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DOSSIER : SCT-7005-13

RÉFÉRENCE : 2020 TRPC 4

DATE : 20201020

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRES NATIONS HUU-AY-AHT

Revendicatrice

 

MLisa Glowacki, MKate Blomfield et MEmma Hume, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

 

MJohn H. Russell, MJohn Minkley et Me Peri Smith, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Du 19 au 23 novembre 2018, du 21 au 25 janvier 2019, et du 24 au 26 avril 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable William Grist


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Premières Nations Huu-Ay-Aht c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 7; Premières Nations Huu-Ay-Aht c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 14; Murphy v McSorley, [1929] RCS 542; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 RCS 746; Kruger v Canada, [1986] 1 CF 3 (CA); Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25; Première Nation de Lac Seul c Canada, 2009 CF 481.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14 et 16.

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, App II, no 10, art 13.

Forest Act, RSBC 1948, c 128.

Loi des Indiens, SRC 1927, c 98, art 35, 37 à 41.

Sommaire :

La revendicatrice, Premières Nations Huuayaht (« la PNH »), allègue que l’intimée a manqué aux obligations de fiduciaire qu’elle avait à son égard, avant et après la cession des terres en cause, eu égard à la façon dont elle a géré l’utilisation non autorisée, par Bloedel, Stewart & Welch Limited (plus tard MacMillan Bloedel Limited, collectivement appelées la « compagnie forestière »), d’une emprise de 24,6 acres devant servir de chemin forestier primaire (le « chemin primaire de la réserve ») qui passait dans l’ancienne réserve indienne Numukamis no 1 (la « RI Numukamis no 1 »), ainsi que la location subséquente de cette emprise à la compagnie forestière. La revendicatrice allègue également que l’utilisation par la compagnie forestière de certains chemins secondaires passant dans la RI Numukamis no 1 n’était pas autorisée et que l’indemnité versée en contrepartie de cette utilisation était insuffisante. La revendication comporte des allégations selon lesquelles l’intimée n’a pas respecté les obligations qu’elle avait à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne les intrusions alléguées, la négociation et l’approbation des conventions de droit de passage sur le chemin forestier primaire (y compris les renouvellements et les résiliations) et les chemins secondaires, ainsi que le caractère adéquat de l’indemnisation versée à la revendicatrice. Cette dernière invoque les alinéas 14(1)b), c), d) et e) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22.

La revendication a été scindée en deux étapes, soit celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation, et les pertes historiques sont évaluées à l’étape du bien‑fondé. L’intimée a admis avoir manqué à son obligation de fiduciaire étant donné que l’indemnisation versée en contrepartie de l’utilisation de chemin primaire de la réserve, entre 1969 et 1974, et des chemins secondaires 101 et 103, entre le 1er janvier 1955 et le 31 décembre 1967, était inadéquate. Les experts des parties se sont entendus sur la perte historique découlant des manquements que l’intimée a admis en ce qui concerne ces deux chemins secondaires seulement. Le Tribunal conclut au bien‑fondé du volet de la revendication qui porte sur le chemin primaire de la réserve pour des périodes additionnelles, établit ce qui aurait été des paiements adéquats, confirme le bien‑fondé de l’allégation de manquement à l’obligation qui incombait à l’intimée relativement aux chemins secondaires 101 et 103, admis par l’intimée, et évalue la perte historique globale. Les experts des parties ont convenu que l’indemnisation versée pour les deux autres chemins secondaires, les chemins 640 et 1021, correspondait à des valeurs historiques raisonnables, et ce volet de la revendication n’a pas été examiné plus en détail.

Les terres qui constituaient la RI Numukamis no 1 sont maintenant des terres visées par un traité en vertu de l’Accord définitif des Premières Nations Maa‑Nulthes. La RI Numukamis no1 était située à l’embouchure de la rivière Sarita sur la côte Ouest de l’Île de Vancouver. À la fin des années 1940, la compagnie forestière souhaitait construire un chemin forestier primaire dans la RI Numukamis no 1 afin de pouvoir transporter le bois d’œuvre récolté entre le bassin versant de la rivière Sarita et un camp et débarcadère situé dans le détroit de Barkley (le « débarcadère Sarita »). De là, les grumes pouvaient être acheminées à Port Alberni pour y être sciées.

Le bassin versant de la Sarita contenait une grande quantité de bois d’œuvre de qualité marchande que la compagnie forestière prévoyait récolter pendant plusieurs dizaines d’années, ce qui faisait du débarcadère Sarita un endroit important pour le transport. Le chemin forestier primaire qui desservait le bassin versant de la Sarita (le « chemin primaire de Sarita ») était emprunté par des camions surdimensionnés qui transportaient de très lourdes charges, et il lui fallait une emprise de 100 pieds. En utilisant le chemin primaire, qui longeait la rivière et traversait la RI Numukamis no 1, la compagnie forestière n’était pas obligée de construire une route plus longue, plus abrupte et plus coûteuse pour contourner la réserve et se rendre au débarcadère Sarita.

Le chemin de la RI Numukamis no 1 s’étendait sur environ 2 milles et traversait directement le village riverain de la revendicatrice, ce qui causait des problèmes de bruit, de poussière et de sécurité, et avait même donné lieu à un conflit à propos d’un totem. Il créait aussi une barrière entre quelques‑unes des maisons du village et la rivière Sarita.

La compagnie forestière a commencé la construction du chemin primaire de la réserve avant même que la revendicatrice ait consenti à céder les terres en cause et que l’intimée ne l’autorise à les utiliser. Le Tribunal a conclu que l’intimée n’avait rien fait pour dissuader la compagnie forestière d’utiliser les terres de la revendicatrice sans autorisation entre 1948 et 1955. Au contraire, l’intimée a grandement insisté pour que la revendicatrice accepte la proposition de la compagnie forestière, qu’elle lui avait plusieurs fois présentée, pendant les négociations ayant précédé la conclusion du bail de l’emprise du chemin primaire. La revendicatrice a maintes fois exprimé son mécontentement à l’égard de la proposition de la compagnie forestière et a plutôt suggéré un paiement de 1 000 $ par année et une entente de plus courte durée. Cependant, par résolution du conseil de bande adoptée en 1951, la revendicatrice a fini par accepter la somme de 625 $ par année pendant 21 ans. Lorsque la Division des affaires indiennes (cette entité et, plus tard, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, sont collectivement appelés le « ministère ») a compris qu’il fallait procéder par cession, la revendicatrice a de nouveau fait part de sa réticence à accepter les conditions proposées. Elle a néanmoins cédé les terres nécessaires au droit de passage en 1955. L’intimée a ensuite approuvé un bail par lequel l’emprise du chemin primaire était louée pour une durée de 21 ans à un loyer de 625 $ par année, assorti d’une clause d’option de renouvellement de 21 ans, qui était inexécutoire.

L’intimée a fourni des renseignements inadéquats et inexacts à la revendicatrice à propos de cette première convention de droit de passage sur le chemin primaire, notamment en ce qui concerne la menace d’expropriation fondée sur la loi provinciale intitulée la Forest Act, RSBC 1948, c 128 [la « Forest Act »] et le décret 1938/1036 dans le cas où la PNH refuserait les conditions proposées par la compagnie forestière. Dans ses communications avec la PNH, l’intimée a fait valoir des arguments sans fondement réel et n’a rien fait pour limiter les mesures vigoureuses prises par la compagnie forestière au fil des ans, jusqu’à ce que la PNH approuve enfin, en 1955, une cession aux conditions qui avaient initialement été proposées en 1948.

L’intimée a manqué à son obligation envers la PNH en ne prenant aucune mesure, avant 1955, pour empêcher ce qui constituait une intrusion, soit l’utilisation non autorisée du chemin primaire de la réserve, en n’appuyant pas la position raisonnable de la PNH sur les conditions du premier bail, en défendant dans les faits la compagnie forestière plutôt que la PNH, et en approuvant la convention de bail de 1955 dont certaines clauses étaient imprudentes, notamment celles relatives à la durée du bail et au loyer.

Lorsque, en 1969 et en 1975, il a fallu renouveler l’entente de 1955, l’intimée a de nouveau approuvé des ententes imprudentes. En 1964, le commissaire aux Indiens pour la Colombie‑Britannique a continué de faire allusion à une éventuelle expropriation fondée sur la Forest Act et le décret 1938/1036, et a affirmé que la PNH [traduction] « ne [pouvait] pas entraver le développement des forêts provinciales ni les opérations forestières d’un individu ou d’une société forestière » (recueil condensé de documents de la revendicatrice, vol 1, onglet 55). Or, cette opinion et les efforts soutenus qui ont été déployés par le ministère pour défendre la position de la compagnie forestière montrent que l’intimée agissait à l’encontre des intérêts de la revendicatrice et non avec loyauté envers elle. En fait, aucune mesure n’a jamais été prise en vue d’exproprier des terres de la RI Numukamis no 1 pour l’emprise du chemin primaire de la réserve, et il était peu probable qu’une telle chose se produise à l’époque où il était question d’un accès routier vers le bassin versant de la Sarita. Une voie de contournement était la seule véritable option pour se rendre de l’autre côté de la RI Numukamis no 1, mais il ne s’agissait pas d’une solution économique et la compagnie forestière n’y a pas donné suite avant le milieu des années 1970.

En 1976, la compagnie forestière a construit une voie de contournement pour se rendre au débarcadère Sarita. En 1979, elle a fait savoir qu’elle avait cessé d’utiliser le droit de passage du chemin primaire de la RI Numukamis no 1 en 1978, et elle a cherché à mettre fin à l’entente y afférente. En 1979, l’intimée a négocié une indemnité de 7 000 $ pour la PNH. Compte tenu de la preuve et des lacunes que présentait l’entente relative au chemin primaire quant à son caractère exécutoire, le Tribunal a conclu que cette indemnité n’était pas déraisonnable. La revendicatrice a fait valoir qu’elle ne devrait pas être pénalisée parce que l’intimée avait inclus une clause inexécutoire dans l’entente relative au chemin primaire, mais n’a proposé aucun moyen par lequel l’intimée aurait pu rendre l’entente exécutoire pendant 21 ans. De plus, la revendicatrice a invoqué, et le Tribunal a accepté, la preuve selon laquelle des périodes de cinq ans étaient appropriées à l’époque. Dans ce scénario hypothétique, l’entente relative au chemin primaire aurait dû être renégociée en 1978, ce qui veut dire que si une telle entente avait été conclue, la compagnie forestière aurait peut‑être payé pour utiliser le chemin primaire de la réserve jusqu’en 1978, mais pas au-delà.

Deux experts ont témoigné à propos de la juste valeur du droit de passage sur le chemin primaire de la réserve et les chemins secondaires 101, 103, 640 et 1021. Ils ont notamment parlé d’un changement qui s’est opéré à la fin des années 1950, alors que les baux étaient consentis à des taux basés sur la superficie et sur le volume des grumes transportés dans la réserve. Comme les ententes fondées à la fois sur la superficie et le volume sont devenues la nouvelle norme au cours de la période visée par la présente revendication, l’expert de la revendicatrice et un deuxième expert témoignant pour le compte l’intimée ont aussi parlé du volume estimé des grumes récoltées à l’extérieur de la RI Numukamis no 1 puis transportées le long de l’emprise du chemin primaire de la réserve.

Bruce Blackwell, pour la revendicatrice, et David Osland, pour l’intimée, ont tous deux souligné à quel point il était difficile de trouver des comparables solides et qu’il manquait de renseignements contextuels sur les comparables qu’ils avaient réussi à trouver. M. Osland a recensé un plus grand nombre de comparables et a exercé son jugement pour les évaluer par rapport au droit de passage traversant la RI Numukamis no 1. M. Blackwell a utilisé moins de comparables et a procédé à une analyse statistique pour aplanir les différences qu’il y avait entre eux. Les nombreuses observations de l’intimée sur le large éventail de comparateurs présentés n’étaient pas convaincantes. Les arguments de M. Blackwell sur les avantages logistiques des terres de la revendicatrice et la valeur qu’elles avaient pour la compagnie forestière étaient plus convaincants.

Compte tenu du manque de données, les comparables retenus par les experts servent au mieux de toile de fond pour examiner la façon dont le Canada a géré les négociations et tenu compte des intentions et de la position de la PNH sur les conditions de l’entente de 1955 relative au chemin primaire, à savoir la somme de 1 000 $ par année pour une durée plus courte. Si l’intimée n’avait pas manqué à ses obligations de fiduciaire envers la revendicatrice, l’entente initiale aurait été fondée sur la superficie et aurait été en vigueur pendant 10 ans, de 1948 à 1958. La compagnie forestière aurait probablement accepté la proposition de 1 000 $ par année faite par la PNH.

Le Tribunal a formulé des hypothèses sur les ententes subséquentes et les a comparées aux ententes actuelles pour calculer la perte historique. Il est raisonnable de croire qu’à l’expiration de la première entente de dix ans, l’entente suivante aurait aussi été fondée sur la superficie. Il ressort clairement du dossier que les représentants de la Couronne ont seulement su après le « renouvellement » de 1958, qu’il était possible de convenir d’un prix en fonction du volume. Comme les ententes conclues à cette époque sur le marché étaient de plus en plus courtes, l’entente hypothétique de 1958 aurait probablement été d’une durée de cinq ans si l’intimée s’était acquittée de ses obligations envers la revendicatrice.

Le Tribunal a conclu qu’à partir de 1963, la perte historique devait être fondée sur l’hypothèse selon laquelle les baux prévoyaient des paiements basés sur la superficie et le volume pour une durée de cinq ans. Ainsi, pour calculer la perte historique à partir de 1963 pour le droit de passage sur chemin primaire de la réserve, le Tribunal a additionné pour chaque année les éléments suivants : [volume de bois provenant de l’extérieur de la RI Numukamis no 1 transporté sur l’emprise] x [taux approprié par MBM] + [superficie de l’emprise] x [taux approprié par acre], et il a ensuite soustrait les montants reçus par la PNH.

La preuve présentée par l’expert de la revendicatrice, M. Blackwell, quant à la valeur des terres et du volume de bois transporté dans la RI Numukamis no 1, a été préférée à celle des experts de l’intimée, MM. David Osland et David Barker, à quelques rajustements près. Pour la période allant du milieu de l’année 1948 au milieu de l’année 1958, le Tribunal a conclu que l’entente aurait dû prévoir un paiement de 1 000 $ par année (40,60 $/acre/année). Pour la période allant du milieu de l’année 1958 au milieu de l’année 1963, le Tribunal a accepté le taux basé sur la superficie établi par M. Blackwell, soit 3 788 $/année (154 $/acre/année). À partir de 1963, un taux au volume aurait dû être ajouté. Lorsqu’il a évalué la preuve de M. Blackwell, le Tribunal a rajusté les volumes de bois transportés dans la RI Numukamis no 1 de manière significative. Le Tribunal a reconnu qu’à partir de 1963, le volume de bois coupé dans certaines zones situées près de la limite séparant le bassin versant de la Sarita du bassin versant voisin au nord-est aurait probablement été acheminé vers le débarcadère de la crique Coleman, comme l’a établi l’expert de l’intimée, M. Barker. Par conséquent, au moment d’évaluer la perte historique subie à partir de 1963, le Tribunal a soustrait les volumes de bois provenant de ces zones des volumes de bois qui, selon les calculs de M. Blackwell, avaient été transportés au débarcadère Sarita. Sous réserve de ce rajustement apporté aux volumes de bois, le Tribunal a accepté les taux établis par M. Blackwell : mi‑1963 à mi‑1968, 3 075 $/année (125 $/acre/année) plus 0,25 $/MBM; mi‑1968 à mi‑1973, 4 920 $/année (200 $/acre/année) plus 0,35 $/MBM; et, mi‑1973 à mi‑1978, 8 856 $/année (360 $/acre/année) plus 0,35 $/MBM.

Pour la période allant de 1948 à 1979, la perte historique relative au droit de passage sur le chemin primaire de la réserve s’élève à 116 179 $. Pour la période allant de 1955 à 1967, la perte historique se rapportant aux chemins secondaires 101 et 103 s’élève à 1 587 $. Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait eu aucun manquement et, par conséquent, aucune perte historique relativement à l’indemnité versée pour le droit de passage sur le chemin primaire de la réserve.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION 11

II. HISTORIQUE PROCÉDURAL DE LA REVENDICATION 14

III. TÉMOIGNAGES DE PROFANES 15

IV. PREUVE DOCUMENTAIRE 16

A. Évolution des activités forestières dans la vallée de la Sarita 16

B. Négociations relatives au bail du chemin primaire passant dans la RI Numukamis no 1 18

C. Cession de l’emprise et préparation subséquente du bail 23

V. COMMENTAIRE SUR LES NÉGOCIATIONS ET LA SIGNATURE DU PREMIER BAIL 24

VI. SUITE DE L’EXPOSÉ DOCUMENTAIRE 29

A. Renégociation relative au tronçon du chemin primaire de Sarita qui traverse la RI Numukamis no 1 29

B. Résiliation du permis d’utilisation de l’emprise 32

VII. ARGUMENTS DE LA REVENDICATRICE 32

VIII. ARGUMENTS DE L’INTIMÉE 33

IX. QUESTIONS EN LITIGE 35

X. OBLIGATION LÉGALE DU CANADA ENVERS LES PREMIÈRES NATIONS HUU-AY-AHT 35

XI. ANALYSE 39

XII. AUTRES DÉTAILS CONCERNANT LE BAIL DU CHEMIN PRIMAIRE 41

XIII. POSSIBILITÉ D’EXPROPRIATION – CONTRÔLE PROVINCIAL DES CHEMINS FORESTIERS 44

XIV. PREUVE D’EXPERT 47

XV. CONCLUSION – MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE FIDUCIAIRE RELATIVEMENT AU BAIL INITIAL 53

XVI. CONCLUSION – DURÉE PROBABLE DES ENTENTES APRÈS LES DIX PREMIÈRES ANNÉES 57

XVII. VOLUME DE BOIS TRANSPORTÉ SUR LE CHEMIN PRIMAIRE DE LA RÉSERVE ENTRE 1958 ET 1977 62

XVIII. VOLUMES DE BOIS VRAISEMBLABLEMENT TRANSPORTÉS VERS DES DÉBARCADÈRES LOCAUX 63

XIX. CONCLUSION—MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE FIDUCIAIRE RELATIVEMENT AU PERMIS ACCORDÉ EN 1969 POUR LE DROIT DE PASSAGE 68

XX. RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS SUR LES TAUX RAISONNABLES PRÉVISIBLES 69

XXI. PERTE RELATIVE AUX ONZE DERNIÈRES ANNÉES DE L’ENTENTE PAR SUITE DE SA RÉPUDIATION PAR LA COMPAGNIE FORESTIÈRE EN 1979 71

A. La PNH se serait‑elle trouvée dans une meilleure position si l’entente rédigée et conclue par le ministère en son nom avait été formulée différemment et avait contenu une disposition exécutoire prévoyant le cas où la compagnie forestière refuserait de payer? 73

XXII. CHEMINS SECONDAIRES 74

XXIII. CONCLUSIONS SUR LES PERTES HISTORIQUES 74

ANNEXE A 77


 

I. INTRODUCTION

[1] La revendicatrice, Premières Nations Huuayaht, a déposé la présente revendication en vertu des alinéas 14(1)b), c), d) et e) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la « LTRP »]. Selon elle, l’intimée aurait manqué à ses obligations légales et de fiduciaire à son égard de par la manière dont elle a géré la location et l’utilisation non autorisée de l’emprise devant servir de chemin forestier primaire, ainsi que le loyer versé pour certaines emprises de chemins secondaires, passant par l’ancienne réserve indienne Numukamis no 1 (la « RI Numukamis no 1 » ou « la réserve »). Elle a notamment fait valoir que l’intimée n’avait pas respecté les obligations qu’elle avait à son égard en ce qui concerne les intrusions alléguées, la négociation et l’approbation des conventions de droit de passage relatives au chemin forestier primaire (y compris les renouvellements et les résiliations) et aux chemins secondaires, ainsi que le caractère adéquat de l’indemnisation qu’elle a reçue.

[2] Les terres qui constituaient la réserve sont maintenant des terres visées par un traité en vertu de l’Accord définitif des Premières Nations Maa‑Nulthes, qui est entré en vigueur en 2011. Par conséquent, il n’incombe plus au Canada d’administrer les terres qui constituaient auparavant la réserve en vertu de la Loi sur les Indiens. L’abréviation « PNH » (Premières Nations Huuayaht) servira à désigner la revendicatrice et remplace les anciens noms de bande la désignant en application de la Loi sur les Indiens.

[3] La RI Numukamis no 1 était située à l’embouchure de la rivière Sarita, qui s’écoule depuis le nord et l’est et se jette dans le détroit de Barkley. Le droit de passage contesté sur le chemin forestier primaire, qui traverse sur une distance d’environ 2 milles la RI Numukamis no 1 (chemin primaire de la réserve), devait permettre l’utilisation du chemin forestier primaire desservant le bassin versant de la Sarita (le chemin primaire de Sarita). La principale compagnie d’exploitation forestière de la région, Bloedel, Stewart & Welch Limited (plus tard MacMillan Bloedel Limited, toutes deux appelées la « compagnie forestière », selon le contexte) a construit le chemin primaire de Sarita aux fins de transport du bois d’œuvre entre le bassin versant de la Sarita et le camp et débarcadère Sarita (le débarcadère de Sarita) situé dans la baie Christie, dans le détroit de Barkley, à l’ouest de la ville de Port Alberni, sur l’île de Vancouver.

[4] Le bassin versant de la Sarita contenait une grande quantité de bois d’œuvre de qualité marchande. Pendant la période pertinente au regard de la présente revendication, cet endroit est devenu une source importante de bois pour les fabriques de Port Alberni. Avant cela, le bois d’œuvre transporté vers ces fabriques et autres scieries était coupé le long du bras Alberni, dans des bassins hydrographiques situés plus près de ces fabriques. Au nord‑est de la vallée de la Sarita, le camp de la rivière Franklin était l’une des sources de bois importantes. La compagnie forestière entretenait un chemin de fer pour transporter le bois d’œuvre vers le camp et débarcadère de la rivière Franklin (le débarcadère Franklin) depuis les parties supérieures situées au nord et à l’est du bassin versant de la Sarita, en longeant la crique Coleman, et en suivant une ligne parallèle à la rive du canal Alberni, à l’est du camp de la rivière Franklin. La plupart des événements pertinents se rapportant à la présente revendication sont survenus après la Seconde Guerre mondiale, alors que l’exploitation forestière s’est pour l’essentiel transformée en passant de l’approvisionnement en bois par chemin de fer au transport par camion. Par exemple, la voie ferrée menant au débarcadère Franklin a été mise hors service vers 1955, après quoi tout le transport s’est fait par camion. Quant à la vallée de la Sarita, le bois d’œuvre est principalement transporté par grumier depuis les premiers jours de l’aménagement du secteur.

[5] Les camions grumiers utilisés pour transporter le bois d’œuvre coupé dans le secteur du bassin versant de la Sarita étaient des véhicules hors route surdimensionnés (par exemple, voir la photo ci-dessous, tirée de la pièce no 6, d’un camion grumier chargé, laquelle a été prise par un témoin, M. Jeffrey Cook, qui a affirmé que ce type de camions était en service depuis la fin des années 1970). Les remorques de ces véhicules faisaient, dans certains cas, seize pieds de largeur. Les camions grumiers ne pouvaient pas circuler sur les voies publiques. Ils pouvaient accueillir des charges au moins deux fois plus importantes que celles transportées par des grumiers conventionnels. Les routes empruntées par ces véhicules, et surtout les routes primaires, devaient être beaucoup plus larges que les autres chemins forestiers afin qu’ils puissent circuler dans les deux sens et s’arrêter le long de la route à intervalles réguliers.

Photo tirée de la pièce no 6, d’un camion grumier chargé, laquelle a été prise par un témoin.

[6] Le bassin versant de la Sarita, lequel couvrait une superficie de 193 km2, comportait une grande zone de bois de forêt naturelle. À des fins de mise en contexte, précisons que la ville de Vancouver fait 115 km2.

[7] En 1882, le commissaire des réserves indiennes, Peter O’Reilly, a mis de côté la RI Numukamis no 1 pour la PNH. À l’issue des travaux de la Commission royale des affaires des sauvages, aussi connue sous le nom de Commission McKenna–McBride, qui s’est penchée sur les attributions de réserves consenties jusqu’alors et a remis son rapport en 1916, les gouvernements fédéral et provincial ont réduit sa taille. En 1923 et en 1924, ils ont consenti au « retranchement » proposé, qui visait à réduire la superficie de la réserve. Ensuite, en 1938, la province a transféré lesdites terres au gouvernement fédéral, conformément aux obligations que lui imposait l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, App II, no 10, lui cédant ainsi la maîtrise administrative du droit de propriété sous‑jacent de la plupart des réserves de la Colombie-Britannique, y compris la RI Numukamis no 1.

[8] La réserve avait initialement une superficie de 1 700 acres. Suivant la recommandation de la Commission McKenna–McBride, les gouvernements fédéral et provincial ont réduit cette superficie à environ 1 112 acres. La majeure partie de la réserve était située à l’estuaire de la rivière Sarita, près de l’endroit où elle se jette dans le détroit de Barkley. En 1948, la compagnie forestière travaillait à la construction du camp et débarcadère appelé le « camp Sarita » à la baie Christie, quelques kilomètres au sud de l’estuaire de la rivière. Le chemin forestier primaire de Sarita était une route en gravier qui donnait accès au bassin versant de la Sarita et passait dans la réserve sur une distance de deux milles pour se rendre au camp Sarita, jusqu’à ce que cette partie du chemin soit détournée en dehors de la réserve en 1976. À l’origine, le chemin passait à côté de maisons situées dans la réserve avant de poursuivre vers le sud-ouest jusqu’à la baie Christie. Le tronçon de deux milles qui traversait la réserve occupait environ 24,6 acres de terres (il est précisé que les mesures impériales sont conformes aux mesures utilisées à l’époque). Pendant les années où le chemin était le plus fréquenté, 1 600 voyages par camion étaient effectués par année. Les activités forestières se poursuivaient pendant une grande partie de l’année, sauf pendant l’hiver et la saison des incendies où elles étaient interrompues.

[9] Le chemin était entretenu par des niveleuses et permettait à d’autres véhicules de se rendre au camp Sarita. Le camp en soi était grand. On y trouvait d’ailleurs des logements résidentiels et des services d’entretien mécanique et de réparation. Le débarcadère et les aires de flottage du bois servaient essentiellement à l’assemblage d’estacades flottantes le long de la rive sud du canal Alberni et du détroit de Barkley, ce qui permettait de transporter les grumes jusqu’à une zone de triage près de Port Alberni.

[10] La présente revendication concerne la même réserve et les mêmes périodes que celles examinées dans les décisions Premières Nations Huu-Ay-Aht c Sa Majesté la Reine, 2014 TRPC 7 et Premières Nations Huu-Ay-Aht c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 14, dans lesquelles le Tribunal a statué sur le bien‑fondé des allégations que le Canada avait manqué à son obligation de fiduciaire en vendant le bois d’œuvre se trouvant dans la RI Numukamis no 1 à la compagnie forestière, et en lui octroyant un permis de récolte du bois, conformément à un acte de cession des terres de réserve conclu à cette fin en 1938, en plus de se prononcer sur la question de l’indemnisation.

II. HISTORIQUE PROCÉDURAL DE LA REVENDICATION

[11] La revendicatrice a déposé la présente revendication auprès du ministre en 2004. Le 16 octobre 2011, trois ans s’étaient écoulés depuis que le ministre était réputé, en vertu de la LTRP, avoir avisé la revendicatrice de son refus de négocier une partie de la revendication et de son acceptation de négocier une autre partie de la revendication. La revendication pouvait donc être déposée auprès du Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) conformément à l’alinéa 16(1)d) de la LTRP.

[12] La revendicatrice a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal, le 18 décembre 2013, ainsi qu’une modification, le 10 mars 2015. L’intimée a déposé une réponse et une réponse modifiée dans les délais prescrits.

[13] Le 21 juillet 2015, la revendication a été scindée en deux étapes, soit celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation.

[14] Une audience a été tenue du 19 au 23 novembre 2018 afin d’entendre les témoignages d’experts et de profanes. Comme il a fallu plus de temps, une autre audience a été tenue du 21 au 25 janvier 2019 afin d’entendre les témoignages d’experts. Lors d’une dernière audience, tenue du 24 au 26 avril 2019, les experts ont témoigné et les parties ont présenté leurs observations de vive voix. Les trois audiences ont eu lieu à Vancouver, en Colombie-Britannique.

III. TÉMOIGNAGES DE PROFANES

[15] Le chef Robert Dennis et Jeffrey Cook, tous les deux membres de la PNH, ont présenté leurs observations et ont parlé de leur rôle dans ce qui a mené à la présente revendication.

[16] De 1970 jusqu’au début des années 1990, le chef Dennis a été élu six fois au poste de conseiller de bande pour des mandats de deux ans. Il a été élu conseiller en chef en 1995 et est resté en poste jusqu’en 2011. En 2015, il a été réélu à ce poste qu’il occupe encore aujourd’hui. Il a été administrateur de la bande en 1971, puis de 1987 à 1989. Il a aussi œuvré dans la région en tant que travailleur forestier pour le compte de la compagnie forestière, et ce, pendant deux périodes allant de la fin des années 1960 jusqu’à la fin des années 1970.

[17] Dès 1956, le chef Dennis vivait dans la RI Numukamis no 1 pendant les vacances scolaires. Il a fréquenté le pensionnat de Port Alberni de l’âge de 6 ans jusqu’à 18 ans et il retournait dans la réserve lorsqu’il n’y avait pas d’école. La maison de sa famille se trouvait à 100 pieds du chemin primaire de Sarita. Selon ses dires, certaines maisons se trouvaient un peu plus près du chemin – qui longeait le bras sud de la rivière Sarita, puis la côte jusqu’à la baie Christie – alors que d’autres étaient de l’autre côté. Il a parlé des différents aspects négatifs du chemin, notamment le bruit, la poussière, les énormes camions, les vieux camions forestiers et niveleuses, du fait qu’à cause de lui, plusieurs maisons se sont trouvé isolées de la côte, et enfin des préoccupations concernant la sécurité des enfants et des chiens.

[18] M. Cook a d’abord été élu au poste de conseiller de bande en 1984 et a occupé ce poste pendant dix ans. Il a été conseiller en chef de 2011 à 2015. Il a également travaillé pour la compagnie forestière dans la région, de mars 1970 à février 2010. M. Cook a fréquenté le pensionnat de Port Alberni et il revenait dans la RI Numukamis no 1 tous les étés, de l’âge de 10 ans jusqu’à 13 ans, dans les années 1960. Il a offert un témoignage semblable en ce qui concerne les répercussions du chemin sur les résidents de la réserve. Il a parlé de la circulation, du bruit et de la poussière causée par les véhicules. Les deux témoins ont parlé de l’endroit où était transporté le bois provenant des divers sites d’exploitation forestière et des facteurs ayant influé sur le choix de cet endroit. Ces témoignages ont permis de départager les avis des experts en exploitation forestière qui ne s’accordaient pas sur les chemins vraisemblablement empruntés par les camions.

IV. PREUVE DOCUMENTAIRE

A. Évolution des activités forestières dans la vallée de la Sarita

[19] La RI Numukamis no 1 a servi de source d’approvisionnement en bois d’œuvre après que, en 1938, la PNH eut cédé, en vertu de la Loi des Indiens, le bois qui se trouvait dans la réserve au gouvernement fédéral « EN FIDUCIE aux fins de VENDRE à la personne ou aux personnes et aux conditions que le gouvernement du Dominion du Canada jugera les plus favorables pour [son] bien-être [...] » (2014 TRPC 7, au par 20).

[20] Le Canada a lancé un appel d’offres public pour la vente du bois et, en 1942, il a accepté l’offre de la compagnie forestière, laquelle était subordonnée à l’octroi d’un permis de 21 ans l’autorisant à accéder à la réserve à des fins d’exploitation forestière. Les activités de la compagnie ont seulement commencé en 1948, ce qui coïncide à peu près avec le développement de ses ressources forestières plus en amont du bassin versant de la Sarita. Le permis d’accès à la réserve octroyé par le Canada autorisait la construction de routes pour transporter des grumes depuis les sites d’exploitation, mais ne permettait pas d’utiliser ces routes pour accéder au bois se trouvant à l’extérieur de la réserve. La Forest Act, RSBC 1948, c 128 [la « Forest Act »], conférait aux sociétés d’exploitation forestière certains pouvoirs leur permettant de prendre des terres privées et des terres publiques avec le consentement du ministre provincial pour accéder au bois, mais les routes aménagées sur ces terres ne devaient excéder une largeur de 40 pieds. Les chemins primaires que la compagnie forestière entendait aménager étaient beaucoup plus larges. Le chemin primaire de Sarita qui a fini par être construit était censé avoir une largeur de 100 pieds.

[21] En juin 1947, comme elle prévoyait commencer à se livrer à des activités forestières sur le territoire du bassin versant, la compagnie forestière a publié un avis de son intention de louer des terres, s’appuyant à cet égard sur la Land Act de la Colombie‑Britannique, et plus précisément les terres de la Couronne de la baie Christie, là où devait se trouver le débarcadère Sarita. D’après l’échange de lettres qui a suivi cet avis, une autre société forestière de la région s’est opposée à ce projet, objection qui a été résolue quand Bloedel, Stewart & Welsh Limited a acheté les parts que cette autre société avait dans les terres voisines.

[22] En février 1948, la compagnie d’exploitation forestière a écrit au ministère provincial des Terres et des Forêts pour lui proposer d’acheter l’emprise routière qu’elle entendait aménager, laquelle s’étendait au sud et à l’est de la réserve pour se rendre jusqu’aux hautes terres de la compagnie situées dans le bassin versant de la vallée de la Sarita. Dans sa lettre, la compagnie faisait état de l’urgence qu’il y avait pour elle de pouvoir accéder au bois infesté par l’arpenteuse de la pruche, un insecte ravageur qui, disait‑elle, menaçait ses immobilisations, le bois visé par les permis provinciaux qu’elle avait obtenus. Dans sa lettre de février 1948 au ministère des Terres, la compagnie forestière révélait qu’elle faisait pression pour que la route soit construite, et ce, même si aucun accord n’avait encore été conclu en ce qui concerne le mode de tenure du droit de passage. Selon les premiers plans, des voies de 60 pieds devaient être construites pour le chemin primaire. Dans une autre lettre qu’elle a envoyée au ministère des Terres en mai 1948, la compagnie forestière s’enquérait de l’état de la demande qu’elle avait déposée concernant la baie Christie. Dans une lettre datée du 11 mai 1948, le commissaire des Terres, H. W. Harding, demandait au surintendant des Terres de bien vouloir examiner la demande. Le commissaire Harding indiquait que [traduction] « [...] cette compagnie construit actuellement un vaste camp [...] » (recueil condensé de documents de la revendicatrice (RCDR), vol 1, onglet 8), encore une fois avant d’avoir obtenu un droit de tenure légale quant à l’utilisation des terres.

[23] La compagnie forestière et le ministère des Terres ont continué à négocier le mode de tenure de cette partie du chemin primaire de la réserve qui traversait les terres provinciales. Initialement, la compagnie d’exploitation forestière voulait se voir transférer le droit de propriété du chemin. D’autres modes de tenure ont été suggérés, dont une servitude fondée sur la Forest Act, et d’autres modes d’occupation qui auraient permis à la province de conserver son titre si les activités forestières devaient cesser.

B. Négociations relatives au bail du chemin primaire passant dans la RI Numukamis no 1

[24] Dans une lettre datée du 19 janvier 1948, le chef et les membres de la bande d’Ohiaht (parfois appelée la bande d’Ohiet, deux anciennes variantes orthographiques de Huu-ay-aht) ont demandé au surintendant des Affaires indiennes la résiliation du bail consenti à la compagnie forestière en 1942, au motif qu’il excédait la période de 12 mois prévue par l’article 77 de la Loi des Indiens, SRC 1927, c 98 (il est question de ce bail, portant sur la récolte du bois dans la RI Numukamis no 1, dans la décision Premières Nations Huu-Ay-Aht c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 7). La PNH n’était plus satisfaite du prix payé pour le bois récolté dans la réserve. Il était également mentionné dans la lettre qu’il était nécessaire de conclure un accord concernant la construction des routes dans la réserve et le paiement d’un loyer annuel.

[25] Le 12 février 1948, Andrew Paull, président de la Fraternité des Indiens d’Amérique du Nord, a envoyé une lettre au nom de la PNH pour se plaindre du prix de vente du bois récolté dans la RI Numukamis no 1, ainsi que des dommages causés dans la réserve —un totem avait notamment été jeté à la mer. Il a ajouté que la PNH [traduction] « souhaite être consultée au sujet de la construction des routes une fois qu’un accord satisfaisant [aura été] conclu, et elle veut que des frais de location adéquats soient exigés pour la terre et l’estran » (RCDR, vol 1, onglet 17).

[26] Le représentant local de la Division des affaires indiennes (cette entité et, plus tard, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, sont collectivement appelés le « ministère »), N. W. Garrard, était le surintendant des Indiens pour l’Agence de la côte Ouest. Le 11 août 1948, Garrard a écrit à C. B. Dunham, ingénieur de la compagnie d’exploitation forestière, pour lui faire remarquer qu’une grande partie du bois coupé par la compagnie à l’extérieur de la réserve devait transiter par la réserve et qu’un droit de passage était nécessaire pour passer ainsi dans la réserve. Dans une lettre datée du 8 septembre 1948, la compagnie d’exploitation forestière a indiqué qu’elle souhaitait louer l’emprise routière. Des plans étaient joints à la lettre, mais rien n’était proposé quant aux frais de location. Le 2 octobre 1948, Garrard a fait savoir qu’il s’opposait à ce que la compagnie forestière transporte du bois sans avoir obtenu un droit de passage. Enfin, le 8 novembre 1948, le vice‑président de la compagnie forestière, S. G. Smith, a écrit à W.S. Arneil, le commissaire des Indiens de la Colombie-Britannique, pour lui proposer de verser des frais de location annuels de 25 $ l’acre et des frais de 0,05 $ la verge pour le gravier prélevé dans la réserve en vue de la construction de chemins forestiers à l’extérieur de la réserve .

[27] Le 18 novembre 1948, Arneil a écrit à l’agent local Garrard pour l’informer que la compagnie forestière était disposée à payer, annuellement, 25 $ l’acre pour le droit de passage et la somme de 0,05 $ la verge pour le gravier. Il a eu ce commentaire : [traduction] « [c]ertes, ces montants sont bien inférieurs à ce que les Indiens s’attendent à recevoir, mais à mon avis, ils sont raisonnables. Je dirais même que si les Indiens ne veulent pas les accepter, la compagnie forestière déplacera ses chemins forestiers à l’extérieur de la réserve et, en fait, elle a déjà effectué des levés préliminaires en ce sens » (RCDR, vol 1, onglet 25). Arneil a ordonné à Garrard de convoquer les membres de la PNH à une réunion pour [traduction] « les aviser des intentions de la compagnie dans cette affaire et pour leur demander s’ils consentiraient à signer une résolution par laquelle ils accepteraient la somme de 25 $ l’acre par année pour les vingt-cinq acres concernés ».

[28] Arneil a ajouté que [traduction] « [s]i les Indiens hésitent à accepter les taux ci-dessus, vous pourriez leur faire comprendre qu’il ne fait aucun doute que la compagnie déplacera ses emprises de sorte qu’ils ne retireront aucun avantage » (RCDR, vol 1, onglet 25).

[29] Garrard a convoqué une réunion avec la PNH, le 14 décembre 1948. S’agissant de l’offre de 25 $ l’acre, il a rapporté que (RCDR, vol 1, onglet 26) : [traduction] « [l]’offre a été jugée trop basse pour cette emprise. La bande souhaite que les frais de location annuels passent de 625 $ à 1 000 $ ». Il a ajouté que la somme de 25 $ l’acre était ce que la compagnie forestière payait pour avoir le droit de passer dans une réserve indienne de Tseshaht située à l’extérieur de Port Alberni, mais qu’une société concurrente payait bien plus pour avoir le droit de passer dans la réserve indienne Pacheena no 1 (qui appartient maintenant à la Première Nation des Pacheedahts), juste au sud de la RI Numukamis no 1.

[30] Arneil a écrit à Garrard, le 28 décembre 1948, pour lui demander si la PNH savait que [traduction] « [...] si elle refus[ait] l’offre de 25 $ l’acre par année [...] la compagnie déplacer[ait] son chemin forestier » (RCDR, vol 1, onglet 27). Il lui disait que, si la PNH persistait à vouloir obtenir 1 000 $ par année, il n’avait [traduction] « [...] d’autre choix que d’en informer la compagnie et lui laisser le soin de décider des mesures à prendre ». Garrard a répondu que la PNH comprenait qu’elle risquait de perdre les 625 $ proposés pour les frais de location si la compagnie forestière déplaçait ses activités ailleurs.

[31] Arneil a demandé à W. S. McGregor, le superviseur régional des agences indiennes, de se rendre dans la réserve avec Garrard et l’ingénieur de la compagnie forestière pour présenter à nouveau l’offre de la compagnie au chef de la bande d’Ohiaht (PNH), Jack Peters. McGregor lui a fait remarquer qu’[traduction] « [...] il était certain que les membres n’accepteraient rien de moins que 1 000 $ par année pour l’emprise de 25 acres » (RCDR, vol 1, onglet 28). Il a aussi ajouté : [traduction] « J’ai tendance à penser que la compagnie accédera à la demande de la bande, qui souhaite toucher des frais de location de 1 000 $ par année, au lieu de se lancer dans la construction d’une nouvelle route. Elle passe actuellement sur les terres constituant l’emprise pour transporter les grumes et elle a environ 60 millions de pieds de grumes à transporter en 1949. »

[32] Arneil a ensuite écrit au vice-président de la compagnie forestière : [traduction] « Dans l’état actuel des choses, j’estime qu’il ne servira à rien de poursuivre les démarches en ce qui concerne la RI no 1. Vous devez soit payer 1 000 $ par année pour la location de l’emprise, soit aménager une route à l’extérieur de la réserve pour transporter le bois depuis l’arrière de la réserve » (RCDR, vol 1, onglet 30).

[33] Dans sa réponse, le vice-président de la compagnie forestière faisait référence à l’infestation d’arpenteuses de la pruche découverte en 1956, qui a — selon lui — incité la compagnie à construire des routes dans le secteur concerné afin de pouvoir accéder aux arbres touchés. La construction a débuté en septembre 1947. La route traversait la réserve et suivait un parcours qui avait été choisi pour son côté pratique et parce que sa construction prendrait six mois de moins que celle de toute autre route. La compagnie forestière faisait valoir que sa proposition était raisonnable par rapport à d’autres éléments de comparaison de la région et précisait qu’il était généralement avantageux que le bois malade soit récupéré. Elle demandait donc de ne pas être pénalisée [traduction] « pour avoir construit une route et avoir récupéré le bois au lieu de retarder l’opération de plusieurs mois pendant qu’elle négociait avec les Indiens le droit de transporter le bois à travers la réserve » (RCDR, vol 1, onglet 31).

[34] La compagnie forestière a continué à transporter le bois à travers la réserve sans avoir obtenu de droit de passage, et l’année suivante, le 20 avril 1950, Garrard a écrit à Arneil pour l’informer que, le 26 janvier 1950 et le 18 avril 1950, la PNH [traduction] « a demandé que l’on impose à [la compagnie forestière] le paiement d’une somme de 1 000 $ par année pour la location de l’emprise traversant la réserve [Numukamis] no 1 » (RCDR, vol 1, onglet 32). Le 3 octobre 1950, Garrard a réécrit à Arneil. Il lui demandait si une décision avait été prise compte tenu du [traduction] « refus par la bande d’accepter l’offre de 25 $ l’acre faite par la compagnie (625 $ par année) et de son insistance constante à recevoir 40 $ l’acre (1 000 $ par année) » (RCDR, vol 1, onglet 33). Par ailleurs, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je dirais que, selon moi, la position des Indiens est notamment attribuable au fait que la compagnie semble vouloir poursuivre ses activités sans avoir mené des négociations en bonne et due forme, par exemple, pour l’enlèvement de gravier, etc. »

[35] Le 7 octobre 1950, Arneil a répondu qu’il avait discuté à nouveau de la question avec le chef Jack Peters :

[traduction] [...] Je pense qu’il est parti d’ici convaincu que l’offre de 625 $ par année présentée par la compagnie est raisonnable et que la bande devrait l’accepter. Il semblerait donc que le moment soit venu de convoquer une réunion avec les membres de la bande pour leur donner l’occasion de reconsidérer leur décision.

Dans une lettre datée du 23 février 1949, dont une copie est jointe aux présentes, la compagnie expose sa position en détail, et j’estime — après avoir parlé avec Jack Peters — que si les membres de la bande en prend connaissance et qu’ils sont aussi informés que la province peut reprendre un vingtième de la superficie de la réserve à des fins routières, que celle-ci pourrait être amenée à le faire sans que la bande n’en retire quoi que ce soit et que le ministère peut approuver le droit de passage en vertu des dispositions de la Forest Act sans le consentement de la bande, ils pourraient alors comprendre qu’il serait sage d’accepter la somme de 625 $ par année. Vous pourriez également souligner que chaque mois de retard signifie une perte de cinq pour cent d’intérêt par an sur les loyers. [RCDR, vol 1, onglet 34]

[36] Cette lettre a incité Garrard à rencontrer la PNH, le 22 novembre 1950, à la suite de quoi il a fait savoir que la PNH avait accepté le paiement de 625 $ par année pour une période de cinq ans, avec effet rétroactif au 1er juin 1948. Garrard a dit qu’il avait été question d’un bail de plus longue durée, mais que la PNH préférait un bail de plus courte durée [traduction] « parce que les membres de la génération suivante pourraient penser que la somme de 625 $ n’est pas suffisante » (RCDR, vol 1, onglet 35). Une résolution officielle du conseil de bande a été adoptée à cet effet le 22 novembre 1950.

[37] S. G. Smith, vice-président de la compagnie forestière, a été informé, le 13 décembre 1950, qu’une résolution du conseil de bande avait été adoptée. Arneil lui a écrit ceci : (RCDR, vol 1, onglet 37) [traduction] : « Nous sommes conscients que, de votre point de vue, ce consentement laisse grandement à désirer, mais bien que nous ayons rencontré les membres de la bande à plusieurs reprises et tenté de les raisonner, c’est la seule concession qu’ils sont prêts à faire et nous espérons que vous serez en mesure de répondre à leurs exigences ».

[38] Dans sa réponse datée du 28 décembre 1950, le vice-président a dit qu’il était contre le paiement d’un loyer rétroactif et que la compagnie forestière voulait une servitude à perpétuité. Il a ajouté que la compagnie avait mis fin à ses activités forestières au nord de la réserve en 1949 et qu’elle n’avait utilisé la route que de façon occasionnelle en 1950. Il a indiqué que seule une petite parcelle restait à couper en 1951 et que la compagnie transporterait du bois seulement occasionnellement dans les prochaines années, mais qu’elle souhaitait obtenir un droit de passage à perpétuité, ou à tout le moins un bail pour une période de 42 ans, afin de pouvoir obtenir un permis de gestion à long terme du gouvernement provincial.

[39] Le 15 janvier 1951, Arneil a écrit à Garrard pour l’aviser qu’il avait, une fois de plus, discuté de la question avec Smith. Smith a d’abord [traduction] « catégoriquement refusé les conditions imposées par la bande », puis a ensuite « accepté de payer » un loyer rétroactif au 1er juin 1948 (RCDR, vol 1, onglet 39), mais seulement si la PNH acceptait de signer un bail à long terme. Arneil pensait que la PNH accepterait de signer un bail de 21 ans, assorti d’une option de renouvellement de 21 ans. Il souhaitait que Garrard soumette à nouveau la question à la PNH et qu’il [traduction] « insiste pour qu’elle comprenne qu’il serait sage d’accepter la convention de location proposée ».

[40] Une autre réunion de la PNH a eu lieu plus tard dans l’année et la résolution adoptée par le conseil de bande en date du 4 septembre 1951 laisse voir que la PNH était disposée à accepter un loyer de 625 $ par année pour [traduction] « une période de 21 ans, avec possibilité de renouvellement, et que les paiements devaient commencer le 1er juin 1948 » (RCDR, vol 1, onglet 40).

[41] Dans une lettre datée du 12 septembre 1951, Arneil a informé Smith que [traduction] « M. Garrard a[vait] réussi à convaincre [la PNH] de signer un bail de 21 ans, avec une possibilité de renouvellement pour une période semblable, pour un loyer de 625 $ par année, rétroactif au 1er juin 1948 » (RCDR, vol 1, onglet 42). Il lui a demandé si la compagnie forestière souhaitait que sa demande soit traitée en fonction de ces conditions. La réponse ne figure pas au dossier. L’affaire a cependant suivi son cours : la compagnie a finalement produit des levés d’arpentage et le ministère a finalement déterminé que le bail exigeait que la PNH cède 25 acres de terres. Le ministère a présenté pour approbation un projet de cession à la PNH, qui l’a d’abord rejeté, pour finalement l’approuver en 1955.

[42] La résolution adoptée par le conseil de bande de la PNH en septembre 1951 ne précise pas la durée du renouvellement. Arneil semble avoir supposé que la période de renouvellement était de 21 ans, et le bail a ensuite été préparé en ce sens.

C. Cession de l’emprise et préparation subséquente du bail

[43] Arneil a écrit au ministère à Ottawa en octobre 1951, lui décrivant en détail les négociations et précisant que le conseil de bande de la PNH avait consenti par résolution à ce que le [traduction] « bail couvr[e] une période de 21 ans, avec une possibilité de renouvellement pour une autre période de 21 ans » (RCDR, vol 1, onglet 43). Il faisait en outre remarquer ce qui suit : [traduction] « Une cession ne sera vraisemblablement pas nécessaire puisque la Forest Act de la Colombie-Britannique confère à la compagnie le droit d’accéder au bois de la province. » Le 17 novembre 1953, L. L. Brown, le surintendant des Réserves et fiducies, l’a informé qu’il était impossible d’accorder un droit de passage au titre de la Forest Act, parce que la route faisait 100 pieds de largeur alors qu’aux termes de cette loi, le droit de passage était limité à 40 pieds de largeur. Il fallait donc procéder par cession au titre des articles 37 à 41 de la Loi des Indiens. M. Brown a transmis les documents de cession qui devaient être soumis au vote des membres de la bande. Le vote a eu lieu le 5 mars 1954. M. Garrard a rapporté qu’à cette assemblée, les membres de la PNH ont fait savoir qu’[traduction] « ils souhaitaient poursuivre la discussion sur la question et que l’assemblée soit reportée à une date ultérieure » (RCDR, vol 1, onglet 47). M. Garrard croyait qu’ils cherchaient à obtenir un montant plus élevé que celui qu’ils avaient accepté dans la résolution du conseil de bande du 4 septembre 1951. Arneil a informé le ministère à Ottawa de la tournure des événements et a demandé si [traduction] « M. Garrard devait leur présenter à nouveau les documents de cession à une date ultérieure » (RCDR, vol 1, onglet 48), ce à quoi M. Brown a répondu par l’affirmative. Il a ajouté que le ministère préférait une cession inconditionnelle, et que [traduction] « [...] dans les faits, [il] ne lou[ait] pas des terres cédées sans d’abord obtenir l’approbation du conseil de bande, surtout en ce qui concerne le montant du loyer » (RCDR, vol 1, onglet 49). Le projet de cession a de nouveau été présenté, le 26 janvier 1955, date à laquelle il a été approuvé inconditionnellement. Il semble qu’un bail ait ensuite été préparé, puis signé en avril 1955, mais que le document final n’ait jamais été soumis à la PNH pour approbation.

V. COMMENTAIRE SUR LES NÉGOCIATIONS ET LA SIGNATURE DU PREMIER BAIL

[44] Il semble évident que le chemin primaire de la réserve, construit et utilisé par la compagnie forestière à compter de 1947, devait servir à transporter le bois coupé hors de la réserve vers le débarcadère Sarita à la baie Christie. La construction de ces installations a débuté alors que le transfert des terres provinciales – nécessaire afin de pouvoir déterminer l’emplacement du camp, du chemin primaire et du débarcadère – n’avait pas encore eu lieu et que l’utilisation des terres de réserve pour le chemin primaire traversant la réserve n’avait pas encore été autorisée. La compagnie a d’abord justifié sa décision en déclarant qu’elle voulait abattre le bois infesté par l’arpenteuse de la pruche. Elle a fait valoir qu’il était dans l’intérêt général de couper ce bois, mais en réalité, c’est elle qui en profitait le plus puisqu’elle préservait ainsi son actif immobilisé, c’est‑à‑dire le bois de qualité marchande qui se trouvait sur les terres visées par les concessions forestières qu’elle détenait dans les hautes terres de la réserve, dans le bassin versant de la Sarita. Il est aussi évident que les chemins primaires de la réserve et de Sarita ne devaient pas seulement servir à accéder au bois infesté, mais qu’il s’agissait d’un ouvrage important devant servir à la réalisation des projets à long terme de la compagnie en ce qui concerne l’exploitation future de ses vastes étendues de bois.

[45] La convention d’octroi de permis conclue en 1942 entre la compagnie forestière et le gouvernement fédéral abordait la question des droits de coupe de bois sur la réserve, après la cession consentie par la PNH en 1938. Cette convention accordait un accès routier pour aller chercher les grumes récoltées dans la réserve, mais cet accès était restreint et ne permettait pas la construction d’un chemin primaire entre les hautes terres de la compagnie et le débarcadère Sarita de la baie Christie.

[46] La construction de la route et le prélèvement de gravier dans la réserve à cette fin constituaient manifestement une intrusion dans la RI Numukamis no 1 par la compagnie forestière, qui n’était pas prête à retarder ses opérations pendant qu’elle négociait avec la PNH le droit de transporter du bois à travers la réserve.

[47] En août 1948, le surintendant des Indiens de l’Agence de la côte Ouest, N. W. Garrard, a rapporté à W. S. Arneil, le commissaire des Indiens de la Colombie-Britannique que du bois coupé à l’extérieur de la réserve était régulièrement transporté le long du chemin primaire de Sarita qui passait dans la réserve. Il lui a dit que, pour pouvoir exercer ses activités, la compagnie forestière devait louer l’emprise du chemin. Il a également informé la compagnie de cette exigence. Puis, en octobre 1948, il est revenu à la charge et la compagnie forestière a proposé de payer la somme de 25 $ l’acre pour la location des terres.

[48] Arneil a réagi de façon positive à cette proposition. Il a demandé à Garrard de présenter l’offre à la PNH et d’aviser cette dernière que la compagnie allait déplacer son chemin si l’offre n’était pas acceptée.

[49] L’idée que la compagnie forestière déplacerait le tronçon du chemin primaire qui traversait la réserve semble sans fondement. La compagnie avait déjà dépensé environ 60 000 $ en 1949 pour construire ce tronçon. Il aurait coûté 75 000 $ de plus en 1951 pour que le chemin contourne la réserve (rapport d’expert préparé par David Osland, daté du 27 juin 2018 et révisé le 17 janvier 2019, pièces 22 et 26, à la page 15), chemin qui aurait compté une pente dont la déclivité de 6% ne se comparait pas avantageusement à celle des pentes de la réserve. Finalement, une voie de contournement a été construite en 1976, mais seulement après que la compagnie forestière eut obtenu du financement provincial assorti d’une reclassification du chemin, qui est devenu une voie d’accès à la communauté de Bamfield, sur la côte Ouest. La voie de contournement déroutait les véhicules hors de la réserve, telle qu’elle était à l’époque, pour les faire passer sur des terres provinciales, et le changement de classification — de chemin forestier privé à route accessible à tous — ne nécessitait pas l’approbation de la PNH.

[50] En décembre 1948, la PNH a rejeté l’offre de 625 $ par année (25 $ l’acre) présentée par la compagnie forestière. La PNH a précisé qu’un loyer minimum de 1 000 $ par an devait être versé. La compagnie avait offert la somme de 25 $ l’acre parce que c’était ce qu’elle payait pour passer dans la réserve indienne des Tseshaht, près de Port Alberni. Cependant, l’offre de la compagnie souffre de cette comparaison parce que la Première Nation des Tseshaht n’a jamais consenti de plein gré à donner accès à sa réserve en contrepartie de cette somme. Le droit de passer dans la réserve a été consenti lorsque l’accès au bois a été jugé nécessaire pour soutenir l’effort de guerre, et la somme a été fixée par décret du Conseil privé en 1941.

[51] Garrard a fait remarquer que la PNH faisait référence à un bail routier plus récent dans la réserve indienne no 1 de la Première Nation des Pacheedaht. Il s’agissait d’un bail consenti à la British Columbia Forest Products Limited pour des terres de réserve d’une superficie bien plus petite (3,14 acres), mais pour un prix avoisinant les 100 $ l’acre par année. Il a aussi souligné que les relations s’étaient détériorées en raison de l’utilisation non autorisée que la compagnie forestière avait faite de la réserve.

[52] Arneil a continué à appuyer l’offre de la compagnie forestière. Dans ses échanges ultérieurs avec la PNH, il a invoqué d’autres arguments en ce sens. Il a notamment fait valoir que la province pouvait prendre, au nom de la compagnie, jusqu’à 1/20 de la réserve sans verser d’indemnité. Il faisait ainsi allusion à une disposition du décret 1938/1036 (décret no 1036) qui permettait à la province de reprendre jusqu’à 1/20 d’une réserve à des fins d’intérêt public, pour une voie publique, par exemple. Il a aussi dit que la Forest Act autorisait l’accès au bois sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’approbation de la PNH.

[53] Il n’existait alors aucune route provinciale qui aurait permis l’annexion de terres de réserve à des fins routières, et il semble très peu probable que la province aurait invoqué une telle disposition pour autoriser l’aménagement d’un tronçon de deux miles, éloigné de tout embranchement donnant accès à d’autres routes, dans le seul but de permettre à la compagnie d’exploitation forestière d’acheminer ses grumes jusqu’à l’aire de flottage. La Forest Act permettait le transport du bois sur des terres privées et peut-être même sur des terres de réserve situées près des secteurs où il y avait du bois de qualité marchande afin de permettre l’accès à ce bois, mais comme je l’ai mentionné précédemment, le droit de passage ne pouvait excéder 40 pieds de largeur, ce qui était insuffisant pour pouvoir accueillir le chemin primaire de la compagnie forestière.

[54] Aucune mesure n’a été prise pour empêcher la compagnie forestière de continuer à transporter ses grumes à travers la réserve en attendant que l’affaire soit réglée. Après que la PNH eut rejeté l’offre initiale de la compagnie forestière, Arneil a envoyé Garrard, son supérieur, W. S. McGregor, et un représentant de la compagnie pour présenter à nouveau l’offre au chef Jack Peters. Ce dernier a réitéré la position de la PNH et McGregor a rapporté qu’il avait l’impression que la compagnie finirait par accepter le prix demandé par la PNH.

[55] Cependant, une fois de plus, le ministère n’a rien fait pour empêcher la compagnie forestière d’utiliser la route et la compagnie a continué de fonctionner comme avant.

[56] En avril 1950, Garrard a écrit à Arneil pour l’informer qu’après avoir rejeté l’offre de la compagnie forestière, en décembre 1948, la PNH avait demandé au ministère, à deux reprises (en janvier 1950 et en avril 1950), d’imposer à la compagnie le paiement d’une somme de 1 000 $ par année pour l’utilisation des terres faisant partie de l’emprise. En octobre 1950, Garrard a demandé à Arneil si une décision avait été prise à ce sujet.

[57] Arneil a décidé de renvoyer Garrard pour qu’il présente à nouveau à la PNH l’offre de la compagnie forestière et qu’il lui rappelle que la province pouvait prendre les terres pour y aménager une autoroute, ou encore que la compagnie forestière pouvait invoquer la Forest Act, et qu’il lui dise qu’en tardant à répondre, elle perdait 5 % d’intérêt sur les paiements qu’elle aurait pu recevoir.

[58] À la suite de cette rencontre de novembre 1950, la PNH a changé d’avis. Elle a accepté la somme de 625 $ par année, mais seulement pour une période de cinq ans, rétroactive au 1er juin 1948, date à laquelle la compagnie forestière avait commencé à utiliser la route. Cela signifie que le prix devait être renégocié environ deux ans et demi plus tard. C’était la première fois que l’on faisait explicitement référence à la durée du bail en tant qu’élément d’un accord ultérieur. Cependant, la compagnie forestière s’attendait clairement à une durée beaucoup plus longue. Elle a donc proposé qu’on lui accorde une servitude à perpétuité, ou à tout le moins un bail de 42 ans. Elle n’a pas consenti au bail de cinq ans que lui avait proposé la PNH.

[59] La compagnie forestière avait fait valoir que le chemin ne serait utilisé que de façon occasionnelle au cours des cinq années suivantes, ce qui ne correspond pas aux relevés des activités d’exploitation forestière menées durant ces mêmes années. Plus particulièrement, en 1952, la quantité de bois transporté dépassait les 23 000 MBF (milliers de pieds‑planche), l’un des taux de production annuelle les plus élevés de la vie utile du chemin primaire de la réserve, qui a été utilisé jusqu’en 1976.

[60] Là encore, rien n’a été fait pour limiter l’utilisation du chemin et, en septembre 1951, Garrard a, selon les instructions d’Arneil, de nouveau présenté l’offre de la compagnie forestière à la PNH et lui a fait savoir que la compagnie accepterait probablement un bail de 21 ans assorti d’une option de renouvellement de 21 ans.

[61] Par résolution du conseil de bande adoptée le 4 septembre 1951, la PNH a finalement consenti au paiement annuel de 625 $, rétroactif au 1er juin 1948, pour [traduction] « une période de 21 ans, renouvelable » (RCDR, vol 1, onglet 40).

[62] La résolution du conseil de bande ne précise pas la durée du renouvellement. Dans les faits, la clause de renouvellement de 21 ans contenue au bail rédigé par le ministère en 1955 était inexécutoire et n’a jamais été invoquée par la compagnie forestière. Le bail a expiré 21 ans après 1948, soit en 1969, lorsqu’un nouvel accord a été négocié directement entre la PNH et la compagnie forestière.

[63] La PNH était réticente à accepter ces conditions et cela n’a pas changé après l’adoption de la résolution du conseil de bande en septembre 1951. Arneil pensait que le bail pourrait être signé sans que la PNH n’ait à céder au Canada la partie de la réserve occupée par le chemin. Il a cependant été informé par le surintendant des Réserves et fiducies, à Ottawa, qu’elle devait être cédée à la Couronne fédérale avant que le Canada puisse conclure un bail au nom de la PNH. La cession a été préparée et présentée à la PNH. Sa réponse à cette nouvelle exigence fut qu’il fallait suspendre l’affaire. Garrard avait le sentiment qu’il s’agissait probablement d’une nouvelle tentative pour obtenir un meilleur prix. Finalement, en janvier 1955, plus de six ans après avoir rejeté l’offre pour la première fois, la PNH a approuvé la cession de 25 acres au Canada, ce qui a permis au Canada de signer le bail en avril 1955, avec effet rétroactif à juin 1948 quant à l’utilisation du chemin et l’exigibilité des paiements. Ce bail devait rester en vigueur jusqu’en juin 1969 et comportait une option de renouvellement de 21 ans qui a plus tard été reconnue comme étant inexécutoire.

VI. SUITE DE L’EXPOSÉ DOCUMENTAIRE

A. Renégociation relative au tronçon du chemin primaire de Sarita qui traverse la RI Numukamis no 1

[64] Le bail accordé par la Couronne en avril 1955 en vue de donner accès aux terres cédées était d’une durée de 21 ans et était assorti d’une période optionnelle de 21 ans, plus précisément (RCDR, vol 1, onglet 54) : « [...] d’une autre période de vingt et un ans, à un taux de location qui sera alors convenu, sinon aux mêmes conditions que celles prévues dans le présent document ». Selon un avis que le ministère de la Justice a fourni au ministère des Affaires indiennes en 1974, les clauses d’option de renouvellement contenues dans les baux rédigés par le ministère étaient considérées comme étant inapplicables et sans effet en raison de l’incertitude entourant les modalités de renouvellement.

[65] En 1964, voyant que le bail initial allait probablement expirer, la compagnie forestière a proposé que le titre afférent à l’emprise, d’une superficie de 25 acres, lui soit cédé pour la somme de 8 000 $ et que le taux des redevances versées pour le bois récolté dans la réserve soit modifié.

[66] La PNH a refusé de vendre l’emprise, et les parties ont entamé des négociations afin de convenir d’une nouvelle période d’accès. Avec l’encouragement du commissaire des Indiens de la Colombie-Britannique de l’époque, ces négociations ont donné lieu à des échanges beaucoup plus directs entre la PNH et la compagnie forestière. Au début de 1969, la PNH a demandé et obtenu l’autorisation d’utiliser ses propres fonds pour procéder à une évaluation des 25 acres de terres sur lesquelles passait le chemin. Cette évaluation a suggéré un prix de location annuel de 700 $.

[67] Selon la preuve d’expert présentée au cours de la présente audience, il était courant autrefois d’établir le montant à payer pour un bail d’accès en fonction d’un taux à l’acre. Cela laisse croire que l’on se fiait davantage à la valeur des terres qu’on ne le faisait plus tard, lorsqu’il est devenu plus fréquent de calculer le montant à payer en fonction du volume de bois transporté sur l’emprise. Cette deuxième méthode de calcul reflétait mieux l’avantage logistique de l’emprise par rapport à la simple affectation des acres occupées.

[68] Le ministère a compris ce principe assez tôt dans l’histoire des baux relatifs à l’emprise passant dans la RI Numukamis no 1. En août 1958, le superviseur régional des agences indiennes a reçu un rapport rédigé par un consultant embauché par une société forestière industrielle qui expliquait l’un des facteurs dont il fallait tenir compte :

[traduction]

(b) Existe-t-il d’autres chemins, outre ceux qui passent sur les terres indiennes?

[...]

Le cas échéant, combien le demandeur économise-t-il par MBF de grumes ou de bois d’œuvre [...]

De plus, il faut se rappeler que l’octroi d’un droit de passage sous forme de loyer annuel ne génère que des revenus minimes et ne tient pas compte du trafic et du MBF ou du poids en tonnes transporté sur les terres constituant l’emprise.

Par conséquent, il est préférable de trouver un juste milieu entre des frais nominaux annuels pour l’« occupation » et des frais de transport justes et équitables, tout en gardant à l’esprit les coûts plus élevés que pourrait devoir supporter le locataire ou le titulaire de permis si un autre chemin devait être utilisé. [RCDR, vol 2, onglet 120]

[69] Le consultant exposait ensuite les frais appliqués à l’époque (1958‑1959) dans l’industrie, en ce qui concerne les droits de passage sur des terres forestières : des frais de location annuels pour chaque 5,33 acres – entre 25 $ et 100 $, et des droits de transport – entre 0,35 $ et 1,00 $ par MBF. Les frais de location de 625 $ exigés pour les 25 acres occupées par le chemin primaire dans la réserve se comparent avantageusement à ceux présentés par le consultant, mais les frais établis en fonction du MBF ne faisaient pas partie des conditions consenties par la compagnie forestière. Compte tenu des volumes transportés, ces sommes auraient grandement fait croître les revenus globaux.

[70] En ce qui concerne le renouvellement du droit de passage en 1969, il semble évident que la PNH a rejeté le taux de location suggéré par l’évaluateur parce qu’il ne tenait pas suffisamment compte de la valeur du chemin. Elle a donc proposé comme conditions de renouvellement : un loyer annuel de 1 200 $, pendant 21 ans, mais revu tous les cinq ans. L’accord, rédigé par le ministère sous forme de permis d’accès, prévoyait que si un différend survenait au sujet du renouvellement, la question du taux de location serait soumise pour arbitrage à la Cour de l’Échiquier (aujourd’hui la Cour fédérale). La compagnie forestière a accepté ces conditions et un accord a été conclu quant à l’utilisation du chemin forestier dans un document intitulé « Permis », daté du 14 mai 1969.

[71] Dans l’avis préparé par le ministère de la Justice en mars 1974, dont il a été question précédemment, il est mentionné que les clauses d’option de renouvellement contenues dans les baux de terres de réserve, selon lesquelles les modalités de renouvellement devaient être déterminées par les parties ou par la Cour de l’Échiquier, étaient inapplicables, et que tout renvoi à la Cour de l’Échiquier aurait été [traduction] « parfaitement inutile » [...] [et que dans les baux contenant de telles clauses] il n’existe aucune “option” ni aucun “droit de renouvellement” » (souligné dans l’original; RCDR, vol 2, onglet 73). Je crois que cet énoncé est juste, à la lumière de l’arrêt rendu en 1929 par la Cour suprême du Canada, Murphy v McSorley, [1929] RCD 542. Dans cet avis, le ministère de la Justice fait référence à un certain nombre de fois où on lui a demandé son opinion sur la question, et au fait qu’il avait [traduction] « [...] toujours dit qu’une clause de cette nature [était] nulle pour cause d’incertitude [...] ». Malgré tout, le ministère de la Justice a continué à inclure des clauses d’option de renouvellement identiques ou similaires dans les « permis » puisque ce n’est qu’après 1956 que les baux ont été ainsi nommés, lorsque l’ancien pouvoir de conclure des baux prévu par la Loi des Indiens, SRC 1927, c 98, pour une durée maximale d’un an, a été remplacé par un pouvoir d’accorder des permis de plus longue durée.

[72] L’expiration imminente du permis de cinq ans accordé en 1969 a incité les parties à entamer des négociations au début de 1974. La PNH a proposé d’augmenter le loyer de 1 200 $ à 2 400 $ par année et, pour la première fois, elle a suggéré que des frais de 1,50 $ par MBF transporté sur le chemin soient appliqués. Il appert du registre de 1974 dans lequel est consigné le volume de bois transporté, que plus de 18 000 MBF ont été transportés pendant cette saison de coupe. La résolution par laquelle le conseil de bande a présenté l’offre mentionne aussi que l’emprise serait réduite à 66 pieds.

[73] Une rencontre a donc eu lieu entre le chef de la PNH, Arthur Peters, et des représentants de la compagnie forestière. Ils sont parvenus à un accord, qui a été entériné par une résolution du conseil de bande adoptée le 1er septembre 1974. Si le loyer basé sur le volume est un élément qui n’a pas été adopté, le loyer annuel pour les 25 acres de terres a toutefois fait l’objet d’une forte augmentation, passant de 1 200 $ à 12 000 $. L’emprise a conservé une largeur de 100 pieds, mais la compagnie forestière a convenu de corriger les tronçons excédant cette limite, d’améliorer les virages à visibilité restreinte et la signalisation, et de mieux surveiller les limites de vitesse.

[74] Ce permis devait expirer en juin 1979, mais dans l’année suivant sa signature, la compagnie forestière a essayé de convaincre le gouvernement provincial de participer au réaménagement de la route, de sorte qu’elle fasse partie d’un réseau offrant un accès plus régulier au public par le chemin forestier reliant Port Alberni à Bamfield. Il était notamment proposé de construire la voie permettant de contourner l’ancienne limite orientale de la réserve. La compagnie forestière a réussi à convaincre la province de contribuer au financement des modifications nécessaires et, en 1979, le bois était transporté sur la voie de contournement.

B. Résiliation du permis d’utilisation de l’emprise

[75] Le permis a été renouvelé pour cinq ans, soit du 1er juin 1974 à la fin de mai 1979, à un taux annuel de 12 000 $. La compagnie forestière a versé le paiement de mai 1979, mais n’a pas présenté de nouvelle demande visant à prolonger le bail et a avisé le ministère en octobre 1979 qu’elle renonçait au bail. Cinq mois s’étaient donc écoulés depuis le début de ce qui aurait été une troisième période de cinq ans. Dans son avis, la compagnie mentionnait qu’elle n’utilisait plus le tronçon du chemin primaire de Sarita qui passait dans la réserve depuis 1978. Elle croyait donc ne plus rien devoir au titre du permis de 1969, qui devait, du moins en théorie, être prolongé pour une autre période de 11 ans. La compagnie forestière a finalement versé la somme de 7 000 $ à la PNH à l’issue des négociations visant à mettre fin au bail. Cela représentait cinq mois de paiements – les cinq mois qu’elle avait mis pour aviser le ministère qu’elle mettait fin au bail – plus une période de préavis de 60 jours. L’acte de renonciation officiel a été signé le 31 octobre 1983.

VII. ARGUMENTS DE LA REVENDICATRICE

[76] La revendicatrice soutient que le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qu’il avait envers elle, notamment :

  1. en permettant à la compagnie forestière de construire et d’utiliser, sans autorisation, le tronçon du chemin primaire de Sarita qui traversait la réserve, et en ne recourant pas aux pouvoirs conférés par la Loi des Indiens pour prévenir les intrusions, entre 1948 et 1955, année où le premier bail a été signé. En ne prenant pas de mesures pour obliger la compagnie forestière à cesser de pénétrer sur les terres, le Canada a manqué à son obligation de protéger les intérêts de la PNH, et a compromis les efforts déployés par la PNH afin d’être pleinement indemnisée pour le droit de passage accordé dans la réserve;

  2. en permettant l’utilisation non autorisée des chemins secondaires 101 et 103 de 1955 à 1969, et ce, sans que la PNH soit dûment indemnisée;

  3. en n’agissant pas avec diligence dans le meilleur intérêt de la revendicatrice, en n’examinant pas attentivement les offres proposées par la compagnie forestière, en n’évaluant pas correctement les biens de la revendicatrice, en ne faisant pas une divulgation suffisante et en ne menant pas des consultations adéquates, et en ne corrigeant pas les erreurs lorsque les occasions de le faire se sont présentées, notamment en insistant à plusieurs reprises auprès de la PNH pour qu’elle accepte les offres de la compagnie forestière, en ne respectant pas le fait que la PNH préférait un accord de courte durée en ce qui concerne le chemin primaire et, par la suite, en ne l’informant pas des nouvelles formes de baux et des avis d’experts qu’il avait reçus, selon lesquels les baux concernant les droits de passage sur des terres de réserve devaient prévoir une révision du loyer à intervalles plus courts et des paiements calculés en fonction du volume de bois transporté;

  4. en rédigeant des baux dont les clauses relatives à la durée étaient inopposables, de sorte que la compagnie forestière n’a eu qu’une somme minimale à verser lorsqu’elle a mis fin à l’accord de 1969.

VIII. ARGUMENTS DE L’INTIMÉE

[77] L’intimée nie avoir manqué à l’obligation de fiduciaire qu’elle avait à l’égard de la PNH, sauf dans les cas indiqués ci-dessous, et elle soutient que :

  1. la question de l’utilisation par la compagnie forestière du droit de passage du chemin primaire de la réserve, entre 1948 et 1955, a été dûment réglée par la résolution du conseil de bande de 1951 et par le bail avec effet rétroactif de 1955;

  2. les baux conclus étaient comparables à d’autres baux relatifs à un droit de passage dans une réserve et leurs dispositions n’étaient pas déraisonnables, sauf dans les cas mentionnés ci-dessous;

  3. la PNH a, par résolution du conseil de bande, ratifié les dispositions des baux que le Canada avait conclus en son nom et en a ainsi accepté les conditions.

[78] L’intimée admet :

  1. ne pas avoir obtenu une indemnisation suffisante pour la PNH par suite de l’utilisation qu’a faite la compagnie forestière du droit de passage du chemin primaire de la réserve entre le 1er juin 1969 et le 31 mai 1974, ce qui constituait un manquement à son obligation de fiduciaire envers la PNH (le « manquement reconnu relativement au chemin primaire »);

  2. que l’indemnisation versée à la PNH pour le manquement reconnu relativement au chemin primaire aurait dû inclure un montant fondé sur le volume de bois récolté à l’extérieur de la réserve puis transporté dans la RI Numukamis no 1 en passant par le chemin primaire, selon les estimations présentées par l’expert de l’intimée, M. Osland, dans son rapport;

  3. ne pas avoir réussi à obtenir une indemnisation suffisante pour la PNH par suite de l’utilisation qu’a faite la compagnie forestière des chemins secondaires 101 et 103, entre le 1er janvier 1955 et le 31 décembre 1967, pour transporter le bois récolté à l’extérieur de la RI Numukamis no 1, ce qui constituait un manquement à son obligation de fiduciaire envers la PNH (le « manquement reconnu relativement aux chemins secondaires »);

  4. que l’indemnisation versée à la PNH pour le manquement reconnu relativement aux chemins secondaires aurait dû correspondre aux montants établis par les experts des parties.

IX. QUESTIONS EN LITIGE

[79] L’intimée a-t-elle manqué à ses obligations de fiduciaire envers la revendicatrice au motif que le Canada :

  1. n’a pas défendu convenablement l’intérêt qu’avait la PNH à obtenir des conditions satisfaisantes, en ce qui concerne la contrepartie financière et la durée du bail, lorsqu’il a accordé un droit de passage sous bail en 1955, et consenti ensuite à sa prorogation;

  2. n’a pas obtenu d’indemnité adéquate lorsqu’il a consenti, au milieu des années 1970, à mettre fin au droit de passage du chemin primaire de la réserve;

  3. n’a pas défendu convenablement l’intérêt qu’avait la PNH à obtenir une contrepartie financière satisfaisante en échange de l’utilisation par la compagnie forestière des chemins secondaires 101 et 103 entre le milieu des années 1950 et 1967, et n’a pas conclu d’accord en ce sens?

[80] Si l’intimée a manqué à ses obligations de fiduciaire envers la revendicatrice, quelle est la valeur de la perte historique attribuable à ces manquements?

X. OBLIGATION LÉGALE DU CANADA ENVERS LES PREMIÈRES NATIONS HUU-AY-AHT

[81] La Colombie-Britannique s’est jointe à la Confédération en 1871. Aux termes de l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, app II, no 10, les terres domaniales du gouvernement provincial devaient être transférées au gouvernement fédéral « [...] au nom et pour le bénéfice des Sauvages [...] ». Il était prévu que : « Le soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice », incombent au gouvernement fédéral.

[82] En 1882, le commissaire des réserves indiennes, Peter O’Reilly, a mis de côté la RI Numukamis no 1 pour l’usage de la PNH. Le transfert définitif de la RI Numukamis no 1 au gouvernement fédéral a cependant seulement eu lieu lorsque, en 1938, la Colombie‑Britannique a cédé la maîtrise et l’administration de l’intérêt propriétal sous‑jacent de la Couronne dans cette réserve et d’autres réserves de la province au moyen du décret 1036.

[83] Pendant que le gouvernement fédéral s’efforçait d’obtenir de la province qu’elle lui transfère les réserves, une commission fédérale‑provinciale, chargée d’examiner le processus d’attribution des réserves, a été mise sur pied (la « Commission McKenna-McBride »). En 1916, la Commission McKenna-McBride a recommandé de retrancher 588 acres de terres situées à l’est de la RI Numukamis no 1, de sorte qu’en 1938, il ne restait plus que 1 112 acres environ à transférer au Dominion. Les terres retranchées ont finalement été restituées à la PNH en 1989, mais l’acte de transfert excluait la route menant à la forêt qui avait été aménagée pour contourner le tronçon du chemin primaire de Sarita qui passait dans la réserve (telle qu’il existait avant la restitution des terres retranchées). L’exposé des faits pertinents quant à la présente l’affaire concerne donc la réserve réduite qui a officiellement été transférée au gouvernement fédéral en 1938, telle qu’elle existait jusqu’à ce que l’acte officiel de renonciation au permis donnant accès au chemin primaire de la réserve soit signé en 1983.

[84] L’obligation de garde et d’administration des terres de réserves qui incombait au gouvernement fédéral aux termes de l’article 13 a existé pendant toutes les années où le chemin primaire de la réserve a été construit et utilisé. L’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum] traite de l’obligation qu’avait la Couronne fédérale d’administrer les terres mises de côté à titre de réserves dans le cadre du processus de création des réserves avant que la Colombie-Britannique ne cède la maîtrise et l’administration de l’intérêt propriétal sous-jacent de la Couronne en 1938. Au paragraphe 85 de l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême du Canada conclut que, pour que naissent des rapports fiduciaires « [...] il faut qu’il existe un droit indien identifiable et que la Couronne exerce, à l’égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité “de la nature d’une obligation de droit privé [...]” ».

[85] Au paragraphe 97 de l’arrêt Wewaykum, la Cour tire la conclusion suivante :

[...] la nature et l’importance du droit des bandes appelantes sur ces terres avant 1938, ainsi que l’intervention de la Couronne pour leur compte, en tant qu’intermédiaire exclusif auprès de tiers (y compris la province), ont imposé à la Couronne l’obligation de fiduciaire de faire montre de loyauté et de bonne foi, de communiquer l’information de façon complète, eu égard aux circonstances, et d’agir avec la diligence « ordinaire » requise dans ce qu’elle considérait raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation.

[86] Au paragraphe 98, à la rubrique « Après la création de la réserve, la portée de l’obligation de fiduciaire de la Couronne s’élargit et vise la préservation de l’intérêt quasi propriétal de la bande dans la réserve et la protection de la bande contre l’exploitation à cet égard. » (souligné dans l’original), la Cour déclare :

Le contenu de l’obligation fiduciaire change quelque peu après la création de la réserve, moment où la bande acquiert un « intérêt en common law » dans la réserve, même si celle-ci est créée sur des terres ne faisant pas l’objet de droits visés au par. 35(1). Dans l’arrêt Guerin [Guerin c R, [1984] 2 RCS 335], p. 382, le juge Dickson a affirmé que cet intérêt, « lorsqu’il est cédé, a pour effet d’imposer à Sa Majesté [une] obligation de fiduciaire particulière ». [Souligné dans l’original.]

[87] La Cour précise ensuite que l’obligation de fiduciaire s’est également appliquée dans d’autres situations de perte de terres de réserve, comme dans les cas d’expropriation (voir : Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 RCS 746; Kruger c Canada, [1986] 1 CF 3 (CA)).

[88] Dans l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25 [Rivière Blueberry], la juge McLachlin a formulé des commentaires au sujet d’une cession de terres de réserve à la Couronne et de leur vente subséquente, y compris les droits tréfonciers qui auraient dû être conservés dans l’intérêt de la bande indienne de la rivière Blueberry. Au paragraphe 35, la juge McLachlin a dit :

Il s’ensuit que, en vertu de la Loi des Indiens, les bandes avaient le droit de décider si elles voulaient céder leur réserve, et que leur décision devait être respectée. Par ailleurs, si la décision de la bande concernée était imprudente ou inconsidérée – et équivalait à de l’exploitation – la Couronne pouvait refuser son consentement.

[89] Au paragraphe 104, la juge McLachlin a exposé l’obligation de soin et de diligence qui incombait à la Couronne :

Voilà à quoi se résume la question. En tant que fiduciaire, la Couronne avait l'obligation d’agir avec le soin et la diligence « qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires » : Fales c. Canada Permanent Trust Co., [1976] CanLII 14 (CSC),] [1977] 2 R.C.S. 302, à la p. 315. Une personne raisonnable ne se départit pas par inadvertance d’un bien qui peut avoir de la valeur et dont la capacité de produire un revenu a déjà été démontrée. Une personne raisonnable ne se départit pas non plus, sans contrepartie, d’un bien qui ne lui coûte rien à conserver et qui, aussi mince que cette possibilité puisse être, pourrait un jour avoir de la valeur. Dans la gestion de ses propres affaires, la Couronne réservait ses droits miniers. Elle aurait dû faire de même pour la bande.

[90] Au paragraphe 22 de l’arrêt Rivière Blueberry, le juge Gonthier a pour sa part dit que l’obligation supposait de faire preuve de diligence raisonnable :

En tant que fiduciaire, le MAI était tenu d’agir avec diligence raisonnable. À mon avis, une personne raisonnable, placée dans la situation du MAI, se serait aperçue, le 9 août 1949, qu’une erreur avait été commise, et elle aurait exercé le pouvoir que lui conférait l’art. 64 pour la corriger, pour acquérir de nouveau les droits miniers et pour conclure une entente de location au profit de la bande. Cette omission constitue un manquement évident à l’obligation de fiduciaire qu’avait le MAI d’agir dans l’intérêt de la bande lorsqu’il effectuait des opérations touchant la R.I. 172.

[91] Dans cette déclaration, le juge Gonthier a également indiqué que la Couronne avait l’obligation de corriger les erreurs qu’elle avait commises en agissant au nom de la bande indienne de la rivière Blueberry. Au paragraphe 115, la juge McLachlin a aussi reconnu cette obligation : « [...] le MAI était tenu d’exercer ce pouvoir [un pouvoir conféré par la Loi des Indiens] pour corriger les erreurs qui portaient préjudice aux intérêts des Indiens vu l’obligation de fiduciaire continue qu’il avait envers ces derniers ».

[92] Dans la décision Première Nation de Lac Seul c Canada, 2009 CF 481, une affaire dans laquelle il était allégué que la Couronne avait mal géré des baux forestiers, la Cour fédérale a conclu, au paragraphe 69 : « [...] la Couronne ne s’est pas acquittée de son obligation fiduciale de “tenter de tirer des biens du bénéficiaire de l’obligation de fiduciaire le meilleur rendement pouvant être raisonnablement et légalement obtenu” ».

[93] Je comprends de ces décisions qu’en raison de l’intérêt identifiable de la PNH dans ses terres de réserve, le Canada avait l’obligation de faire montre de loyauté et de bonne foi, et de communiquer de façon complète l’information, alors que des terres de réserve avaient été affectées à l’emprise du chemin primaire de la réserve. Il était en outre tenu de préserver l’intérêt quasi propriétal de la PNH dans la réserve et de protéger la PNH contre l’exploitation à cet égard. La Couronne avait également l’obligation :

  1. de consulter la PNH et de respecter ses souhaits quant à l’utilisation des terres;

  2. de tirer le meilleur rendement pouvant être raisonnablement et légalement obtenu, ou au contraire, d’éviter de conclure un accord imprudent.

XI. ANALYSE

[94] En l’espèce, la PNH n’a pas proposé de faire passer le chemin primaire de Sarita dans la réserve. La compagnie forestière a commencé à construire la route en 1947 sans y avoir été autorisée. Après avoir découvert qu’elle utilisait le chemin sans autorisation, le surintendant des Indiens de l’Agence de la côte Ouest, Garrard, a reconnu que l’accès au bois hors réserve ne constituait pas un motif justifiant l’utilisation du droit de passage même si, en 1942, la compagnie avait acheté du bois se trouvant dans la réserve même. Il a dit au commissaire des Indiens pour la Colombie-Britannique, Arneil, et à la compagnie forestière qu’il était nécessaire de conclure un bail relativement au droit de passage. Rien n’indique que la PNH a été consultée à ce stade, mais dans les lettres de la PNH et d’Andrew Paull, écrites plus tôt en 1948, il était indiqué que la PNH souhaitait être consultée au sujet des routes, que la construction des routes devait faire l’objet d’un accord satisfaisant et que des loyers adéquats devaient être versés.

[95] La compagnie forestière a poursuivi la construction et a commencé à utiliser le chemin pour transporter le bois récolté hors réserve, mais lorsqu’elle a été confrontée par Garrard, elle lui a proposé de louer les terres au taux de 25 $ l’acre (625 $ par année) et d’acheter le gravier se trouvant dans la réserve pour la somme de 0,05 $ la verge.

[96] Le commissaire des Indiens Arneil a appuyé la proposition de la compagnie forestière. Il a reconnu que la somme proposée était probablement nettement inférieure à ce que les Indiens s’attendaient à recevoir, mais que l’offre était — selon lui — raisonnable, et il a demandé à Garrard d’aviser la PNH que la compagnie déplacerait le chemin si elle n’acceptait pas l’offre. La PNH a rejeté l’offre de 625 $ par année et a plutôt proposé la somme de 1 000 $ par année.

[97] Il a ensuite été décidé de ne pas présenter la contre-proposition de la PNH à la compagnie forestière, mais de demander plutôt au superviseur de Garrard, W. S. McGregor, superviseur régional des agences indiennes, de retourner voir la PNH avec Garrard et l’ingénieur de la compagnie afin d’obtenir l’appui du chef Jack Peters, mais ce dernier a de nouveau rejeté la proposition de la compagnie. McGregor a raconté que le chef Jack Peters avait été très catégorique, et que lui, McGregor, était d’avis que la compagnie forestière finirait par payer. Il a également dit que la compagnie forestière transportait alors du bois et qu’elle allait transporter 60 millions MBF au cours de l’année suivante.

[98] La compagnie forestière a continué à exercer ses activités et, seize mois plus tard, Garrard a avisé Arneil que la PNH avait demandé à deux reprises au ministère d’imposer à la compagnie un loyer annuel de 1 000 $. Cinq mois plus tard, Garrard a de nouveau écrit à Arneil pour s’enquérir de sa décision et il lui a alors fait remarquer que la position de la PNH découlait notamment du fait que la compagnie forestière avait décidé d’aller de l’avant avant que des négociations en bonne et due forme aient lieu. Arneil a alors renvoyé Garrard auprès de la PNH pour lui demander de revenir sur sa décision et l’informer que la province pouvait reprendre 1/20e de la réserve pour les besoins routiers de la compagnie forestière, ou autoriser un droit de passage en vertu de la Forest Act, et que le cas échéant, elle ne recevrait rien, et qu’elle perdait pour le moment 5 % d’intérêt. C’est ce qui a provoqué la rencontre du 22 novembre 1950 et l’acceptation par la PHN de la somme de 625 $ par année, une entente cependant limitée à période de cinq ans, rétroactive au 1er juin 1948.

[99] Arneil a informé la compagnie forestière des concessions faites par la PNH, ce qui n’a fait que l’inciter à demander une servitude perpétuelle, ou du moins un bail de 42 ans. La compagnie forestière a continué d’utiliser le chemin sans autorisation et, en septembre 1951, lorsqu’Arneil a renvoyé Garrard auprès de la PNH pour qu’il lui explique la situation, cette dernière a finalement adopté, le 4 septembre 1951, une résolution du conseil de bande par laquelle elle consentait à un loyer annuel de 625 $, pour une période de 21 ans, rétroactive au 1er juin 1948, avec un droit de renouvellement.

[100] La question qui ressort de cette litanie est celle de savoir pourquoi le ministère n’a pas consulté la PNH pour examiner la possibilité d’interdire à la compagnie forestière d’utiliser le chemin jusqu’à ce que les parties s’entendent sur le prix et la durée de l’entente. Garrard et McGregor ont tous deux laissé entendre que la compagnie forestière finirait probablement par plier. Par ailleurs, Arneil a appuyé les propositions de la compagnie forestière, a fait connaître ses arguments à la PNH et n’a pris aucune mesure efficace, si ce n’est de laisser la compagnie tirer parti du délai et utiliser le chemin.

[101] Si le ministère avait adopté cette approche, je pense que la compagnie forestière aurait probablement fini par accepter de payer la somme de1 000 $ par année, et les deux parties — la compagnie et la PNH — auraient trouvé un compromis quant à la durée de l’entente. La différence entre les sommes proposées aurait à peine permis de financer le déplacement du chemin hors de la réserve, là où une mauvaise pente aurait rendu difficile le transport du bois. Quant aux autres arguments avancés par Arneil — notamment que la province pouvait prendre des terres au profit de la compagnie forestière, ou qu’elle pouvait recourir à la Forest Act — ces scénarios étaient peu probables. Si les parties avaient discuté de la possibilité de faire dévier la route, et incidemment, du risque de perdre des revenus, la PNH aurait au moins été consultée et aurait joué un rôle dans la décision finale. J’ajouterai qu’Arneil a appuyé la position de la compagnie forestière sans avoir obtenu d’avis indépendant sur la raison pour laquelle la PNH souhaitait parvenir à une entente d’accès à court terme moyennant la somme annuelle de 1 000 $, comme celle conclue plus tard, en août 1958, avec F. J. G. Johnson, un forestier industriel.

XII. AUTRES DÉTAILS CONCERNANT LE BAIL DU CHEMIN PRIMAIRE

[102] Une fois la résolution du conseil de bande adoptée, le 4 septembre 1951, laquelle approuvait le paiement annuel de 625 $ pour une période de 21 ans, Arneil a écrit au ministère à Ottawa pour recommander que l’on prépare un bail au titre de la Forest Act provinciale. Comme la Forest Act conférait à la compagnie forestière le droit d’accéder au bois, il ne croyait pas nécessaire de procéder à une cession en vertu de la Loi des Indiens. Deux autres années se sont écoulées avant que la compagnie forestière ne produise les documents d’arpentage nécessaires et que ceux‑ci soient approuvés par le ministère des Mines et des Relevés techniques à Ottawa. Le 17 novembre 1953, Arneil a appris que ce qu’il avait proposé, en lien avec la Forest Act, n’était pas possible puisque les documents d’arpentage faisaient état d’une emprise de 100 pieds de largeur et qu’une cession était nécessaire. Le projet de cession rédigé par le ministère prévoyait le transfert des 25 acres de terres à la Couronne en fiducie, de sorte que la Couronne pouvait louer les terres aux personnes et aux conditions qu’elle jugeait les plus appropriées pour assurer le bien‑être de la PNH. La PNH y confirmait aussi qu’elle ratifiait, ou s’engageait à ratifier, [traduction] « tout ce que ledit gouvernement peut faire, ou faire faire légalement, en lien avec la location desdites terres » (RCDR, vol 1, onglet 51).

[103] Le projet de cession a été présenté à la PNH le 5 mars 1954. C’était la première fois qu’on présentait la cession comme moyen de donner effet au bail. La PNH a fait savoir qu’elle souhaitait poursuivre la discussion et que la cession était reportée à une date ultérieure. Après avoir reçu cette réponse de la PNH, Arneil a demandé au ministère à Ottawa si le projet de cession pouvait être présenté de nouveau à la PNH, et s’il était possible de prévoir des frais de location minimaux. Le 15 mars 1954, on lui a assuré que le projet de cession pouvait être réexaminé et on l’a informé que la pratique était d’obtenir une cession inconditionnelle et de faire ensuite approuver le bail par résolution du conseil de bande.

[104] Le projet de cession a donc été présenté à nouveau à la PNH, qui l’a approuvé l’année suivante, soit le 26 janvier 1955. Le ministère a préparé le bail (625 $ par année, pour une période de 21 ans rétroactive au 1er juin 1948, avec une option de renouvellement pour une autre période de 21 ans), et l’a signé au nom de la PNH, le 15 avril 1955. Contrairement à la pratique décrite dans la lettre du ministère datée du 15 mars 1954, le bail n’a pas été soumis à la PNH pour approbation. Les modalités étaient, à l’exception de la période de renouvellement, les mêmes que celles approuvées, le 4 septembre 1951, par résolution du conseil de bande, sauf que dans cette résolution, la cession des terres à la Couronne n’était pas considérée comme une condition préalable au bail.

[105] Il est difficile de concilier la grande déférence dont a bénéficié la compagnie forestière au cours des diverses étapes de cette transaction avec les mesures unilatérales qu’elle a prises, qui, pourrait‑on croire, auraient dû être accueillies de manière plus négative. La lettre du 5 mai 1964 que J. V. Boys, successeur d’Arneil au poste de commissaire aux Indiens pour la Colombie‑Britannique, a adressée au surintendant local des Indiens à Port Alberni, offre un éclairage utile. Au sujet des permis de coupe délivrés à la compagnie forestière pour les terres de réserve, Boys fait le commentaire suivant à propos du chemin primaire de la réserve (RCDR, vol 1, onglet 55) : [traduction] « Il est important de souligner que, même si la bande d’Ohiet a un certain pouvoir de négociation en ce qui concerne les principales exigences de [la compagnie forestière] en matière de transport, elle est néanmoins dans une position délicate ». Il fait ensuite référence au droit de passage de 40 pieds de largeur dont il est question dans la Forest Act, et ajoute :

[traduction] De plus, si, d’un commun accord, la province souhaitait aménager un chemin donnant accès à la forêt dans la réserve, elle pouvait le faire sans verser d’indemnité à la bande d’Ohiet.

Ce qu’il faut retenir, c’est que la bande d’Ohiet a bel et bien le droit d’obtenir un loyer juste et équitable pour l’utilisation d’un droit de passage sur les terres de sa réserve, mais qu’elle ne peut pas entraver le développement des forêts provinciales ni les activités forestières d’un individu ou d’une société forestière. [Souligné dans l’original.]

[106] Le « commun accord » sur l’aménagement d’un chemin d’accès forestier, dont il est question dans la lettre, est quelque peu ambigu. Il pourrait s’agit d’une référence à un possible accord conclu entre la province et la compagnie forestière pour créer un chemin d’accès forestier par lequel le public pourrait circuler sur les chemins forestiers reliant Port Alberni et Bamfield. Si cette proposition était viable à l’époque, il reste que le chemin ne pouvait pas passer dans la réserve sans que la province n’exproprie les 25 acres, ce qu’elle aurait peut‑être pu faire en invoquant la disposition du décret provincial 1036 qui lui permettait de reprendre 1/20des terres. L’approbation de la Couronne fédérale restait probablement nécessaire et, à moins qu’un tronçon de ce chemin d’accès ne lie les deux communautés situées à 40 milles l’une de l’autre, il était peu probable que 25 acres de terres de réserve soient cédées au profit d’une entreprise forestière privée. Il y avait plus de chances que le chemin soit déplacé à l’extérieur de la réserve, ce qui a d’ailleurs été fait à un coût considérable, avec pour conséquence que la voie de transport vers le débarcadère Sarita situé à la baie Christie s’est retrouvée avec une pente indésirable. Ce déplacement ne s’est cependant fait qu’au milieu des années 1970 dans le cadre d’une initiative visant à offrir un accès routier public entre Port Alberni et Bamfield.

[107] Ces préoccupations, bien que justifiées, n’étaient pas particulièrement viables et lorsqu’elles ont été soulevées en vue d’amener la PNH à accepter la proposition de la compagnie forestière, la PNH ne les a pas trouvées vraiment convaincantes, comme en témoigne sa réticence à accepter.

[108] Il ressort des commentaires du commissaire aux Indiens qu’il jugeait préoccupante l’affirmation selon laquelle la PNH [traduction] « ne peut pas entraver le développement des forêts provinciales ni [les] activités forestières d’un individu ou d’une société » (RCDR, vol 1, onglet 55). Cette opinion et les efforts soutenus qui ont été déployés pour faire valoir la proposition de la compagnie forestière font qu’il est difficile de conclure que le ministère a agi avec une loyauté absolue envers la PNH. Il était de son devoir de loyauté envers la PNH de respecter ses désirs et d’agir avec prudence pour obtenir une contrepartie adéquate en échange de l’accès à l’emprise. Non seulement la préoccupation selon laquelle la position de la PNH risquait d’entraver le développement des forêts ou d’aller à l’encontre des intérêts de la compagnie forestière est exagérée mais, en ce qui concerne les intérêts de la compagnie forestière, cette position tient du conflit.

XIII. POSSIBILITÉ D’EXPROPRIATION – CONTRÔLE PROVINCIAL DES CHEMINS FORESTIERS

[109] L’intimée a présenté des documents montrant que des représentants de la Couronne examinaient la possibilité que la compagnie forestière sollicite l’expropriation de la partie de l’emprise du chemin primaire de Sarita qui traversait la RI Numukamis no 1. Elle a soulevé cette possibilité alors qu’elle évaluait le pouvoir de négociation de la PNH au regard de celui de la compagnie forestière et l’approche du ministère quant aux négociations avec la compagnie.

[110] On en apprend davantage sur les mesures que la province songeait à prendre pour avoir accès à la forêt dans une lettre datée du 8 juillet 1960 que F. J. G. Johnson — chargé de donner des conseils sur des questions de foresterie — a envoyée au commissaire des Indiens de la Colombie-Britannique afin de lui présenter un compte rendu de la que le Service des forêts de la Colombie-Britannique était alors en voie d’élaborer et de lui faire part de ses commentaires. Le ministère provincial souhaitait gérer les terres forestières, y compris le régime de concession privée de ferme forestière, dans une perspective de rendement soutenu. Il voulait également donner accès aux terres forestières en créant des chemins d’accès d’intérêt public financés par des fonds publics, fonds qui seraient récupérés par une augmentation des droits afférents à la possibilité de coupe qui est réglementée par le Service des forêts de la Colombie‑Britannique.

[111] L’un des objectifs de la création de chemins d’accès d’intérêt public en milieu forestier était d’empêcher les sociétés forestières – titulaires d’une concession de ferme forestière située devant une forêt, dans les parties inférieures d’une vallée ou d’un bassin versant – de contrôler l’accès au bois se trouvant à l’intérieur des terres.

[112] Le Service des forêts de la Colombie-Britannique s’inquiétait aussi de ce que [traduction] « [...] bon nombre des réserves indiennes de la Colombie‑Britannique soient situées à des endroits stratégiques de manière à contrôler l’accès aux bassins versants ou aux terres à bois » (RCDR, vol 2, onglet 123).

[113] On a demandé à l’un des représentants du gouvernement provincial quelle était la politique relative aux chemins d’accès d’intérêt public en milieu forestier lorsqu’un chemin passait sur des terres de réserve. Il a expliqué qu’on recourait alors au décret 1036 pour exproprier jusqu’à 5 % d’une réserve, et que dans un tel cas, l’indemnité se limitait à la valeur des terres prises pour le chemin, qui était présenté dans la Gazette du Canada comme étant une voie publique.

[114] Selon la lettre du 8 juillet 1960 de Johnson, le ministère était d’avis :

  1. qu’il fallait éviter toute intrusion sur les terres indiennes;

  2. qu’il devait être avisé longtemps avant la prise d’une mesure quelconque (plan, arpentage routier ou construction) afin de pouvoir procéder à des consultations et à des négociations;

  3. que [traduction] « dans l’intérêt du public et des bandes indiennes concernées, il serait aussi bien d’ignorer autant que possible le pouvoir conféré par le décret 1036 et par l’article 35 de la Loi des Indiens [...] » et que, par conséquent, « les demandes provenant du Service des forêts afin d’obtenir des droits de passage sur les terres indiennes devraient être traitées et négociées individuellement » (RCDR, vol 2, onglet 123).

[115] Les représentants du ministère ont fait allusion à d’anciennes ententes qui prévoyaient des droits de transport de 0,10 $ à 0,50 $ par MBF pour les grumes transportées sur les terres de réserve, droits semblables à ceux imposés par d’autres propriétaires fonciers, et à un accord négocié actuellement en vigueur concernant la bande de Lytton, qui prévoyait un droit de transport de 0,50 $ par MBF. Les représentants de la Direction ont demandé si les titulaires de concession de ferme forestière privée pouvaient demander au Service des forêts de la Colombie‑Britannique de procéder à des expropriations à leur avantage. Le représentant du gouvernement provincial qui a répondu a dit qu’il ne croyait pas que c’était possible, sans pouvoir garantir que cela n’arriverait pas.

[116] Voici les conclusions tirées par M. Johnson après la discussion avec les représentants du gouvernement provincial :

  1. les demandes de droit de passage seront présentées individuellement, longtemps à l’avance;

  2. chaque demande sera individuellement négociée avec le bénéficiaire autochtone de la réserve concernée;

  3. les pouvoirs d’expropriation que confère le décret 1036 au gouvernement provincial ne seront invoqués qu’en dernier recours.

[117] M. Johnson conclut en prévenant le commissaire des Indiens de la Colombie-Britannique qu’il est possible que la province procède à l’expropriation des droits de passage au nom de l’industrie du bois d’œuvre et que la question devrait être examinée au niveau ministériel.

[118] Il ressort de cette correspondance intéressante que jusqu’en 1960, le décret 1036 ne servait pas à obtenir un accès privé aux ressources forestières situées dans les terres de réserve, que les droits fixés en fonction du volume permettaient de passer sur les terres de réserve, que le ministère savait que la question des chemins d’accès d’intérêt public en milieu forestier qui devaient passer sur les terres de réserve serait délicate et que les expropriations proposées en vertu du décret 1036 ou de l’article 35 de la Loi des Indiens devaient être considérées comme des mesures de dernier recours, tandis que l’accès devait généralement faire l’objet de négociations individuelles.

[119] En ce qui concerne le chemin primaire de Sarita, il n’a pas été nécessaire d’exproprier des terres de réserve, et il faut dire qu’il était peu probable qu’une telle chose se produise à l’époque où il était question d’un accès routier vers la vallée de la Sarita. Finalement, en 1976, la province a commencé à construire le chemin d’accès d’intérêt public en milieu forestier qui devait relier Bamfield et Port Alberni, mais en optant pour la solution d’une voie de contournement cofinancée pour éviter le périmètre alors occupé par la RI Numukamis no 1. Il appert de l’historique de la construction et de l’utilisation du chemin primaire de la réserve que la voie de contournement était la seule véritable option pour se rendre de l’autre côté de la réserve.

XIV. PREUVE D’EXPERT

[120] La preuve d’expert présentée en l’espèce a porté sur la question de l’insuffisance de l’indemnité versée en contrepartie des accords conclus entre l’intimée et la compagnie forestière relativement au tronçon du chemin primaire de Sarita qui traversait la RI Numukamis no 1, ainsi que sur les chemins secondaires en litige. À l’époque, les conventions de droit de passage étaient fondées soit sur un prix à l’acre, soit sur un prix à l’acre auquel s’ajoutait un prix basé sur le volume de grumes transportées. La preuve d’expert a donc porté sur quatre points :

  1. la question de savoir si la période de 21 ans et le versement annuel de 625 $ prévus au bail de 1955 correspondaient au taux et à la durée des ententes alors applicables dans l’industrie;

  2. la valeur des paiements offerts sur le marché au cours des 30 années d’utilisation du chemin primaire de la réserve;

  3. l’analyse relative au volume de bois coupé et transporté annuellement au débarcadère Sarita par le chemin primaire de la réserve;

  4. les valeurs convenues par les experts en ce qui concerne les chemins secondaires en litige.

[121] L’analyse relative au bois coupé et transporté annuellement à travers la réserve s’avère nécessaire pour déterminer le tarif au volume qui aurait pu servir à calculer le montant à verser pour le droit de passage, s’il avait été souhaitable de consentir une telle forme de bail ou de permis. Comme je l’ai déjà mentionné, le récit de la commercialisation du droit de passage s’échelonne sur une période qui commence alors qu’il était habituel d’adopter un tarif basé sur la superficie occupée pour se terminer à une époque où les paiements étaient déterminés en fonction de la superficie de terres occupées et du volume de bois transporté. La revendicatrice a présenté le témoignage de Bruce Blackwell, un forestier professionnel inscrit, qui a déterminé les secteurs où, à proximité de la vallée de la Sarita, le bois était coupé année après année et qui, se fondant sur un taux de rendement moyen, a calculé le volume de bois transporté au cours des années où la compagnie forestière a utilisé le chemin primaire de la réserve. M. Blackwell, qui est titulaire d’une maîtrise en sciences forestières, possède 29 ans d’expérience en tant que forestier professionnel. En 2016, il a été reconnu en tant qu’éminent forestier professionnel par l’Association of B.C. Forest Professionals. Il a notamment travaillé comme consultant auprès d’entreprises forestières, du gouvernement et d’autres intervenants de l’industrie forestière. Il possède une expérience particulière dans l’évaluation et la gestion des biens forestiers et il connaît bien les concessions de ferme forestière (CFF), dont la CFF 44, qui occupait sur un territoire important à proximité de Port Alberni (Colombie‑Britannique) durant la période pertinente en l’espèce.

[122] M. Blackwell a réalisé l’analyse du volume mentionnée ci‑dessus et a livré un témoignage d’opinion sur le bois qui a vraisemblablement été transporté vers divers débarcadères de grumes, notamment le débarcadère Sarita, le débarcadère de la crique Spencer (débarcadère Spencer) et le débarcadère de la crique Coleman (débarcadère Coleman). Il a également fourni un témoignage d’opinion sur la valeur du chemin primaire de la réserve, mettant l’accent sur la valeur du bois accessible, les différentes solutions qui s’offraient à la compagnie forestière et les ententes d’accès comparables conclues par le Canada au nom de la PNH. Enfin, il a donné son avis sur la suffisance des paiements reçus au titre des ententes conclues par le Canada, au nom de la PNH, à la lumière des normes du marché.

[123] M. Blackwell a décrit le bassin versant de la rivière Sarita comme étant un important lieu de récolte de ressources ligneuses. Il a souligné qu’en 1949, la compagnie forestière a établi à 40 millions de pieds‑planche la quantité de bois marchand se trouvant dans les [traduction] « secteurs de la plaine alluvionnaire située dans les limites du territoire où passe le chemin primaire proposé, et dans le seul secteur du chemin primaire de la réserve » (souligné dans l’original; rapport d’expert préparé par Bruce Blackwell en date du 22 février 2017 et révisé le 24 mars 2017, pièce 7, p. 4 (rapport Blackwell)). Les essences dominantes étaient la pruche, suivie du cèdre, du sapin baumier, du cyprès jaune et du pin. L’exploitation forestière de ce bassin versant était réservée aux camions surdimensionnés, et nécessitait des routes et des voies d’arrêt larges, des pentes favorables et, généralement, une emprise de 100 pieds. Le chemin primaire de Sarita menait au débarcadère Sarita. C’était l’un des rares débarcadères situés au sud du bras Alberni et du détroit de Barkley. Les deux autres débarcadères des environs, le débarcadère Spencer et le débarcadère Coleman, étaient considérés comme de petits débarcadères satellites, alors que le deuxième plus grand débarcadère était le débarcadère Franklin, situé à environ 25 milles au nord‑est.

[124] Selon M. Blackwell, le succès de l’exploitation forestière dans cette région dépendait de la quantité de bois pouvant être transportée jusqu’à l’eau pendant une période donnée. Les plus gros camions pouvaient transporter deux fois plus de bois que les grumiers de taille normale, mais la déclivité des routes devait être favorable. Il a précisé que, pour les grumiers typiques, une déclivité inférieure à 8 % était souhaitable, mais que pour les plus gros camions, dont les charges étaient hautes et lourdes, une déclivité de moins de 5 % était idéale.

[125] M. Blackwell a dit que, dans des secteurs semblables à la vallée de la Sarita, les routes utilisées pour la récolte et le transport du bois suivaient en général le bassin versant des cours d’eau, et que les vallées fluviales offraient l’emplacement idéal pour une route. Dans le cas du chemin primaire de Sarita, qui s’étend sur 26 km depuis la ligne de partage des eaux située à l’extrémité est du bassin versant jusqu’au rivage, un seul kilomètre avait une déclivité de plus de 5 % (6 % entre les kilomètres 12 et 13). Il convenait donc bien à l’utilisation de ces camions.

[126] M. Blackwell a affirmé que les paiements versés pour les emprises routières au titre des ententes d’accès conclues au cours des premières années visées par la présente revendication étaient principalement établis en fonction de la superficie. Ils étaient calculés en multipliant la superficie des terres affectées à l’emprise par le prix à l’acre correspondant à la valeur du terrain où passait le chemin d’accès. Il a précisé que la méthode initiale de fixation des prix a ensuite été modifiée par l’ajout d’un facteur tenant compte du volume de bois transporté sur l’emprise. On obtenait ainsi la juste valeur de l’emprise pour la compagnie forestière, y compris l’avantage que l’accès aux réserves de bois lui conférait. L’estimation du volume était basée sur un prix par MBF (millier de pieds‑planche), ou mètre cube (m3; une unité métrique de volume correspondant environ à cinq fois la mesure du MBF).

[127] M. Blackwell a aussi déclaré qu’au cours des premières années, il était assez habituel de conclure des ententes à long terme, de 20 ans ou plus par exemple, mais que, vu la volatilité du marché du bois au cours des 20 ans qui ont suivi les débuts de l’exploitation forestière dans la vallée de la Sarita, il est devenu courant de conclure des ententes de plus courte durée et d’y inclure une clause de révision de prix, souvent à intervalles de cinq ans. Grâce à ces deux mesures dynamiques — des prix basés sur le volume et des révisions de prix plus fréquentes — les ententes ont fini par mieux refléter les prix et la valeur fluctuante du bois au fil du temps.

[128] Dans son rapport du 24 mars 2017, tel que modifié, et dans son rapport déposé en réponse le 11 septembre 2018, M. Blackwell a donné son avis sur l’indemnité que la revendicatrice aurait dû recevoir au regard des autres ententes d’accès conclues au cours des périodes pertinentes, de même que sur les conditions assortissant ces ententes qui ont changé jusqu’à ce qu’une route de contournement soit construite en 1976. Il a également présenté son évaluation des valeurs qui auraient raisonnablement dû être attribuées au transport du bois par les chemins secondaires.

[129] David Barker, cité par l’intimée, est aussi un forestier professionnel inscrit, titulaire d’un diplôme en aménagement forestier de l’Université de la Colombie-Britannique et d’une maîtrise ès sciences en économie sylvicole d’une université du Costa Rica. Il a notamment de l’expérience dans l’évaluation des ressources forestières, l’aménagement forestier et la planification des récoltes, y compris la conception d’infrastructures permettant la récolte de grandes étendues de terres forestières.

[130] M. Barker a présenté un rapport dans lequel il examinait l’évaluation faite par M. Blackwell des volumes de bois transportés annuellement sur le chemin primaire de Sarita et les chemins secondaires (rapport d’expert préparé par David Barker en date de juin 2018 et révisé en janvier 2019, pièces 21 et 23). S’il a accepté les chiffres obtenus par M. Blackwell pour la coupe de bois annuelle, il n’était pas de son avis quant à la quantité de bois possiblement transportée dans la réserve par le chemin primaire de Sarita. Ce désaccord tenait essentiellement aux blocs de coupe qui longeaient les routes menant aux débarcadères Spencer et Coleman et, pour ce qui est des premières années, au bois transporté depuis la partie supérieure de la vallée de la Sarita par le chemin de fer qui menait au débarcadère Franklin, qui se trouvait au nord‑est. Les quantités de bois transportées aux débarcadères Spencer et Coleman sont importantes en ce sens qu’elles n’ont pas été prises en compte dans le calcul, basé sur le volume, de l’indemnité à verser pour l’emprise du chemin primaire de Sarita qui passait dans la réserve.

[131] L’intimée a aussi présenté le rapport et le rapport révisé de M. David Osland (pièce 22, datée du 17 janvier 2019, et pièce 26, datée de juin 2018). M. Osland est un évaluateur accrédité qui possède de l’expérience dans l’évaluation des terres forestières. Dans son rapport, il présente essentiellement une analyse comparative des ententes d’accès et expose les taux offerts sur le marché pour accéder à l’emprise avant la construction de la voie de contournement. M. Osland a aussi commenté la durée des ententes, qui a changé pendant la période pertinente en l’espèce. Lorsqu’il a présenté les formes d’ententes qui, selon lui, étaient pertinentes pour les dernières années d’existence du chemin primaire de Sarita dans la réserve, il a adopté la version révisée des données sur les volumes de bois transportés dans la réserve jusqu’au débarcadère Sarita, calculés par M. Barker, pour déterminer les taux au volume qu’il considérait appropriés et comparables aux autres ententes jugées pertinentes pour l’évaluation.

[132] L’analyse des volumes de bois transportés sur le chemin primaire de la réserve a posé des défis de taille. Dans les premières années suivant la signature de la première entente d’accès, le chemin primaire de Sarita se rendait jusqu’à la partie supérieure de la vallée de la Sarita, mais ne se rendait pas à la ligne de partage entre les bassins versants de la crique Coleman et de la rivière Sarita, là où se rejoignent maintenant le chemin primaire de Sarita, la partie supérieure du chemin primaire de Harrison et les chemins d’accès de Coleman (voir la carte jointe comme annexe A). Certaines de ces zones supérieures étaient accessibles à l’époque, et des grumes étaient transportées par le chemin de fer forestier de la rivière Franklin. Le chemin de fer s’étendait vers le nord et l’est à partir de ce qui est plus tard devenu le point de jonction. Il devait cependant être mis hors service dès le début des années 1950 pour être remplacé par des routes et des camions. À la fin des années 1950, ou au début des années 1960, un lien routier vers cette jonction a été construit parallèlement au talus de chemin de fer se trouvant dans la partie supérieure du bassin versant de la Coleman. La route bifurquait ensuite pour suivre la crique Coleman jusqu’à son embouchure et au nouveau débarcadère Coleman situé sur les rives du détroit Barkley.

[133] Peu avant que ce chemin devienne accessible, la compagnie forestière a prolongé le chemin primaire de Sarita jusque dans la partie supérieure, utilisant à cette fin un chemin de raccordement qui traversait le lot 735, une parcelle de terres publiques. Pour compliquer davantage l’accès, le chemin primaire de Harrison, qui s’étendait à l’est et au nord du chemin primaire de Sarita situé légèrement en amont du lac Sarita, a finalement été prolongé pour rejoindre le chemin primaire de Sarita à la jonction de la ligne de partage des eaux, ce qui donnait ainsi d’autres options de transport à partir de la partie supérieure du bassin versant.

[134] Les volumes de bois récoltés n’étaient pas automatiquement consignés pour chaque zone de coupe, et les évaluations de M. Blackwell étaient fondées sur la superficie des blocs de coupe et des rendements moyens à l’acre. Par ailleurs, il n’existe aucun document faisant état du volume de bois transporté sur les diverses routes. Les analyses faites par MM. Blackwell et Barker, quant à savoir lequel des différents débarcadères avait probablement servi au transport des grumes vers le rivage, reposaient sur leur expérience, les caractéristiques des routes menant aux différents emplacements, les caractéristiques des débarcadères qui ont été relevées à partir de photographies aériennes prises à différents moments et les descriptions figurant dans les évaluations des débarcadères de la compagnie forestière.

[135] Le troisième débarcadère, à l’embouchure de la crique Spencer, a été le dernier à être aménagé par la compagnie forestière. Il était relié au chemin primaire de Sarita à partir de l’ouest, non loin de l’embranchement vers l’est du chemin primaire de Harrison. Les dates auxquelles ces routes ont été ouvertes ou, dans le cas du chemin de fer, la date à laquelle il a été mis hors service, ainsi que les avantages que chacune de ces voies d’accès présentaient, sont à l’origine d’un désaccord entre M. Blackwell et M. Barker quant aux volumes de bois réellement transportés à travers la réserve par le chemin primaire de Sarita jusqu’au débarcadère Sarita. Dans son examen initial, M. Barker a dit qu’environ 63 % seulement du volume indiqué par M. Blackwell était acheminé vers le débarcadère Sarita et que le reste allait au débarcadère Spencer (21 %) et au débarcadère Coleman (16 %). Chacun de ces experts a dans une certaine mesure changé d’avis après avoir examiné à nouveau la preuve – M. Barker faisant passer le pourcentage du volume transporté au débarcadère Sarita à 67 % – mais des différends importants subsistaient entre eux.

[136] Les deux parties ont convenu que l’entente initiale conclue entre le Canada et la compagnie forestière serait un bail fondé sur la superficie, comme il était d’usage à l’époque. Cela étant, la question de savoir quelle quantité de bois a été transportée par le chemin de fer de la rivière Franklin devient théorique. L’importance relative des trois débarcadères (Sarita, Spencer et Coleman) a cependant une incidence sur l’élément « volume » des ententes d’accès qui, selon les deux experts, était devenu la norme vers la fin de la relation entre les parties. Par conséquent, j’aborderai plus loin dans les présents motifs la question de savoir comment les experts ont résolu les différends qui les opposaient quant aux périodes ultérieures en cause.

XV. CONCLUSION – MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE FIDUCIAIRE RELATIVEMENT AU BAIL INITIAL

[137] En agissant au nom de la PNH, le Canada avait en premier lieu un devoir de loyauté. Au paragraphe 86 de l’arrêt Wewaykum :

1. Le contenu de l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones varie selon la nature et l’importance des intérêts à protéger. Cette obligation ne constitue pas une garantie générale.

2. Avant de créer une réserve, la Couronne accomplit une fonction de droit public prévue par la Loi sur les Indiens, laquelle fonction est assujettie au pouvoir de supervision des tribunaux compétents pour connaître des recours de droit public. Des rapports fiduciaires peuvent également naître à cette étape, mais l’obligation de la Couronne à cet égard se limite aux devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation.

3. Après la création de la réserve, la portée de l’obligation de fiduciaire de la Couronne s’élargit et vise la préservation de l’intérêt quasi propriétal de la bande dans la réserve et la protection de la bande contre l’exploitation à cet égard.

[138] Au moment des événements en litige dans la présente revendication, la RI Numukamis no 1 était entièrement créée en droit. Le Canada était en outre tenu : d’agir de bonne foi en communiquant toute l’information pendant la garde et l’administration des terres constituant la réserve de la PNH, de préserver la réserve et de la protéger contre l’exploitation. En tant que fiduciaire, la Couronne est aussi tenue d’agir avec « diligence raisonnable », soit celle « qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires » (Rivière Blueberry, aux par 22, 104, citant Fales c Canada Permanent Trust Co, [1977] 2 RCS 302 à la p 315).

[139] Le Canada a été informé par la lettre que lui ont transmise en janvier 1948 le chef et les membres de la PNH et la lettre écrite en février 1948 par Andrew Paull, que la PNH voulait participer au processus qui permettrait d’obtenir une somme adéquate pour le droit de passage. Quand il a été révélé que la compagnie forestière utilisait le chemin primaire de la réserve sans autorisation, aucune mesure efficace n’a été prise pour l’obliger à négocier de bonne foi. Au contraire, le commissaire des Indiens pour la Colombie-Britannique, Arneil, s’est fait le défenseur de l’offre présentée par la compagnie forestière, affirmant que cette dernière déplacerait sans doute le chemin ou qu’elle réussirait à convaincre le gouvernement provincial d’exproprier ou de reprendre les terres de réserve à son avantage, et ce, sans même avoir analysé la viabilité de ces mesures ni demandé l’avis de la PNH sur la stratégie à adopter devant ces éventualités.

[140] Dans son témoignage, M. Osland a mis en perspective les aspects économiques du déplacement du chemin. En 1949, la compagnie forestière avait déjà dépensé 60 000 $ pour le chemin primaire de Sarita passant dans la réserve. La construction d’une voie de contournement nécessiterait probablement une somme encore plus élevée et introduirait une déclivité défavorable dans cette section du chemin. La compagnie forestière serait également contrainte de retarder la récolte du bois et de consacrer des ressources à la construction du chemin, dans une période où elle essayait de profiter de la vigueur des prix du bois. M. Osland a estimé que le coût de la voie de contournement après amortissement, aux taux d’intérêts alors en vigueur, se serait élevé à 3 328 $ par année sur 80 ans. À l’instar de M. Blackwell, il a conclu que la voie de contournement n’était pas une solution économique viable au regard des paiements prévus aux termes de conventions de bail comparables conclues pour d’autres droits de passage.

[141] L’idée d’exproprier une section du chemin primaire de la réserve équivalant à deux milles était en outre une solution moins que viable pour parvenir à convenir de modalités de bail satisfaisantes pour les deux parties. La largeur d’accès de 40 pieds prévue à la Forest Act n’était pas suffisante pour l’utilisation que la compagnie forestière comptait faire du chemin primaire de Sarita. Par ailleurs, la disposition du décret 1938/1036 — qui permettait de reprendre 1/20e des terres de réserve à des fins publiques — était une disposition à laquelle on menaçait parfois de recourir, mais qui était rarement appliquée. Il aurait été difficile justifier son application par la simple volonté de permettre à la compagnie forestière de bénéficier d’un droit de passage sur une distance de deux milles, loin des voies publiques, et de lui éviter d’avoir à construire une voie de contournement viable, mais coûteuse.

[142] M. Blackwell a déclaré que les ententes relatives au chemin primaire de la réserve signées par l’intimée pendant la période visée par la revendication présentaient trois principaux problèmes (rapport Blackwell, à la p 18) :

[traduction]

La durée de la première entente était trop longue;

Les méthodes utilisées pour évaluer le chemin primaire pendant la durée de chacune des ententes se sont révélées problématiques;

Les taux convenus pour la majeure partie de la durée de l’entente ne semblaient pas raisonnables. [Souligné dans l’original.]

[143] Le troisième point renvoie aux taux fondés à la fois sur la superficie et le volume sur lesquels auraient dû reposer les ententes conclues à l’expiration d’une première entente de 10 ans fondée sur la superficie seulement. Le deuxième point fait référence à l’évaluation inadéquate de la valeur, pour la compagnie forestière, du droit de passage sur la réserve qui lui donnait accès à ses principales ressources forestières, comparativement à la construction d’une route alternative, et compte tenu des taux versés pour d’autres droits de passage comparables.

[144] Le premier point a trait à l’importance pour la compagnie forestière d’obtenir un accès aux ressources, ce qui l’a amenée à faire pression pour conclure une entente à long terme, alors que la PNH avait plutôt intérêt à ce que les taux puissent être révisés à intervalles plus courts afin de tenir compte de la croissance du marché du bois et de la possibilité d’obtenir des paiements plus élevés en raison de l’augmentation de la valeur et des activités de récolte.

[145] En l’espèce, la PNH a clairement dit qu’elle était au départ réticente à consentir à une entente dont la durée était, selon elle, inadéquate, et qu’elle s’opposait à ce qu’une entente de plus longue durée (jusqu’à 42 ans) soit proposée. La PNH ne voulait pas compromettre les intérêts des générations futures.

[146] De l’avis de M. Blackwell, l’entente conclue était injuste (21 ans avec un supposé droit renouvellement de 21 ans, à 625 $ par année). Tenant compte des autres accords conclus avant et après la signature du bail du chemin primaire de la réserve, M. Blackwell a estimé que le paiement de location approprié aurait dû être de 1 304 $ par année. En comparant avec d’autres baux, il est arrivé à la conclusion qu’il aurait été approprié à l’époque de fixer la durée du bail à 20 ans, mais qu’il aurait fallu prévoir une révision après 10 ans.

[147] Lorsqu’il a évalué les normes de l’industrie, M. Osland s’est avant tout appuyé sur son appréciation des caractéristiques des accords comparables avant de conclure qu’une valeur de 25 $ l’acre, pendant 21 ans, était raisonnable et appropriée.

[148] Les analyses de ces deux experts souffrent d’un manque d’accords comparables et de renseignements quant à leur valeur. M. Osland a insisté davantage sur la superficie de terres visées par le bail et leurs autres caractéristiques (p. ex. qu’on y trouvait d’autres aménagements tels qu’un débarcadère, ou que les terres étaient situées à proximité d’endroits habités). Comme je l’ai déjà mentionné, M. Blackwell s’est concentré sur les aspects économiques de la valeur logistique du droit de passage.

[149] Chacune des évaluations reposait en grande partie, encore plus dans le cas de M. Osland, sur le paiement versé en contrepartie d’un droit de passage consenti à la compagnie forestière afin qu’elle puisse traverser la réserve indienne de Tseshaht, située en dehors de Port Alberni. Pour pouvoir exercer ce droit de passage, la compagnie devait verser la somme de 25 $ l’acre — prix fixé en 1941 —pendant 30 ans.

[150] Ce droit de passage, cependant, a été imposé à la Première Nation de Tseshaht – qui s’était longtemps opposée à l’emprise ferroviaire servant à l’exploitation forestière qui traversait sa réserve – en vertu d’une disposition de la Loi sur les mesures de guerre selon laquelle l’emprise était essentielle à l’effort de guerre. Je ne peux donc pas dire que les conditions de cette entente ont été conclues par des parties indépendantes. Je pense que l’on peut affirmer que les deux avis sur la première entente souffrent d’un manque de données comparables à ce stade des travaux d’évaluation. En excluant le droit de passage de la Première Nation de Tseshaht, il ne restait dans les environs que le droit de passage traversant en partie la réserve indienne de Pacheena. La PNH savait que la somme versée en contrepartie de cette emprise s’élevait à près de 100 $ l’acre. Le droit de passage présentait un avantage logistique important en ce qu’il donnait au locataire accès à un pont, ce qui lui évitait d’avoir à en construire un pour traverser une rivière de la région. Cependant, l’emprise n’occupait que trois acres de terres de la réserve. Il était difficile de comparer cette entente et les quelques autres ententes enregistrées pendant cette période initiale puisque chaque entente reposait sur des faits particuliers. Dans leurs évaluations de la première entente, les témoins experts ont mentionné les facteurs pertinents à prendre en considération en plus de présenter leur point de vue général sur ce qui était considéré comme des conditions raisonnables. Or, à mon avis, ces évaluations servent au mieux de toile de fond pour examiner la façon dont le Canada a géré les négociations et tenu compte de la position de la PNH sur les conditions du bail — à savoir que le paiement de location devait être d’au moins 1 000 $ par année, pour une durée plus courte.

[151] Garrard, le surintendant des Indiens pour l’Agence de la côte Ouest, et McGregor, le superviseur régional des agences indiennes, pensaient tous les deux que la PNH était intransigeante et que la compagnie forestière en viendrait probablement à une entente. Au lieu de consulter la PNH pour s’assurer qu’elle était au courant de la situation, le commissaire des Indiens pour la Colombie-Britannique, Arneil, a endossé le rôle de défenseur de la position de la compagnie forestière, en mettant l’accent sur des arguments qui n’avaient aucun fondement réel et en ne faisant rien pour limiter les mesures vigoureuses prises la compagnie au fil des ans avant que la PNH n’approuve enfin une cession aux conditions qui avaient initialement été proposées en 1948. La PNH devait savoir depuis longtemps que le ministère n’appuierait aucune autre offre et qu’elle était aussi bien d’accepter ce qu’on lui offrait.

[152] Même si le ministère s’était mieux acquitté de son rôle envers la PHN et qu’il avait mieux défendu sa position, celle‑ci aurait dû modifier la période de cinq ans qu’elle avait proposée. Au moment où les conditions de la cession ont été acceptées, en 1954, la disposition rétroactive en faisait remonter les effets à 1948, et je conviens avec M. Blackwell qu’il était alors possible de conclure des ententes de moins de 21 ans, mais qu’il aurait fallu que la PNH, généralement réticente à s’engager dans des ententes de plus longue durée, accepte une entente de 10 ans, ou une révision décennale de l’indemnité.

[153] J’estime également que l’intimée a manqué à son obligation envers la PNH :

  1. en ne prenant aucune mesure à propos de l’intrusion;

  2. en n’appuyant pas la position raisonnable de la PNH, défendant en fait la compagnie forestière plutôt que la PNH;

  3. en consentant à des dispositions imprudentes quant à la durée et au prix de location dans l’entente de location de 1955.

XVI. CONCLUSION – DURÉE PROBABLE DES ENTENTES APRÈS LES DIX PREMIÈRES ANNÉES

[154] Ayant conclu qu’une première entente de dix ans aurait été raisonnablement conforme aux attentes de la PNH si celle‑ci avait pu bénéficier du soutien du ministère dans ses négociations avec la compagnie forestière, j’estime que cette entente aurait expiré en juin 1958.

[155] M. Blackwell s’est exprimé comme suit sur les modifications de l’entente qui ont été proposées pour les années 1958 et suivantes (rapport Blackwell, à la p 24) :

[traduction]

En 1958, la PNH était clairement au courant que le chemin primaire avait une grande valeur pour la compagnie, car selon l’analyse du couvert forestier, un volume important de bois était récolté et transporté sur le chemin primaire pendant la période 1 (figure 10 et figure 8). Vu l’importance du chemin primaire pour la compagnie, une personne raisonnable aurait demandé que des modifications soient apportées à l’entente avant d’entamer la période 2.

Dans le cadre de la première révision, la période de révision serait passée de 10 à 5 ans. Il n’était pas rare de conclure une entente de cinq ans à cette époque (annexe B, tableau 7 et tableau 8), et dans les circonstances, une telle entente aurait été raisonnable.

Dans le cadre de la deuxième révision, une clause aurait été ajoutée en ce qui concerne le paiement versé à la PNH en fonction du volume transporté sur le chemin primaire. Ce type d’entente était de plus en plus courant (annexe B, tableau 8) à la fin des années 1950. Par exemple, on pouvait lire dans le rapport d’un professionnel en foresterie transmis à la DAI en août 1958 [...] :

De plus, il faut se rappeler que l’octroi d’un droit de passage sous forme de loyer annuel ne génère que des revenus minimes et ne tient pas compte du trafic et du MBF ou du poids en tonnes transporté sur les terres constituant l’emprise. Par conséquent, il est préférable de trouver un juste milieu entre des frais nominaux annuels pour l’« occupation » et des frais de transport justes et équitables, tout en gardant à l’esprit les coûts plus élevés que pourrait devoir supporter le locataire ou le titulaire de permis si un autre chemin devait être utilisé.

Selon moi, une entente raisonnable aurait été fondée à la fois sur la superficie et sur le volume pour la période 2. De plus, il aurait été approprié d’augmenter le taux fondé sur la superficie de l’emprise dans le cadre de l’entente. Cette augmentation aurait reflété le tarif en vigueur ou d’autres conventions de droit de passage conclues au fil du temps (figure 11). [Souligné dans l’original.]

[156] M. Blackwell a établi des conditions raisonnables pour la révision de 1958, qui prévoyait notamment une augmentation du taux à l’acre par rapport à son évaluation précédente —de 53 $ à 131 $ l’acre — et en introduisant un taux fondé sur le volume de 0,10 $ par MBF. Subsidiairement, si l’entente hypothétique n’incluait pas de taux fondé sur le volume, il a jugé raisonnable un taux fondé uniquement sur la superficie de 154 $ l’acre par année. Suivant son analyse, le taux quinquennal subséquent aurait correspondu aux taux modifiés mentionnés à l’audience (pièce 7(A)) :

Entente existante

1958–1963

Taux fondé sur la superficie

Taux fondé sur la superficie dans le cadre d’une entente fondée sur la superficie et le volume

Taux fondé sur le volume dans le cadre d’une entente fondée sur la superficie et le volume

Taux fondé sur la superficie seulement

25,40 $ l’acre/
par année

131 $ l’acre/
par année

0,10 $ par MBF

154 $ l’acre/
par année

[157] M. Osland estimait que l’entente existante était d’une durée de 21 ans, et qu’elle avait expiré en 1969. Il n’a présenté aucun examen indépendant des différentes périodes de renouvellement qu’il y aurait eues entre 1958 et l’expiration de l’entente de 21 ans, mais il a contesté le recours par M. Blackwell à une analyse de la droite de régression polynomiale qui a donné une moyenne des comparables datant à la fois d’avant et d’après la date de révision à l’appui de son évaluation. M. Osland a souligné que l’analyse reposait sur des données dont les parties à l’entente n’auraient pas eu connaissance. Même si ce constat est vrai, des ententes ultérieures pourraient bien avoir un certain poids dans l’analyse si les parties à ces ententes ont tenu compte des mêmes facteurs ou de facteurs semblables à ceux figurant dans l’entente antérieure, et l’analyse de régression fait le meilleur usage possible des données dans des circonstances où, comme en l’espèce, les données étaient difficiles à trouver vu le nombre restreint de cas et la capacité limitée de comparer les circonstances. Sans oublier les critiques formulées, j’estime que, tout compte fait, l’analyse de régression est utile pour analyser les autres cas examinés par M. Blackwell.

[158] Je reconnais qu’il était probablement raisonnable de faire passer à cinq ans la durée des ententes conclues après 1958. M. Osland ne le conteste pas directement, et adopte des durées similaires dans son analyse postérieure à 1969. Toutefois, le ministère ne s’était peut‑être pas aperçu que le tarif était désormais basé sur le volume jusqu’à ce que McGregor, le superviseur régional, ne reçoive le rapport du consultant mentionné par M. Blackwell en août 1958, peu après que l’entente proposée, décrite par M. Blackwell, ait été conclue en juin 1958. M. Johnson, un forestier industriel, y expliquait en quoi l’ajout d’un taux basé sur le trafic permettait d’éviter des loyers annuels inadéquats et proposait que l’on trouve un [traduction] « juste milieu » entre « le coût nominal de l’“occupation” et le coût juste et équitable du trafic » (RCDR, vol 2, onglet 120). Il a énuméré les taux habituellement appliqués dans l’industrie :

(b) EMPRISES SUR DES TERRES FORESTIÈRES

Location annuelle : 25 $ à 100 $ le mille

(Note : 44 [pieds] de largeur, un mille = +/- 5,33 acres)

(c) DROITS DE TRANSPORT

Billes ou bois d’œuvre 0.35 $ à 1,00 $ par MBF

[...]

[159] Si les conditions proposées par M. Johnson avaient été acceptées en juin 1958, aux taux les plus bas calculés à l’acre plutôt qu’au mille (étant donné que le chemin primaire de la réserve était beaucoup plus large que celui de 44 pieds de largeur cité en exemple par M. Johnson), le taux de location fondé sur la superficie se serait élevé à environ 115 $ par année, mais en 1958, le volume aurait rapporté 4 888 $ au taux de 0,35 $ par MBF (en utilisant les données de la pièce 7A et la méthode de rajustement du volume pour le chemin primaire de la réserve décrite ci‑après aux paragraphes 180 à 182).

[160] L’entente proposée pour 1958, décrite par M. Blackwell (période 2), est antérieure aux chiffres avancés par M. Johnson, mais si ces chiffres avaient été disponibles (ils ont été présentés trois mois après la signature de l’entente), ils auraient permis, selon les normes de M. Johnson lui-même, de confirmer que le versement basé uniquement sur la superficie proposé par M. Blackwell était assez conservateur (environ 3 788 $ par année). J’estime que l’adoption d’un taux distinct basé sur le volume, qui n’avait pas encore été présenté au ministère comme étant la nouvelle norme, allait au‑delà de ce qui pouvait raisonnablement être nécessaire dans le cadre de sa gestion de l’entente d’accès, mais je reconnais que le taux basé uniquement sur la superficie avancé par M. Blackwell, est une évaluation raisonnable du taux offert sur le marché pour une entente fondée uniquement sur la superficie d’une durée de cinq ans commençant en juin 1958.

[161] L’entente proposée pour l’année 1963, qui correspond à la période 3 décrite par M. Blackwell, aurait été conclue après avoir reçu les conseils de M. Johnson et, là encore, je suis d’avis que les rendements attendus, estimés par M. Blackwell, sont conservateurs et qu’il convenait à ce moment-là d’introduire un taux au volume, comme l’avait recommandé M. Johnson — taux qui a été évalué par M. Blackwell à 0,25 par MBF. Selon M. Blackwell, à ce taux, le taux basé sur la superficie aurait donné 125 $ l’acre de plus par année (3 075 $).

[162] Dans son rapport, M. Osland indique lui aussi qu’il aurait été approprié d’appliquer un taux combiné pour les périodes 4 et 5 définies par M. Blackwell, c’est-à-dire des périodes de cinq ans commençant en 1968 (avec un écart d’un an entre 1968 et 1969 étant donné que les deux experts ont rejeté plutôt que de retenir la période initiale de 21 ans). M. Osland a toutefois un avis différent sur les taux appropriés. Pour les périodes commençant en 1968 et en 1973 (Blackwell) et les périodes commençant en 1969 et en 1974 (Osland), voici le détail des rapports :

M. Blackwell

Année

Taux basé sur la superficie

Taux basé sur le volume

1968

200 $ par année

0,35 $ par MBF

1973

360 $ par année

0,35 $ par MBF

 

M. Osland

Année

Taux basé sur la superficie

Taux basé sur le volume

1969

110 $ par année

0,10 $ par MBF

1974

250 $ par année

0,12 $ par MBF

[163] Les taux fondés sur le volume auraient constitué le principal élément du paiement annuel versé dans les années précédant le remplacement du chemin de la réserve par la voie de contournement, peu importe lequel des taux proposés par les experts est appliqué. Les taux proposés par M. Osland étaient inférieurs à ceux fixés par M. Blackwell et correspondaient moins à ceux suggérés par M. Johnson plus de dix ans auparavant, après ce qui est devenu un marché haussier. Je souligne également que l’évaluation faite par M. Osland pour chaque année était nettement inférieure au loyer annuel de 12 000 $ que la PNH a été en mesure de négocier pour la dernière période, qui a débuté en juin 1974. L’estimation de M. Osland semble en décalage par rapport à ce qui a été produit en preuve pour cette période. L’évaluation faite par M. Blackwell dépassait, année après année, le montant réellement versé, sauf pour 1975 et 1976, années où le volume qui transitait par le débarcadère Sarita était de loin inférieur aux années précédentes. Selon moi, les taux proposés par M. Blackwell sont davantage susceptibles de refléter le rendement possible — bien qu’il s’agisse encore d’une estimation prudente établie au regard des normes de M. Johnson.

[164] L’intimée a présenté une abondance d’observations dans lesquelles elle adoptait ou distinguait certains éléments tirés d’autres conventions de droit de passage conclues pendant les périodes visées par l’analyse. Pour la plupart, j’ai trouvé ces observations peu convaincantes, car elles nous renseignaient peu sur la mesure dans laquelle ces autres biens‑fonds pouvaient réellement se comparer à celui en cause, plus particulièrement en ce qui concerne les avantages logistiques, c’est-à-dire les routes alternatives, les volumes de bois susceptibles d’être transportés sur les différentes routes et la valeur du bois auquel il était possible d’accéder. M. Osland a reconnu les différences entre les comparables qu’il avait retenus et a exercé son jugement professionnel pour les évaluer, accordant plus d’importance à ceux qu’ils considéraient plus utiles aux fins de l’analyse. M. Osland a ajouté que les [traduction] « méthodes et techniques d’évaluation [de M. Blackwell] sont des méthodes reconnues et acceptées pour estimer les valeurs des baux/permis d’emprise routière » et qu’il « souscri[vait] pour l’essentiel à la conclusion relative à la route alternative figurant dans le rapport Blackwell » (rapport d’expert préparé par David Osland en date du 27 juin 2018, pièce 26, et révisé le 17 janvier 2019, pièce 22, aux p 8 et 14).

[165] M. Blackwell a insisté sur la valeur du bois qui se trouvait dans le bassin versant de la Sarita et sur l’importance que le chemin traversant la RI Numukamis no 1 avait pour la compagnie forestière. Il a examiné un plus petit nombre de comparables, plus semblables, qui ont guidé son évaluation des taux raisonnables, et il a tenu compte de leurs différences en les considérant sous un angle statistique. De façon générale, j’estime que l’approche de M. Blackwell, laquelle était axée sur l’importance que le chemin avait pour la compagnie forestière et l’absence de routes alternatives, a été plus utile que les nombreux comparables disparates.

XVII. VOLUME DE BOIS TRANSPORTÉ SUR LE CHEMIN PRIMAIRE DE LA RÉSERVE ENTRE 1958 ET 1977

[166] La dernière question portant sur l’évaluation de la valeur de l’emprise a été soulevée dans le rapport de M. Barker. Ce dernier a conclu qu’après la construction des débarcadères aux embouchures de la crique Spencer et de la crique Coleman, des bassins versants situés à proximité de la vallée de la Sarita, un volume considérable de bois a probablement été acheminé vers ces débarcadères plutôt que d’être transporté sur le chemin primaire de Sarita traversant la réserve. Pour étayer sa proposition, M. Barker a expliqué que les pentes ascendantes d’une déclivité de 5 à 8 %, et plus particulièrement la pente de 7 % située dans le premier ou les deux premiers kilomètres de la voie de contournement menant au débarcadère Spencer, n’étaient pas excessives et qu’en raison de sa plus courte distance, des volumes importants de bois auraient été acheminés par cette voie plutôt que par le chemin menant au débarcadère de Sarita. Selon lui, il est probable qu’il en allait de même pour les autres blocs de coupe d’où il était possible d’accéder au débarcadère Coleman. Il a d’abord cru que jusqu’à 37 % du volume de bois déclaré aurait pu être transporté vers ces sites alternatifs. Il a par la suite ramené ce pourcentage à 33 %.

XVIII. VOLUMES DE BOIS VRAISEMBLABLEMENT TRANSPORTÉS VERS DES DÉBARCADÈRES LOCAUX

[167] Le premier des débarcadères, autres que celui de Sarita, était situé à l’embouchure de la crique Coleman. Il a été utilisé à partir de 1960. Un autre débarcadère, celui‑là situé à l’embouchure de la crique Spencer, a commencé à être utilisé vers 1961. Les deux étaient donc en service avant même la mise en œuvre de ce que je considère comme étant la première entente qui aurait dû inclure un élément fondé sur le volume, tel que le prévoit la période 4 de M. Blackwell, qui débute en juin 1963. Par conséquent, les volumes de bois transportés vers les débarcadères Coleman et Spencer avant juin 1963 n’entrent pas dans l’évaluation annualisée du rendement faite au titre des ententes d’accès proposées pour les années antérieures à 1963. De même, ce qui a pu être transporté au débarcadère Franklin par liaison ferroviaire avant 1963 n’est pas un facteur pertinent. Après 1963, le débarcadère Coleman aurait accueilli tout le volume de bois acheminé vers le nord‑est.

[168] Là encore, il n’existe aucun document faisant état des volumes de bois acheminés vers les trois débarcadères. MM. Blackwell et Barker ont travaillé à partir de l’analyse faite par M. Blackwell du bois provenant de chacun des blocs de coupe récoltés, année après année, et chaque expert a déterminé l’endroit où le bois était probablement acheminé en fonction de l’emplacement des blocs de coupe et des caractéristiques des routes menant aux débarcadères. Une autre variable avait trait à certaines zones désignées comme des [traduction] « zones d’abattage hivernales ». Ces zones pouvaient être exploitées jusqu’à la fin de l’automne et durant l’hiver, lorsque les autres zones n’étaient pas accessibles. On attendait à la fin de l’année avant de les récolter afin de prolonger les opérations jusqu’à cette période.

[169] Par exemple, le débarcadère Spencer était utilisé pour le bois récolté dans les blocs de coupe situés près de l’embouchure de la crique Spencer, jusque tard dans l’année (une zone extérieure au bassin versant de la rivière Sarita). Cependant, le débarcadère Spencer n’était généralement pas adapté au transport du bois provenant des zones d’abattage hivernales vers les parties supérieures de la vallée de la Sarita, près de la jonction entre le chemin de la crique Spencer et du chemin primaire de Sarita. Ce bois aurait été acheminé au débarcadère Sarita, même si le débarcadère Spencer était moins éloigné.

[170] La route menant au débarcadère Spencer comptait une pente défavorable à environ un kilomètre de l’intersection du chemin primaire de Sarita. Les camions chargés de grumes provenant du bassin versant de la rivière Sarita devaient monter cette pente pour ensuite redescendre jusqu’au débarcadère Spencer. C’est là un facteur défavorable dont chaque expert a tenu compte dans son évaluation du volume de bois transporté au débarcadère Spencer pendant les premiers mois de l’année.

[171] Encore une fois, cette évaluation était axée sur l’importance des pentes ascendantes et la déclivité à partir de laquelle celles‑ci avaient une incidence sur le choix de la destination finale des grumes.

[172] Parmi les autres facteurs, il y avait le temps prévu pour effectuer l’aller‑retour et les caractéristiques des différents débarcadères. Le débarcadère Sarita était l’endroit où se trouvait le campement principal, et il était manifestement le plus grand et le plus utilisé des trois. C’est là aussi que se trouvaient les installations nécessaires aux réparations mécaniques, et que le débarcadère et les aires de flottage étaient le mieux dotés en personnel. Le déchargement des camions dirigés vers les autres débarcadères incombait souvent exclusivement au chauffeur. Même si chacun des trois débarcadères était accessible aux camions, le chemin primaire de Sarita était de toute évidence celui qui avait été conçu et entretenu pour accueillir la majeure partie du volume de bois.

[173] Des photos du secteur entourant les trois sites prises à divers moments après la mise en service des débarcadères Spencer et Coleman ont permis de confirmer que le débarcadère Sarita était plus souvent utilisé pour décharger les camions et préparer les estacades pour le transport par eau. Les évaluations faites par la compagnie forestière des trois débarcadères sont aussi pertinentes. Le débarcadère Spencer y est décrit comme celui qui accueillait principalement le bois provenant des zones d’abattage hivernales situées à proximité, et le débarcadère Coleman était considéré comme un site d’entreposage temporaire pour les estacades.

[174] Le débarcadère Coleman se trouvait environ à la même distance du centre de la vallée de la Sarita que le débarcadère Sarita, mais dans la direction opposée. La route qui y menait était en pente ascendante à partir de l’intersection du chemin primaire de Sarita et du chemin menant au débarcadère Spencer, ainsi que sur la plus grande partie de la zone desservie par le chemin primaire Harrison, l’autre route menant à la jonction de la ligne de partage des eaux.mo Cependant, les parties supérieures du chemin primaire de Sarita et du chemin primaire Harrison, plus près de la ligne de partage des eaux entre les bassins versants Coleman et Sarita, se trouvaient plus proches du débarcadère Coleman et n’avaient pas de telles pentes.

[175] Il y avait une nette différence entre les évaluations des deux experts forestiers quant au degré de déclivité des pentes ascendantes qualifiées de faibles et raides. Comme je l’ai déjà mentionné, M. Blackwell a estimé qu’une pente ascendante de 5 % ou plus n’était pas optimale. Quant à M. Barker, une pente n’était pas importante, au sens négatif, à moins qu’elle dépasse 8 %. L’avis de M. Blackwell reposait sur la taille des chargements, la capacité des camions, l’importance des coûts de carburant et l’usure des véhicules. M. Barker était plutôt d’avis que les camions étaient conçus pour les pentes qu’il jugeait acceptables et que le facteur le plus important était le temps nécessaire pour retourner au site d’exploitation forestière.

[176] Les témoignages du chef Dennis et de M. Cook ont tous deux permis de mieux comprendre quelles étaient les routes habituellement empruntées. M. Cook a, à différents moments, été engagé pour charger et conduire ces camions. Selon lui, le bassin versant déterminait généralement le trajet emprunté pour atteindre le rivage. Les deux témoins ont permis de reconnaître l’importance du débarcadère Spencer et des parties supérieures situées près de la jonction du chemin menant au débarcadère Spencer pour les zones d’abattage hivernales. M. Cook a affirmé que l’entretien et la réparation des organes de transmission des camions étaient un facteur important et que la puissance limitée des camions, notamment des camions plus anciens, faisait aussi des pentes un élément particulièrement important. Si un camion devait perdre de la puissance dans une section ascendante de la route, le transport des grumes aurait été grandement retardé, et l’utilisation générale de la route aurait été entravée jusqu’à l’arrivée de l’équipement nécessaire au déplacement du camion chargé vers une pente plus favorable.

[177] En contre-interrogatoire, il a été porté à l’attention de M. Cook que, selon une étude menée par un ingénieur forestier, les pentes de moins de 8 % étaient considérées comme [traduction] « modérées ». M. Cook a répondu que cela était vrai aujourd’hui, mais qu’autrefois, l’importance de la pente dépendait de la taille et du poids du chargement. Si le chargement était constitué de grumes de cèdre, par exemple, une pente 8 % pouvait être acceptable, mais si le camion transportait des grumes de pruches (l’essence prédominante et plus dense), il serait incapable de monter une telle pente.

[178] À propos de la route menant au débarcadère Spencer, M. Cook a fait remarquer que la pente ascendante, après le premier kilomètre, était un facteur négatif et que la majeure partie du bois récolté dans les environs de la bretelle de sortie menant au débarcadère Spencer était acheminé vers le débarcadère Sarita. Il lui a été souligné que le bois provenant de l’extrémité nord du bassin versant de la Sarita allait au débarcadère Coleman. M. Cook a alors répondu que, si le bois était récolté au haut de la pente, il pouvait être acheminé vers le débarcadère Coleman ou le débarcadère Spencer, car le chemin était à son plus niveau à cet endroit et qu’il allait dans les deux directions.

[179] J’ajouterai que, si un taux au volume avait été appliqué dans le calcul du paiement annuel, disons, après 1963, c’aurait été un autre facteur susceptible d’influer sur le choix du chemin par lequel le bois était transporté. À 0,25 $ le MBF, il en aurait coûté seulement 4 $ de plus par chargement de camion pour transporter les grumes sur le chemin primaire de Sarita, mais ce supplément pourrait bien avoir influé sur la direction à prendre, une fois rendu au [traduction] « haut de la pente », comme l’a décrit M. Cook, là où le chemin allait « dans les deux directions » (transcription de l’audience, 19 novembre 2018, aux p 108-109).

[180] Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je conviens avec M. Blackwell que le débarcadère Sarita servait principalement au transport du bois récolté dans le bassin versant Sarita, y compris les zones que M. Barker associait au débarcadère Spencer et les zones situées à mi-chemin du chemin primaire de Sarita, vers :

  1. le point situé au haut de la pente ascendante en direction est sur le chemin primaire de Sarita, à 3 km à l’ouest de la jonction de la ligne de partage des eaux et des tronçons supérieurs des chemins de Harrison et Coleman;

  2. le point situé au haut de la pente ascendante en direction nord sur le chemin primaire de Harrison, environ 11 km avant la même jonction. À partir du kilomètre 11, le débarcadère Sarita et le débarcadère Coleman sont presque à égale distance.

[181] Les routes à l’ouest de la pente ascendante sur le chemin primaire de Sarita, et au nord de la pente située sur le chemin primaire de Harrison, se trouvent à une altitude d’environ 400 pieds et, d’après ce que je comprends de la preuve de M. Cook, les routes à cette altitude étaient, selon lui, [traduction] « au haut de la pente », de là où les camions chargés pouvaient descendre dans l’une ou l’autre des directions, soit vers le débarcadère Sarita, soit vers le débarcadère Coleman.

[182] À mon avis, à partir de 1963, le bois récolté dans les blocs de coupe situés dans ce secteur (à l’est et au nord‑est des repères kilométriques mentionnés au paragraphe 180 ci-dessus) aurait principalement été transporté au débarcadère Coleman si un taux au volume avait été adopté. M. Barker a décrit ces blocs dans la pièce 24 et, à l’aide de cette pièce, j’ai déterminé les volumes qui, selon moi, auraient été transportés annuellement au débarcadère Sarita jusqu’en 1978, année où la voie de contournement a été mise en service :

Année

Débarcadère Coleman
(M
BF)

Débarcadère Sarita
(MBF)

Total (MBF)

1963

14 202

25 338

39 540

1964

13 887

18 908

32 795

1965

11 121

14 281

25 402

1966

1 667

27 441

29 108

1967

8 880

20 325

29 205

1968

6 315

6 637

12 952

1969

3 426

13 608

17 034

1970

1 042

12 158

13 200

1971

436

18 463

18 899

1972

539

21 746

22 285

1973

1 595

33 040

34 635

1974

8 236

18 393

26 629

1975

5 855

3 352

9 207

1976

0

7 997

7 997

1977

0

11 126

11 126

1978

1 138

13 452

14 590

XIX. CONCLUSION—MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE FIDUCIAIRE RELATIVEMENT AU PERMIS ACCORDÉ EN 1969 POUR LE DROIT DE PASSAGE

[183] Le permis négocié après l’expiration de la première période de 21 ans du bail conclu en 1955 (rétroactif à 1948) a expiré en juin 1969. Un an avant son expiration, le ministère a demandé à la PNH si elle souhaitait que les terres de réserve sur lesquelles passait le chemin primaire soient de nouveau évaluées. La PNH a décliné l’offre du ministère et a entamé avec la compagnie forestière des négociations auxquelles le ministère a très peu participé. Elle a réussi à obtenir une légère augmentation du taux annuel, qui est passé à 1 200 $, mais suivant les évaluations faites par MM. Blackwell et Osland, ce montant est inférieur à ce à quoi on aurait pu s’attendre. M. Blackwell aurait fixé le taux basé sur la superficie à 200 $ l’acre (4 920 $ par année) plus 0,35 $ par MBF. Si l’on utilise le volume de bois transporté en 1970 (la première année complète après la conclusion de l’entente de juin 1969), estimé à 12 158 MBF, on aurait ajouté 4 255 $, pour un total de 9 175 $ cette année-là. Si l’on applique un taux basé uniquement sur la superficie, le taux aurait été de 249 $ l’acre, selon M. Blackwell, ou de 6 125 $ par année. Si l’on utilise les chiffres établis par M. Osland, lesquels combinent le taux basé sur la superficie et le taux au volume (2 706 $ pour l’emprise et 0,10 $ par MBF), le total aurait été de 3 922 $. Et, si l’on utilise le taux basé uniquement sur la superficie (145 $ l’acre), on obtient la somme de 3 567 $.

[184] Il ne semble pas y avoir eu d’améliorations par rapport aux chiffres avancés par M. Johnson dans sa lettre de 1958, où il exposait les tarifs de l’industrie. La correspondance du ministère donne à penser que l’on avait proposé de transmettre le point de vue de M. Johnson aux agents des Indiens de la région et aux bénéficiaires autochtones des réserves où étaient aménagées des voies d’accès, mais rien, si ce n’est cette proposition, ne permet de croire que cela avait été fait. D’après les tarifs proposés dix ans auparavant et l’avis d’expert présenté au procès, il semblerait que la somme de 1 200 $ par année, acceptée par la PNH et entérinée par l’intimée, était une condition imprudente. À l’époque, les taux étaient également fixés par l’intimée sans analyse ni consultation adéquates. La PNH n’aurait eu qu’une idée approximative du volume de bois qui passait dans la réserve et, sans aide pour déterminer le volume probable de bois transporté et le taux au volume qui pouvait être appliqué par rapport au taux applicable aux voies d’accès d’autres régions, il était peu probable qu’elle arrive à convenir d’un taux prudent avec la compagnie forestière. Lorsqu’il a su que la PNH avait accepté la somme de 1 200 $ par année, le ministère s’est contenté de rédiger le permis en fonction de cette somme.

[185] En ce qui concerne les négociations qui ont ensuite été menées, en 1974, dans le but de fixer le taux du permis applicable au tronçon du chemin primaire de Sarita qui passait dans la réserve pour une autre période de cinq ans, il semble que la PNH connaissait alors l’avantage que représentait un taux au volume, et qu’elle a entamé les négociations en proposant un loyer annuel de 2 500 $ et un taux de 1,50 $ par MBF. Après avoir négocié avec la compagnie forestière, seule encore une fois, la PNH a consenti à une hausse marquée du taux annuel, qui est passé à 12 000 $ par année, mais là encore sans taux au volume. La compagnie forestière a probablement accepté cette forte augmentation du taux de location fondé sur la superficie parce qu’elle évitait ainsi le taux au volume que la PNH jugeait nécessaire. Une fois de plus, selon l’évaluation faite par M. Blackwell et à l’exception des années 1975 et 1976 où le volume a été faible, même ce taux nettement plus élevé était en deçà de ce que l’on pouvait attendre d’une entente raisonnable d’accès au droit de passage dans un marché en pleine croissance. M. Blackwell a évalué le taux approprié pour la période commençant en juillet 1974 à 9 840 $ par année, plus 0,35 $ par MBF. M. Osland a évalué le taux approprié pour la période commençant en juillet 1975 à 6 150 $ par année, plus 0,12 $ par MBF. Le rendement aurait été nettement inférieur à celui que la PNH a obtenu durant les dernières années d’utilisation du chemin primaire de la réserve. J’estime qu’il est peu probable dans les circonstances que la PNH ait négocié le meilleur taux et, pour cette raison et d’autres déjà mentionnées, je préfère l’évaluation de M. Blackwell. Encore une fois, en ce qui concerne ce renouvellement, comme il a été reconnu pour les années 1969 à 1974, le ministère n’a pas pris suffisamment de mesures pour empêcher la conclusion d’une entente imprudente. Il n’a joué aucun rôle direct dans le processus, se contentant de préparer le document de modification, et la PNH n’aurait eu qu’une idée approximative du volume de bois qui serait transporté.

XX. RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS SUR LES TAUX RAISONNABLES PRÉVISIBLES

[186] Comme je l’ai déjà dit, j’estime qu’on aurait raisonnablement pu s’attendre à l’application d’un taux basé uniquement sur la superficie avant juin 1963. Au vu de la preuve, je reconnais que, si l’intimée avait apporté un soutien adéquat à la PNH pendant les négociations, la période initiale aurait été de dix ans et la ou les ententes conclues par la suite auraient été assorties d’une clause prévoyant que le prix serait révisé tous les cinq ans. Le « Tableau 1 » qui suit reflète la preuve qui été présentée et les conclusions qui ont été tirées pour la période allant de juillet 1948 à juin 1963. Je conviens qu’après juin 1963, il aurait raisonnable de s’attendre à une forme d’entente fondée à la fois sur la « superficie et le volume ». J’ai déterminé précédemment le volume de bois qui aurait été transporté au débarcadère Sarita, et le « Tableau 2 » reflète les conclusions du Tribunal sur les taux auxquels on aurait pu raisonnablement s’attendre pour les révisions quinquennales, jusqu’à ce que la compagnie forestière commence à utiliser la voie de contournement (pour faciliter le calcul, il est présumé que la moitié du volume total de bois transporté en 1978 a été transporté au cours de chaque semestre, et qu’en 1979, la voie de contournement a commencé à être utilisée).

TABLEAU I
SU
PERFICIE UNIQUEMENT

Année

Entente ($)

Blackwell
S
uperficie uniquement ($)

Osland
S
uperficie uniquement ($)

Tribunal
Conclusion ($)

1948
2semestre

312

652

312

500

1949–1957 (par année)

625

1 304

625

1 000

...

 

 

 

 

1958
1er semestre

312

652

312

500

1958
2semestre

312

1 894

312

1 894

1959–1962 (par année)

625

3 788

625

3 788

1963
1er semestre

312

1 894

312

1 894

 

TABLEAU II
SUPERFICIE PLUS VOLUME

Année

Débarcadère Sarita
Volume
(MBF, incluant le volume que Barker a attribué au débarcadère Spencer, et excluant le volume que Barker a attribué au débarcadère Coleman à partir de 1963.)

Blackwell, tel que corrigé par la pièce 7A, en utilisant les volumes de bois qui, selon le Tribunal, étaient transportés au débarcadère Sarita en traversant la RI Numukamis no 1 (c.‑à‑d. en excluant les volumes transportés au débarcadère Coleman à partir de 1963), en dollars

Osland, en appliquant ses taux aux volumes qui, selon le Tribunal, étaient transportés au débarcadère Sarita en passant dans la RI Numukamis no 1, pour les ententes pour lesquelles il a évalué un taux au volume ($)

Entente réelle ($)

Tribunal
Conclusion ($)

1963
2semestre

12 669

4 704
(y compris la superficie @ 3 075 $ par année et volume @ 0,25 $ par MBF)

312

312

4 704

1964

18 908

7 802

625

625

7 802

1965

14 281

6 645

625

625

6 645

1966

27 441

9 935

625

625

9 935

1967

20 325

8 156

625

625

8 156

1968
1er semestre

3 318

2 367

312

312

2 367

1968
2semestre

3 318

3 622
(y compris la superficie @ 4 920 $ par année et le volume @ 0,35 $ par MBF)

312

312

3 622

1969
1er semestre

6 804

4 841

312

312

4 841

1969
2semestre

6 804

4 841

2 033
(y compris la superficie @ 2 706 $ par année et le volume @ 0,10 $ par MBF)

600

4 841

1970

12 158

9 175

3 921

1 200

9 175

1971

18 463

11 382

4 552

1 200

11 382

1972

21 746

1 531

4 880

1 200

12 531

1973
1er semestre

16 520

8 242

3 005

600

8 242

1973
2semestre

16 520

10 210
(y compris la superficie @ 8 856 $ par année et le volume @ 0,35 $ par MBF)

3 005

600

10 210

1974
1er semestre

9 196

7 647

2 272

600

7 647

1974
2semestre

9 196

7 647

4 178
(y compris la superficie @ 6 150 $ par année et le volume @ 0,12 $ par MBF

6 000

7 647

1975

3 352

10 029

6 574

12 000

10 029

1976

7 997

11 654

7 109

12 000

11 654

1977

11 126

12 750

7 485

12 000

12 750

1978
1er semestre

6 726

6 782

3 882

6 000

6 782

1978
2semestre

6 726

6 782

3 882

6 000

6 782

1979
1er semestre

0

0

3 075

6 000

0

XXI. PERTE RELATIVE AUX ONZE DERNIÈRES ANNÉES DE L’ENTENTE PAR SUITE DE SA RÉPUDIATION PAR LA COMPAGNIE FORESTIÈRE EN 1979

[187] Comme je l’ai déjà dit, je considère que l’intimée a manqué à son obligation envers la PNH en ne tenant pas compte de l’attente raisonnable que celle‑ci avait de toucher un loyer annuel de 1 000 $ ni du fait qu’elle souhaitait que l’entente soit d’une durée inférieure à celle proposée par la compagnie forestière, à savoir 42 ans, avec une révision de prix au bout de 21 ans. Je souscris à l’évaluation faite par M. Blackwell, selon laquelle la PNH aurait accepté une entente de 10 ans et que cette durée plus courte lui aurait procuré un net avantage. J’ai conclu que le prix de 1000 $ par année proposé par la compagnie forestière était raisonnable et répondait à la définition d’entente conclue avec prudence, et je l’ai adopté.

[188] Comme la PNH était assujettie à une entente de 42 ans dont la durée initiale était de 21 ans, le manquement commis à l’origine a eu des répercussions au moins jusqu’en juin 1969. La PNH avait alors perdu la possibilité de bénéficier des nouvelles formes d’ententes et des taux établis par M. Blackwell pour les périodes 2 et 3.

[189] Quand elle a repris les négociations en 1969, la PNH a négocié seule, ce qui n’est pas surprenant vu l’historique de l’affaire. Malgré tout, l’intimée, qui a signé pour le compte de la PNH le permis prolongeant l’accès au droit de passage, avait l’obligation de refuser toute entente imprudente. La PNH a pu éviter la deuxième période de 21 ans et a renouvelé pour une période appropriée de 5 ans, mais à taux annuel clairement insuffisant. L’intimée a donc manqué à l’obligation de fiduciaire qu’elle avait envers la revendicatrice.

[190] Lors de la révision de 1974, un taux au volume a été proposé, ce qui a permis de porter le paiement à 12 000 $ par année. Or, cette somme était encore inférieure au taux offert sur le marché, selon M. Blackwell. J’estime que cet écart découle, là encore, de la façon inadéquate dont l’intimée a géré les biens de la PNH et qu’il constitue un autre manquement à son obligation de fiduciaire envers la revendicatrice.

[191] En ce qui concerne les valeurs historiques, la dernière conséquence invoquée par la revendicatrice est la perte de l’indemnité, ou des paiements continus, qu’elle aurait touchée pour le temps qui restait à courir sur la période de 21 ans, qui avait en principe débuté en 1969.

[192] En 1979, la compagnie forestière a avisé le ministère qu’elle avait cessé d’utiliser le chemin primaire de la réserve en 1978. En 1978, le volume de bois transporté au débarcadère Sarita était de 13 452 MBF. Comme l’a expliqué M. Blackwell, si une révision quinquennale de prix avait été prévue en 1958, la période 5 aurait expiré en juin 1978. Quoi qu’il en soit, la compagnie forestière a cessé de payer à la fin de la dernière période de cinq ans, soit en mai 1979. Il restait donc onze ans à courir avant l’expiration de l’entente de 1969, qui devait supposément durer 21 ans.

[193] On savait depuis au moins 1974 que l’entente signée par le ministère au nom de la PNH était inexécutoire. C’est le constat qu’exprime de façon cinglante le ministère de la Justice dans son avis en date du 28 mars 1974, et les raisons qu’il invoque sont convaincantes. Aucun tribunal ne peut forcer l’exécution d’une entente dont la clause relative au prix n’offre aucun moyen de parvenir à un règlement à l’issue de négociations infructueuses. L’entente de 1969 rédigée par le ministère était inexécutoire si aucune autre entente n’était conclue après les cinq premières années. L’entente a été reconduite lorsque les parties ont convenu d’une deuxième période de cinq ans, mais là encore, elle est devenue inexécutoire après juin 1979, lorsque la compagnie forestière a rejeté toute nouvelle obligation.

[194] Le ministère a négocié une indemnité de cinq mois, d’une somme de 7 000 $, après que la compagnie d’exploitation forestière eut refusé de renouveler l’entente. Dans les circonstances, comme l’entente était inexécutoire, il est difficile d’affirmer que l’indemnité était inadéquate.

A. La PNH se serait‑elle trouvée dans une meilleure position si l’entente rédigée et conclue par le ministère en son nom avait été formulée différemment et avait contenu une disposition exécutoire prévoyant le cas où la compagnie forestière refuserait de payer?

[195] Rédiger une telle disposition aurait été difficile. Dans un marché dynamique, il aurait probablement été question d’une variable de marché, qui aurait permis de calculer la nouvelle indemnité, et peut‑être d’une évaluation foncière. Le prix du bois par MBF aurait pu être utilisé comme variable de marché dans le calcul d’une durée par défaut; cependant, l’historique de la durée des ententes conclues pendant la période visée par la présente revendication montre que les deux composantes du prix, la superficie et le volume, ont été traitées de façon très différente au cours des décennies où le chemin primaire de la réserve a été utilisé. La revendicatrice ne propose aucun moyen qui aurait permis de rendre l’entente exécutoire pendant 21 années, et le Tribunal ne dispose d’aucune solution pour combler l’écart. Par exemple, aucune opinion d’expert n’a été présentée en ce qui a trait aux moyens disponibles pour donner à l’entente une force exécutoire. Par conséquent, bien que le ministère ait rédigé l’entente de façon inadéquate, en laissant croire que la période qui restait à courir pouvait être invoquée en riposte à la répudiation de l’entente par la compagnie forestière, je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant d’évaluer ce qu’aurait pu être la durée par défaut et la perte historique pour cet aspect de la revendication.

[196] Enfin, si les périodes définies par M. Blackwell avaient été adoptées pour conclure les ententes jusqu’à ce que le chemin primaire de la réserve soit abandonné en 1978, la compagnie forestière aurait probablement répudié les autres obligations découlant de l’entente un an plus tôt. Il est difficile de savoir quand, en 1978, les 13 452 MBF ont été transportées dans la réserve, mais pour que la répartition des volumes annuels soit cohérente avec celle des années précédentes, j’ai supposé qu’une moitié avait été transportée au cours du premier semestre de l’année. La période 5 définie par M. Blackwell aurait pris fin en juin 1978, et je présume que la compagnie forestière aurait continué à utiliser le chemin jusqu’à la fin de la saison et qu’elle aurait payé le montant mensuel alors échu pour la moitié restante du volume jusqu’à la fin de l’année, après quoi elle aurait cessé les paiements parce qu’elle n’avait plus besoin de l’accès routier.

XXII. CHEMINS SECONDAIRES

[197] L’intimée a admis qu’elle avait manqué à l’obligation de fiduciaire qu’elle avait envers la revendicatrice pour ce qui est de l’administration de chemins secondaires 101 et 103, et que pour cette raison, l’indemnité historique versée par la compagnie forestière en contrepartie de l’utilisation de ces chemins pour transporter le bois récolté à l’extérieur de la RI Numukamis 1 entre le 1er janvier 1955 et le 31 décembre 1967, était inadéquate. L’intimée accepte les valeurs historiques dont MM. Blackwell et Osland ont convenu en ce qui concerne les chemins secondaires 101 et 103. Le Tribunal estime que l’intimée a omis d’obtenir la conclusion d’une entente ou une indemnité pour l’utilisation des chemins secondaires 101 et 103 par la compagnie forestière entre le 1er janvier 1955 et le 31 décembre 1967, et qu’elle n’a rien fait pour dissuader la compagnie de les utiliser sans autorisation. L’intimée a manqué à son obligation de fiduciaire envers la revendicatrice. Le Tribunal accepte également les valeurs historiques reconnues par les experts pour les années 1955 à 1967, année à laquelle l’expert de la revendicatrice estime qu’une entente routière aurait pris fin, si une telle entente avait été conclue.

[198] Les experts des parties conviennent que l’indemnisation versée pour les deux autres chemins secondaires, les chemins 640 et 1021, correspondait à des valeurs historiques raisonnables et ce volet de la revendication n’a pas été examiné plus en détail.

XXIII. CONCLUSIONS SUR LES PERTES HISTORIQUES

[199] La revendicatrice a établi le bien‑fondé de la revendication déposée au titre des alinéas 14(1)b), c), et e) de la LTRP. L’évaluation de la perte historique attribuable au manquement par l’intimée aux obligations légales et de fiduciaire qu’elle avait envers la PNH relativement au droit de passage sur le chemin primaire se détaille comme suit :

 

Point

Montant en dollars historiques

a.

Perte du paiement annuel basé uniquement sur la superficie
Juin 1948–juin 1958 : ([1 000 $ - 625 $] x 10)

3,750 $

b.

Perte du paiement annuel basé uniquement sur la superficie
Juillet 1958–juin 1963 : ([2 312 $ - 625 $] x 5)

8,435 $

c.

Perte des paiements basés sur la superficie et le volume

 

Juillet 1963–juin 1969 : (48 072 $ - [625 $ x 6])

44,322 $

Juillet 1969–juin 1974 : (64 028 $ - [1 200 $ x 5])

58,028 $

Juillet 1974–janvier 1979 : (55 644 $ - [12 000 $ x 41⁄2])

1,644 $

d.

Total :

116,179 $

[200] L’évaluation de la perte historique attribuable au manquement par l’intimée aux obligations de fiduciaire qu’elle avait envers la PNH relativement aux chemins secondaires 101 et 103 se détaille comme suit :

Année

Montant en dollars historiques

1955–1957

104 $ par année

1958–1962

120 $ par année

1963–1967

135 $ par année

Total:

1 587 $

 

WILLIAM GRIST

L’honorable William Grist

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


 

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20201020

Dossier : SCT‑7005‑13

OTTAWA (ONTARIO), le 20 octobre 2020

En présence de l’honorable William Grist

ENTRE :

PREMIÈRES NATIONS HUU-AY-AHT

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocates de la revendicatrice PREMIÈRE NATIONS HUU-AY-AHT

Représentée par Me Lisa Glowacki, MKate Blomfield et MEmma Hume

Ratcliff & Company LLP

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par MJohn H. Russell, MJohn Minkley et MPeri Smith

Ministère de la Justice

 

 


 

ANNEXE A

***L’annexe A n’est pas disponible dans ce format.***

 

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