au para 20). Après avoir examiné les sites qui revêtaient une importance particulière pour la bande, et évalué la superficie de terres dont elle avait raisonnablement besoin pour subvenir à ses besoins, O’Reilly appliquait les connaissances ainsi acquises. Il décidait, sur le terrain, des limites de la réserve à attribuer, et les consignait dans un rapport de décision décrivant la réserve. Cette décision s’accompagnait le plus souvent d’un croquis, parfois réalisé après ce qui tenait d’un levé rudimentaire du site. Celui-ci était effectué en établissant les limites de la réserve en fonction de points connus figurant dans de précédents levés, de caractéristiques importantes du terrain et de toute carte ou plan dont on pouvait disposer.

[39]  Le rapport de décision et le croquis de la réserve étaient par la suite soumis au commissaire en chef des Terres et des Travaux publics (CCTT), lequel était généralement un membre du cabinet provincial chargé de l’administration des systèmes d’enregistrement des levés et des titres fonciers de la province, ainsi que de l’allocation des terres acquises par préemption ou achetées en vertu de la Land Act.

[40]  Si elle était approuvée par le CCTT, la réserve était normalement arpentée par un arpenteur que le bureau fédéral des affaires indiennes situé à Victoria envoyait sur les lieux, ce qui, souvent, ne se produisait qu’au bout d’un retard d’un an ou deux. Et si le levé d’arpentage était lui aussi accepté par le CCTT, le dossier progressait vers la plus grande garantie d’occupation des lieux que la bande pouvait obtenir au moyen de ce processus souvent tumultueux, jusqu’à ce que les réserves soient finalement transférées au Dominion, en 1938. Une telle observation pour le moins incomplète de l’article 13 des Conditions de l’adhésion a eu pour effet de créer ce qui, juridiquement parlant, était considéré comme des réserves provisoires, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a signalé dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum]. Compte tenu de ce statut, l’obligation de fiduciaire du Canada à l’égard de la gestion des réserves de la Colombie-Britannique avait une portée plus restreinte que les obligations de préservation et de protection qui lui incombaient en tant que fiduciaire dans le cadre de l’administration des terres de réserve attribuées aux bandes conformément à la Loi sur les Indiens (Wewaykum, au para 104). Il n’empêche que les bandes « étaient entièrement tributaires de la Couronne pour que le processus de création des réserves aboutisse » (Wewaykum au para 89), et que la Couronne avait, à l’égard des réserves provisoires, une obligation de fiduciaire décrite comme un devoir de faire « montre de loyauté et de bonne foi, de communiquer l’information de façon complète, eu égard aux circonstances, et d’agir avec la diligence "ordinaire" requise dans ce qu’elle considérait raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation » (Wewaykum, au para 97). Par ailleurs, dans le jugement qu’elle a rendu dans l’affaire Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25 [Blueberry River], la Cour a déclaré que la norme de prudence qui s’imposait, pour le Canada, était celle qu’un « bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires » (Blueberry River, au para 104, citant Fales c Canada Permanent Trust Co., 1976, [1977] 2 R.C.S. 302, à la p 315).

V.  Histoire orale

[41]  L’histoire orale a été relatée devant le Tribunal par le chef Alfred Joseph et par Mmes Lucille Shovar, Emilia Danyluck et Beatrice Stevens.

[42]  Tous des aînés issus de la communauté, ces quatre témoins ont également passé leur enfance dans la réserve, mis à part les périodes où on les avait envoyés au pensionnat. Ils ont chacun témoigné de ce qu’ils avaient appris de leurs propres aînés — des membres de la famille et d’autres personnes qui vivaient depuis longtemps dans la réserve.

[43]  Le chef Joseph a raconté avoir suivi une formation collégiale avant de revenir dans la réserve au début des années 1970. Il était tout particulièrement intéressé à connaître le mode de vie antérieur de ses aînés et à les entendre raconter de quelle manière la réserve avait été établie. Il a également identifié les groupes familiaux qui vivaient sur la réserve depuis le début, et précisé les zones qu’ils utilisaient dans celle-ci.

[44]  Le chef Joseph a relaté ce qu’il avait appris des négociations ayant abouti à ce qui deviendrait l’emplacement de la réserve. Au départ, son peuple avait demandé à se voir attribuer une vaste étendue représentant l’ensemble des terres visibles depuis deux points d’observation, l’un situé près du lac Windermere, et l’autre près de Fairmont. Cette proposition a été rejetée, au motif qu’elle visait une étendue [traduction] « trop grande » (transcription de l’audience, le 12 juin 2018, à la p 64). La deuxième superficie proposée s’étendait deux côtés de la vallée, de Windermere Creek, au nord, à Fairmont, au sud. Mais cette proposition a également été rejetée, et, d’après le chef Joseph, il a alors été décidé que la bande obtiendrait plutôt le côté est de la vallée, qui allait du lac et du fleuve Columbia jusqu’aux montagnes à l’est, et de la rivière Windermere, au nord, à la rivière Tatley, au sud.

[45]  Le chef Joseph a dit que son peuple s’attendait à ce que cette région soit incluse dans la réserve par l’arpenteur, que l’on avait envoyé sur place pour délimiter la réserve, mais qui était arrivé alors que la majorité des membres de la bande se trouvaient autre part. Le levé de la réserve a donc été établi selon sa forme actuelle en leur absence.

[46]  Selon le chef Joseph, ses aînés estimaient que la réserve avait [traduction] « une forme étrange […] » et était [traduction] « nettement plus petite que [ce qui avait été] convenu » (transcription de l’audience, le 13 juin 2018, à la p 32).

[47]  Les trois autres témoins ont également parlé de la forme étrange de la réserve, et du fait que leurs aînés n’arrivaient pas à comprendre pourquoi certaines zones de la réserve étaient séparées des terres adjacentes par des clôtures comme elles l’étaient; ni pourquoi certains secteurs, par exemple le lac Lyttle, se trouvaient à l’extérieur de la réserve, alors que celle-ci était censée s’étendre jusqu’aux montagnes.

[48]  À ce propos, Mme Danyluck a indiqué, dans son témoignage (transcription de l’audience, le 13 juin 2018, à la p 148) : [traduction] « Pour ce qui est de la forme la réserve, il y avait des moments où nous pensions que certaines parties étaient à nous, jusqu’à ce que nous découvrions qu’ils les avaient reprises. Donc, vous savez, c’est pour cette raison que notre réserve a une forme aussi étrange. Et les préemptions ont été un moyen assez efficace de s’emparer d’un grand nombre des meilleures terres d’ici. »

[49]  Les témoins ont tous rapporté des faits qui remontaient à leur jeunesse, alors que leurs familles possédaient du bétail et des chevaux en grand nombre et cultivaient des potagers pour s’alimenter; il fallait détourner des cours d’eau afin de pouvoir faire pousser le foin et les légumes. Ils ont raconté que les familles qui vivaient sur la réserve depuis le début étaient en mesure d’élever en liberté le grand nombre de chevaux et de bovins, et que le recours à l’élevage était très important avant leur époque, mais avait considérablement diminué avant leur naissance et au cours de leurs premières années d’existence.

[50]  Les quatre témoins ont également parlé du fait que les membres de la bande recouraient à la chasse et au piégeage comme moyens de combler leurs besoins alimentaires et de gagner un peu d’argent; à cette fin, ils empruntaient des sentiers qui sillonnaient les montages à l’est, rejoignaient le bassin versant de la rivière Kootenay et descendaient vers le sud, du côté est de la vallée. Le chef Joseph a également indiqué des sommets situés juste à l’est de la réserve qui étaient des éléments significatifs des récits de la création de son peuple.

VI.  lE COMPTE RENDU DE DÉCISION D’O’reilly

[51]  Le commissaire O’Reilly a visité la région de Kootenay en août 1884 (ECFM, au para 29). En partance de Victoria, il s’est d’abord rendu à Tacoma (Washington), puis à Portland (Oregon), pour ensuite emprunter le chemin de fer de la Northern Pacific Railway jusqu’à Sand Point (dans ce qui est plus tard devenu l’Idaho). De là, il s’est rendu dans la région de Kootenay, probablement à dos de cheval. La région était éloignée et comptait peu de colons, mais il était prévu qu’elle en accueillerait davantage.

[52]  Publié dans le Rapport annuel du département des affaires des Sauvages datant de 1884, le rapport d’O’Reilly décrivait en ces termes sa visite chez les peuples autochtones vivant dans la vallée du cours supérieur de la Kootenay :

[traduction] Le 5 août, j’arrivai au lac Lower Columbia, lieu de résidence d’une autre partie de la tribu des Kootenay, et dont « Moyeas » est le chef. Là encore, j’ai été accueilli par des demandes visant l’obtention d’une superficie de terre plus grande que ce que je jugeais nécessaire, quoique leurs demandes n’aient pas été aussi excessives que celles d’autres groupes de la tribu, et que je les aie trouvées plus raisonnables. Ils pouvaient également prétendre à une considération plus favorable, car ils avaient manifestement fait de leur mieux pour clôturer et cultiver les portions de terre qui pouvaient être irriguées, et avaient érigé des maisons confortables pour eux-mêmes, ce qu’ils m’ont montré avec une fierté méritoire. Après avoir parcouru le terrain avec le chef et examiné les cultures et les améliorations, j’ai décidé de leur attribuer une étendue de terre de 8 320 acres, comme indiqué sur le plan approximatif et le rapport de décision. Sur cette superficie, environ 100 acres sont cultivables, et le reste du terrain est accidenté, vallonné et graveleux, légèrement boisé de pins et de sapins, et plus ou moins rocheux à l’approche de la base des montagnes. Environ 800 acres longeant la rive de la rivière se composent de marais herbeux, qui sont recouverts d’eau à leurs niveaux les plus bas. Ils sont très appréciés des Indiens, qui en tirent de quoi nourrir leur bétail en hiver.

Les terres visées par les demandes de préemption abandonnées de Thomas Jones, Edward Chancey et Sophie Morischo sont incluses dans cette réserve. Les deux premières demandes ont été annulées au bureau de gestion des terres, à Kootenay, et Mme Morischo, qui vit maintenant en sol américain, a quitté le pays il y a quelques années lorsqu’elle a vendu aux Indiens ses améliorations consistant en des maisons, des clôtures, etc.

Une quantité limitée de foin des marais peut être coupée sur la concession abandonnée de M. Jones.

Jusqu’à récemment, ces Indiens vivaient presque entièrement des produits de leur chasse annuelle sur le versant oriental des montagnes Rocheuses, et du saumon qui était autrefois abondant dans le fleuve Columbia. Puisque ces sources d’approvisionnement sont épuisées, et que le gibier est peu abondant sur leur territoire, ils dépendent désormais principalement de leur bétail, de leurs chevaux et de leurs jardins, ce à quoi ils ajoutent ce qu’ils arrivent à gagner en travaillant comme bergers, emballeurs ou ouvriers. Sachant que, jusqu’à ces dernières années, ils ne savaient rien des activités d’exploitation agricole, on ne peut que louer leurs efforts à la vue de certaines de leurs petites parcelles. Le blé, les pois et les pommes de terre sont leurs cultures préférées; le premier est conditionné puis envoyé à la mission, au bord de la rivière St. Mary, où se trouve un petit moulin à farine.

On fait beaucoup de commerce avec les Indiens Stoney, qui traversent les montagnes pour venir acheter des chevaux en échange de fusils, de munitions et de fourrures.

Les Indiens du cours supérieur de la Kootenay sont au nombre de 281 âmes. Ils possèdent 2 511 chevaux ainsi que 618 bovins. [RCDM, vol 2, onglet no 129.]

[53]  Le 9 août 1884, O’Reilly a produit son rapport de décision concernant la réserve qu’il comptait mettre de côté à l’est du Lower Columbia Lake (aujourd’hui le lac Windermere) :

[traduction]

Rapport de décision

Indiens du cours supérieur de la rivière Kootenay

No 3

Une réserve de huit mille trois cent vingt (8 320) acres (environ) située entre le Lower Columbia Lake et les montagnes Rocheuses. District de Kootenay.

Commençant au coin sud-ouest de la terre préemptée no 23 de M. J. Hope Johnston, et suivant une ligne vers l’est sur quatre-vingts (80) chaînes; de là, vers le sud sur quatre-vingts (80) chaînes; de là, vers l’est sur deux cent vingt (220) chaînes; de là, en direction sud sur deux cent quatre-vingts (280) chaînes; de là vers l’est sur cent vingt (120) chaînes; de là vers le sud sur deux cents (200) chaînes; de là, en direction ouest jusqu’au fleuve Columbia; de là, suivant la rive droite dudit fleuve ainsi que le Lower Columbia Lake jusqu’à la borne d’encoignure sud-ouest de la concession acquise par John Jones; et de là, le long des limites sud et est de ladite concession, jusqu’au point de départ.

Toutes les eaux qui coulent dans la réserve sont affectées à l’usage des Indiens.

Kootenay 136.

Le 9 août 1884 [RCDM, vol 2, onglet no 119.]

[54]  Le rapport de décision était accompagné d’un croquis de la réserve, lequel avait été dessiné sur une carte de la région montrant aussi bien le lac et le fleuve Columbia que diverses rivières, la chaîne des Rocheuses, des sentiers et les emplacements des terres préemptées ou achetées, ainsi que les sites d’origine de diverses familles autochtones. Le croquis réalisé par O’Reilly est présenté sur la page suivante (où les contours de la réserve apparaissent en lignes plus foncées). J’y ai indiqué le point de départ d’O’Reilly, c’est-à-dire l’endroit où il a entrepris sa description des limites de la réserve selon le sens horaire (RCDM, vol 2, onglet no 120) :

[55]  Comme on peut le voir sur le croquis, le côté est de la réserve est configuré à la manière d’un escalier. Cette forme est le résultat du système d’arpentage prévu par la loi provinciale intitulée Land Act, SBC 1884, c 16 (la Land Act de 1884). Les articles 7 et 8 de la Land Act de 1884 exigeaient que ces limites soient orientées selon un axe nord-sud ou est-ouest, sauf lorsqu’elles pouvaient suivre une limite naturelle. Plus précisément, l’article 7 est libellé comme suit :

[traduction]

7. Telles des susdites parcelles de terre inoccupées, non arpentées et non réservées à préempter en vertu des dispositions de la présente Loi doivent, sauf exceptions ci-après prescrites, avoir une forme rectangulaire ou carrée, et les superficies de 160 acres doivent s’étendre soit sur 40 chaînes par 40 chaînes (égales à 880 verges par 880 verges), soit sur 20 chaînes par 80 chaînes (égales à 440 verges par 1760 verges), alors que les superficies de 320 acres doivent s’étendre sur 40 chaînes par 80 chaînes (égales à 880 verges par 1760 verges). Toutes les lignes de levé doivent être tirées de franc nord à franc sud, et de franc est à franc ouest.

[56]  Voici également le libellé de l’article 8 :

8. Lorsque telles de ces terres sont bordées, en tout ou en partie, par un lac, une rivière ou toute terre préemptée ou arpentée, la limite de ceux-ci peut être adoptée comme limite desdites terres; et il suffit, pour le demandeur, de démontrer au commissaire en chef que la forme de celles-ci respecte les dispositions de la présente loi; cependant, sauf pour les cas mentionnés dans le présent article, toute ligne de délimitation doit être tirée de franc nord à franc sud et de franc est à franc ouest.

[57]  Le côté ouest de la réserve suivait les limites naturelles déjà décrites par les rives orientales du fleuve Columbia et du Lower Columbia Lake (aujourd’hui le lac Windermere); cependant, les limites nord, est et sud de la réserve ont été tracées en lignes droites, conformément aux directives de la Land Act de 1884.

[58]  Dans un cas comme celui que présente la RI 3, où le lac et la chaîne des montagnes Rocheuses sont disposés plus ou moins selon un axe nord-ouest à sud-est, les efforts faits pour englober dans la réserve les terres sises entre la rive du lac et les flancs des montagnes en suivant les modalités prévues par la Land Act de 1884 pour tracer des limites rectilignes ont créé un effet d’escalier, comme le montre le croquis. Il me paraît peu probable qu’au cours de ses discussions avec les peuples autochtones qu’il a consultés, O’Reilly leur ait parlé des contraintes imposées par le système d’arpentage en question. Il leur a sans doute plutôt expliqué — comme il a été dit au cours des récits oraux, et comme O’Reilly l’indiquait également dans la première phrase de son rapport de décision — que son intention était de leur accorder une réserve « située entre le Lower Columbia Lake et les montagnes Rocheuses » (RCDM, vol 2, onglet no 119), et entre les deux rivières coulant à chaque extrémité de la réserve. Cette description était semblable à celle qu’il avait faite dans le cadre du rapport annuel de 1884, et où il mentionnait en ces termes les terres attribuées au-delà des champs cultivés : « le reste du terrain est accidenté, vallonné et graveleux, légèrement boisé de pins et de sapins, et plus ou moins rocheux à l’approche de la base des montagnes. » (RCDM, vol 2, onglet no 129.)

[59]  Le rapport de décision d’O’Reilly a été transmis, ainsi que d’autres qu’il a produits, à William Smithe, le CCTT, également à l’époque le premier ministre de la province (RCDM, vol 2, onglet no 123). Cet envoi a été suivi, le 21 novembre 1884, par une lettre de Smithe où celui-ci mentionnait que la région correspondant à la réserve projetée paraissait vaste. Il sollicitait également des renseignements sur le nombre de familles vivant dans les différents secteurs du district de Kootenay, le stock qu’elles possédaient et les zones qu’elles avaient enfermées et cultivées (RCDM, vol 2, onglet no 124).

[60]  Dans sa lettre datée du 25 novembre 1884, O’Reilly répondait en fournissant les renseignements suivants :

Chefs de famille

121

Population totale

442

Chevaux

2551

Bétail

620

Superficie clôturée et cultivée

95 acres

[RCDM, vol 2, onglet no 125.]

 

[61]  Il a aussi fait remarquer : « il faut garder à l’esprit que ce qui constitue — et de loin — la plus grande partie des terres comprises dans la réserve projetée est absolument impropre à l’agriculture, en plus d’être beaucoup moins avantageuse à des fins de pâturage, puisqu’elle est caillouteuse, accidentée et couverte d’arbres rabougris et sans valeur ».

[62]  Insatisfait des populations qui s’étaient accumulées dans le district, Smithe a demandé ce qu’il en était des populations vivant à proximité des réserves individuelles. Il a ensuite enchaîné avec un exposé de trois pages où il décrivait la position de la province remontant aux Conditions de l’adhésion et exigeant que les réserves soient limitées à 20 acres par famille. Il a reconnu que, lorsque la CMRI avait été habilitée à traiter la question, les commissaires s’étaient vu accorder la latitude d’octroyer plus ou moins de terres [traduction] « selon les exigences ou nécessités raisonnables de l’affaire » (lettre de Smithe datée du 29 novembre 1884; RCDM, vol 2, onglet no 126). Il a poursuivi en mentionnant [traduction] « à quel point la vision des commissaires était diamétralement opposée, [comme] le démontrent amplement les réserves qu’ils ont mises de côté de façon extravagante et imprudente dans toutes les régions du pays ».

[63]  Et Smithe de signaler à O’Reilly : « vous avez surestimé les besoins des Indiens et sous‑estimé ceux des Blancs qui, même s’ils ne se trouvent pas dans la région à l’heure actuelle, s’y trouveront fort probablement dans un avenir rapproché, à rechercher anxieusement des terres sur lesquelles s’installer ».

[64]  Après avoir souligné que l’attribution définie par O’Reilly représentait environ 440 acres par famille de cinq personnes, Smithe ajoute :

[traduction] À mon avis, nul n’ira jusqu’à dire que les Indiens sont capables d’utiliser autant de terres que les hommes blancs, et notre Land Act prévoit seulement l’allocation d’un lot de 320 acres à une famille blanche [...].

Je suis fermement d’avis que, tant que les Indiens auront si peu progressé dans la direction des coutumes et du mode de vie de la civilisation, il leur sera impossible d’utiliser des étendues de terre par ailleurs plus que suffisantes pour les hommes blancs. Et s’ils devaient évoluer et devenir capables de cultiver et de rendre productives de plus grandes surfaces, la bonne politique serait de ne plus les maintenir sous tutelle, mais de les affranchir, et de leur permettre de prendre des terres de la même manière, dans la même mesure et selon les mêmes conditions d’établissement et d’amélioration que les autres citoyens.

[65]  La lettre de réponse d’OReilly datée du 10 décembre 1884 indiquait :

[traduction] […] Je suis au regret de vous dire que je ne puis vous donner des renseignements aussi précis que ceux que vous souhaitez obtenir, pour la raison que, par le passé, les Indiens de la région de Kootenay avaient des habitudes migratoires. Ils se déplaçaient d’un endroit à l’autre, selon les saisons, et selon leurs activités et leurs besoins.

Peut-être ignoriez-vous qu’avant ma visite dans la région de Kootenay, aucune réserve n’avait été définie, et qu’il n’y avait que très peu de terres occupées par des colons blancs; les Indiens prétendaient être en possession, et l’étaient presque, de tout le district, où ils cultivaient certaines terres à leur guise et utilisaient certains emplacements choisis pour le pâturage de leurs bovins et de leurs chevaux. Il était donc de mon devoir, en tant que commissaire des réserves indiennes, de définir les terres qui leur étaient nécessaires, compte tenu de leurs habitudes, de leurs besoins et de leurs activités, et de traiter avec eux de manière libérale. Je me permets ici de souligner que j’ai eu énormément de mal à persuader les Kootenay d’accepter les limites que j’ai fixées, et qu’ils considèrent comme parcimonieuses à l’extrême, comparativement aux millions d’acres mis de côté par le gouvernement des États‑Unis pour Indiens d’Amérique, à quelques kilomètres au sud de la frontière. De plus, j’estime qu’il est important, pour des considérations d’ordre provincial et international, que les Indiens vivant à la frontière n’aient aucun motif raisonnable de se plaindre et, à cet égard, je suis convaincu que vous serez d’accord avec moi. [RCDM, vol 2, onglet no 127.]

[66]  O’Reilly poursuit en disant :

[traduction] […] ainsi que la quantité de bétail que possèdent les Kootenays, et dont ils devront à l’avenir dépendre dans une large mesure pour se nourrir, vu l’extinction aujourd’hui presque totale du bison à l’est des montagnes. La superficie des terres cultivables de la réserve est extrêmement limitée, et on retrouve seulement celles-ci en petites parcelles, tandis qu’une vaste étendue de sol n’a que peu ou pas de valeur. Si j’avais inclus dans la réserve toutes les parcelles éparses de terres cultivées par les Indiens le long des rives de la rivière Kootenay, la superficie aurait largement dépassé celle du compte rendu qui vous a été transmis dans ma lettre du 25 novembre.

[67]  Là s’est arrêtée, semble-t-il, la correspondance entre Smithe et O’Reilly sur cette question. Puis, en date du 2 septembre 1885, un fonctionnaire du bureau du CCTT a envoyé une lettre indiquant que Smithe avait accepté les réserves indiennes du district de Kootenay (RCDM, vol 2, onglet no 142).

[68]  Quoique peut-être trop long, le précédent examen des documents concernés contribue à situer le contexte du processus de création des réserves dans la région de Kootenay. La population autochtone occupait traditionnellement de vastes régions à l’extrémité sud-est de la Colombie‑Britannique, où elle se déplaçait d’un endroit à l’autre afin de pourvoir à ses besoins à même les diverses ressources naturelles de la région; elle traversait par exemple les montagnes pour participer à des chasses au bison dans les contreforts orientaux des Rocheuses. Or, les Autochtones ont vu la viabilité de leurs moyens de subsistance compromise par la quasi-extinction du bison et par les montaisons de saumon insuffisantes dans le fleuve Columbia, cependant que leur utilisation traditionnelle de leur territoire était restreinte par l’exercice accru de la souveraineté des nouveaux gouvernements et par l’arrivée des colons.

[69]  L’intimée a admis que la revendicatrice utilisait à la fois les terres arpentées et les terres additionnelles à diverses fins, y compris la chasse, le piégeage, la pêche, le transport, l’irrigation, la récolte de plantes à des fins alimentaires et médicinales et le pacage du bétail, y compris les chevaux. Elle reconnaît que la revendicatrice avait un intérêt identifiable dans les terres arpentées et les terres additionnelles en raison de l’utilisation historique qu’elle faisait de ces terres (mémoire des faits et du droit de l’intimée, aux para 82, 93; ECFM, au para 8).

[70]  Par ailleurs, la correspondance examinée ci‑dessus permet de jeter un éclairage sur les intérêts autochtones dont O’Reilly tentait de tenir compte en attribuant la RI 3 ainsi que d’autres réserves dans le district de Kootenay. Les instructions reçues du surintendant général adjoint des Affaires indiennes par O’Reilly étaient en partie énoncées comme suit :

[traduction]

Vous devez en particulier tenir compte des habitudes, des souhaits et des activités de la bande, de l’étendue du territoire où elle vit, ainsi que des demandes des colons blancs (s’il en est).

[…]

[…] vous devrez […] vous immiscer le moins possible dans toute entente tribale, en prenant expressément garde de ne pas perturber les Indiens en rapport avec la possession des villages, des postes de traite de fourrure, des établissements, des zones de défrichage, des lieux de sépulture et des campements de pêche qu’ils occupent et auxquels ils peuvent être particulièrement attachés. […] Lorsqu’il s’agit d’attribuer des terres aux fins d’établissement des réserves, évitez de provoquer des changements violents ou soudains dans les habitudes de la bande indienne pour laquelle vous mettez de côté les terres de réserve, et ne détournez pas les Indiens d’une occupation légitime qu’ils pourraient pratiquer à profit; tentez plutôt de les encourager lorsque vous constatez qu’ils travaillent dans quelque secteur d’une industrie. [RCDM, vol 2, onglet no 84; ECFM, au para 22.]

[71]  La mention des « habitudes, des souhaits et des activités » des Premières Nations est commune aux instructions reçues par la CMRI, et à celles données à la CRI par la suite. Fait à signaler, selon la définition du dictionnaire, le terme « want » (les « souhaits ») utilisé dans la version anglaise de cette expression revêt deux sens pertinents, soit celui de « vouloir » (« to desire ») et celui d’« avoir besoin de » (« to need ») (The Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., sous l’entrée « want »). Les deux acceptions semblent appropriées en l’espèce.

[72]  Dans le contexte de la création des réserves de la région de Kootenay, l’objectif d’O’Reilly était de mettre de côté, parmi les terres utilisées par les ʔAkisq̓nuk, suffisamment de terres utilisables pour permettre aux peuples autochtones de survivre à la transition entre leurs moyens antérieurs de subsistance et les activités d’élevage et d’agriculture de subsistance qu’ils poursuivaient alors. Ses tentatives se sont toutefois heurtées à l’opposition : 1) des peuples autochtones qui, depuis la préhistoire, avaient occupé l’étendue de territoire qui constituait désormais des régions des États-Unis, de l’Alberta et de l’extrémité sud-est de la Colombie‑Britannique; et 2) du gouvernement provincial qui, en dépit des allusions de Smithe à l’émancipation des peuples autochtones, n’était pas près d’accorder à ceux-ci les mêmes droits qu’aux colons. De surcroît, la province n’était nullement disposée à prêter quelque crédit aux revendications fondées sur l’utilisation traditionnelle des terres par les Autochtones, et entendait plutôt favoriser l’allocation de terres aux colons actuels et futurs. Aussi contrôlerait‑elle de près les attributions faites par la CMRI, et plus tard la CRI, même si elle avait auparavant donné l’assurance que ces attributions seraient accueillies favorablement, et malgré le fait qu’O’Reilly avait été nommé conjointement par les deux gouvernements.

[73]  Au demeurant, l’adhésion exprimée par Smithe à l’émancipation des peuples autochtones passait sous silence le fait qu’ils ne pouvaient se prévaloir librement du droit du public d’obtenir, au titre de la Land Act, des droits sur les terres ou sur l’eau, et qu’ils n’ont été autorisés à voter qu’à compter de 1960. De plus, les réserves consistaient en des attributions de grandes étendues de terre qui étaient destinées à l’usage de la bande, mais qui, souvent, étaient [traduction] « absolument impropre[s] à l’agriculture » (RCDM, vol 2, onglet no 126), plutôt qu’en des terres plus productives qui seraient sélectionnées individuellement par un demandeur désireux de les acquérir par préemption ou achat en vertu de la disposition de la Land Act qui permettait l’octroi de 360 acres par demandeur.

VII.  Le levé de Skinner

[74]  Les instructions précises données à G.M. Skinner lorsqu’il a été chargé de délimiter la réserve indienne nº 3 du lac Columbia n’ont pas été produites en preuve, mais, à l’évidence, d’après les changements qu’il a apportés aux directives contenues dans le rapport de décision, Skinner avait le pouvoir discrétionnaire de s’écarter de celui-ci s’il existait une raison valable de le faire.

[75]  Lorsqu’il a réalisé son arpentage, Skinner a relevé deux écarts par rapport aux limites établies dans le rapport de décision; le premier d’entre eux a aussi donné lieu, apparemment de façon involontaire, à un écart vis-à-vis des limites prévues.

[76]  En ce qui concerne le premier écart comparativement au rapport de décision, Skinner a établi sa station 3 au point de départ d’O’Reilly, c’est-à-dire au coin sud-ouest de la terre préemptée no 23 de M. J. Hope Johnston; il a placé sa station 4 80 chaînes à l’est de la station 3 (une chaîne équivalait à 66 pieds; 80 chaînes, à un mille; et 10 chaînes carrées à un acre); de là, il est descendu 80 chaînes au sud, jusqu’à la station 5. Selon les instructions d’O’Reilly, il devait alors avancer 220 chaînes en direction est pour fixer la station suivante; au lieu de quoi, il s’est arrêté à 200 chaînes pour établir la station 6, avant de passer à la direction suivante et d’avancer 280 chaînes en direction sud. Il en est résulté l’exclusion d’une étendue de terre rectangulaire allant du nord au sud, et mesurant 20 chaînes de large sur 280 chaînes de long. Cette étendue rectangulaire représente une superficie de 560 acres, comme indiqué dans la zone a de la pièce 1, ci-dessous, à la page 35.

[77]  Poursuivant son arpentage, Skinner, au bout des 280 chaînes parcourues en direction sud, a fixé la station 7, puis il est allé 120 chaînes à l’est, comme indiqué par O’Reilly, pour établir la station 8. Toutefois, en définissant ce tronçon, il n’a pas compensé la distance de 20 chaînes qu’il avait omis de couvrir précédemment, lorsqu’il avait cheminé vers l’est avant de tourner en direction sud. Une deuxième zone rectangulaire a ainsi été exclue. Si la limite sud avait été tracée comme prescrit par O’Reilly, le rectangle en question se serait étendu sur 400 acres (qui correspondent à la zone b indiquée sur la pièce 1, ci-dessous à la page 35). Si l’on calcule la superficie en fonction de la limite sud réelle fixée par Skinner, elle se serait élevée à 440 acres. Si Skinner a signalé n’avoir pas parcouru en entier les 220 chaînes vers l’est jusqu’à la station 6, il n’a pas précisé avoir omis d’ajuster les limites en conséquence de ce manque à gagner lorsqu’il a défini la deuxième partie de la limite est. La perte de terres utilisables était plus importante dans la partie sud de la zone b, près de la rivière Tatley, une source d’eau pouvant servir à l’irrigation.

[78]  Le deuxième écart signalé relativement au rapport de décision est survenu lorsque Skinner a tourné en direction sud. Pour éviter d’établir une limite qui traverserait une zone cultivée, il a parcouru 20 chaînes de plus que les 200 chaînes prescrites par O’Reilly pour l’établissement de la station 9, avant de cheminer vers l’ouest pour tracer la limite sud. Cela s’est traduit par un ajout au sud de la réserve.

[79]  Dans son rapport daté du 12 mai 1887, Skinner expliquait, en ce qui concerne le premier écart : [traduction] « ayant constaté que la ligne entre les stations 5 et 6 remonterait les montagnes et inclurait des terres sans valeur, j’ai tourné vers le sud à deux cents chaînes, au lieu de tourner à deux cent vingt chaînes comme indiqué dans vos instructions » (RCDM, vol 3, onglet no 239).

[80]  En suivant la progression de Skinner sur le croquis qu’il a dessiné, et qui est montré à la page suivante (avec ses stations mises en évidence en raison de la pâleur de l’original; RCDM, vol 2, onglet no 153, à la page 52), on peut voir l’intersection avec le terrain rocheux, à la station 6. Et si l’on examine la carte topographique, soit la pièce 1 (reproduite ci-dessous, à la page 35), on peut constater que, si Skinner avait parcouru 20 chaînes de plus à l’est, le tiers environ de la parcelle de 560 acres (soit la zone a, dans la pièce 1) qui aurait été incluse dans la réserve se serait trouvé en terrain assez abrupt. En même temps, étant donné que le segment entre les stations 6 et 7 suivait un axe nord-sud au lieu de suivre plus judicieusement une ligne parallèle à la crête, les deux tiers environ de la zone a dont le terrain était plus modéré n’ont pas été inclus dans la réserve. Encore une fois, en regardant la pièce 1, on peut voir que la station 6 a été établie sur une élévation du terrain située près de la courbe de niveau de 1 200 mètres. La ligne que Skinner a ensuite tracée descendait à peu près jusqu’à la courbe de niveau de 880 mètres, à une très courte distance (l’équivalent de 30 chaînes) à l’est du bord du replat surplombant la rivière, laquelle se situe à peu près là où se trouve la courbe de niveau de 840 mètres. Ce qui, à ce point médian de la réserve, ne laissait qu’une étroite bande de terrains en replats.

[81]  C’est au moment d’établir la limite sud de la réserve qu’a été apportée la deuxième modification signalée par Skinner. La limite sud s’étire à l’ouest jusqu’à rencontrer la limite naturelle d’un lac de boue et du fleuve Columbia. Selon la légende accompagnant la pièce 1, la superficie ajoutée en conséquence du prolongement de 20 chaînes de la limite orientale s’étendrait sur 219 acres, et comprendrait une zone indiquée en tant que [traduction] « marais », de même qu’une falaise remontant jusqu’au replat en surplomb. Encore une fois, de façon très approximative, environ la moitié de la parcelle, soit 110 acres, se trouverait dans la zone supérieure, partiellement montrée comme renfermant des [traduction] « champs indiens ».

[82]  La superficie totale de la RI 3 indiquée par O’Reilly dans son rapport de décision s’établissait à 8 320 acres. En fonction de son levé, Skinner, quant à lui, a calculé qu’elle s’étendait sur 8 456 acres. Ces calculs ont sans doute été difficiles, car la bordure ouest a été établie en suivant la limite naturelle des lacs et du fleuve, et le plan a dû être découpé en formes régulières pour permettre les calculs (pour pouvoir mener à bien son levé, Skinner a dû installer une centaine de stations le long du rivage, dont beaucoup en terrain marécageux). Si on les compare entre elles, il faut se rappeler que chaque évaluation de la superficie comportait vraisemblablement une marge d’erreur importante, surtout dans le cas de l’évaluation d’O’Reilly. Il a décrit sa délimitation de la réserve comme un croquis sommaire, et il avait beaucoup moins de détails à partir desquels travailler.

[83]  Il importe également de souligner que Skinner n’a pas dit qu’une modification était censée compenser l’autre. Il semble qu’il se soit agi là de modifications apportées séparément, pour les raisons distinctes qu’il a indiquées.

[84]  Le rapport de Skinner (daté du 12 mai 1887) était rédigé en ces termes :

[traduction] J’ai l’honneur de vous transmettre le rapport qui suit, de même qu’un croquis des deux changements que j’ai apportés lors de mon arpentage de la réserve indienne de Kootenay no 3. Ayant constaté que la ligne entre les stations 5 et 6 remonterait dans les montagnes et comprendrait des terres sans valeur, j’ai pris la direction sud jusqu’à deux cents chaînes, au lieu de m’arrêter à deux cent vingt chaînes comme indiqué dans votre instruction concernant le tronçon de la station 8 à la station 9, mais ayant constaté que cette distance ferait en sorte que la ligne sud traverse un champ indien, j’ai prolongé la ligne de vingt chaînes au sud.

Les Indiens de cette réserve semblaient dans l’ensemble satisfaits que ces changements aient été apportés, et je ne doute pas que vous les approuverez également. [RCDM, vol 3, onglet no 239.]

[85]  Outre le fait qu’elle est ambiguë, la déclaration de Skinner selon laquelle [traduction] « [l]es Indiens de la réserve semblaient dans l’ensemble satisfaits que ces changements aient été apportés » manque de crédibilité. La famille qui travaillait le sol du champ en question aura assurément été reconnaissante d’un tel déplacement vers le sud. En revanche, il aura certainement été difficile de présenter sous un jour favorable l’établissement de la station no 6 vingt chaînes plus loin que ne le prescrivaient les directives du rapport de décision, sans parler de la perte des 560 acres de terres qui, pour la plupart, présentaient un dénivelé modéré, ni de la parcelle de 400 à 440 acres perdue et de la nécessité d’établir des limites rectilignes conformément à la Land Act. La bande est peu susceptible d’avoir donné son consentement éclairé à tout cela. Rien n’indique qu’on s’est véritablement efforcé de l’obtenir, et, selon les récits oraux relatés dans la présente revendication, de nombreuses personnes étaient absentes lorsque Skinner a effectué son levé. Au reste, depuis le moment où la réserve a été établie, et jusqu’à ce jour, les gens n’arrivent pas à comprendre pourquoi la réserve a été dotée, à l’est, de telles limites en escalier, et pour quelle raison elle exclut des zones de terres utilisables, alors que, d’après la description qu’on leur avait faite à l’origine, la réserve était censée occuper le côté est de la vallée, soit l’étendue allant de la rivière Windermere à la rivière Tatley et délimitée par le lac à l’ouest, et par les montagnes à l’est.

[86]  Le premier écart d’avec le rapport de décision n’a pas apporté d’amélioration à la réserve, et la bande se serait mieux portée si Skinner s’était contenté de respecter les directives qui y figuraient. Mais il aurait pu apporter des améliorations à la faveur de son arpentage. Il aurait pu, par exemple, fixer la station no 6 comme il l’a fait, pour ensuite emprunter la direction sud sur, disons, 140 chaînes, puis se diriger vers l’est sur 40 chaînes, et enfin virer en direction sud pour parcourir les 140 chaînes restantes de la limite est, de manière à respecter davantage la topographie, à englober une plus grande quantité de terres utilisables et à atteindre la superficie précisée par O’Reilly pour cette partie de la réserve. Il aurait dû, d’une manière ou d’une autre, s’en remettre aux lignes tracées par ce dernier et éviter la perte du rectangle inférieur couvrant 400 à 440 acres. Ç’eût peut‑être été l’amélioration la plus simple à apporter au levé de Skinner, mais on aurait également pu recourir à d’autres configurations pour mieux embrasser la topographie. À partir de la carte topographique constituant la pièce 1, et de ce que le Tribunal a lui-même vu de la région, une prise en compte des terres utilisables dans une plus grande mesure aurait probablement englobé les terres remontant jusqu’à la ligne de niveau de 1 200 mètres environ, ce qui correspond au point d’élévation où Skinner a viré vers le sud depuis la station no 6.

[87]  À supposer que le respect de la topographie ait été l’objectif visé, il aurait quand même fallu que le levé tienne compte des règles du système d’arpentage en vigueur. Les grands angles droits constituant la limite est auraient pu être décomposés en de plus petites marches à angle droit. Elles auraient peut-être couvert une plus grande superficie que celle définie par O’Reilly, mais le résultat serait demeuré plus fidèle à l’objectif consistant à ce que les terres de la réserve s’avancent jusqu’à la base des montagnes, en plus de mieux répondre à ce qu’O’Reilly avait lui-même décrit comme son devoir, à titre de commissaire des réserves indiennes « de définir les terres qui leur étaient nécessaires, compte tenu de leurs habitudes, de leurs besoins et de leurs activités, et de traiter avec eux de manière libérale » (RCDM, vol 2, onglet no 127; ECFM, au para 36). L’avantage d’une telle approche aurait été non seulement d’établir des limites plus en phase avec les attentes de la bande quant à l’établissement d’une réserve qui irait du lac aux montagnes, mais aussi d’éliminer la possibilité que des terres situées à peu près au centre de la réserve soient préemptées ou achetées en vertu de la Land Act. Skinner n’aurait pas été en mesure de suivre avec exactitude une délimitation précise, mais s’il avait choisi de respecter une limite correspondant à une certaine élévation du sol, seules quelques stations de plus auraient dû être mises en place, et ce surplus de travail aurait été réalisé sur un terrain beaucoup plus favorable que dans le cas du tracé suivant la limite naturelle occidentale.

[88]  Le 23 mai 1887, le commissaire O’Reilly a transmis au CCTT de la Colombie‑Britannique pour signature les plans et les tracés réalisés par Skinner des réserves attribuées à l’usage des Indiens de la région de Kootenay, dont la RI 3 (ECFM, au para 51). Le 10 juin 1887, le commissaire en chef de l’époque, F. G. Vernon, et le commissaire O’Reilly ont signé le plan officiel intitulé Plan of Kootenay Indian Reserve No. 3, Lower Columbia Lake, Kootenay District, British Columbia [« Plan de la réserve indienne de Kootenay no 3, Lower Columbia Lake, district de Kootenay (Colombie-Britannique) »], qui intégrait les changements apportés aux limites par l’arpenteur Skinner (ECFM, au para 52).

[89]  On trouvera ci-après la pièce 1, soit la carte topographique qui montre les limites de la réserve, et sur laquelle apparaissent mes annotations indiquant les [traduction] « parcelles découlant de l’erreur d’arpentage » (« Survey Error Parcels ») (zones a et b), « l’addition au sud » [« southern addition »] (zone c), l’ajout à la réserve recommandé par la Commission McKenna‑McBride et la courbe de niveau de 1 200 mètres.

VIII.  TÉMOIGNAGE DE l’agent des Indiens Galbraith

[90]  Le 14 octobre 1914, l’agent des Indiens Galbraith a livré devant la Commission McKenna‑McBride un témoignage qui portait sur le résultat de l’arpentage. Il y a exposé les besoins en terres des diverses bandes de son district, en mentionnant notamment celles de la RI 3 :

[traduction] Maintenant, je considère le Columbia-Kootenay comme le meilleur du lot. Les Indiens y sont très industrieux, et ils semblent se débrouiller fort bien. Le sol est pauvre par nature, mais ils ont fait mieux que tous les autres Indiens dont s’occupe l’agence, et ils semblent très bien se tirer d’affaire. Ils s’entendent bien avec les colons blancs, mais une erreur a été commise lorsque la réserve a d’abord été définie, en ce que les lignes de démarcation auraient alors dû aller jusqu’aux montagnes, et que la terre aurait pu être conservée pour toujours comme réserve forestière. Mais il est peu probable que quiconque s’installera au-delà de chez eux. Je pense ne connaître qu’un seul colon qui occupe un endroit là-bas. Cela mis à part, ils n’ont pas grand raison de se plaindre, si ce n’est bien sûr qu’ils doivent y faire pousser leur foin. Ils auraient aimé obtenir un peu plus de plaines alluviales, mais ce serait impossible. [RCDM, vol 4, onglet no 365.]

[91]  Galbraith a déclaré qu’à la suite de l’erreur commise au moment de préciser les limites de la réserve, un seul colon, à sa connaissance, s’était établi [traduction] « au-delà de chez eux », probablement la personne qu’il a identifiée plus tard comme étant M. Lyttle. Celui-ci a enregistré sa demande de préemption visant 160 acres de terres en 1898, et a fait arpenter celles-ci en 1908. Seulement, en 1910, les terres arpentées ne s’arrêtaient pas aux 160 acres préemptés par Lyttle. En effet, des individus du nom de Haffner et de Bruce avaient arpenté les sous-lots 131, 131A et 115, ce qui représentait 960 acres, et d’autres levés concernant les sous-lots 123 et 124 avaient été transmis au CCTT, et représentaient 800 acres supplémentaires, pour un grand total de 1 920 acres. Il n’existe aucune preuve que l’arpentage des sous‑lots 123 et 124 ait été effectué pour le compte d’individus en particulier, et rien n’indique non plus que les terres correspondantes aient été prises par quiconque à la suite de cet arpentage. Ces sous-lots n’étaient pas accessibles directement par le chemin charretier qui allait de Cranbrook à Golden (et qui est plus tard devenu une route provinciale), et il est probable que les parcelles de Lyttle, de Haffner et de Bruce soient ultérieurement devenues un motif d’objection de la province à l’inclusion des terres voisines dont la Commission McKenna‑McBride avait recommandé l’ajout. Le croquis ci-dessous présente le détail des sous‑lots (« sublot(s) ») qui étaient arpentés en 1910, au moyen d’une transposition de ceux‑ci sur la pièce 1 d’après les croquis d’arpentage joints aux notes d’arpentage des sous‑lots (RCDM, vol 4, onglets 351–55).

A.  Arguments des parties concernant les terres arpentées

[92]  Les parties ont des positions contradictoires sur la question de savoir si le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire à l’égard des terres arpentées.

1.  Arguments de la revendicatrice

[93]  La revendicatrice soutient — et le Canada en convient — que la Première Nation avait un intérêt identifiable dans les terres arpentées, et qu’à titre de fiduciaire, le Canada était tenu à un devoir de [traduction] « loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation » (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 156; mémoire des faits et du droit de l’intimée, aux para 82–83, citant Wewaykum, au para 86).

[94]  La revendicatrice ne cherche pas à faire retenir l’une des options de levé les plus avantageuses. La preuve et les arguments qu’elle a présentés se concentrent sur l’affirmation selon laquelle le levé ayant entraîné la perte des zones a et b était erroné, et a joué en défaveur de la bande tout en allant à l’encontre de son intérêt identifiable à l’égard des terres. La revendicatrice soutient en outre que l’intimée était tenue de faire montre de diligence raisonnable et de corriger les erreurs du levé de Skinner, et que le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire en souscrivant aux modifications de Skinner qui se sont soldées par la perte des zones a et b, et en transmettant ensuite le levé au CCTT en vue de son approbation par la province (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, aux para 193–97, citant Blueberry River).

[95]  La revendicatrice souligne que l’intimée était au courant des changements que l’arpenteur Skinner avait apportés aux limites de la réserve, vu la lettre envoyée par celui-ci à O’Reilly en date du 12 mai 1887. La revendicatrice renvoie également au témoignage de Galbraith devant la Commission McKenna‑McBride, témoignage au cours duquel l’agent des Indiens avait indiqué qu’[traduction] « une erreur a[vait] été commise lorsque la réserve a[vait] d’abord été définie » (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, aux para 195–96; RCDM, vol 4, onglet no 365; ECFM, au para 65).

2.  Arguments de l’intimée

[96]  L’intimée admet que l’engagement unilatéral du Canada énoncé à l’article 13 des Conditions de l’adhésion [traduction] « suffisait à faire jouer les obligations fiduciaires qui préexistaient à la création de la réserve, ainsi que les avait décrites la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wewaykum » (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 83). Elle fait toutefois valoir que les terres arpentées n’ont jamais fait partie d’une réserve provisoire, et qu’il n’existait aucune obligation particulière de les y inclure (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 81).

[97]  Ces arguments semblaient soulever une question quant à savoir si une réserve provisoire avait commencé d’exister dès le moment où Smithe (le CCTT) a approuvé le rapport de décision d’O’Reilly, en 1885 (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 207). Toutefois, à mon avis, il n’est pas nécessaire de déterminer à quel moment la réserve provisoire a vu le jour. J’estime qu’aux fins de statuer sur la présente revendication, la question déterminante est celle de savoir si le Canada s’est acquitté de ses obligations de fiduciaire au cours du processus de création des réserves.

[98]  Cela dit, je suis également d’avis que l’argument le plus solide est celui de la revendicatrice selon lequel une réserve provisoire a été créée par suite de l’approbation du rapport de décision par le CCTT en 1885. La fonction d’arpentage se limitait à représenter avec exactitude les terres à réserver, avec une certaine latitude pour s’écarter du rapport de décision s’il ne décrivait pas correctement les étendues prévues; mais la décision de créer la réserve, qui reposait sur la détermination de l’intérêt identifiable de la bande, avait essentiellement été arrêtée par l’approbation du CCTT. Mais, encore une fois, la question déterminante en l’espèce n’est pas celle de savoir s’il existait une réserve provisoire, mais plutôt celle de savoir si les terres arpentées, c’est-à-dire les parcelles a et b, faisaient partie des terres à l’égard lesquelles la bande avait un intérêt identifiable, et donc, si elles avaient été incluses à juste titre dans le rapport de décision et auraient dû être maintenues dans le levé, et ce, tout au long du processus de création de réserves.

[99]  L’argument du Canada est que Skinner n’a pas commis d’erreur, et qu’en outre, il a agi de bonne foi en modifiant les limites de la réserve pour les adapter à ce qu’il considérait être dans l’intérêt de la revendicatrice (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 7). Selon le Canada, Skinner a certes omis des terres qu’il considérait sans valeur, mais il a également évité qu’un champ indien à l’extrémité sud de la réserve ne se retrouve divisé en deux, et il a ajouté des plaines alluviales, encore plus précieuses pour la revendicatrice que les terres montagneuses. Ainsi, tout bien pesé, les modifications apportées dans le levé étaient avantageuses pour la bande.

3.  Analyse—Les terres arpentées

a)  Intérêt identifiable

[100]  Les parties conviennent que la revendicatrice avait un intérêt identifiable à l’égard des terres en cause, à savoir les terres arpentées et les terres additionnelles.

[101]  En l’espèce, l’intérêt dans des terres « qui peut être identifié ou reconnu » (Nation de Lake Babine c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 5, au para 172, citant Black’s Law Dictionary, 10e éd, sous l’entrée « cognizable » (« identifiable »)), commence en même temps que l’histoire de l’utilisation, par les peuples autochtones, des terres de la zone du Lower Columbia Lake (lac Windermere) faisant partie du territoire de la région de Kootenay traditionnellement occupé par la Première Nation d’ʔAkisq̓nuk avant le premier contact, et où celle-ci avait déjà installé des résidences au moment où la région avait été visitée pour la première fois par O’Reilly en 1885. L’objectif d’O’Reilly était de créer une réserve qui tiendrait compte [traduction] « des habitudes, des souhaits et des activités » de la bande, et qui lui permettrait de pourvoir à ses besoins après la perte de son mode de vie traditionnel, perte attribuable en grande partie à son adoption de l’élevage et de l’agriculture de subsistance comme moyens de subvenir à ses besoins.

[102]  D’autres décisions du Tribunal ont reconnu l’existence d’intérêts identifiables en fonction du contexte historique des terres en cause. Dans l’affaire Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 1 [Kitselas], les terres en question correspondaient à l’emplacement d’un ancien village. Et, dans la décision Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 3, il s’agissait du principal village occupé par les peuples autochtones de la région, jusqu’à ce que ceux-ci soient déplacés en raison des concessions accordées aux colons par la Couronne.

[103]  En rejetant la demande de contrôle judiciaire introduite par le Canada dans l’arrêt Kitselas, le juge Mainville de la Cour d’appel fédérale a déclaré, aux paragraphes 52 à 54 :

Ainsi que le juge l’a constaté en l’espèce, les directives qui régissaient la mise en œuvre de la politique étatique unilatérale d’attribution de réserves en Colombie-Britannique exigeaient clairement des représentants de la Couronne chargés de cette mise en œuvre qu’ils prennent en considération et en compte l’utilisation effective des terres par les nations autochtones pour lesquelles les réserves devaient être créées. C’est notamment le cas des instructions données par le ministère des Affaires indiennes au commissaire O’Reilly en 1880 : [traduction] « Pour l’attribution des terres de réserve, [...] [v]ous devrez tenir spécialement compte des habitudes, des souhaits et des activités de la bande, des limites du territoire que celle-ci fréquente, ainsi que des revendications des colons blancs (s’il y en a) » (au paragraphe 15 des motifs). Pour reprendre les termes en lesquels le commissaire Sproat résumait l’essentiel dans son rapport de 1878, [traduction] « [l]a première condition [était] de laisser les Indiens dans les lieux anciens auxquels ils [étaient] attachés » (au paragraphe 16 des motifs).

En l’espèce, le juge a tiré les conclusions de fait suivantes : 1) la parcelle de 10,5 acres exclue de la R.I. no 1 de Kitselas comprenait l’emplacement d’un ancien village des Kitselas appelé Gitaus; 2) du point de vue autochtone, cet emplacement n’avait jamais été abandonné; 3) il y avait des habitations indiennes sur cet emplacement lorsque le commissaire O’Reilly a décidé d’exclure les 10,5 acres en question de la réserve; 4) la parcelle de terre exclue ne faisait l’objet d’aucune revendication de la part de colons blancs; 5) cette parcelle de terre n’a pas été exclue en prévision de son utilisation pour le transport public; et 6) si le commissaire O’Reilly avait recommandé d’inclure cette parcelle de terre dans la réserve, le Canada aussi bien que la Colombie-Britannique auraient suivi cette recommandation.

Vu ces conclusions de fait, je ne vois aucune erreur de droit dans la conclusion du juge selon laquelle les Kitselas avaient sur la parcelle de terre exclue un droit identifiable dont découlait une obligation fiduciaire comprenant des devoirs de loyauté, de bonne foi et de communication complète, ainsi que celui d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt des Kitselas, s’agissant de décider s’il fallait inclure cette parcelle de terre dans la R.I. no 1 de Kitselas ou l’en exclure. La parcelle de terre en question était nettement délimitée et définie, et le droit identifiable à l’égard de cette parcelle de terre était fondé sur l’utilisation et l’occupation actuelle et historique que les Kitselas en faisaient à titre d’établissement, un droit expressément prévu à l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique et dans les directives de la Couronne visant la mise en œuvre en cet article. [Souligné dans l’original; Canada c. Première nation de Kitselas, 2014 CAF 150, [2014] 4 CNLR 6 [Kitselas CAF]

[104]  En 1884, lorsque O’Reilly s’est rendu dans la région de Kootenay, les moyens de subsistance de la revendicatrice étaient passés d’activités plus traditionnelles à un recours à l’élevage dans une mesure importante, ce qui l’obligeait à disposer de vastes zones de parcours libre pour faire paître ses chevaux et son bétail. Les lettres qu’O’Reilly a par la suite envoyées à Smithe, le CCTT, le mentionnaient très clairement (voir les paragraphes 60 à 67, ci-dessus).

[105]  L’importance de cette utilisation et de cette occupation alors actuelles des terres qui servaient à assurer la subsistance des peuples autochtones vivant dans la région a été reconnue par O’Reilly dans le cadre de son rôle de commissaire de la CRI, qui consistait à [traduction] « définir les terres qui leur étaient nécessaires, compte tenu de leurs habitudes, de leurs besoins et de leurs activités, et [à] traiter avec eux de manière libérale ». Une telle reconnaissance transparaissait aussi des efforts déployés en vue de respecter l’engagement du Canada, prévu à l’article 13, d’assumer la garde et l’administration des terres réservées pour l’usage et le bénéfice des Indiens (RCDM, vol 2, onglet no 127). L’obligation du Canada envers la bande à cet égard était de prendre en considération l’« intérêt identifiable » qu’elle détenait dans les terres, en tenant compte de ses besoins, mais aussi de son occupation des terres et de son lien historique avec elles.

[106]  Aucune conclusion relative à un intérêt identifiable n’est en cause en l’espèce, et les commentaires qui précèdent vont peut-être au‑delà du nécessaire. En reconnaissant l’existence de cet intérêt, l’intimée a convenu que la revendicatrice utilisait à la fois les terres arpentées et les terres additionnelles à diverses fins, y compris [traduction] « la chasse, le piégeage, la pêche, le transport, l’irrigation, la récolte de plantes à des fins alimentaires et médicinales et le pacage du bétail, y compris les chevaux » (ECFM, au para 8). L’intimée reconnaît également que son engagement unilatéral énoncé à l’article 13 des Conditions de l’adhésion suffisait à faire jouer les obligations fiduciaires préalables à la création de réserves, obligations décrites par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wewaykum. Mais il est important de préciser la nature de l’intérêt identifiable en cause pour pouvoir placer ces obligations en contexte, et la question mérite que l’on s’y attarde.

[107]  Dans l’arrêt Williams Lake CSC, aux paragraphes 80 et 81, la Cour suprême du Canada a formulé les observations suivantes au sujet de l’intérêt identifiable :

Dès lors, pour le Tribunal, l’obligation fiduciaire de la Couronne naît d’un intérêt foncier [traduction] « qui peut être identifié ou reconnu » (Lake Babine, par. 172, citant le Black’s Law Dictionary (10e éd. 2014)), sous l’entrée « cognizable » (en français, « identifiable »). Il estime que l’usage et l’occupation des terres du village par la bande établissaient une sorte d’intérêt autochtone dans des terres qui aurait été évident — et qui l’a été — pour les fonctionnaires chargés de l’application de la politique (par. 237). La bande avait donc un intérêt suffisant pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par les fonctionnaires fédéraux soit assujetti au respect de l’obligation fiduciaire de la Couronne (M.T., par. 317; voir aussi Kitselas (T.R.P.), par. 153‑155, conf. par Kitselas (C.A.F.), par. 49, 52‑54 et 67; Akisq’nuk, par. 231‑238; Lake Babine, par. 170).

Selon le Tribunal, l’intérêt en jeu était « identifiable » parce que les fonctionnaires étaient en mesure de connaître l’existence de l’intérêt autochtone dans les terres et du pouvoir discrétionnaire qui leur permettait de toucher cet intérêt lorsqu’ils « s’acquittai[en]t de diverses fonctions qui [leur] incombaient aux termes de la Loi ou d’accords fédéraux‑provinciaux » (Wewaykum, par. 91). L’intérêt en jeu satisfaisait aussi raisonnablement à l’exigence d’un intérêt juridique indépendant. L’intérêt autochtone que détenait collectivement la bande dans les terres qu’elle utilisait et occupait habituellement et historiquement lorsqu’ont été prises les décisions relatives à la création de réserves, même s’il était reconnu dans la loi et dans la politique, n’était pas issu de l’exercice du pouvoir exécutif ou législatif. [Italiques dans l’original; je souligne]

[108]  Dans l’arrêt Williams Lake CSC, au paragraphe 83, le juge Wagner a reconnu que le contenu de l’obligation de fiduciaire du Canada était adapté à la fermeté de l’intérêt de la bande dans les terres visées :

En ce qui concerne l’importance de l’intérêt revendiqué, le Tribunal indique qu’il vise les terres dont la bande tirait sa subsistance, avec lesquelles elle avait un « lien tangible, pratique et culturel » et qui faisaient partie de son territoire traditionnel (par. 267, 317 et 342). Il compare cette situation à celle considérée dans l’affaire Wewaykum, où les bandes n’avaient pas d’intérêt préalable dans les terres en cause. En effet, leur arrivée étant relativement récente, leur intérêt n’était pas plus grand que celui des colons auxquels elles s’opposaient (Wewaykum, par. 95‑96). Le Tribunal adapte donc le contenu de l’obligation fiduciaire du Canada à la fermeté de l’intérêt de la bande dans les terres du village. Sa démarche traduit une interprétation raisonnable du rapport entre l’intérêt en jeu et le contenu de l’obligation. Il lui était loisible de tenir compte des différences entre l’intérêt de la bande dans les terres du village et les autres intérêts préalablement reconnus par la Cour au moment de déterminer le contenu de l’obligation. [Italiques dans l’original; je souligne]

[109]  De même, dans l’arrêt Wewaykum, la Cour a souligné que le contenu des obligations de fiduciaire s’appréciera en fonction des circonstances particulières du processus de création de réserves :

Le point de départ de l’analyse est par conséquent le droit des bandes indiennes sur des terres précises ayant fait l’objet du processus de création de réserves pour leur bénéfice et à l’égard desquelles la Couronne s’est constituée l’intermédiaire exclusif auprès de la province.  Notre tâche consiste à définir l’étendue de l’obligation de fiduciaire dans ces circonstances particulières. [Para 93.]

[110]  Dans l’affaire Wewaykum, la Cour suprême du Canada avait reconnu qu’une telle obligation comprenait les devoirs de « loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et [le] devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation » (para 94). Dans le cas qui nous occupe, l’admission par la Couronne du fait que des obligations fiduciaires existaient dès le début du processus de création de la réserve du lac Columbia renvoie aux obligations, énoncées dans Wewaykum, qu’elle avait envers la bande. Dans l’arrêt Blueberry River, la mesure de la diligence qui s’imposait sur ce plan été comparée à celle « […] qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires » (para 104, citant Fales c Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302, à la p 315).

B.  Obligation du Canada dans le contexte de la question du levé d’arpentage

[111]  L’erreur relevée par l’agent Galbraith, lors de son témoignage devant la Commission McKenna‑McBride, est que la limite orientale de la réserve aurait dû aller [traduction] « jusqu’aux montagnes, et que la terre aurait pu être conservée pour toujours comme réserve forestière » (RCDM, vol 4, onglet 365). Le recours au terme « réserve forestière » peut laisser croire que la terre pouvait servir, en 1914, à des fins sylvicoles, qu’elle servait peut‑être à des activités plus modernes, ou simplement qu’une forêt se trouvait dans cette région dont l’ajout à la réserve en tant que pacage était envisagé. Dans les documents que Galbraith a ensuite présentés à la Commission (voir les paragraphes 128 et suivants), il était question d’élargir la réserve de 3 000 acres (terres additionnelles) pour le pacage du bétail et des chevaux de la bande.

[112]  Si O’Reilly avait été plus libéral au moment d’établir la frontière orientale et s’il avait mieux suivi les courbes de niveau du terrain : 1) l’intention d’obtenir des terres pouvant être utilisées à des fins de pâturage situées sur des terres traditionnelles s’étendant jusqu’aux montagnes aurait été mieux servie; 2) les limites orientales de la réserve auraient été établies de façon à inclure la zone en forme de « L » qui a ensuite été concédée par la Couronne; et 3) l’objection selon laquelle les terres que la Commission McKenna‑McBride recommandait d’ajouter à la réserve encercleraient les terres concédées par la Couronne, n’aurait pu être soulevée lors de l’examen mené par MM. Ditchburn et Clark des ajouts recommandés par la Commission McKenna‑McBride. Les terres alors concédées par la Couronne auraient déjà été incluses dans la réserve.

[113]  Si, en réalisant son arpentage, Skinner s’était contenté de suivre le rapport de décision d’O’Reilly pour fixer la limite est, de 960 à 1 000 acres de terre supplémentaires auraient été inclus dans la réserve comme l’avait prévu O’Reilly. De plus, une partie de la zone de 1 120 acres déjà arpentée et vraisemblablement aliénée au moment de la Commission McKenna‑McBride, située près du centre de la réserve, n’aurait pas été offerte à des fins d’achat et d’acquisition par préemption. La zone de terres utilisables non prise en compte dans les directives contenues au rapport de décision, bien qu’encore d’une superficie importante, aurait été située plus à l’est de la réserve et ses caractéristiques moins intéressantes auraient pu dissuader les demandeurs de prendre le reste du terrain en vertu de la Land Act. Si elles n’avaient pas été prises, ces terres seraient demeurées, tout comme l’est aujourd’hui la majeure partie du versant ouest de la montagne, des terres de la Couronne.

[114]  Le levé réalisé en fonction du rapport de décision sur les terres mises à disposition aux fins de concession par la Couronne apparaît sur le croquis agrandi joint comme pièce 1. La zone a se superpose aux parties ouest des parcelles de Lyttle, de Bruce et de Haffner. Dans le cas du premier colon, Lyttle, elle couvre la moitié de sa terre, acquise par préemption. Dans le cas de Bruce, elle couvre un quart du terrain qu’il a arpenté; et dans le cas de Haffner, un quart de l’une des deux propriétés contiguës de taille égale qu’il a arpentées.

[115]  La province aurait‑elle pu s’opposer à l’attribution de la parcelle de 2 960 acres – au motif que celle‑ci n’était pas raisonnablement nécessaire – n’eût été la question des terres entourant cette parcelle? Premièrement, la superficie des terres en cause aurait été moindre. Si 360 acres de terres supplémentaires avaient déjà été inclus dans la réserve par Skinner (1/3 de la zone a et ½ de la zone b), la province aurait moins encline à s’opposer à l’idée d’étendre la réserve pour qu’elle prenne la nouvelle forme géométrique plus simple que la Commission avait, semble‑t‑il, à l’esprit. De plus, si une bonne partie des terres concédées par la Couronne avait déjà été incluse dans la réserve grâce à l’attribution plus libérale prévue au rapport de décision, ou, à tout le moins, si ce dernier avait été appliqué de façon plus fidèle, une plus petite partie des terres utilisables situées à l’est de la réserve aurait été disponible aux fins d’aliénation en vertu de la Land Act, et en soi, cette zone aurait peut‑être eu moins de valeur pour les colons. En résumé, si la Commission McKenna‑McBride avait recommandé un ajout de superficie moindre et exclu les terres concédées par la Couronne, il n’y aurait peut-être pas eu de différend.

C.  Conclusion

[116]  À cause du levé d’arpentage établi par Skinner, le Canada a‑t‑il manqué à son obligation de fiduciaire envers la bande? À mon avis, c’est le cas. La réserve était une terre traditionnelle dont la bande avait besoin pour une raison importante : soutenir les familles qui utilisaient la terre pour assurer leur subsistance en leur offrant des pâturages pour leurs nombreux animaux. Toute personne ordinaire aurait, en mettant de côté des terres au nom de la bande, répondu à cet objectif en tenant le plus fidèlement compte de ce besoin. L’objectif déclaré de l’exclusion par Skinner du terrain rocheux et sans valeur, qui ne concerne que la partie supérieure de la zone a, ne s’est pas traduit par une amélioration sur le plan de l’attribution de la réserve, mais a plutôt eu pour effet d’exclure une superficie importante de terres utiles et de la mettre à disposition aux fins d’aliénation alors qu’elle était située dans une zone sensible de la réserve. La zone b est le résultat d’une simple inadvertance (comme le disait la juge McLachlin dans l’arrêt Blueberry River (plus tard juge en chef), au para 94). Skinner n’a donné aucune raison pour justifier cette exclusion, et là encore, des terres utiles ont été exclues de la réserve.

[117]  Dans l’arrêt Blueberry River, la juge McLachlin (plus tard juge en chef) a déclaré que la Couronne avait « une obligation de fiduciaire [continue] d’agir dans l’intérêt des Indiens afin de corriger une erreur » (para 115). Elle a ajouté :

Lorsqu’une partie se voit conférer certains pouvoirs touchant les droits d’une autre partie et que cette dernière se voit privée des pouvoirs en question ou est «vulnérable», la première partie, celle qui détient les pouvoirs, a l’obligation de fiduciaire de les exercer dans l’intérêt de l’autre […]

Dans de telles circonstances, il existe une obligation de fiduciaire de corriger l’erreur.

[118]  Dans le même ordre d’idées, en l’espèce, la Couronne avait le pouvoir de revenir aux prescriptions du rapport de décision original ou de retenir une option de levé plus avantageuse après que Skinner eut fait rapport des modifications apportées.

[119]  Tout au long de ce processus, la bande s’en est remise entièrement au Canada. Ces zones ont été perdues parce que Skinner a exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui permettait de s’écarter du rapport de décision, mais rien ne justifiait qu’il l’exerce au détriment de la bande. L’argument du Canada selon lequel, somme toute, avec l’ajout de terres au sud, les modifications ont été avantageuses pour la bande ne rachète pas la perte des zones exclues. Les terres de la partie sud n’ont pas été ajoutées à la réserve pour compenser cette perte, mais pour tenir compte du fait qu’elles servaient de zone de jardinage.

[120]  Si le Canada avait tenu compte de l’intérêt identifiable que la revendicatrice détenait dans les terres situées à l’est de ce qui est devenu la limite est de la réserve, les zones a et b n’auraient pas été exclues. J’estime que les zones a et b ont été omises de façon injustifiée lors de la délimitation du territoire défini dans le rapport de décision, qui lui-même ne reconnaissait pas pleinement l’intérêt identifiable de la bande à ce qu’une zone plus étendue soit incluse à l’est de la réserve. À tout le moins, les zones retranchées par Skinner auraient dû faire partie du levé et celui‑ci, qui a été établi sans tenir compte de ces zones, n’aurait pas dû être présenté dans le cadre du processus de création de la réserve.

[121]  Je souscris à la position de la revendicatrice et j’estime que l’argument selon lequel les zones a et b ont été indûment exclues, argument qui repose sur l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, est bien fondé.

IX.  La Commission MCKENNA-MCBRIDe

[122]  Le processus continu et incertain de création des réserves a donné lieu à une entente fédérale‑provinciale (la Convention McKenna‑McBride) signée le 24 septembre 1912. En voici le préambule :

[traduction]

ATTENDU QU’il est souhaitable de résoudre tous les différends qui surgissent entre le gouvernement du Dominion et le gouvernement de la province relativement aux terres des Sauvages et, d’une façon générale, aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie-Britannique, les parties désignées ci‑dessus adhèrent, sous réserve de ratification par les gouvernements du Dominion et de la province, aux propositions suivantes en vue du règlement final de toutes les questions relatives aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie-Britannique :

1. Une Commission est constituée comme suit : deux commissaires seront nommés par le Dominion et deux, par la province. Les quatre commissaires ainsi nommés choisiront un cinquième commissaire, qui sera le président de la Commission.

2. La Commission ainsi constituée a le pouvoir de modifier la superficie des réserves indiennes en Colombie-Britannique de la façon suivante :

a) Si, de l’avis des commissaires, une réserve donnée, telle qu’elle est alors délimitée, couvre une superficie supérieure à ce qui est raisonnablement requis pour l’usage des Sauvages de cette tribu ou de cet endroit, la réserve est, avec le consentement des Sauvages, et en conformité avec la Loi des Sauvages, réduite à une superficie que les commissaires estiment raisonnablement suffisante pour les besoins de ces Sauvages.

b) Si, de l’avis des commissaires, une superficie insuffisante de terres a été mise de côté pour l’usage des Sauvages de la localité touchée, les commissaires décident de la superficie à ajouter. Ils peuvent en outre mettre de côté des terres pour tribu à l’intention de laquelle aucune terre n’a encore été réservée.

3. La province prend toutes les mesures nécessaires pour procéder légalement à la mise en réserve des terres additionnelles que les commissaires attribuent à tout groupe de Sauvages, conformément aux pouvoirs énoncés ci-dessus.

4. Les terres qui, selon les commissaires, ne sont pas jugées nécessaires pour les Sauvages sont subdivisées et vendues par la province dans le cadre d’une vente aux enchères.

5. Le produit net de ces ventes est réparti également entre la province et le Dominion, et toute somme reçue par le Dominion en vertu de la présente disposition est détenue ou utilisée, par lui, au profit des Sauvages de la Colombie-Britannique.

6. Toutes les dépenses engagées par la Commission sont réparties également entre la province et le Dominion.

7. Les terres comprises dans les réserves établies de façon définitive par les commissaires sont transférées par la province au gouvernement du Dominion et ce dernier a plein pouvoir pour disposer des terres de la manière qu’il juge opportune pour les besoins des Sauvages, ce qui inclut le droit de les vendre et d’utiliser le produit de la vente au profit des Sauvages, à la seule condition que, si une tribu ou une bande indienne de la Colombie-Britannique s’éteint dans l’avenir, toutes les terres situées sur le territoire de la province qui ont été transférées au gouvernement du Dominion au profit de cette tribu ou bande de la manière prévue dans les présentes, et qui n’ont pas été vendues ou aliénées selon les modalités énoncées aux présentes, ou tous les fonds inutilisés provenant de la vente d’une réserve indienne située dans la province de la Colombie-Britannique, soient transférés à la province.

8. En attendant le dépôt du rapport final de la Commission, la province s’abstient d’accorder par préemption ou de vendre des terres qu’elle a le pouvoir d’aliéner et qui ont fait l’objet d’une demande du Dominion à titre de réserves indiennes additionnelles, ou que les commissaires, pendant la durée de leurs travaux, pourraient désigner comme terres à réserver pour les Indiens. Si, au cours de la période précédant la rédaction du rapport final des commissaires, il devait être établi par l’un ou l’autre des gouvernements concernés que des terres faisant partie d’une réserve indienne étaient nécessaires aux fins du passage du chemin de fer ou à d’autres fins ferroviaires, ou pour des travaux publics du Dominion, de la province ou d’une municipalité, la question sera renvoyée aux commissaires qui la trancheront dans un rapport provisoire, et chaque gouvernement fera le nécessaire pour mettre en oeuvre les recommandations des commissaires. [RCDM, vol 4, onglet no 356.]

[123]  La province et le Dominion ont adopté des décrets aux termes desquels ils ont convenu :

[traduction]

[…] d’accueillir favorablement les rapports, soit définitifs soit provisoires, de la Commission dans l’intention d’assurer, autant qu’il peut être raisonnable, l’exécution des actes, faits et recommandations de la Commission, et de prendre toutes les mesures et les décisions qui pourraient être jugées raisonnablement nécessaires pour mettre à exécution, selon son esprit et son sens véritables, la solution stipulée par ladite entente. [RCDM, vol 4, onglet no 420.]

[124]  La commission ainsi établie, la Commission royale des Affaires indiennes, était composée de cinq commissaires. Pendant trois ans, ces commissaires ont parcouru la province et recueilli des témoignages. Le rapport qu’ils ont rédigé date du 30 juin 1916.

[125]  Cette Commission, dont le mandat était de régler les différends opposant les deux gouvernements afin de pouvoir mettre fin au processus de création de réserves prévu à l’article 13 des Conditions de l’adhésion, n’a pas été constituée à la demande des bandes ou d’autres groupes autochtones. L’organisation autochtone de l’époque, l’Alliance des tribus de la Colombie‑Britannique, s’opposait au réexamen des réserves comme le prévoyait la Convention McKenna‑McBride, et réclamait la reconnaissance du titre autochtone, ce qui, le cas échéant, aurait permis un plus grand accès aux terres de la Colombie‑Britannique. Devant cette opposition, le Canada a donné l’assurance que les recommandations de la Commission lui seraient divulguées et qu’elles ne seraient pas appliquées sans son consentement (Cole Harris, Making Native Space, Colonialism, Resistance, and Reserves in British Columbia (University of British Columbia Press, 2002), à la p 229 [Harris]). Cette assurance est explicitement énoncée au paragraphe 2a) de la Convention McKenna‑McBride, qui exige expressément que toute réduction de la superficie d’une réserve doit se faire « avec le consentement des sauvages, et en conformité avec la Loi des Sauvages ».

[126]  Le 21 septembre 1914, la Commission a recueilli les témoignages du chef Arbel et d’Ignatius Eaglehead, qui résidaient tous les deux dans la RI 3 du Lower Columbia Lake. Ignatius Eaglehead a été interrogé sur les terres utilisées pour le pâturage de ses animaux. On lui a posé la question suivante :

[traduction]

Q. Quelle proportion de la réserve peut servir au pâturage — la moitié, le quart, les trois quarts?

R. J’aurais quelques bons pâturages, mais comme les limites de mes terres suivent une ligne sinueuse, une partie des bons pâturages situés du côté est a été retranchée, entre la limite de la réserve et la montagne. [RCDM, vol 4, onglet nº 364]

[127]  Plus tard, on lui a demandé :

[traduction]

Q. Combien de têtes de bétail les Indiens de la bande ont‑ils en tout?

R. Quatre cents.

Q. Combien de chevaux?

R. Mille.

Q. Est-ce que ces bovins et ces chevaux paissent dans la réserve ou sortent‑ils de la réserve?

R. Ils sortent.

Q. Est-ce qu’ils paissent principalement à l’extérieur de la réserve?

R. Oui, principalement à l’extérieur de la réserve.

Q. Où vont-ils à l’extérieur de réserve – de l’autre côté de la rivière?

R. Ils se déplacent dans tout le territoire entre Canal Flats, Dutch Creek, le Lower Columbia Lake et le fleuve Columbia, ainsi que dans les prairies d’Armstrong.

Q. Si les Indiens devaient garder leurs chevaux et leurs bovins dans la réserve, combien seraient-ils en mesure de garder?

R. Seulement quelques-uns de chaque espèce.

Q. Environ combien de bovins vendent-ils dans une année?

R. Je ne sais pas. Chacun vend ses propres animaux.

Q. À votre connaissance, vendent-ils beaucoup de chevaux?

R. J’en vendais beaucoup il y a longtemps, mais je n’en ai presque plus maintenant, et c’est la raison pour laquelle je veux obtenir des terres, afin que je puisse accroître mon cheptel.

[…]

Q. Comment y a-t-il d’Indiens dans cette bande, incluant les hommes, les femmes et les enfants?

R. Vous pourriez vous renseigner auprès de l’agent des Indiens, mais je peux affirmer qu’il y a 43 personnes qui possèdent des fermes.

Q. Quel est le principal moyen de subsistance?

R. Le principal moyen de subsistance des Indiens était la chasse.

Q. Et, comment cela se passe-t-il maintenant?

R. À l’époque où j’assurais ma subsistance en chassant, je consommais peu mes animaux. Alors, je crois que tous les types de gibiers me permettaient en quelque sorte de faire croître mon cheptel. Aujourd’hui, puisque je peux seulement compter sur mes animaux pour vivre, leur nombre diminue très rapidement. 

Q. Et, comme vous assurez maintenant votre subsistance grâce à vos animaux, leur nombre diminue rapidement, n’est-ce pas?

R. Oui.

[128]  Après avoir déclaré lors de son témoignage devant la Commission, le 14 octobre 1914, que le fait de ne pas avoir étendu le réserve jusqu’aux montagnes avait été une erreur, l’agent Galbraith a déposé, le 9 décembre 1914, à la demande de la Commission, un croquis sur lequel il avait délimité une zone où, selon lui, les ʔAkisq̓nuk pourraient faire paître leurs chevaux et leurs bovins (RCDM, vol 4, onglet nº 368). Le 12 février 1915, il a présenté un nouveau rapport :

[traduction] Les seules terres que j’ai pu trouver près de [la RI 3] sont situées au nord des lots 122, 115 et 124 et sont partiellement couvertes de tout petits arbres. Elles ne sont pas cultivables. S’il est possible de trouver 3 000 acres près de là, je recommanderais de les ajouter à la réserve. [ECFM, au para 67]

[129]  C’est ainsi que la Commission a recommandé, le 29 mars 1915, que 2 960 acres de terres situées dans la zone délimitée par l’agent Galbraith soient ajoutées à la réserve. Le 7 décembre 1915, la province a confirmé que cette parcelle de 2 960 acres était vacante et disponible et l’a inscrite sur les cartes comme étant une [traduction] « nouvelle réserve ».

[130]  Le rapport final de la Commission McKenna‑McBride, daté du 30 juin 1916, donnait suite à la recommandation d’ajouter 2 960 acres de terres, et de repousser ainsi la limite orientale de la réserve plus loin dans les hautes terres. Cette nouvelle limite orientale devait permettre d’éliminer la configuration en escalier de la section centrale et de donner à la réserve une forme plus régulière, essentiellement triangulaire. Or, la parcelle ainsi ajoutée aurait entouré les parcelles déjà aliénées ou susceptibles d’être vendues par la province. La pièce 1, la carte topographique de la réserve, montre la zone censée être ajoutée à la réserve, c’est-à-dire la zone hachurée à l’est des limites de la réserve.

[131]  Même si le décret prévoyait que le rapport devait être accueilli favorablement, [traduction] « dans l’intention d’assurer autant qu’il peut être raisonnable, l’exécution des actes, faits et recommandations de la Commission » (RCDM, vol 4, onglet nº 420), le gouvernement provincial n’a pas approuvé le rapport de la Commission et le processus de création de la réserve a connu une autre période d’incertitude marquée par un désaccord entre les gouvernements.

[132]  Finalement, après avoir reçu une lettre fort convaincante dans laquelle Arthur Meighen, le ministre fédéral de l’Intérieur, se plaignait de la situation, T. D. Pattullo, le ministre provincial des Terres a proposé, en avril 1920, la création d’une commission d’examen composée d’un représentant de chaque gouvernement dans le but, là encore, de trouver une solution à l’amiable, cette fois-ci sur la base d’un examen des recommandations de la Commission McKenna‑McBride. Voilà comment a commencé l’examen de Ditchburn et Clark. Ditchburn était l’inspecteur en chef des agences indiennes de la Colombie-Britannique et Clark était le représentant provincial chargé de fournir des terres aux soldats de retour au pays après avoir servi pendant la Première Guerre mondiale. Là encore, cela ne s’est pas fait à la demande des Autochtones visés par les recommandations de la Commission McKenna‑McBride, qui avait proposé non seulement des ajouts à certaines réserves ainsi que de nouvelles réserves, mais aussi des réductions et des annulations, controversées, de réserves déjà attribuées.

[133]  Bien que la Commission ait fini de rédiger son rapport en juillet 1916, son contenu n’a été révélé à l’Alliance des tribus qu’en 1919 (Harris, p. 249). Celle-ci s’opposait toujours au processus d’examen des réserves et, plus particulièrement, à la réduction et à l’annulation de certaines réserves comme le recommandait la Commission. Selon Ditchburn, Clark hésitait à accorder des terres de réserve additionnelles. Dans une lettre en date du 23 février 1923 adressée à D. C. Scott, le surintendant général adjoint des Affaires indiennes à Ottawa, Ditchburn a formulé les commentaires suivants :

[traduction] J’aurais grandement préféré que le gouvernement provincial nomme une personne ayant un point de vue moins étroit quant aux questions indiennes que le major Clark. Bien qu’il soit un homme très respectable, il tend néanmoins à lésiner alors qu’à peine quelques acres de terrain sont en jeu. Par exemple, si l’établissement d’une station de pêche de dix acres est recommandé, il cherchera à savoir si cinq acres ne suffiraient pas, et ainsi de suite. [RCDM, vol 4, onglet nº 410]

[134]  Au final, les deux représentants ont réussi à s’entendre sur la plupart des recommandations de la Commission McKenna-McBride. Ils ne se sont toutefois pas entendus au sujet de l’attribution de terres de réserve additionnelles dans le district de Kootenay.

[135]  Dans son rapport adressé au ministre des Terres, Clark a indiqué qu’il était en désaccord avec Ditchburn en ce qui concerne les 2 960 acres à ajouter à la RI 3, car il estimait que [traduction] « les Indiens n’en avaient pas raisonnablement besoin » et qu’un tel ajout faisait « grandement obstacle à la colonisation par les Blancs. [La réserve proposée] entourait entièrement les terres attribuées par la Couronne ». Dans son rapport adressé à Scott, Ditchburn a employé sensiblement les mêmes termes pour décrire son désaccord avec Clark (RCDM, vol 4, onglet nº 416) : [traduction] « L’attribution de la nouvelle réserve nº 3A, d’une superficie de 2 960 acres, aux Indiens du Lower Columbia Lake a été refusée [par Clark] au motif que les Indiens n’en avaient pas raisonnablement besoin et que cet ajout empêchait sérieusement la colonisation par les Blancs. La nouvelle réserve qui était proposée entourait entièrement les terres attribuées par la Couronne. » Ditchburn a aussi précisé qu’il n’y avait pas eu d’accord sur les 1 940 acres qui devaient, selon les recommandations, être ajoutées à la réserve de Shuswap, au nord d’Invermere. Il a ajouté :

[traduction] Les décisions concernant ces nouvelles réserves ont été prises par le major Clark suivant la recommandation du commissaire aux pâturages [Thomas P. Mackenzie]. Je me suis opposé parce que les ajouts étaient nécessaires pour répondre aux besoins raisonnables des Indiens, et j’ai présenté des statistiques pour appuyer mon argument. Le major Clark a toutefois recommandé que le commissaire aux pâturages autorise l’établissement d’un pâturage communal (et non d’une réserve) pour l’usage conjoint des tribus de Shuswap et de Lower Columbia Lake, lequel servirait exclusivement au bétail des Indiens et serait libre de toute taxe de pâturage. [27 mars 1923, rapport final de l’inspecteur en chef Ditchburn à l’intention de D.C. Scott, surintendant général adjoint des Affaires indiennes sur les résultats de ses négociations avec le major Clark; RCDM, vol 4, onglet nº 416; ECFM, au para 89]

[136]  Les statistiques présentées par Ditchburn étaient fondées sur la superficie nécessaire pour faire paître des chevaux et du bétail, multipliée par le nombre d’animaux dont les membres de la bande faisaient alors l’élevage. Selon lui, ses calculs justifiaient l’octroi des 2 960 acres de terres additionnelles, comme le montre une lettre qu’il a envoyée au ministre des Terres de la Colombie-Britannique le 16 mars 1923 (RCDM, vol 4, onglet nº 415).

[137]  Ditchburn s’était déjà exprimé au sujet de la possibilité d’établir un pâturage communal pour les deux bandes. Dans sa lettre du 11 mars 1923 adressée à Scott, il écrivait (RCDM, vol 4, onglet nº 413) : [traduction] « À la fin de son rapport sur l’agence de Kootenay, le major Clar[k] a ajouté une recommandation — qu’un pâturage communal (et non une réserve indienne) soit aménagé pour l’usage des Indiens de Shuswap et du lac Colombia — mais j’ai dit que, comme cet arrangement ne garantissait le mode d’occupation de la terre, je ne pouvais pas y consentir. »

[138]  Cet argument est valide. Le pâturage communal resterait une terre provinciale soumise aux caprices d’un gouvernement provincial qui se donnait beaucoup de mal pour ne pas perdre ses titres fonciers dans le processus de création de réserves. De plus, le pâturage « communal » aurait servi à deux bandes, celle du peuple Kootenay et celle du peuple Shuswap.

[139]  Dans la lettre qu’il a fait parvenir à Scott après avoir reçu les rapports contradictoires, Pattullo a écrit à propos de ces rapports qu’ils [traduction] « allaient généralement dans le même sens et confirmaient en grande partie le rapport de la Commission royale, à l’exception de quelques modifications, ajouts et réductions aux réserves, de réserves amputées et de nouvelles réserves » (RCDM, vol 4, onglet nº 417).

[140]  Pattullo a ensuite décrit la zone à l’origine du désaccord concernant les terres de Kootenay. Il a ajouté : [traduction] « Le commissaire provincial aux pâturages a étudié la question et une copie de son mémoire est jointe à la présente lettre. Sa recommandation, si elle est adoptée, devrait régler la question dans la mesure où la bande de Lower Columbia Lake et la tribu de Shushwap sont concernées ».  

[141]  Pattullo a proposé un accord fondé sur le rapport de Clark qui proposait d’ajouter un pâturage communal. Scott a d’abord demandé à la province de revenir sur sa décision de s’opposer aux ajouts proposés pour les réserves de Kootenay. Cependant, dans sa réponse du 9 avril 1923, Scott a laissé tomber les objections formulées par Ditchburn et a essentiellement souscrit à la proposition de Pattullo. Voici ce qu’il a écrit (RCDM, vol 4, onglet nº 419) : [traduction] « Ainsi, il semble que rien n’empêche les gouvernements d’invoquer les pouvoirs que leur confère la loi et d’approuver le répertoire révisé tenant compte des confirmations, des réductions et des nouvelles réserves proposées. » Un décret fédéral est venu entériner l’accord auquel semblent être parvenus Pattullo et Scott. Les décrets des deux ordres de gouvernement reprenaient essentiellement les mêmes termes. Cependant, le document fédéral précisait que le Dominion devait conserver le contrôle des réserves établies sur les terres qui lui avaient été transférées pendant la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique (RCDM, vol 4, onglets nº 422–423).

[142]  Malgré les promesses qu’il avait faites, le Canada n’a pas cherché à obtenir des Autochtones leur consentement à l’accord conclu avec la province, et rien n’indique non plus qu’il ait informé les bandes de Kootenay de son intention de revenir sur sa position concernant les terres dont l’ajout aux réserves de Kootenay était recommandé (Harris, à la p 260). Il est évident que le prétendu règlement n’a procuré aucun avantage important aux bandes de Kootenay et que les mesures prises par le Canada semblent avoir été motivées par le désir de mettre fin à cette affaire, ce qui explique pourquoi il a renoncé aux terres additionnelles.

[143]  Le transfert des réserves ne s’est pas concrétisé et l’affaire est restée en suspens jusqu’en 1938. Le 7 juin 1927, Ditchburn a de nouveau soulevé la question du pâturage communal auprès du commissaire aux pâturages. Ce dernier a alors promis de se pencher sur la question. Ditchburn lui a réécrit le 30 juin 1927 :

[traduction] À ce sujet, je me permets de dire qu’au moment de l’entente faisant suite au rapport de la Commission royale des Affaires indiennes, votre sous‑ministre et vous-même avez convenu de mettre de côté un grand pâturage pour l’usage des Indiens, plutôt que la réserve recommandée par la Commission royale, et j’espère que vous ne l’oublierez pas, car il importe de rassurer les Indiens qu’ils auront suffisamment d’espace pour faire paître leurs animaux. [RCDM, vol  4, onglet nº 433]

[144]  Rien n’a été fait, et la bande n’a finalement rien retiré du processus de la Commission McKenna‑McBride.

A.  Retour sur la Commission McKenna-McBride

[145]  Le point de vue des Autochtones sur les questions liées aux terres a été présenté par l’Alliance des tribus, un organisme qui a grandement à cœur la reconnaissance du titre ancestral L’Alliance estimait qu’il était inutile d’ajuster les limites de la réserve en ce que cet exercice n’intégrait pas la question de la reconnaissance du titre ancestral et risquait vraisemblablement de nuire aux efforts qu’elle déployait en ce sens (Harris, aux pp 255, 257).

[146]  Dans le cadre de leur examen, Ditchburn et Clark devaient bénéficier de l’aide de James Teit, un anthropologue qui connaissait bien le point de vue des Premières Nations sur la création des réserves. Cependant, M. Teit est décédé peu après qu’ils eurent commencé l’examen. Il devait évaluer les besoins des Premières Nations de l’intérieur. Pour autant qu’il ait pu participer, il était d’avis qu’elles avaient toutes besoin de plus grands pâturages (Harris, à la p 252).

[147]  Le gouvernement fédéral savait que la province ne participerait pas aux négociations si elles portaient sur le titre ancestral; il a donc évité la question. Le Canada était d’avis que la Commission devait se limiter à examiner les attributions de réserves faites conformément à l’article 13 des Conditions de l’adhésion et à l’entente fédérale-provinciale qui a orienté le processus de la CMRI, et plus tard de la CRI (après la nomination d’un seul commissaire, la Commission a été appelée la CRI). Parmi les questions particulières qui ont retenu l’attention du Canada, mentionnons la restitution à la province des terres qu’elle souhaitait retrancher des réserves existantes et l’attribution de terres de réserve additionnelles convoitées par les bandes dans de nombreuses régions de la province. Le Canada a participé à ces négociations, mais a également promis à l’Alliance des tribus qu’il n’accepterait pas les réductions ou les retranchements proposés par la Commission sans le consentement des représentants des groupes autochtones (Harris, aux pp 229, 246).

[148]  Au final, la province a réussi dans une large mesure à obtenir les retranchements aux réserves initiales qu’elle souhaitait. Voici une comparaison entre la superficie et la valeur des terres retranchées et celles des terres dont la Commission avait recommandé l’ajout :

[traduction] Les terres ajoutées et les nouvelles réserves ont une superficie de 87 561 acres, pour une valeur de 458 000 $. Les terres retranchées des réserves existantes totalisent 46 452 acres, pour une valeur de 1 979 000 $. [Lettre de Scott à l’intention du sénateur Bostock, RCDM, vol 4, onglet nº 395]

[149]  Une autre question soulevée par la province concernait les terres retranchées des réserves situées dans les limites de la ceinture ferroviaire; ces terres avaient déjà été cédées au Dominion selon les Conditions de l’adhésion en vue de la construction d’une voie ferrée reliant la province au reste du Dominion.

[150]  Les recommandations de la Commission McKenna‑McBride font état de concessions importantes obtenues par la province, qui est néanmoins restée réticente à l’idée de conclure un règlement fondé sur le rapport. Des erreurs de calcul et d’autres types d’erreurs auraient été commises. Si le Canada a approuvé le règlement d’un différend de très longue date aux conditions recommandées, il a de nouveau accepté, en 1920, après plusieurs années d’hésitation de la part de la province, que les recommandations de la Commission McKenna-McBride soient examinées. Ditchburn et Clark ont donc procédé à cet examen, cherchant encore une fois à trouver une façon de régler leur différend. Ditchburn, un représentant du ministère fédéral des Affaires indiennes, était déterminé à perdre le moins de terres possible lors de l’examen et estimait qu’il y était parvenu dans une large mesure, sauf en ce qui concerne les réserves de Kootenay, qui sont devenues l’ultime impasse. Comme je l’ai expliqué, ces terres ont été abandonnées afin de mettre un terme apparent au désaccord qui opposait les deux ordres de gouvernement.

B.  Arguments des parties sur les terres additionnelles

1.  Arguments de la revendicatrice

[151]  La revendicatrice soutient entre autres que, s’agissant des terres additionnelles, l’intimée avait l’obligation, en tant que fiduciaire, de divulguer les renseignements pertinents, d’informer et de consulter la Première Nation et de prendre toutes les mesures possibles pour défendre ses intérêts, et ce, en faisant preuve de prudence ordinaire, comme elle l’aurait fait dans l’administration de ses propres affaires (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, aux paras 183–192, 214, citant ces décisions du Tribunal : Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 6, aux paras 99–100; Bande indienne de Siska c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 2, au para 208; Bande indienne de Tobacco Plains c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2017 TRPC 4, au para 195; et cet arrêt de la Cour suprême du Canada : Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 153 DLR (4th) 193).

[152]  La revendicatrice soutient que les terres additionnelles sont devenues partie intégrante d’une réserve provisoire en mars 1915, après que la Commission McKenna-McBride eut recommandé leur attribution (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 225).

[153]  La revendicatrice fait valoir que, même si l’intimée tentait de régler une fois pour toutes la [traduction] « question des terres indiennes » dans l’intérêt de toutes les « bandes » qui s’étaient vu attribuer des réserves, cette tentative ne pouvait pas avoir préséance sur l’obligation de fiduciaire que l’intimée avait envers la revendicatrice (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 205).

[154]  Enfin, la revendicatrice affirme que le fait de ne pas avoir réussi à régler la question des terres additionnelles aurait dû inciter le Canada à recourir au processus de renvoi fondé sur l’article 13, qui vise à régler tout « désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre ». Conformément à l’article 13, il fallait donc renvoyer la question au secrétaire d’État britannique pour les colonies (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, aux paras 226–229).

2.  Arguments de l’intimée

[155]  Le Canada n’est pas d’accord avec la Première Nation qui prétend que les terres additionnelles constituaient une réserve provisoire. Il déclare que la Commission McKenna‑McBride avait uniquement le pouvoir de faire des recommandations, sous réserve de l’approbation des deux ordres de gouvernement. L’ajout à la réserve des terres additionnelles n’a jamais été officiellement accepté; par conséquent, elles n’ont jamais fait partie de la réserve au sens de la Loi sur les Indiens ni constitué une réserve provisoire (mémoire des faits et du droit de l’intimée, aux paras 91–92, citant Wewaykum, aux paras 50–51).

[156]  L’intimée soutient qu’elle s’est activement efforcée de faire ajouter 2 960 acres à la réserve et que, de par les mesures qu’elle a prises, elle s’est acquittée de l’obligation de fiduciaire qu’elle avait envers la revendicatrice d’agir au mieux de ses intérêts en ce qui concerne les terres additionnelles (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 112).

[157]  Le Canada affirme qu’il était également tenu, de manière générale, de s’entendre avec la Colombie-Britannique sur la délimitation définitive des réserves de toutes les Premières Nations de la province. Il fait valoir qu’il lui incombait, en tant que fiduciaire, d’agir avec équité envers les divers bénéficiaires de cette obligation ou les Premières Nations (mémoire des faits et du droit de l’intimée, aux paras 119–120, citant Wewaykum, au para 97 et Williams Lake CSC, au para 55)., Il ajoute qu’il était préoccupé par le fait qu’il devait parvenir sans délai à une entente avec la Colombie-Britannique afin d’éviter de perdre une superficie importante des terres attribuées à d’autres Premières Nations de la Colombie-Britannique selon les recommandations du rapport de la Commission McKenna‑McBride, telles que modifiées par Ditchburn et Clark (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 123).

[158]  Enfin, l’intimée soutient que sa décision de ne pas renvoyer le différend au secrétaire d’État pour les colonies était raisonnable puisqu’il était peu probable que les Premières Nations de la Colombie-Britannique aient gain de cause (mémoire des faits et du droit de l’intimée, aux paras 13, 167). De plus, la relation qu’entretenaient à l’époque le Canada et l’autorité coloniale ne laissait croire à aucun moyen raisonnable de régler le différend (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 168).

X.  ANALYSE : RECOURS au renvoi prévu À L’ARTICLE 13 DES CONDITIONS DE L’ADHÉSION COMME MOYEN DE RÉGLER UN DIFFÉREND

[159]  Ni l’un ni l’autre des ordres de gouvernement n’a invoqué la disposition relative au règlement des différends que l’on retrouve à l’article 13 des Conditions de l’adhésion. D’autres mécanismes de règlement ont été établis dans le cadre du processus de la CMRI, devenue plus tard la CMI. Au départ, c’est un renvoi au lieutenant-gouverneur qui était prévu, puis plus tard, un renvoi à un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Tout comme le renvoi au secrétaire d’État prévu à l’article 13, ces deux mécanismes de règlement n’ont jamais été utilisés.

[160]  Comme l’a déclaré Mme Kennedy lors de son témoignage, la relation des gouvernements fédéral et provinciaux avec le gouvernement de la Grande-Bretagne a considérablement évolué tout au long des événements qui se sont produits entre 1871 et 1938. Le Canada et ses provinces se libéraient des influences coloniales alors que la Grande-Bretagne se désistait de son rôle impérial. Selon Mme Kennedy, le bureau du secrétaire d’État pour les colonies ne s’est jamais montré très intéressé à s’occuper des différends coloniaux. Comme on pouvait s’y attendre, le secrétaire renvoyait ces différends aux parties en conflit pour qu’elles tentent à nouveau de les résoudre.

Mme Kennedy a fait remarquer :

[traduction] Les Britanniques n’étaient pas prêts à reconnaître qu’ils entretenaient toujours [une] relation avec les peuples autochtones […] et surtout, ils ne voulaient pas se mêler aux désaccords entre le Canada et la Colombie‑Britannique concernant le règlement de la question des terres indiennes. Par conséquent, les deux ordres de gouvernement n’ont renvoyé aucun désaccord sur la quantité de terres à attribuer à l’usage et au profit des peuples autochtones au secrétaire d’État pour les colonies et toute tentative des Autochtones en ce sens se heurtait à un refus de la Grande-Bretagne. [rapport de Kennedy, à la p 74]

[161]  Néanmoins, le rôle du secrétaire d’État était défini dans les Conditions de l’adhésion. Mme Kennedy a donné les réponses suivantes aux questions posées par le Tribunal quant à la possibilité que le secrétaire offre une solution si, au final, une question — portant sur tous les différends — était posée conjointement par les deux gouvernements concernés : 

[traduction]

Tribunal :  [...] Mme Kennedy, je regarde l’article 13.

Témoin :  Hum.

Tribunal :  Et, je pense avoir compris, d’après ce que vous avez dit aujourd’hui, que pour qu’un différend soit porté à l’attention du secrétaire, il doit d’abord avoir été présenté par l’un des gouvernements, peut‑être les deux, et je me demandais si vous n’êtes pas en train d’insinuer qu’il doit l’être par les deux pour que le Secrétariat puisse vraiment s’en saisir?

Témoin :  Oui, je pense qu’il faudrait qu’il y ait un accord entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral pour le soumettre au Secrétaire.

Tribunal :  Donc, c’est ce qui est écrit dans la dernière partie de la dernière phrase de l’article 13 : « et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les colonies ». Vous croyez alors que […] pour qu’il y ait une chance que le secrétaire intervienne, […] il faudrait que le différend lui soit soumis par les deux gouvernements, avec une description très claire, je suppose.

Témoin :  Oui.

Tribunal :  Et, bien sûr, chacun d’entre eux pourrait alors avancer ses arguments par rapport à ce qu’il avait proposé.

Témoin :  Oui.

Tribunal :  Et, si le différend était ainsi décrit, et qu’il venait qu’à être porté à l’attention de, disons, Carnarvon, [qui] […] assumait une grande partie des responsabilités du Secrétaire pendant les périodes pertinentes, je suppose que la chance qu’il intervienne aurait été meilleure et qu’il aurait peut-être alors agi avec plus de fermeté.

Témoin :  Je crois que si le différend avait été présenté par les deux gouvernements, le Secrétaire y aurait répondu d’une quelconque façon, mais la Grande‑Bretagne a toujours dit qu’elle ne voulait pas s’en mêler.

Tribunal :  Je comprends cela, mais à la lumière du libellé de l’article, si les deux gouvernements faisaient front commun, il me semble que leur demande aurait probablement eu plus de poids.

Témoin :  Oui.

Tribunal :  D’après vos recherches, y a-t-il déjà eu une discussion qui aurait amené les deux gouvernements à faire front commun et à renvoyer la question au secrétaire d’État? Selon ce que j’ai entendu, il y a certainement eu une discussion du point de vue du gouvernement fédéral, en ce qui concerne cette partie de l’article. Le gouvernement provincial s’est-il joint à cette discussion à un moment ou à un autre? 

Témoin :  Au départ, au milieu des années 1870, la province était plus disposée à collaborer avec la Grande‑Bretagne, mais elle avait une si mauvaise réputation auprès de la Grande‑Bretagne qu’il lui aurait été difficile de présenter une telle demande sans le soutien du Canada.

Tribunal :  Mais si elle avait eu le soutien du Canada, cette affaire aurait peut‑être été l’une de celles qui présentaient de meilleures chances?

Témoin :  Si elle avait bénéficié du soutien du Canada. Cependant, la Colombie‑Britannique voulait séparer la question du titre de celle de la création de réserve et il restait la question de l’intérêt réversif sur les terres. Ils avaient donc peu de points en commun pour pouvoir aller de l’avant.

Tribunal :  Hum. L’article 13 ne semble pas avoir grand-chose à voir avec la question du titre; il semble se limiter à la mise de côté des terres nécessaires. 

Témoin :  Oui.

Tribunal :  Pour accueillir les peuples des diverses Premières Nations.

Témoin :  Exclusivement.

Tribunal :  […] Donc, si je comprends bien, toute objection à la question du titre ancestral serait venue de la province puisqu’elle essayait de faire obstacle à ce genre de choses?

Témoin :  Oui, la province n’a jamais reconnu le titre ancestral.

Tribunal :  Non.

Tribunal :  [A]près, disons, les années 1870, qui bien sûr coïncident presque avec l’article 13, lequel date de 1871, la province ne semble pas avoir été très disposée à s’adresser au secrétaire d’État pour trouver une solution. Est‑ce exact?

Témoin :  Je dirais qu’elle était très peu disposée. [Enregistrement audio de l’audience, observations orales, le 29 janvier 2019, à environ 16 h 10 et 16 h 16.]

[162]  Il ressort de ce qui précède que, si la question des réserves de Kootenay avait été renvoyée par les deux gouvernements au secrétaire d’État pour les colonies en vertu de l’article 13 des Conditions de l’adhésion, ce dernier aurait pu mettre fin à un conflit vieux de plusieurs dizaines d’années. Il toutefois reconnaître que, pour que le règlement soit favorable à la bande, il aurait fallu que la province fasse preuve d’une certaine volonté, chose qu’elle ne semblait pas disposer à faire, et que les arguments avancés par le Canada à l’appui des revendications de la bande de Kootenay, plus précisément la demande de terres à ajouter à la RI 3, soient retenus.

[163]  Le Canada a examiné la possibilité de renvoyer la question au secrétaire d’État pour les colonies pendant une bonne partie de la Commission McKenna‑McBride et de l’examen de Ditchburn et Clark. En avril 1915, le sous-ministre de la Justice, E. L. Newcombe, a fourni au surintendant général adjoint des Affaires Indiennes, Duncan Campbell Scott, un avis selon lequel la Commission McKenna‑McBride avait probablement remplacé le processus fondé sur l’article 13 des Conditions de l’adhésion, qui prévoyait un renvoi au secrétaire d’État pour les colonies (E. L. Newcombe à Duncan C. Scott, 26 avril 1915. BAC, RG 7, série G 21, vol 321, dossier 2001, partie (b) 1909–1914, cité dans le rapport de Kennedy, à la p 71).

[164]  Selon Mme Kennedy, après l’envoi de cet avis, [traduction] « [l]es chances que le Dominion consente à ce que la question soit renvoyée au secrétaire d’État pour les colonies en vertu de l’article 13 ont considérablement diminué » (rapport de Kennedy, à la p 71). Or, l’avis reposait sur la présomption que le processus de la Commission McKenna‑McBride se traduirait par un règlement final, ce qui ne fut pas le cas avec les terres additionnelles. L’attribution de ces terres a donc continué de constituer un « désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre », pour reprendre les termes de l’article 13 des Conditions de l’adhésion.

[165]  Aucun document ne mentionne expressément que les gouvernements ont rejeté le processus de renvoi. Qui plus est, Scott a lui-même reconnu que le renvoi prévu à l’article 13 des Conditions de l’adhésion était un mécanisme viable dans la lettre qu’il a adressée le 7 février 1917 au sénateur Hewitt Bostock, président du Sénat et sénateur de la Colombie-Britannique, habitant à Kamloops, dont voici un extrait :

[traduction] À mon avis, il est à souhaiter que la province et le Dominion parviennent à une décision raisonnablement rapide et harmonieuse sur le rapport de la Commission; autrement, la question devrait être renvoyée au secrétaire d’État pour les colonies en vertu de l’article 13 des Conditions de l’adhésion. [RCDM, vol 4, onglet nº 395; ECFM, au para 77]

[166]  Cependant, il semble évident que Scott a finalement décidé de ne pas recourir à l’article 13 des Conditions de l’adhésion et d’accepter l’approche proposée par Pattullo, y compris le projet discutable de pâturage communal. Il semble aussi évident que Scott croyait que le fait de renoncer aux terres de réserve additionnelles dans les Kootenays allait vraisemblablement mettre un terme à l’ensemble du processus de création des réserves, et que la perspective d’un règlement du différend a sans doute été déterminante. Toutefois, ce n’est pas ce qui s’est passé, ou du moins pas dans les quinze années qui ont suivi. Si Scott n’avait pas tenté de régler l’affaire en renonçant aux terres additionnelles à Kootenay – la ligne de conduite qu’il avait initialement proposée – il aurait alors fallu envisager de [traduction] « renvoy[er] [l’affaire] au secrétaire d’État pour les colonies en vertu de l’article 13 des Conditions de l’adhésion » (RCDM, vol 4, onglet nº 395). Cette solution comportait tout de même le risque que l’affaire ne soit pas résolue, ou qu’elle ne le soit pas à l’avantage de la bande.

[167]  Il reste que cette occasion de renvoyer la question au secrétaire d’État pour les colonies a été perdue à cause de la façon dont le Canada a géré l’affaire.

XI.  RELATION DE FIDUCIAIRE ENTRE CANADA ET LA BANDE

[168]  Dans l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême du Canada a analysé le rôle de fiduciaire qu’avait le Canada à l’égard des peuples autochtones de la province pendant le processus d’établissement de réserves. Avant leur transfert au Dominion en 1938, les terres qui servaient de réserve et qui étaient administrées par le Canada comme une réserve établie conformément à la Loi sur les Indiens constituaient une réserve qualifiée de provisoire dans l’arrêt Wewaykum. Le juge Binnie a examiné l’obligation qu’avait le Canada dans ce contexte, au paragraphe 89 :

Dans la présente affaire, le processus de création de réserves s’est étalé de 1878 environ à 1928, soit sur une période de 50 ans. À partir de 1907 au moins, le ministère a considéré que les réserves existaient, ce qui était effectivement le cas, eu égard au fait qu’elles étaient concrètement occupées. On ne peut raisonnablement affirmer que, durant cette période, la Couronne n’avait aucune obligation de fiduciaire envers les bandes concernées qui, en plus d’occuper les réserves provisoires, étaient entièrement tributaires de la Couronne pour que le processus de création des réserves aboutisse.

[169]  Toujours dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a souligné que l’obligation de fiduciaire n’était pas totale et qu’elle existait seulement à l’égard de « droits particuliers des Indiens » (au para 81). Il a expliqué l’approche générale permettant de conclure à l’existence d’une obligation de fiduciaire sui generis, aux paragraphes 83 et 85 :

Par conséquent, il est nécessaire de s’attacher à l’obligation ou droit particulier qui est l’objet du différend et de se demander si la Couronne exerçait ou non à cet égard un pouvoir discrétionnaire suffisant pour faire naître une obligation de fiduciaire.

[...]

[…] [de rapports fiduciaires]. Toutefois, pour que naissent de tels rapports, il faut qu’il existe un droit indien identifiable et que la Couronne exerce, à l’égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité « de la nature d’une obligation de droit privé », comme nous le verrons plus loin. [Je souligne.] 

A.  Analyse : l’obligation de fiduciaire du Canada à l’égard des terres additionnelles

[170]  Les parties conviennent que l’analyse du droit applicable en ce qui concerne la relation fiduciaire du Canada dans le cadre de la création de réserves commence par l’examen de l’arrêt Wewaykum.

[171]  Lorsque l’agent Galbraith a proposé d’ajouter des terres à la réserve afin de répondre au besoin en terres supplémentaires à l’est des limites établies par Skinner, il a prolongé la ligne tracée par Skinner entre les stations 5 et 6 sur une distance de 160 chaînes à l’est, jusqu’à un point situé près du sommet du Mont Tegart, qui se trouve à l’est de cette partie de la réserve. La limite orientale qu’il a fixée s’étendait alors sur 380 chaînes au sud, avant de se diriger sur 40 chaînes vers l’ouest pour rejoindre le tronçon sud de la limite orientale existante. Ce tracé permettait d’éviter le resserrement central des limites de la réserve et de donner à celle‑ci une forme générale presque triangulaire. Il ajoutait 2 960 acres de terres, dont la majeure partie aurait été utile puisqu’elle comprenait des zones de pâturage. Les terres additionnelles auraient autrement peu servi à ceux qui avaient l’intention de s’installer dans la vallée.

[172]  Les terres additionnelles, toutefois, encerclaient les parcelles attribuées par la Couronne, ce qui pendant l'examen de Ditchburn et Clark, est devenu un obstacle à leur inclusion que recommandait la Commission. Ce n’était pas que ces parcelles étaient inaccessibles. La route menant de Cranbrook à Golden Waggon et, plus tard, la route provinciale, permettaient au public de se rendre dans cette région depuis l’extérieur de la réserve, mais la province a néanmoins considéré l’enclavement des parcelles comme un facteur militant contre l’ajout de ces terres à l’est de la réserve.

[173]  Les recommandations de la Commission McKenna‑McBride n’auraient pas pu être approuvées unilatéralement par le Canada. L’accord établissant la Commission exigeait qu’elles soient ratifiées par la province, ce qu’elle n’a pas fait, et son retard à agir a mené à l’examen de Ditchburn et Clark. Pendant toute cette période, la bande comptait sur l’engagement du Canada, mais à ce stade, celui‑ci devait composer avec le fait que la province semblait consentir à un règlement qu’il jugeait acceptable, si ce n’est de la non‑inclusion des terres additionnelles à l’intention des bandes de Kootenay. Il semble que la possibilité de mettre un terme au processus d’attribution des réserves mis en place cinq décennies plus tôt ait pesé dans la balance. Au final, le Canada a renoncé aux ajouts de Kootenay et a accepté les conditions de Pattullo, mais là encore, il a été difficile de parvenir à un règlement et les terres n’ont été transférées qu’en 1938.

[174]  Les parties conviennent que la bande avait un intérêt identifiable dans les terres additionnelles eu égard aux nombreuses utilisations qu’elle en faisait avant et à l’époque de la création de la réserve. Les obligations du Canada en tant que fiduciaire découlent du rôle qu’il a assumé en agissant au nom de la bande pendant le processus de création de la réserve. Il est notamment tenu à des obligations de « loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et [au] devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation » (Wewaykum, au para 94). Le Canada fait valoir qu’il avait des obligations contradictoires envers les nombreuses autres bandes qu’il représentait dans le cadre de ce processus et qu’il devait opter pour la meilleure solution possible pour satisfaire aux obligations qu’il avait à l’égard de chacune d’elles.

[175]  Toutefois, ce ne sont pas toutes les bandes qui étaient d’accord pour s’engager dans le processus de la Commission McKenna‑McBride. L’Alliance des tribus s’opposait à la portée limitée de la Commission et à l’idée de retrancher des terres aux réserves. Le Canada lui avait garanti que les recommandations de la Commission seraient soumises à l’approbation des Premières Nations, mais ces dernières n’ont reçu le rapport final qu’en 1919, trois ans après que la Commission l’eut terminé (Harris, aux pp 229, 246, 251).

[176]  Le Canada a tenté de parvenir à un accord avec l’Alliance des tribus et d’autres représentants autochtones après que Ditchburn et Clark eurent terminé leur examen, mais encore une fois il n’a trouvé aucun appui du côté des Autochtones. Scott a essayé de convaincre Pattullo de revenir sur sa décision, mais il a finalement agi sans le soutien des Premières Nations et a conclu l’accord avec Pattullo (RCDM, vol 4, onglet nº 419).

[177]  Le Canada affirme qu’il a tenté d’agir pour le plus grand bien de tous ou, comme le dit l’intimée [traduction] « il faut prendre en considération les “droits contradictoires” quand vient le temps de soupeser le droit de la revendicatrice dans les terres additionnelles par rapport aux droits de toutes les autres Premières Nations de la Colombie-Britannique qui attendent que soit résolue la question de la création des réserves qui les préoccupe depuis longtemps » (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 122). Bien qu’elle n’ait bénéficié d’aucun soutien, l’intimée fait valoir qu’il était justifié de renoncer aux terres additionnelles pour atteindre cet objectif.

[178]  En soi, les changements recommandés dans le rapport McKenna‑McBride n’avantageaient pas les Premières Nations de manière disproportionnée. La superficie des terres qui devaient être ajoutées comme terres de réserve était de beaucoup supérieure à celle des terres dont le retranchement était recommandé, mais en comparaison, la valeur de ces terres additionnelles était moindre. Elles ne valaient que le quart des terres à retrancher. En dernière analyse, l’examen de Ditchburn et Clark a donné lieu non seulement à l’annulation de cinq des retranchements recommandés par la Commission McKenna‑McBride (Harris, à la p 253), mais aussi à la perte des terres qui devaient être ajoutées à 20 réserves, dont 6 000 acres devaient servir de pâturage pour les réserves de Kootenay (Harris, à la p 253), ce qui comprenait les 2 960 acres destinées à la RI 3 de Columbia Lake (ECFM, au para 101). Je ne vois pas dans ce résultat un avantage évident à préserver.

[179]  Pour le Canada, l’intérêt de ces processus résidait dans le règlement qu’ils devaient censément permettre d’atteindre. Dans l’ensemble, les ajouts et les retranchements n’ont peut-être pas aidé les Premières Nations, mais la confirmation des réserves établies avant la Commission McKenna‑McBride et l’ardeur moindre avec laquelle la province revendiquait des droits réversifs ont été considérées comme des réalisations.

[180]  En 1923–1924, les deux gouvernements ont adopté par décret le rapport Ditchburn-Clark révisé, considérant qu’il constituait [traduction] « un règlement complet et final de tous les différends opposant les gouvernements du Dominion et de la province à cet égard, conformément à [l’entente McKenna‑McBride] du 24 septembre 1912 et à l’article 13 des Conditions de l’adhésion » (décret C.P. 1265; RCDM, vol 4, onglet nº 422). La Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie-Britannique, LC 1920, c 51, conférait expressément le pouvoir d’adopter le rapport de la Commission sans qu’il soit nécessaire de se conformer aux dispositions relatives au consentement et à la cession prévues à l’alinéa2a) de l’entente McKenna‑McBride, et annulait ainsi tout engagement légal antérieur qu’il y aurait divulgation et consultation et, ultimement, l’exigence quant au consentement des bandes à la réduction des réserves.

[181]  Les décrets prévoyaient en outre que, pourvu que les levés d’arpentage pertinents soient déposés par le Canada et approuvés par la province, les terres de réserve devaient être transférées de la province au Dominion. Là encore, cela s’est révélé difficile à réaliser.

[182]  Les décrets passaient tous deux sous silence les questions soulevées par l’imposition du Traité nº 8 à propos des terres situées à l’extrémité nord-est de la province qui devaient être réglées ultérieurement. Cependant, bien qu’il ait accepté les recommandations concernant les terres de la ceinture ferroviaire qui étaient déjà au nom de la Couronne fédérale, le Canada a décidé de ne pas faire les retranchements recommandés.

[183]  Plus tard en 1924, Pattullo a de nouveau uni sa voix à celle du Canada et a revendiqué des droits réversifs sur ces terres formant le chemin de fer. Des revendications relatives aux terres visées par le Traité nº 8 et aux terres de la ceinture ferroviaire ont continué de faire l’objet de différends et de règlements partiels, alors que la province revendiquait toujours des droits réversifs sur les terres utilisées à des fins ferroviaires, ainsi que les minéraux et le bois qui s’y trouvaient, jusqu’à ce que, en 1938, elle cède finalement 1 221 réserves de la Colombie‑Britannique au Dominion (Harris, aux pp 260–261).

[184]  Au paragraphe 97 de l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a déclaré que « l’intervention de la Couronne pour leur compte [les bandes appelantes], en tant qu’intermédiaire exclusif auprès de tiers (y compris la province), ont imposé à la Couronne l’obligation de fiduciaire de faire montre de loyauté et de bonne foi, de communiquer l’information de façon complète, eu égard aux circonstances, et d’agir avec la diligence “ordinaire” requise dans ce qu’elle considérait raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation ». Plus loin dans le même paragraphe, il a ajouté qu’« il incombait à la Couronne, en tant que fiduciaire, d’agir avec équité envers les divers bénéficiaires de l’obligation ». Ces principes ont été repris plus récemment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Williams Lake CSC, au paragraphe 55. Dès le départ, la Commission McKenna‑McBride avait pour objectif de régler la question des terres de réserve, et le Dominion avait promis que tout règlement serait conditionnel au consentement des Autochtones. Ce qui a suivi laisse voir qu’il n’a fait preuve d’aucune loyauté ni de bonne foi et qu’il n’a pas communiqué l’information de façon complète. Les terres additionnelles ne constituaient pas un retranchement et, si la décision d’y renoncer n’a pas déclenché l’application de l’alinéa 2a) de l’entente McKenna‑McBride, elle a cependant donné naissance à l’obligation de fiduciaire de la Couronne envers la bande. L’examen de Ditchburn et Clark s’est déroulé sans la participation des bandes, et la proposition de Pattullo — qui consistait à renoncer aux terres additionnelles qui avaient été recommandées pour les bandes de Kootenay — a été acceptée sans qu’elles ne soient informées ou consultées. De plus, la promesse d’un pâturage communal s’est éteinte sans autre explication qu’une lettre dans laquelle Ditchburn demandait à Mackenzie de ne pas oublier son obligation.

[185]  De par la façon dont il a géré l’examen des réserves fait par MM. McKenna et McBride ainsi que par MM. Ditchburn et Clark, le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait : « loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation » (Wewaykum, au para 94). Ce manquement est encore plus flagrant dans le cas des bandes de Kootenay à qui la décision du Canada de ne pas insister sur l’inclusion des terres additionnelles recommandées a fait subir la perte la plus importante.

[186]  Cette décision était-elle justifiée compte tenu des autres obligations qu’avait le Canada envers les nombreuses bandes qu’il représentait? Le Canada avait l’obligation d’être impartial, d’être loyal et de divulguer les renseignements pertinents. Alors, même s’il agissait pour de nombreuses bandes, rien ne l’empêchait d’adopter une approche impartiale, de divulguer la situation et de consulter les personnes dont les intérêts étaient en jeu. Au paragraphe 104 de l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême du Canada a fait remarquer ce qui suit: « Avec égards pour l’opinion contraire, l’obligation de fiduciaire ne se limite pas en l’espèce au rôle d’arbitre désintéressé. La Couronne ne pouvait pas se dérober à son obligation de fiduciaire simplement en invoquant l’existence d’intérêts opposés ». À mon avis, dans la mesure où aucun consensus ne pouvait être atteint, l’obligation qu’avait le Canada envers les bandes de Kootenay — agir de façon loyale dans leurs intérêts – aurait pu jouer de façon à empêcher Scott d’accepter les conditions de Pattullo. À tout le moins, le Canada aurait dû insister sur l’attribution du pâturage communal ou, s’il ne pouvait l’obtenir, renoncer à la possibilité de régler la situation aux conditions proposées par la province qui ne permettaient pas d’atténuer les conséquences de cette impossibilité.

[187]  Dans la décision Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 6, le Tribunal a reconnu qu’en tant que fiduciaire, le Canada avait l’obligation de consulter les bandes dont l’intérêt identifiable dans des terres risquait être touché par ses mesures. Au paragraphe 61, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

Compte tenu des lois de l’époque et du caractère incomplet du processus de création de réserves, le Canada devait faire tout en son pouvoir pour informer et consulter la bande, ainsi que pour prendre toutes les mesures possibles pour promouvoir les intérêts de celle-ci en faisant preuve de la prudence ordinaire comme s’il gérait ses propres affaires […]

[188]  Y avait-il d’autres options? Dans la lettre qu’il a envoyée au sénateur Bostock, le surintendant Scott présentait le renvoi fondé sur l’article 13 des Conditions de l’adhésion comme une démarche viable pour résoudre la question. Mme Robertson doute que la Grande‑Bretagne aurait accepté le renvoi, sauf s’il avait été présenté par les deux ordres de gouvernement à la dernière étape du processus de création de la réserve. Il aurait alors fallu que la province fasse preuve de bonne foi, chose rare à n'en pas douter, mais si elle avait accepté de renvoyer conjointement la question, cette forme de règlement aurait pu être proposée à la bande, qui l’aurait probablement approuvée puisqu’elle risquait de perdre toutes les terres additionnelles.

[189]  On peut dire que les mesures prises par le Canada tout au long de ces processus, soit la Commission McKenna-McBride et l’examen de Ditchburn et Clark, visaient surtout à mener à terme le processus de création de réserves, mais il a omis de divulguer les enjeux et les options possibles et n’a pas tenté de consulter la bande. La loyauté du Canada envers la revendicatrice était un facteur négligeable.

[190]  Le fait d’avoir renoncé au pâturage communal semble en être un autre exemple. Bien que la bande ait abandonné sa revendication relative au projet de pâturage communal, car elle ne relevait pas de la compétence du Tribunal, les négociations entre le Canada et la province au sujet du pâturage communal ont continué à faire partie du récit que le Tribunal a entendu et montrent que le Canada n’a pas divulgué les renseignements pertinents, consulté la bande ou pris les mesures nécessaires pour protéger les intérêts de cette dernière (déclaration de revendication réamendée (troisième amendement); mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 249).

B.  Conclusion

[191]  J’estime que les agissements du Canada en ce qui concerne les terres additionnelles, à savoir qu’il n’a pas divulgué les renseignements pertinents ni consulté la bande au sujet de l’état des négociations et de toute mesure pouvant être prise, dont un renvoi fondé sur l’article 13 des Conditions de l’adhésion, constituent un manquement aux obligations de fiduciaire qui découlent du processus de création de réserves et, par conséquent, un manquement à l’alinéa 14(1)c) de la LTRP.

XII.  RESPONSABILITÉ ÉVENTUELLE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

[192]  Il se peut qu’à l’étape de la détermination de l’indemnité, des questions de causalité et de contingence doivent encore être prises en compte.

[193]  Par ailleurs, l’intimée a dit avoir l’intention de faire valoir, lors de l’audience relative à l’indemnisation, que les mesures prises par la Colombie‑Britannique, avant et après que la Commission eut formulé ses recommandations finales, sont pour l’essentiel à l’origine des manquements aux obligations de fiduciaire dont il est question en l’espèce ou y ont contribué (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 197).

[194]  Par ordonnance du Tribunal en date du 9 janvier 2014, les questions relatives au bien‑fondé de la revendication et à l’indemnisation ont été scindées. La demande fondée sur la contribution de la province présentée par l’intimée a mené à la directive suivante :

[traduction] Si l’intimée a l’intention de déposer une demande en réparation contre la province de la Colombie-Britannique parce qu’elle estime qu’elle est en partie responsable des manquements qui ont été commis, cet aspect de la question sera alors traité à l’audience relative à l’indemnisation qui se déroulera devant le Tribunal. [Ordonnance et procès-verbal daté du 21 août 2018, au para 5]

[195]  Les arrêts Williams Lake de la Cour suprême du Canada et Kitselas de la Cour d’appel fédérale appuient l’approche adoptée par le Tribunal afin que soient traitées les questions de causalité, de contingence et de contribution à l’audience relative à l’indemnisation. Dans l’arrêt Williams Lake, la Cour suprême du Canada a souligné qu’en vertu de la LTRP, les questions de causalité ou d’indemnisation sont examinées à l’étape de la détermination de l’indemnité :

La Couronne s’acquitte de son obligation fiduciaire en respectant la norme de conduite prescrite, non en assurant l’obtention d’un résultat précis : […] [renvois omis]. L’ampleur de la perte éventuelle découlant du manquement à l’obligation fiduciaire soulève des questions de causalité. L’equity permet de trancher ces questions sous l’angle de la réparation ou de l’indemnisation une fois établies l’existence et la violation de l’obligation fiduciaire […] [renvois omis]. De manière concomitante, la Loi [sur le Tribunal des revendications particulières] prévoit que le Tribunal statue sur la causalité et la répartition de la faute à l’étape de la détermination de l’indemnité. [Para 48]

[196]  Le Tribunal a adopté cette approche dans la décision Kitselas, et il semble que la Cour d’appel fédérale l’ait approuvée. Au paragraphe 67 de sa décision, cette dernière a déclaré qu’« une conclusion touchant la part que la Colombie-Britannique aurait prise (le cas échéant) dans la violation » de l’obligation de fiduciaire par le Canada était « un point à décider à l’étape de l’instance où serait examinée la question de l’indemnisation » (Kitselas CAF).

[197]  Par conséquent, ces questions portant sur l’évaluation de la perte seront examinées à l’étape relative à l’indemnisation, après que les parties auront présenté l’ensemble de leurs arguments.

WILLIAM GRIST

L’honorable William Grist

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


 

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20200130

Dossier : SCT-7006-12

OTTAWA (ONTARIO), le 30 janvier 2020

En présence de l’honorable William Grist

ENTRE :

PREMIÈRE NATION D’ʔAKISNUK

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

 

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION D’ʔAKISNUK

Représentée par Me Darwin Hanna, Me Caroline Roberts et Me Kirk Gehl

Callison & Hanna

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Me Deborah McIntosh, Me Shelan Miller et Me Michael Mladen

Ministère de la Justice

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.