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DOSSIER : SCT‑7002‑14

RÉFÉRENCE : 2021 TRPC 2

DATE : 20210409

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE INDIENNE DE SISKA

Revendicatrice

 

MDarwin Hanna, MCaroline Roberts et MKirk Gehl, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne‑Autochtones

Intimée

 

MJames Mackenzie et MJames Rendell, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Du 10 au 13 septembre 2018, du 15 au 24 octobre 2019, du 20 au 24 juillet 2020, du 14 au 18 septembre 2020

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Harry Slade


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Bande indienne de Siska c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 2; Canadien Pacifique Limitée c Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 CF 325, 1999 CanLII 9362; Première Nation de Mosquito Grizzly Bear’s Head Lean Man c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 1; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321; Whitefish Lake Band of Indians v Canada (AG), 2007 ONCA 744, 87 OR (3d) 321; Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4; Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85; Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 3; Nation Haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73; Première Nation d’Akisq’nuk c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 3; Canson Enterprises Ltd c Boughton & Co, [1991] 3 RCS 534, [1991] ACS no 91; Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 15; Premières Nations Huu-Ay-Aht c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 14; Southwind c Canada, 2017 CF 906.

Lois citées :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14, 20.

Loi concernant les sauvages, LRC 1906, c 81.

Sommaire :

Les motifs de la décision sur le bien‑fondé ont été publiés le 1er février 2018 (Bande indienne de Siska c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 2 [Décision sur le bien‑fondé]).

Le Tribunal a conclu qu’entre 1882 et 1884, la Compagnie de Chemin de fer du Canadien Pacifique (le CFCP) est entrée dans la RI Nahamanak no 7 et dans la RI Zacht no 5 pour y construire un chemin de fer dont l’emprise s’étendait sur 89,59 acres de terres (89,51 acres dans la RI n7 et 0,08 acre dans la RI no 5, collectivement les « terres visées par la revendication »). Ces terres avaient été mises de côté à titre provisoire aux fins de la constitution de réserves pour la bande indienne de Siska sans qu’aucune tenure n’ait été établie au profit du CFCP. En 1885, le Canada a affecté les terres à l’usage du chemin de fer en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’État.

Les réserves étaient situées dans la zone des chemins de fer, dont le titre de propriété a été transféré par la Colombie‑Britannique au Canada en 1883.

Les réserves, y compris les terres visées par la revendication, ont officiellement été créées en tant que réserves au sens de la Loi sur les Indiens le 29 décembre 1911. En 1912, 1927 et 1928, le Canada aurait cédé au CFCP la propriété des terres visées par la revendication par lettres patentes. Dans la Décision sur le bien‑fondé, le Tribunal a conclu que les concessions octroyées n’avaient pas eu pour effet d’éteindre l’intérêt de Siska dans les terres et d’accorder des tenures au CFCP.

Les réserves situées le long du fleuve Fraser ont été attribuées de manière à ce que Siska puisse continuer à avoir accès aux sites de pêche qu’elle utilisait depuis des temps immémoriaux. L’arrivée du CFCP sur les terres a eu pour effet d’entraver l’accès aux stations de pêche de Siska situées dans les limites de la réserve Nahamanak.

Dans la Décision sur le bien‑fondé, le Tribunal a conclu que la Couronne avait violé les alinéas 14(1)b), c) et d) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, (la LTRP) par suite de la prise illégale des terres de réserve. La revendicatrice a donc droit d’être indemnisée en vertu des alinéas 20(1)c), g) et h) de la LTRP. Elle a notamment droit à une indemnité représentant la valeur marchande actuelle des terres visées, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, et la perte d’usage depuis le 29 décembre 1911, et à l’indemnité prévue à l’alinéa 20(1)c) pour les pertes additionnelles découlant des manquements aux obligations de fiduciaire survenus pendant la période où Nahamanak et Zacht étaient des réserves provisoires.

En 2004, Siska, le Canada et le CFCP ont conclu une entente qui prévoyait entre autres l’octroi au CFCP d’une servitude légale sur les terres visées par la revendication. Le Canada a fait valoir que cette servitude remédiait à l’illégalité des prises et qu’aucune autre perte liée à la largeur excessive des concessions ne devait être évaluée après cette date. La Couronne a en outre soutenu que, après 2004, les pertes relatives aux pêches, y compris les pertes futures alléguées, n’étaient pas susceptibles d’indemnisation. Cet argument a été rejeté au motif que la mise en œuvre de l’entente n’empêchait pas Siska de présenter une demande de revendication particulière à l’égard de la « prise » des 89,59 acres de terres de réserve.

Il a aussi été conclu que l’intimée avait manqué à son obligation de fiduciaire relativement aux réserves provisoires lorsqu’elle a omis, en 1880 et par la suite, de consulter la revendicatrice afin de « connaître les préoccupations de Siska, et [de tenir] compte de ses intérêts », y compris la « protection de ses terres arables, mais aussi la protection contre les dommages et l’accès continu à ses stations de pêche » le long du fleuve Fraser (Décision sur le bien‑fondé, au para 280).

La perte pécuniaire découlant de l’accès entravé aux stations de pêche de la revendicatrice a été jugée susceptible d’indemnisation pour la période de 1882 à aujourd’hui. Le montant de la perte a été évalué globalement, en tenant compte de la modélisation des coûts rattachés à l’obtention d’une quantité suffisante de saumons pour remplacer la récolte annuelle que Siska a perdue par suite de la construction du chemin de fer et de son exploitation jusqu’à aujourd’hui.

D’autres pertes pécuniaires liées aux collisions de train avec le bétail, aux dommages causés aux sentiers et aux stations de pêche, et à la main-d’œuvre nécessaire pour les réparer, ainsi que le montant accordé pour le bois défriché, ont été évalués au titre de l’indemnité globale, de laquelle les sommes reçues en 1892 et en 1925 ont été déduites. L’intimée a plaidé en faveur de l’application d’un multiplicateur fondé sur l’évolution du produit intérieur brut au cours de la période pendant laquelle la perte a été subie afin de pouvoir ramener les pertes historiques à leur valeur actuelle. Cette proposition a été rejetée par le Tribunal.

Le Tribunal a conclu que les pertes historiques devaient être ajustées à leur valeur actuelle en vertu de l’alinéa 20(1)h) de la LTRP, en fonction du taux d’intérêt payable sur les fonds détenus dans les comptes en fiducie de la bande, composé.

Une indemnité de 161 118 $ a été accordée au titre de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps. Aucune somme n’a été accordée pour l’effet préjudiciable.

Au total, l’indemnité s’élève à la somme de 4 756 726 $.

I. LA REVENDICATION 9

II. HISTORIQUE PROCÉDURAL 10

III. INDEMNISATION EN VERTU DE LA LTRP 11

IV. POSITIONS DES PARTIES SUR LES motifs D’INDEMNISATION ET LES PÉRIODES VISÉES PAR LES PERTES 12

A. Revendicatrice 12

B. Intimée 13

V. QUESTIONS EN LITIGE 15

A. Questions préliminaires 15

B. Évaluation du montant de la perte 16

VI. PrinciPEs D’INDEMNISATION EN EQUITY 16

VII. Les réserves étaient‑elles SOUMISES À Une tenure grevaNt l’intérêt de siska dans les terres visées par la revendication aux dates pertinentes pour L’indemnisation? 19

VIII. Nature de l’intérêt de la revendicatrice dans les terres 20

A. Intérêt de Siska dans les terres 22

B. Témoignages quant à l’importance de l’accès à la pêche 23

1. Chef Fred Sampson, aîné 24

2. Maurice Michell, aîné 25

C. Décision sur le bien‑fondé 27

D. Nature juridique de l’intérêt identifiable de Siska 27

E. Statut « provisoire » des réserves 28

F. Analyse 30

IX. périodes visées par les manquements et les pertes 33

A. Date de début 33

1. Décision sur le bien-fondé 33

B. Entente de 2004 35

X. évaluation de l’indemnisation 38

A. Experts en évaluation 38

1. Qualification de MM. Cook et Peebles 38

2. Aperçu des approches adoptées par les parties à l’égard de l’évaluation de la perte d’usage et de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps 38

3. Principales similitudes et différences entre les opinions de MM. Rod Cook et John Peebles 41

B. Valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps 43

1. Approche adoptée par Rod Cook à l’égard de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps 43

2. Effet préjudiciable 44

3. Approche adoptée par John Peebles à l’égard de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps et de l’effet préjudiciable 45

4. Analyse 51

5. Conclusion 52

C. Perte d’usage 52

1. M. Cook 52

2. M. Peebles 56

3. Christopher de Haan 63

4. Analyse 63

D. Entrave à l’usage des terres pour la pêche par la revendicatrice 66

1. Évaluation de la perte au titre de la LTRP 66

2. Évaluation de l’incidence sur l’intérêt sui generis de la revendicatrice 67

3. Preuve de la valeur pécuniaire 73

a) Qualification professionnelle de M. Gislason et de M. Blewett 73

b) Introduction 74

c) Rapports de M. Gislason : perte relative aux pêches 77

d) Rapports de M. Gislason : bétail 82

e) Rapports de M. Blewett 83

i) Introduction 83

ii) Pertes passées 83

iii) Prix et coûts 88

f) Analyse : pertes liées à l’accès entravé au fleuve 89

E. Conclusion relative aux pertes de bétail 95

F. Experts en matière d’évaluation de la valeur actuelle 95

1. Scott Schellenberg 95

2. Howard Johnson 97

3. Autres moyens pour actualiser les pertes historiques 100

4. La « consommation » et les intérêts composés 100

5. Équité et égalité 103

6. Taux d’intérêt 105

7. Conclusion 106

G. Pertes en bois d’œuvre 107

H. Déduction en vertu du paragraphe 20(3) de la LTRP 107

XI. INDEMNITÉ 107

A. Évaluation globale selon les principes d’equity 107

B. Estimations 108

C. Ajustements 108

Annexe A : Rapports d’experts invoqués par les parties 111


 

I. LA REVENDICATION

[1] La présente revendication particulière découle de la façon dont l’intimée a géré la construction du chemin de fer de la Compagnie de Chemin de fer du Canadien Pacifique (le CFCP) dans les réserves de la revendicatrice, maintenant connues comme étant la réserve indienne Nahamanak no 7 (Nahamanak ou RI n7) et la réserve indienne Zacht no 5 (Zacht ou RI no 5). La superficie des terres de la RI n7 qui sont en litige est de 89,51 acres, alors que la superficie des terres de la RI n5 qui sont en litige est de 0,08 acre (ci-après les « terres visées par la revendication »), pour un total de 89,59 acres.

[2] La revendicatrice (ci-après, « Siska ») fait partie de la Nation Nlaka’pamux. Les réserves Nahamanak et Zacht s’étalent le long d’une section montagneuse du canyon du fleuve Fraser, au sud de Lytton, en Colombie-Britannique. En 1878, lorsque les réserves ont été attribuées à la revendicatrice, leur emplacement lui assurait un accès au fleuve et au saumon qui le remonte chaque printemps, chaque été et chaque automne. Lors de la construction du chemin de fer dans les années 1880, la réserve Nahamanak a été scindée en deux alors que le coin sud-ouest de la réserve Zacht a été touché.

[3] La revendication a été scindée en deux étapes : celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation. Les motifs de la décision sur le bien‑fondé de la revendication (Bande indienne de Siska c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 2 [la Décision sur le bien-fondé]) établissent ce qui suit :

  1. L’affectation, en 1885, de terres de la Couronne aux fins de l’établissement d’une emprise ferroviaire en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’État, LC 1881 (44 Vict.), c 25, ne constituait pas une prise des terres de réserve de la revendicatrice. L’Acte des chemins de fer de l’État avait pour effet de permettre la construction d’un chemin de fer dans une zone communément appelée « emprise », et ce, à travers chaque réserve. Le régime applicable permettait que les terres correspondant à l’emprise ferroviaire soient transférées au CFCP à une date ultérieure, conformément à l’Acte refondu des chemins de fer, SC 1879 (42 Vict), c 9, et à l’Acte des chemins de fer de l’État, SC 1881 (44 Vict), c 1, y compris l’annexe [le Contrat avec le CFCP].

  2. L’intimée a officiellement créé les deux réserves, qui sont devenues des réserves au sens de la Loi sur les Indiens, le 29 décembre 1911.

  3. Les lettres patentes émises en 1912, en 1927 et en 1928 étaient censées transférer au CFCP le titre absolu des emprises passant dans les réserves Nahamanak et Zacht, mais elles constituaient des dispositions sans droit. L’Acte refondu des chemins de fer s’appliquait et n’autorisait pas l’octroi d’un titre absolu ou en fief simple. Tout ce qu’il permettait d’accorder au CFCP dans les circonstances, c’était une servitude.

  4. Les lettres patentes étaient aussi censées transférer une étendue de terres dont la largeur excédait, de part et d’autre de la voie ferrée, celle permise par l’Acte refondu des chemins de fer. L’intimée a manqué à son obligation de fiduciaire en approuvant cette largeur excessive.

  5. L’intimée a également manqué à son obligation de fiduciaire envers la revendicatrice quand elle a omis de la consulter afin de « connaître les préoccupations de Siska, et [de tenir] compte de ses intérêts », notamment « la protection de ses terres arables, mais aussi la protection contre les dommages et l’accès continu à ses stations de pêche » dans la RI Nahamanak n7 le long du fleuve Fraser (Décision sur le bien-fondé, au para 280).

  6. La revendicatrice a établi le bien‑fondé de la revendication au titre des alinéas 14(1)b), c) et d) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP].

[4] Les présents motifs de décision portent sur l’indemnité qu’il convient de verser maintenant à la revendicatrice en vertu des alinéas 20(1)c) g) et h) de la LTRP.

II. HISTORIQUE PROCÉDURAL

[5] La revendicatrice a d’abord déposé la présente revendication auprès du ministre en 1991. Elle l’a ensuite déposée auprès du Tribunal le 1er mai 2014. Le Tribunal a jugé la revendication bien fondée le 1er février 2018.

[6] L’étape de l’indemnisation a nécessité la tenue de quatre audiences. La présentation des récits oraux a eu lieu du 10 au 13 septembre 2018, dans la communauté de la revendicatrice, et parallèlement, une visite des lieux a été organisée. Une première audience consacrée aux témoignages des experts s’est tenue du 15 au 24 octobre 2019, à Vancouver, et une deuxième s’est déroulée en partie par vidéoconférence et en partie en personne, à Vancouver, du 20 au 24 juillet 2020. Une dernière audience portant sur les observations orales a eu lieu du 14 au 18 septembre 2020, encore là en personne à Vancouver et par vidéoconférence.

III. INDEMNISATION EN VERTU DE LA LTRP

[7] Il reste encore plusieurs points à aborder à l’étape de l’indemnisation : l’évaluation de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, l’effet préjudiciable, la perte d’usage et les autres pertes pécuniaires, le cas échéant. Les valeurs historiques doivent être actualisées.

[8] Les dispositions suivantes de l’article 20 de la LTRP s’appliquent :

20 (1) Lorsqu’il statue sur l’indemnité relative à une revendication particulière, le Tribunal :

a) ne peut accorder qu’une indemnité pécuniaire;

b) malgré toute disposition du présent paragraphe, ne peut accorder une indemnité totale supérieure à cent cinquante millions de dollars;

c) sous réserve des autres dispositions de la présente loi, accorde une indemnité qu’il estime juste, pour les pertes en case, en fonction des principes d’indemnisation sur lesquels se fondent les tribunaux judiciaires;

d) ne peut accorder :

(i) de dommages-intérêts exemplaires ou punitifs,

(ii) d’indemnité pour un dommage autre que pécuniaire, notamment un dommage sur le plan culturel ou spirituel;

g) dans le cas où le revendicateur a établi que les terres visées par la revendication n’ont jamais été cédées légalement, ou autrement prises par autorisation légale, accorde une indemnité, égale à la valeur marchande actuelle de ces terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps;

h) dans le cas où le revendicateur a établi qu’il a perdu l’usage des terres visées à l’alinéa g), accorde une indemnité, égale à la valeur de la perte de cet usage ajustée à la valeur actuelle des pertes conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires;

(2) Il demeure entendu que le Tribunal peut prendre en compte, pour le versement de l’indemnité visée au paragraphe (1), les pertes relatives aux activités susceptibles d’être exercées de façon continue et variable, notamment les activités liées aux droits de récolte.

(3) Le Tribunal déduit de l’indemnité calculée au titre du paragraphe (1) la valeur de tout avantage — ajustée à sa valeur actuelle conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires — reçu par le revendicateur à l’égard de l’objet de la revendication particulière.

IV. POSITIONS DES PARTIES SUR LES motifs D’INDEMNISATION ET LES PÉRIODES VISÉES PAR LES PERTES

A. Revendicatrice

[9] La revendicatrice se fonde sur l’alinéa 20(1)g) de la LTRP pour obtenir une indemnité basée sur la valeur marchande actuelle des terres visées par la revendication, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps.

[10] Siska se fonde aussi sur l’alinéa 20(1)h) de la LTRP, qui traite expressément de la perte de « l’usage des terres » du revendicateur.

[11] Siska soutient que c’est en 1880 qu’elle a, pour la première fois, subi des pertes en raison des manquements à l’obligation de fiduciaire établis dans la Décision sur le bien-fondé. Siska fait valoir que l’alinéa 20(1)c) de la LTRP exige que l’indemnité soit évaluée à la date du procès en fonction des principes d’indemnisation en equity, y compris :

[traduction] […] l’indemnité pour perte d’usage à partir du moment où la revendicatrice a commencé à subir des pertes en raison des manquements de la Couronne, l’indemnité pour effet préjudiciable aux terres résiduelles de la revendicatrice, l’indemnité pour entrave passée et future et pour perte d’accès aux ressources halieutiques de la revendicatrice, l’indemnité pour les pertes touchant le bétail de la revendicatrice, l’indemnité pour le bois récolté illégalement par le CFCP dans les réserves, et tous les autres dommages connus du Canada ou ceux qu’il pouvait prévoir. [Mémoire des faits et du droit de la revendicatrice (le mémoire de la revendicatrice), au para 6]

[12] Depuis l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Canadien Pacifique Ltée c Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 CF 325, 1999 CanLII 9362, le CFCP, Siska et le Canada ont conclu une entente de règlement (l’entente de règlement de 2004), qui a mis un terme à tous les litiges opposant le CFCP et Siska. Cette entente a permis de résoudre, entre Siska et le CFCP, toutes les questions relatives à la légalité de l’occupation des terres par le CFCP.

[13] La revendicatrice soutient que ses pertes devraient être évaluées en date d’aujourd’hui, sans égard à l’entente de règlement de 2004 qui a été conclue entre Siska, le Canada et le CFCP. Subsidiairement, si la valeur marchande des terres en 2004, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, devait être évaluée, elle devrait être actualisée. De l’avis de la revendicatrice, l’entente de règlement de 2004 lui permettait expressément de poursuivre la présente revendication entre elle et le Canada.

[14] La revendicatrice estime également que la valeur actuelle des terres devrait être établie à l’aide du taux d’intérêt du compte en fiducie de la bande, composé.

B. Intimée

[15] L’intimée (ci-après, la « Couronne ») convient que les alinéas 20(1)g) et h) de la LTRP prévoient l’octroi d’une indemnité égale à la valeur marchande actuelle des terres visées par la revendication, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, mais soutient que l’indemnité correspondant à la valeur actuelle de la perte d’usage des terres visées par la revendication doit être évaluée à partir de la date de la création définitive de la réserve (le 29 décembre 1911). La Couronne convient que l’alinéa 20(1)c) de la LTRP exige que l’indemnité soit évaluée en fonction des principes d’indemnité en equity et soutient que l’indemnité prévue à l’alinéa 20(1)c), — mais pas celles prévues aux alinéas g) et h) — vise les manquements aux obligations de fiduciaire qui sont antérieurs à la création définitive de la réserve, notamment au manquement lié à l’accès entravé aux stations de pêche situées le long du fleuve Fraser et à une petite partie des terres arables alors que les réserves étaient provisoires. Cependant, ce qui ressort avant tout de l’argument de l’intimée quant à la perte d’usage des terres, c’est que l’alinéa 20(1)h) ne s’applique qu’aux réserves pleinement créées.

[16] L’intimée soutient que différentes méthodes d’indemnisation s’appliquent aux différentes parties des terres et aux différentes périodes visées par la revendication. L’intimée a divisé les terres visées par la revendication en deux parties : l’étendue de 99 pieds de large, ayant pour centre la ligne médiane de la voie ferrée et s’étendant tout le long de la voie traversant la RI no 7 (l’« étendue de 99 pieds »), et les terres des RI nos 7 et 5 qui étaient occupées par le CFCP, mais qui excédaient les limites de l’étendue de 99 pieds ayant pour centre la ligne médiane de la voie ferrée (les « terres excédentaires », d’une superficie de 74,61 acres dans la RI no 7 et de 0,08 acre dans la RI no 5). La Couronne fait valoir que le CFCP occupait légalement l’étendue de 99 pieds avant la création définitive des deux réserves en 1911 et que, abstraction faite des manquements constatés, la voie ferrée aurait quand même été construite. L’intimée soutient donc que l’évaluation de l’indemnité correspondant à la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, et à la perte d’usage, devrait essentiellement porter sur les terres excédentaires. Elle soutient également que seules 2,43 acres de l’étendue de 99 pieds devraient ouvrir droit à indemnisation, et ce, pour la période allant de 1911 à 2004. Elle reconnaît aussi que 7 acres de terres arables faisant partie des « terres excédentaires » devraient faire l’objet d’une indemnité pour perte d’usage agricole de 1885 à 1911, conformément à l’alinéa 20(1)c).

[17] La Couronne soutient qu’après l’entente de règlement de 2004, [traduction] « aucun autre manquement à l’obligation de fiduciaire du Canada n’existait relativement à l’emprise de 99 pieds » et que la mise en œuvre de l’entente a eu pour effet de réduire de 2,43 acres la superficie des terres situées dans l’étendue de 99 pieds qui n’avaient pas pu être utilisées pour des pâturages ou des activités récréatives, si bien qu’il ne restait que 74,61 acres de terres excédentaires de 2004 à aujourd’hui. La Couronne fait également valoir que, après 2004, les pertes relatives aux pêches, y compris les pertes futures alléguées, ne sont pas indemnisables.

[18] Par conséquent, l’intimée estime que la superficie des terres de la RI n5 dont la perte d’usage est indemnisable est de 0,08 acre pour toutes les années, et que la superficie des terres dont la perte est indemnisable selon la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, devrait être de 74,61 acres pour la RI n7, et de 0,08 acre pour la RI n5. La position de l’intimée quant à la superficie de la RI no 7 visée par l’indemnité pour perte d’usage en vertu de l’alinéa 20(1)h) et pour manquement à l’obligation de fiduciaire se rapportant aux terres arables avant 1911 se résume ainsi :

Période

Superficie de la RI n7 visée par l’indemnité (pour perte d’usage)

1886–1910

7 acres des terres excédentaires

1911–1990

2,43 acres de l’étendue de 99 pieds, 40,76 acres des terres excédentaires (les terres excédentaires en pente descendante dont la perte d’usage n’est pas susceptible d’indemnisation)

1991–2004

2,43 acres de l’étendue de 99 pieds, 74,61 acres des terres excédentaires (les terres excédentaires situées en pente descendante dont la perte d’usage à des fins récréatives passives est susceptible d’indemnisation)

2005–2018

74,61 acres des terres excédentaires

[19] L’intimée reconnaît que la perte de bétail par collision et le bois d’œuvre récolté pendant la construction de la voie ferrée sont des pertes susceptibles d’indemnisation, mais a avancé à cet égard des montants différents que ceux présentés par la revendicatrice.

[20] L’intimée fait valoir que la valeur actuelle devrait être établie à l’aide d’un modèle fondé sur l’augmentation du PIB par habitant de 1927 à aujourd’hui et sur une combinaison de l’indice des prix à la consommation et des taux d’intérêt du compte en fiducie de la bande pour les années antérieures à 1927.

V. QUESTIONS EN LITIGE

A. Questions préliminaires

  1. Comment, le cas échéant, les principes d’indemnisation en equity s’appliquent-ils à la détermination de l’indemnité prévue aux alinéas 20(1)c) et h)?

  2. Pour les besoins de l’indemnisation, les réserves étaient‑elles soumises à une tenure grevant l’intérêt de Siska dans les terres visées par la revendication aux dates pertinentes (à la date des manquements aux obligations de fiduciaire, à la date de la création définitive de la réserve, le 29 décembre 1911, à la date des prises illégales ou au moment de l’entente de règlement de 2004)?

  3. La période d’indemnisation pour perte d’usage commence‑t‑elle à la date à laquelle le CFCP est entré dans les terres de réserve de Siska en 1878, ou le 29 décembre 1911?

  4. L’entente de règlement de 2004 a‑t‑elle une incidence sur la période visée par la perte indemnisable?

  5. À quels manquements les alinéas 20(1)c) et 20(1)h) s’appliquent-ils?

B. Évaluation du montant de la perte

  1. Quelle est la valeur marchande des terres visées par la revendication, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps (alinéa 20(1)g) de la LTRP)?

  2. Quelle indemnité doit être versée, le cas échéant, pour l’effet préjudiciable?

  3. Quelle est la méthode d’indemnisation à appliquer et quel est le montant de l’indemnité à verser pour la perte d’usage?

  4. Si, comme l’ont convenu les parties, l’indemnité doit tenir compte des répercussions sur l’accès de la revendicatrice à ses postes de pêche, comment ces pertes, s’il en est, doivent‑elles quantifiées en dollars?

  5. Y a-t-il d’autres pertes liées à l’usage restreint de ses réserves par la revendicatrice qui sont susceptibles d’indemnisation et, si oui, quelles sont‑elles et à combien s’élèvent-elles?

  6. Quelle est l’approche appropriée pour évaluer la valeur actuelle des pertes historiques?

VI. PrinciPEs D’INDEMNISATION EN EQUITY

[21] Comme le Tribunal l’a déclaré dans la décision Première Nation de Mosquito Grizzly Bear’s Head Lean Man c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2021 TRPC 1 [Mosquito] (aux paras 244 et suivants), pour élaborer une réparation convenable, il faut d’abord examiner le contexte fiduciaire particulier de la revendication. Parmi les facteurs importants à considérer, mentionnons la nature de la relation fiduciaire, l’intérêt en cause, le manquement et le préjudice subi.

[22] En 1878, la Couronne a mis de côté les réserves à l’intention de Siska, répondant ainsi en partie à ses obligations en matière de création de réserves. Elle savait alors à quel point l’accès au fleuve que l’emplacement des réserves assurait à Siska était important. Les réserves se trouvaient sur le territoire traditionnel de Siska. Deux ans plus tard, l’intimée a commencé à construire un chemin de fer national à travers les réserves, ce qui a conduit à des manquements à ses obligations de fiduciaire et à des dispositions sans droit qui ont eu de lourdes conséquences pour la revendicatrice, comme il est expliqué dans les présents motifs.

[23] La période pendant laquelle les réserves étaient provisoires et la période postérieure à 1911, c’est-à-dire après que les réserves eurent été pleinement créées en droit, sont toutes deux visées par la présente revendication. Il est possible que les obligations de la Couronne soient différentes avant et après la création définitive des réserves (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum]). Comme le Tribunal l’a constaté dans la Décision sur le bien-fondé, des obligations de fiduciaire peuvent prendre naissance au stade des réserves provisoires — et c’est ce qui s’est produit en l’espèce.

[24] Dans l’arrêt Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321 [Guerin], la Cour suprême a appliqué les principes de l’equity pour évaluer l’indemnité à accorder par suite d’un manquement à une obligation de fiduciaire relative à un intérêt foncier autochtone, en l’occurrence un intérêt dans des terres de réserve cédées. Lorsque, comme en l’espèce, il y a eu manquement à une obligation de fiduciaire relative à un intérêt autochtone identifiable (tel qu’une réserve provisoire), il a déjà été établi à l’étape du bien‑fondé que cet intérêt suffit à justifier une obligation sui generis de nature fiduciaire.

[25] Dans l’arrêt Whitefish Lake Band of Indians v Canada (AG), 2007 ONCA 744, 87 OR (3d) 321, la Cour d’appel de l’Ontario a renvoyé à l’arrêt Guerin et a déclaré ce qui suit au paragraphe 57 :

[traduction] L’obligation fiduciaire qu’a la Couronne envers notre peuple autochtone est d’une importance primordiale dans ce pays. Une façon de reconnaître son importance est d’accorder une indemnité en equity dans les cas de manquement. L’indemnisation en equity facilite l’atteinte des objectifs d’application de la loi et de dissuasion. Elle confirme l’importance que la cour accorde à l’obligation continue de la Couronne de respecter son obligation fiduciaire et à la nécessité de la dissuader de commettre d’autres manquements.

[26] Tenant compte de la LTRP, les parties reconnaissent que les principes d’indemnisation en equity s’appliquent à l’évaluation de la réparation en l’espèce.

[27] L’indemnisation en equity suppose une évaluation. Le Tribunal a déclaré ce qui suit dans la décision Mosquito :

La Cour suprême a aussi clairement indiqué que l’indemnisation en equity relève de l’appréciation, non pas du calcul mathématique : Guerin, au para 47; voir aussi Whitefish, au para 90. Dans Guerin, la Cour suprême a souligné que le juge de première instance, dont elle a confirmé la décision, « a reconnu qu’on ne pouvait étayer ce chiffre de façon mathématique, mais il a affirmé […] que c’était une “réaction éduquée, fondée sur la preuve administrée, les opinions fournies, les moyens soulevés et, finalement, mes conclusions quant aux faits” » [au para 257]

[28] Lorsqu’il procède à une évaluation, le Tribunal doit tenir compte des principes sous‑jacents. Tel qu’indiqué dans la décision Mosquito :

En l’espèce, les principes qui sous-tendent l’évaluation de l’indemnisation en equity sont la restitution (Guerin et Canson), la réconciliation (LTRP, préambule), la dissuasion (Canson), l’équité et la proportionnalité (Hodgkinson). Un facteur implicite veut que, lorsqu’il procède au contrôle de la relation fiduciaire et conçoit la réparation appropriée, le tribunal doive tenir compte du principe de loyauté fiduciaire et éviter les mesures incitatives aux effets indésirables.

[…]

Non seulement les principes sous-jacents permettent de savoir dans quelles circonstances les principes de l’indemnisation en equity doivent s’appliquer, mais ils justifient également le maintien des différences qui caractérisent l’indemnisation en equity (Canson, au para 3 précité). Au paragraphe 8, la juge McLachlin fait référence au « danger » de ne pas respecter les différences :

Le danger de procéder par analogie avec le droit en matière de responsabilité délictuelle est que cela peut nous amener à choisir des réponses qui, tout en étant faciles, peuvent ne pas convenir dans le contexte d’un manquement à une obligation fiduciaire. Le juge La Forest a évité un tel piège en indiquant que l’indemnisation pour manquement à une obligation fiduciaire ne sera pas limitée par la prévisibilité, mais qu’en est‑il des autres questions? Par exemple, l’analogie avec le droit en matière de responsabilité délictuelle pourrait laisser supposer que les présomptions qui jouent en faveur de la partie lésée dans une action pour manquement à une obligation fiduciaire ne joueront plus, comme, par exemple, la présomption que les fonds en fiducie seront utilisés de la façon la plus profitable.

La juge McLachlin a résumé comme suit l’approche distincte à adopter :

En résumé, l’indemnisation est une mesure de redressement pécuniaire fondée sur l’equity à laquelle on peut avoir recours lorsque les redressements d’equity que sont la restitution et la reddition de comptes ne conviennent pas. Par analogie avec la restitution, elle tente de rendre au demandeur ce qu’il a perdu par suite du manquement, c’est‑à‑dire la possibilité qu’il a perdue. La perte réelle du demandeur par suite du manquement doit être évaluée en bénéficiant pleinement de la rétrospective. La prévisibilité n’intervient pas dans le calcul de l’indemnité, mais il est essentiel que les pertes compensées soient seulement celles qui, selon une conception normale du lien de causalité, ont été causées par le manquement. Le demandeur n’est pas tenu de limiter le dommage, selon l’expression utilisée en droit, mais les pertes résultant d’un comportement manifestement déraisonnable de la part du demandeur seront considérées comme découlant de ce comportement, et non pas du manquement. Lorsque le manquement commis par le fiduciaire permet à des tiers d’accomplir des actes préjudiciables ou négligents, ce qui a ainsi pour effet d’établir un lien direct entre le manquement et la perte, la perte en résultant pourra être recouvrée. Lorsqu’il n’existe aucun lien de ce genre, la perte doit être recouvrée auprès des tiers. [Canson, au para 27]

L’approche souple décrite par la juge McLachlin permet d’accorder une réparation fondée sur les principes du droit des fiducies dans le cadre d’affaires qui s’inscrivent dans le contexte fiduciaire et qui le justifient, et également d’accorder une réparation similaire dans le cas d’un préjudice véritablement similaire. C’est ce qui a été confirmé plus tard dans l’arrêt Hodgkinson, où la Cour a rappelé que les principes sous-jacents devaient guider l’application des principes généraux aux faits propres à une affaire donnée (Hodgkinson, au para 81, précité). [aux paras 259, 262–264]

[29] Dans la présente revendication, les parties ont exprimé des points de vue différents sur la mesure dans laquelle les pertes invoquées découlent des manquements aux obligations de fiduciaire et des dispositions sans droit.

VII. Les réserves étaient‑elles SOUMISES À Une tenure grevaNt l’intérêt de siska dans les terres visées par la revendication aux dates pertinentes pour L’indemnisation?

[30] L’intimée soutient que le CFCP a légalement pénétré dans les réserves de la revendicatrice pour construire la voie ferrée et que la présence de cette voie ferrée dans les réserves a fait naître un intérêt qui existait avant la création des réserves, qui ont été attribuées en 1878 et « créées » — au sens où elles sont tombées sous le coup de la Loi concernant les sauvages, SRC 1906, c 81 —, en décembre 1911. L’intimée fait référence à la [traduction] « prise des terres de l’emprise en 1885 » (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 32) et fait également valoir que les principes d’equity devraient s’appliquer aux alinéas 20(1)c), g) et h) de la LTRP. Par conséquent, [traduction] « l’indemnisation devrait reposer sur la présomption que, si le Canada s’était acquitté de ses obligations juridiques, la bande indienne de Siska aurait reçu les terres de l’emprise à titre de terres de réserve, déjà grevées d’une servitude de passage de 99 pieds et d’un chemin de fer en exploitation » (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 41). En fait, l’intimée soutient que c’est à partir de1885 que le CFCP a bénéficié d’une servitude traversant les réserves sur une parcelle d’une largeur de 99 pieds.

[31] La question de savoir s’il y a eu prise de l’intérêt autochtone identifiable de la revendicatrice dans les réserves provisoires a été soulevée à l’étape du bien‑fondé de la présente instance. Il a été conclu que l’affectation de terres de la Couronne aux fins de la construction et de l’exploitation du chemin de fer n’avait eu aucun effet juridique sur l’intérêt sui generis de Siska dans les terres qui avaient été attribuées à titre de réserve par le commissaire aux réserves Sproat, le 18 juin 1878. La présence du chemin de fer sur ces terres n’était confirmée par aucune servitude ou autre forme de tenure. Selon les termes du Contrat avec le CFCP, la servitude devait être accordée à une date ultérieure indéterminée. Les terres utilisées par le CFCP étaient situées à l’intérieur des limites arpentées des réserves lorsque le Canada a accepté les réserves comme relevant de sa responsabilité pour l’application de la Loi sur les Indiens, le 29 décembre 1911. Les concessions au CFCP ont eu lieu après.

[32] Dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal n’a constaté l’existence d’aucun instrument valide qui aurait grevé légalement l’intérêt de Siska dans les terres au profit du CFCP au cours de la période allant de l’attribution des terres en 1878 à la création officielle de la réserve en 1911, ou jusqu’à ce que l’emprise soit établie en faveur du CFCP en vertu de l’entente de règlement de 2004.

[33] La revendicatrice prétend que, dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a conclu que les terres n’avaient pas été légalement transférées, si bien qu’[traduction] « il ne faut pas présumer qu’une servitude permettant l’exploitation du chemin de fer grevait l’emprise de 99 pieds » aux fins de l’indemnisation; or, « le CFCP a agi à l’égard de la revendicatrice et des membres de la bande de Siska comme s’il bénéficiait de l’usage exclusif des terres en cause » (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 48).

VIII. Nature de l’intérêt de la revendicatrice dans les terres

[34] Dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a conclu qu’il y avait eu manquement aux obligations de fiduciaire en ce qui concerne les intérêts autochtones identifiables dans les terres. Il a aussi conclu qu’il y avait eu disposition illégale. Il a beaucoup été question dans d’autres décisions de la difficulté d’établir la réparation à accorder en cas de préjudices connexes. Lorsqu’ils sont appelés à le faire, les tribunaux — dont notre Tribunal — tentent d’élaborer des réparations qui s’accordent avec les principes juridiques applicables, qui reflètent et respectent le processus continu de conciliation entre les intérêts autochtones dans les terres et la common law, le droit civil et les principes d’equity, établi par la Cour suprême du Canada, et qui permettent de régler le litige de façon pratique et efficace.

[35] Les parties conviennent que, en plus de la LTRP, les principes d’indemnisation en equity s’appliquent en l’espèce. Il en est ainsi à cause des manquements aux obligations de fiduciaire dont il est question en l’espèce. Les alinéas 20(1)c) et h) de la LTRP exigent que l’indemnité soit conforme aux principes d’indemnisation appliqués par les tribunaux, y compris les principes d’equity.

[36] Il était dans l’intérêt national de construire le chemin de fer, mais les prises de terre nécessaires auraient dû être faites légalement. Le Canada a perdu de vue l’intérêt de la revendicatrice dès les débuts de la construction et il lui a ensuite, des dizaines d’années plus tard, imposé des prises illégales auxquelles il n’a pas remédié avant le XXIsiècle.

[37] Comme les terres de la revendicatrice ont été prises sans autorisation légale, la LTRP prévoit l’octroi d’une indemnité égale à la valeur marchande actuelle de ces terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, et à la perte d’usage, et non d’une indemnité évaluée en fonction d’une hypothétique expropriation légale à une date antérieure donnée. L’indemnité accordée respecte ainsi les objectifs de réconciliation de la LTRP, car elle correspond à ce qui s’est réellement passé et au préjudice qui a été subi pendant plus d’un siècle.

[38] S’agissant de l’intérêt national concurrent dans le chemin de fer et de l’importance de la période au cours de laquelle les réserves sont demeurées provisoires pour ce qui est de l’indemnité pour manquements à une obligation de fiduciaire prévue à l’alinéa 20(1)c), l’intimée a reconnu que la perte des terres arables correspondant à l’emprise du chemin de fer ouvrait droit à une indemnité fondée sur l’usage agricole aux termes de l’alinéa 20(1)c), mais a contesté la preuve produite pour en établir le montant. Les questions sous‑jacentes liées au statut provisoire des réserves et à l’indemnité pour perte d’usage des terres occupées par le chemin de fer n’ont pas fait l’objet d’un débat approfondi et le montant de l’indemnité accordée pour la superficie en cause est relativement minime, si bien que, pour les besoins de l’évaluation exposée dans les présents motifs, le Tribunal reconnaît que les parties s’entendent au moins pour dire que cette perte d’usage agricole était indemnisable aux fins de la présente revendication.

[39] Les parties n’ont pas présenté d’observations exhaustives au sujet de l’interaction entre les alinéas 20(1)c) et h) de la LTRP pour la période allant de 1880 à ce jour de décembre 1911où les réserves sont devenues des réserves au sens de la Loi sur les Indiens. L’interaction entre les alinéas 20(1)c) et h) dans le cas d’une possible expropriation de terres de réserve provisoire est une question complexe qu’il vaut mieux résoudre dans le cadre d’une revendication où cette question est au cœur même du litige. Pour cette raison, le Tribunal ne se prononce pas dans les présents motifs sur la question de savoir si la revendicatrice a droit à une indemnité correspondant à la valeur attribuée à la perte d’usage des terres occupées par le CFCP avant 1911. Pour les périodes antérieure et postérieure à 1911, l’indemnité vise les pertes découlant des manquements de l’intimée à ses obligations de fiduciaire en ce qui concerne l’accès de la revendicatrice à la pêche et à une partie des terres arables, comme il a été établi dans la Décision sur le bien-fondé.

A. Intérêt de Siska dans les terres

[40] Le principal intérêt de Siska dans les réserves attribuées en 1878 était la pêche. L’intérêt identifiable dans les terres s’entend de l’intérêt propriétal dans les postes de pêche. La nature propriétale de l’intérêt autochtone identifiable a été confirmée par la Cour suprême dans l’arrêt Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4 [Williams Lake] :

[…] Le Tribunal précise ensuite la nature et l’importance de cet intérêt : il s’apparente à un intérêt de propriété, soit un intérêt dans les terres sur lesquelles se trouvait l’établissement de la bande (M. T., par. 321). Dans les affaires Ross River et Wewaykum, l’intérêt à l’égard duquel la Couronne avait une obligation fiduciaire pour la création de réserves était l’intérêt dans des terres (Ross River, par. 68 et 77; Wewaykum, par. 93 et 97). En l’espèce, le Tribunal était appelé à décider si l’intérêt dans les terres découlait de l’acte administratif d’attribuer provisoirement une réserve ou de l’usage et de l’occupation collectifs de ces terres. Vu l’accent mis sur les terres dans ces arrêts, de même que les principes dégagés dans Guerin et Manitoba Metis Federation, le Tribunal conclut raisonnablement que l’intérêt de la bande prend appui sur l’usage et l’occupation collectifs et que l’objet de l’obligation fiduciaire n’est pas un intérêt général dans l’obtention d’une réserve. [au para 82]

[41] L’attachement de la revendicatrice à la terre est plus qu’une question de subsistance. Outre ses aspects pécuniaire et propriétal, l’intérêt autochtone de la revendicatrice a d’autres caractéristiques, dont certaines ont été décrites dans les témoignages présentés par les membres de la communauté de Siska. La LTRP exclut expressément l’indemnisation des pertes subies « sur le plan culturel ou spirituel », mais le régime qu’elle établit prévoit clairement l’indemnisation des préjudices de nature pécuniaire subis par la revendicatrice. Dans l’examen de ces pertes, il est important de tenir compte des perspectives des Autochtones sur l’usage des terres et des avantages matériels de cet usage.

[42] Au cours de l’année où les RI nos 7 et 5 ont été attribuées, le commissaire Sproat, l’unique commissaire de la CMRI, a reconnu le lien qui — du point de vue des Autochtones — existait entre le lieu et l’activité au regard des habitudes, des souhaits et des activités des communautés autochtones pour lesquelles des réserves étaient établies. Comme le Tribunal l’a souligné dans la décision Kitselas, le lien entre le lieu et l’activité occupait une place importante dans le cas des sites de pêche.

[43] En 1878, dans son rapport de progression à l’intention du commissaire, Sproat a notamment indiqué ce qui suit :

[traduction] La première condition est de laisser les Indiens dans les lieux anciens auxquels ils sont attachés. À l’heure actuelle, les Indiens d’ici tiennent à un tel point à ces lieux qu’aucun avantage découlant du fait de résider ailleurs ne leur ferait accepter ce changement. Il est une pure vérité qu’au cours de l’été dernier, des Indiens se sont agenouillés devant moi en se lamentant et en suppliant que si la Reine ne pouvait pas leur donner des terres, elle devait leur donner des pierres ou des roches provenant des anciennes localités qu’ils aimaient et qui sont aujourd’hui possédées, ou du moins occupées, par des hommes blancs. Le sentiment qu’éprouvent les Indiens de la Colombie-Britannique, de cette façon et jusqu’à un certain point, à l’égard d’une roche particulière d’où sa famille prend du poisson depuis des temps immémoriaux est le même que celui que ressent un Anglais quand il songe à la maison qui lui vient de ses ancêtres. À mon avis, il serait injuste et imprudent de faire abstraction de ce profond sentiment, qui est bien connu, mais dont, jusqu’à la présente année, je n’avais pas pris pleinement conscience de la force.

Le point suivant est d’intervenir le moins possible, sous réserve de la priorité qui consiste à favoriser la colonisation du territoire par des blancs, par rapport aux lieux de fréquentation que privilégient les Indiens, à leurs anciennes façons de faire, à leurs conseils et rassemblements ainsi qu’au commerce entre les tribus. Il faut pour cela faire preuve d’un fin jugement, alors que la situation se trouve dans un état de transition [...] [Je souligne.]

[44] La Couronne a attribué les RI nos 7 et 5, tout en étant consciente de l’importance de l’accès que ces réserves provisoires, et plus tard confirmées, assuraient au fleuve Fraser. Les témoignages offerts dans le cadre de la présente revendication ont d’ailleurs confirmé l’importance de cet accès.

B. Témoignages quant à l’importance de l’accès à la pêche

[45] Le chef Fred Sampson, Maurice Michell, Jean Florence, Mary Williams, Alice Munro, Ernest Munro et Kenneth Spinks ont tous témoigné. Les témoignages relatés dans cette partie reflètent le point de vue de Siska sur l’importance du saumon pour sa survie en tant que communauté distincte.

1. Chef Fred Sampson, aîné

[46] Le chef Sampson a parlé de sa formation et de la technique utilisée. Il a exprimé un profond respect pour les matières naturelles et le saumon (transcription de l’audience, 11 septembre 2018, pp 45–46) :

[traduction]

Q Pouvez-dire au juge comment vous concevez la relation entre Siska et le saumon?

R Eh bien, nous sommes indissociables. Nous faisons partie l’un de l’autre. Je sais qu’ils ont procédé à des tests sur certains des sites archéologiques, qu’ils ont déterré les dépouilles de notre peuple et qu’ils ont analysé les ossements. Ils ont été étonnés de la haute teneur en calcium de ces os. Cette teneur en calcium est directement attribuable au poisson. C’est pourquoi je dis que nous, c’est eux, et qu’eux, c’est nous. Nous avons mangé tellement de poisson que nous sommes faits de poisson.

[47] À l’audience du 17 mai 2016, le chef Sampson a parlé de l’importance des lieux (transcription de l’audience, aux pp 35, 38–41) :

[traduction]

Q D’accord. Merci. Chef Sampson, pouvez-vous me dire pour quelles raisons vous pensez que Siska — le peuple de Siska — a choisi — ou le peuple Nlaka’pamux — a choisi de vivre dans cette région?

R En fait, l’abondance du saumon était très certainement cruciale pour plusieurs des villages historiques situés un peu partout dans le canyon. Les ressources halieutiques étaient essentielles à la survie du peuple. Le poisson était la source de protéines la plus abondante dont nous disposions en tant que peuple du fleuve et peuple du saumon, en plus de toutes les autres récoltes traditionnelles de nourriture et de produits. Mais le saumon était absolument essentiel.

[…]

Q Chef Sampson, vous avez mentionné la pêche. Pouvez-vous m’en dire plus au sujet de votre expérience dans ce domaine?

R En fait, personnellement, une grande partie de mon expérience tourne autour du fait que j’étais assez vieux pour faire certaines choses, en tant que jeune homme. Et je n’ai pas été autorisé à utiliser l’épuisette jusqu’à l’âge d’environ neuf ans. Bien sûr, il fallait une certaine force, certaines aptitudes. On m’a souvent emmené là‑bas, et j’ai observé mon grand-père, la façon dont il plongeait l’épuisette, dont il la maniait. Et bien sûr, j’ai aussi emballé le poisson. Mais c’était la même chose avec la chasse. Je n’ai pas pu tirer mon premier cerf avant l’âge de neuf ans parce qu’ils voulaient s’assurer que j’étais en mesure de le faire, et de le faire correctement, dans le respect de l’animal et de la ressource que nous prenions. Donc, pour ce qui est de la pêche, comme je l’ai dit, je n’ai pas été autorisé à utiliser l’épuisette avant l’âge de neuf ans. Cependant, à cette époque-là, j’observais comment les épuisettes étaient confectionnées. Puis, mon grand-père m’a dit que j’avais l’âge d’aller pêcher et que je devais fabriquer mon épuisette. Et il ne m’a pas surveillé quand j’ai fait cette épuisette. Je devais déjà savoir comment faire puisque nous apprenions à force d’observer. On m’a toujours dit d’écouter — d’écouter et de regarder. Alors, quand j’ai eu neuf ans, j’ai fabriqué ma première épuisette. Et mon grand-père m’a dit que j’avais fait du bon travail, du très bon travail, parce que j’avais porté attention aux détails, à la période de l’année où il fallait aller récolter le bois vert. C’était au printemps que le bois vert était souple et qu’il était possible de le plier pour faire le cerceau. Il était impossible de le faire à la fin de l’automne, car la sève avait cessé de circuler dans les branches. Il était donc logique de faire ce genre de travail au printemps. Et il y avait toujours des pièces de rechange. En effet, si on cassait son épuisette et qu’on n’avait pas de pièces de rechange, on était mal pris puisqu’il fallait alors en emprunter une. Il était donc vraiment important d’avoir des cerceaux supplémentaires. Il y avait toujours des cerceaux qui étaient accrochés et qui avaient eu le temps de sécher. Il y avait aussi toujours des filets supplémentaires parce qu’ils se déchirent, et des poignées supplémentaires parce qu’elles se cassent. Il ne s’agissait donc pas juste d’apprendre à fabriquer l’épuisette, mais il fallait aussi se préparer au cas où elle se briserait, car il fallait profiter de cette période favorable à la pêche. De plus, l’épuisette devait avoir le temps de sécher avant de pouvoir être utilisée. Il ne fallait donc pas manquer de pièces. C’est comme conduire sa voiture sans pneu de rechange, c’est-à-dire, qu’on cherche juste les ennuis. On apprenait beaucoup en fabriquant des épuisettes. On apprenait même à respecter les pins gris et les sapins qu’on récoltait et tuait pour fabriquer l’épuisette. On offrait toujours une prière et un peu de tabac pour remercier la plante d’avoir donné sa vie pour qu’on puisse subvenir à nos besoins. Ainsi, dans la fabrication de l’épuisette et dans les enseignements de mon grand-père, il était toujours question de respect. Le respect pour le poisson, le respect pour les plantes qui donnaient leur vie pour qu’on puisse subvenir à nos besoins.

[48] La langue est liée à la pêche (transcription de l’audience, 17 mai 2016, aux pp 54–55) :

[traduction] Le Sc’uwen fait partie intégrante de nos enseignements, de notre culture et de nos valeurs. La langue en soi est vraiment, vraiment liée à la pêche. Nous vivions selon la loi de la terre et notre langue a joué — joue — un rôle important dans la façon dont nous traitons le poisson, dont nous célébrons, dont nous respectons le saumon. Je crois que ces choses sont très importantes pour moi, en tant que père et grand-père, afin que je puisse partager ce que j’ai appris. Il faut avoir accès au fleuve et, bien sûr, il faut pouvoir y pêcher.

2. Maurice Michell, aîné

[49] Maurice Michell a témoigné comme suit (transcription de l’audience, 11 septembre 2018, aux pp 187‑188 et 12 septembre 2018, aux pp 60–62) :

[traduction]

Q Comment concevez-vous la relation entre Siska et le saumon?

R Notre peuple est celui qui mange le poisson et notre Seigneur dit qu’il nous a été donné --

M. MICHELL : Est-ce que je peux dire quelque chose?

L’INTERPRÈTE : Bien sûr.

M. MICHELL : D’accord. Nous, le peuple Nlaka’pamux, notre principal aliment est le saumon. Quand le Créateur nous a créés et mis sur la Terre mère, il a créé le poisson pour nous afin que nous puissions survivre sur la terre qu’il avait créée pour nous.

[…]

Q M. Maurice [sic], pouvez-vous dire au juge ce que vous devez faire au début de chaque saison de pêche?

R Souvent, notre mère nous disait lorsque nous commencions à pêcher, elle nous disait que le premier poisson qu’on attrapait, il fallait le remettre à l’eau. De cette façon, on remercie le fleuve, on remercie le fleuve d’être là et de permettre au poisson de se rendre à nous. Quand on attrape son premier poisson, on remercie le poisson de nous permettre de subvenir à nos besoins. On remercie le poisson, on lui offre un cadeau et on le remet à l’eau. On lui dit de continuer son chemin, d’aller vers la frayère.

Pour le deuxième poisson, on fait une cérémonie appelée †’i?ksm. C’est la cérémonie de la première pêche. On n’en attrape qu’un seul et on le ramène à la maison. On le filète, on le coupe en morceaux, selon sa taille. On le met sur un bâton, on fait un feu et on … on place un morceau de poisson sur chaque bâton. Si on a 10 morceaux de poisson, on invite 10 personnes à la cérémonie. Si on en a 20, on invite 20 personnes. Elles prennent part au festin et mangent le poisson. Toutes les arêtes qu’on trouve dans le morceau de poisson qu’on mange sont déposées sur le bâton. Ensuite, on retourne au fleuve. On le remercie d’avoir fait remonter ce poisson. Et on remercie le poisson de s’être offert pour qu’on puisse l’attraper et le manger, avant de remettre le bâton et les arêtes à l’eau.

[50] Sproat avait compris que les lieux étaient importants pour les Autochtones, comme le confirment les témoignages présentés en l’espèce. Ces témoignages révèlent également que l’économie traditionnelle de Siska était axée sur la récolte du saumon. Le saumon, y compris le saumon séché, était un objet de commerce. Ce commerce se poursuit tout au long de la vie des membres de la communauté de Siska.

C. Décision sur le bien‑fondé

[51] Le Tribunal est arrivé à la conclusion suivante :

Les réserves situées le long du fleuve Fraser ont été attribuées de manière à assurer un accès aux ressources halieutiques. Les réserves étaient petites, puisque les peuples autochtones de la région n’étaient pas connus pour être des agriculteurs.

La bande de Siska avait un intérêt pratique important dans les réserves provisoires, dont elle occupait les terres depuis des temps immémoriaux. En 1878, ces modestes parcelles ont été reconnues par Sproat comme appartenant à la bande. Rien n’indique que Siska ait été consultée au sujet des répercussions que l’occupation des terres de l’emprise par le CFCP aurait sur son utilisation de celles‑ci de même que sur son accès à ses stations de pêche. [aux para 281–282]

D. Nature juridique de l’intérêt identifiable de Siska

[52] La Cour suprême a décrit le caractère sui generis des terres de réserve dans l’arrêt Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85 [Osoyoos]. Le juge Iacobucci a déclaré que le titre ancestral et le droit des Autochtones sur les terres de réserve ont des caractéristiques sui generis communes, notamment le fait que les deux types de droits sont inaliénables sauf en faveur de la Couronne, qu’ils constituent des droits d’usage et d’occupation exclusifs et qu’ils sont détenus collectivement. Les tribunaux doivent faire abstraction des concepts imposés par la common law et le droit civil. Une approche non formaliste peut être nécessaire. Le bénéficiaire des terres de réserve ne peut pas unilatéralement ajouter des terres à sa réserve ou remplacer de telles terres; l’intervention de la Couronne est requise en pareil cas. Les terres de réserve ne sont pas un bien fongible et elles comportent « un aspect culturel important » qui reflète « la valeur intrinsèque et unique des terres elles-mêmes » pour la collectivité. Aux paragraphes 41 à 46, on peut lire :

[…] il est utile de se référer à la jurisprudence récente de notre Cour sur la nature du titre aborigène pour décrire les caractéristiques du droit des Autochtones sur les terres de réserve. Bien que ces deux types de droits ne soient pas identiques, ils sont fondamentalement similaires : voir Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, p. 379, le juge Dickson (plus tard juge en chef); Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, par. 116-121, le juge en chef Lamer.

Les caractéristiques communes au titre aborigène et au droit des Autochtones sur les terres de réserve sont notamment le fait que les deux types de droits sont inaliénables sauf en faveur de la Couronne, qu’ils constituent des droits d’usage et d’occupation exclusifs et qu’ils sont détenus collectivement. Par conséquent, il est maintenant fermement établi que les deux types de droits fonciers autochtones sont des droits sui generis distincts des droits de propriété « normaux » : Bande indienne de St. Mary’s, précité, par. 14.

Premièrement […] les principes traditionnels du droit des biens en common law peuvent ne pas s’avérer utiles dans le contexte des droits fonciers des Autochtones […]. Les tribunaux « doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law » afin de donner effet à l’objet véritable des opérations relatives aux terres de réserve : voir Bande indienne de la rivière Blueberry, précité, par. 7, le juge Gonthier. […]

[…] « une approche non formaliste peut être justifiée » même en matière d’expropriation et […] on ne doit généralement pas permettre à la forme de « l’emporte[r] […] sur le fond » dans tous les cas où des droits indiens peuvent être touchés. […] le principe qu’il ne convient pas d’appliquer aux terres indiennes les règles du droit des biens en common law a été élaboré en raison du caractère sui generis des droits fonciers des Autochtones. […]

Deuxièmement, il ressort du caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve et de la définition de « réserve » dans la Loi sur les Indiens qu’une bande indienne ne peut pas unilatéralement ajouter des terres à sa réserve ou remplacer de telles terres. L’intervention de la Couronne est requise en pareil cas. À cet égard, la notion de terres de réserve cadre mal avec la raison d’être traditionnelle du mécanisme de prise forcée de certaines terres en contrepartie d’une indemnité égale à la valeur marchande des terres en question majorée des frais. L’idée que la personne dont les terres sont prises puisse utiliser l’indemnité reçue pour acheter des biens de substitution ne tient pas compte, dans le contexte des terres de réserve, du fait qu’une telle situation aurait pour effet de réduire la taille de la réserve et de la possibilité que toute terre acquise ultérieurement à l’extérieur de la réserve ne comporte pas les privilèges assortissant les terres de réserve.

Troisièmement, il est clair qu’un droit foncier autochtone est davantage qu’un simple bien fongible. Un tel droit comporte généralement un aspect culturel important, qui reflète les rapports entre la collectivité autochtone concernée et le territoire ainsi que la valeur intrinsèque et unique des terres elles‑mêmes dont jouit la collectivité. Cette façon de voir vient du fait que le fondement juridique de l’inaliénabilité des droits fonciers des Autochtones repose en partie sur le principe de common law selon lequel le titre des colons doit découler d’une concession de la Couronne, et en partie sur la politique d’intérêt général qui consiste à « veiller à ce que [les Indiens] ne soient pas dépouillés de leurs droits » : voir Delgamuukw, précité, par. 129 à 131, le juge en chef Lamer; Mitchell, précité, p. 133. [aux para 41–46]

[53] Les aspects ou attributs importants de l’intérêt foncier autochtone n’ont pas été pleinement expliqués dans les décisions judiciaires. Cet intérêt est « sui generis ». La jurisprudence montre que ce descriptif n’est pas simplement une belle formule à utiliser lorsque les concepts du droit des biens conventionnel ne conviennent pas.

E. Statut « provisoire » des réserves

[54] Dans l’affaire Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 3 (SCT-7004-11), les terres n’avaient jamais été mises de côté pour la revendicatrice. S’appuyant sur la jurisprudence antérieure, la Cour suprême a déclaré dans l’arrêt Williams Lake que l’intérêt identifiable peut faire naître une obligation fiduciaire sui generis :

La relation entre la Couronne et les peuples autochtones peut donner naissance à une obligation fiduciaire de deux façons. D’abord, cette obligation peut découler du pouvoir discrétionnaire de la Couronne à l’égard d’un intérêt autochtone particulier ou identifiable (Manitoba Metis Federation, par. 49 et 51; Wewaykum, par. 79-83; Nation haïda, par. 18; M. T., par. 180‑181. [au para 44]

[55] La reconnaissance et la qualification en droit des intérêts autochtones identifiables découlent de l’histoire particulière des relations entre la Couronne et les Autochtones. L’intérêt identifiable dans le territoire traditionnel qui peut faire naître une obligation de fiduciaire, comme dans une réserve provisoire, est l’intérêt autochtone préexistant dans des terres « dont les lois et les politiques prévoient la protection […] que les fonctionnaires aient ou non pris les mesures nécessaires pour assurer cette protection » (Williams Lake, aux para 53–54, 65). Les types de lois et de politiques invoqués (traités, proclamations de la Couronne, politiques de création de réserves, lois sur la préemption, décrets et autres) reflètent le caractère distinct des relations entre la Couronne et les Autochtones. En outre, l’octroi d’une indemnité pour manquement à une obligation de fiduciaire à l’égard d’un intérêt identifiable laisse supposer que le Tribunal reconnaît dans sa conclusion sur le bien‑fondé que l’honneur de la Couronne était engagé puisque l’honneur de la Couronne sous‑tend l’application du droit des fiducies : « Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation de fiduciaire » (Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au para 18, citant Wewaykum, au para 79).

[56] À l’instar des terres de réserve et du titre ancestral, les intérêts autochtones identifiables n’ont aucun équivalent en common law, sont souvent fondés sur un attachement traditionnel ou bien établi au territoire, revêtent une importance pratique et culturelle et sont non fongibles. En outre, la Couronne est la seule à pouvoir agir comme intermédiaire dans le cadre de transactions qui les concernent.

[57] Cela étant dit, ces intérêts ne donnent pas nécessairement naissance aux mêmes obligations de fiduciaire que celles qui existent dans le cas de réserves « créées ». Dans l’arrêt Williams Lake, la Cour suprême a tiré la conclusion suivante :

L’intérêt de la bande dans les terres du village n’a pas été créé par la Proclamation no 15 et les décrets pris pour sa mise en œuvre. L’intérêt allégué a plutôt été reconnu par des textes de loi et des politiques en tant qu’intérêt indépendant dans des terres (un intérêt dans lequel le gouverneur Douglas voit un « droit équitable ») fondé sur l’usage et l’occupation collectifs (M. T., par. 22, 37‑38, 50, 197 et 238).

Dans la mesure où l’indépendance de cet intérêt n’est pas celle qu’invoque la Cour dans Guerin pour établir une distinction avec les affaires de « fiducie politique », l’arrêt Wewaykum étaye raisonnablement l’opinion du Tribunal selon laquelle la différence de nature de l’intérêt a une incidence sur le contenu de l’obligation, non sur son existence (M. T., par. 233 et 267; voir également Elliott, p. 30-31 et 36‑37). [Je souligne; Williams Lake, aux para 68–69]

[58] Autrement dit, les différences dans la nature de l’intérêt en cause peuvent avoir une incidence sur la norme à laquelle la Couronne, en tant que fiduciaire, doit satisfaire.

[59] La revendicatrice a déclaré ce qui suit :

[traduction] […] la perte de la possibilité de pêcher qui découle du manquement de la Couronne à son obligation de fiduciaire est analogue à la perte d’un élément essentiel d’une fiducie. Pour le peuple de Siska, le poisson, et plus particulièrement le saumon, est un bien important et rentable, intimement lié à sa prospérité, à sa santé, à sa culture et à son bien-être. Les manquements à l’obligation de fiduciaire qui ont été commis par l’intimée découlent tous de la mauvaise administration par l’intimée des RI nos 5 et 7, d’abord provisoires, puis confirmées, de la revendicatrice. Par conséquent, la revendicatrice soutient que la réparation doit être de nature restitutoire et qu’il convient de lui accorder une indemnité en equity. [mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 33]

[60] En l’espèce, il n’est pas nécessaire que le droit à une indemnisation pour les pertes liées à la pêche repose sur la conclusion que l’attribution des réserves a eu pour effet de conférer à Siska un intérêt propriétal sur les ressources halieutiques ou que celles‑ci relevaient de la responsabilité de la Couronne en vertu de l’obligation qu’elle avait envers la revendicatrice. Il faut toutefois apprécier la valeur des postes de pêche protégés et l’importance de leur perte du point de vue des Autochtones afin de pouvoir évaluer l’indemnité à accorder au titre de la LTRP. En l’espèce, l’obligation de la Couronne tient au motif précis de l’attribution des réserves. Le manquement réside dans le fait que l’intimée n’a pas protégé l’intérêt de la revendicatrice dans l’accès à ses sites de pêche.

F. Analyse

[61] Il ressort des témoignages des membres de la communauté de Siska que leur intérêt dans les terres visées par la revendication reflète leur dépendance au saumon, qui leur permet d’assurer leur subsistance et le fonctionnement de leur économie traditionnelle. Mais ce n’est pas tout : leur identité en tant que peuple de la Nation Nlaka’pamux est liée aux terres qu’ils décrivent comme un lieu de récolte du saumon et de connexion spirituelle avec lui. Cet aspect culturel se reflète dans les pratiques cérémonielles soulignant le retour du saumon.

[62] Selon Siska, l’intérêt qu’elle a dans le territoire ne saurait être divisé entre les concepts distincts que sont la terre, l’humain et le saumon. Le cycle du saumon et la récolte marquent les saisons et le passage du temps dans le cycle de la vie humaine. Les pratiques cérémonielles organisées à l’occasion du premier retour saisonnier du saumon assurent la pérennité de ce retour. Ce rapport avec le saumon est un élément de l’intérêt territorial qui s’observe dans les pratiques culturelles.

[63] Pour être proportionnelle au manquement et à la perte, l’indemnité doit refléter la valeur particulière de ce à quoi il a été porté atteinte ou de ce qui a été perdu pendant la période au cours de laquelle la perte a été subie et qui s’étend sur 140 ans, soit de 1880 à aujourd’hui. Les manquements de l’intimée à ses obligations de fiduciaire, notamment le fait qu’elle n’a pas pris en compte les intérêts de Siska et n’a pas cherché à les protéger pendant la construction et l’exploitation du chemin de fer, ont porté atteinte à la jouissance par Siska de ses intérêts territoriaux historiques et aux avantages matériels qui en découlent.

[64] Aux paragraphes 330 et 331 de son mémoire des faits et du droit, l’intimée reconnaît les intérêts économiques de Siska dont il faut établir la valeur :

[traduction] En l’espèce, comme dans l’arrêt Guerin, les manquements relevés se rapportent à l’obligation de fiduciaire lié à la perte de l’occasion d’utiliser les terres et autres actifs économiques de la manière la plus avantageuse. C’est sur l’utilisation optimale de ces biens que le Tribunal devrait porter son attention dans l’évaluation de l’indemnité à accorder.

La bande indienne de Siska soutient que l’ajustement des valeurs historiques à leur valeur actuelle suppose l’indemnisation de la perte de l’occasion d’investir. Ce ne sont pas les valeurs historiques qui constituent les biens en fiducie, mais bien les terres, les postes de pêche et le bétail. L’indemnisation de la bande indienne de Siska doit être fondée sur la perte de la possibilité d’utiliser ces intérêts particuliers de façon optimale.

[65] Siska a droit au bénéfice de la présomption selon laquelle elle aurait utilisé les terres de façon optimale n’eût été le manquement, et l’utilisation optimale, sur le plan pécuniaire, s’entendait de la pêche.

[66] Pour qu’il y ait restitution, il faut tenir compte de toutes les pertes et de tous les coûts tangibles qui découlent du manquement : les efforts déployés au cours des 140 années d’existence du chemin de fer pour dégager et restaurer les voies; les pertes attribuables à la destruction de sites de pêche dont les caractéristiques physiques leur conféraient une utilité unique; la perte connexe de la possibilité de récolter du poisson et les répercussions, s’il en est, sur la récolte.

[67] L’indemnisation pour entrave à l’élément « ressources halieutiques » de l’intérêt de Siska dans ses réserves relève de l’alinéa 20(1)c) de la LTRP dans la mesure où la preuve étaye, directement ou par déduction raisonnable, l’existence d’une perte pécuniaire attribuable aux manquements constatés.

[68] Le fait de ne pas reconnaître ces pertes, d’accorder une réparation uniquement fondée sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, et de concevoir la perte d’usage comme une perte de rendement locatif sur la valeur marchande des terres est ce contre quoi la Cour suprême a fait une mise en garde dans l’arrêt Osoyoos, à savoir l’idée qu’une indemnité fondée sur la valeur marchande des terres est suffisante puisque, théoriquement, elle permet d’acheter des biens de substitution de nature semblable si on les considère en fonction des techniques d’évaluation conventionnelles.

[69] L’intimée reconnaît que l’indemnité doit être évaluée au regard des répercussions sur la pêche :

[traduction] L’alinéa 14(1)c) de la LTRP habilite le Tribunal à examiner les manquements à l’obligation de fiduciaire commis par la Couronne, et ces manquements ouvrent droit à indemnisation en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la LTRP. Le Canada convient que si les membres de la bande indienne de Siska n’ont pas pu attraper suffisamment de poissons pour répondre à leurs besoins à cause du manquement commis par le Canada, la perte subie est susceptible d’indemnisation en vertu de l’alinéa 20(1)c). [Je souligne.]

[70] Il ne s’agit pas de savoir si les membres de Siska ont [traduction] « […] pu attraper suffisamment de poissons pour répondre à leurs besoins […] », mais plutôt de savoir si leur récolte annuelle a diminué à cause du manquement du Canada. Si tel est le cas, le manquement a eu un effet préjudiciable sur leur capacité à assurer leur subsistance et à baser leur économie sur la pêche.

IX. périodes visées par les manquements et les pertes

A. Date de début

[71] L’intérêt des Autochtones à l’égard des terres visées par la revendication en tant qu’endroit où ils pouvaient subvenir à leurs besoins grâce à la pêche au saumon était identifiable et a été reconnu par le commissaire des réserves Sproat quand, en 1878, il a attribué les réserves.

[72] Or, à partir de 1880, il a été porté atteinte au droit de la revendicatrice d’user de ses terres et d’en jouir de par la simple présence du CFCP, qui a pris possession des terres comme s’il en détenait la totalité de l’intérêt. La revendicatrice a ainsi été dépouillée de l’un des aspects les plus importants du territoire auquel elle tenait, à savoir le libre accès sa pêche traditionnelle.

[73] Bien que la revendicatrice n’ait pas été totalement privée de l’accès à ses sites de pêche et qu’elle ait pu utiliser les terres « résiduelles » à des fins résidentielles et agricoles, on avait porté atteinte au principal intérêt que lui assurait l’attribution des terres. Étant donné que la présence du CFCP sur les terres était autorisée par décret gouvernemental, Siska était sans recours.

[74] Dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a conclu que la Couronne a manqué aux obligations qui, selon l’arrêt Wewaykum, s’appliquent aux réserves provisoires, et plus particulièrement à l’obligation de consulter et d’agir avec la prudence ordinaire. Le motif visé à l’alinéa 14(1)c) a donc été établi.

1. Décision sur le bien-fondé

[75] Dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a conclu, en particulier, que l’intimée a, en 1885, omis de consulter la revendicatrice, de tenir compte de ses intérêts et d’agir au mieux de ceux‑ci, notamment en ne protégeant pas la bande et en ne lui garantissant pas l’accès à ses stations de pêche situées dans les limites et à proximité des terres attribuées par Sproat à titre de réserves. Ce manquement est de nature distincte de celui qui ouvre droit à une indemnisation au titre de la LTRP pour la perte d’usage des terres dévolues à la Couronne aux fins de l’application de la Loi sur les Indiens. La preuve établit que l’intérêt sui generis de la revendicatrice englobe le droit d’utiliser les terres pour la pêche au saumon. La Couronne est tenue à des obligations envers une Première Nation lorsque l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est susceptible d’avoir une incidence sur l’intérêt de cette Première Nation dans une réserve provisoire (Wewaykum, au para 86) :

Avant de créer une réserve, la Couronne accomplit une fonction de droit public prévue par la Loi sur les Indiens, laquelle fonction est assujettie au pouvoir de supervision des tribunaux compétents pour connaître des recours de droit public. Des rapports fiduciaires peuvent également naître à cette étape, mais l’obligation de la Couronne à cet égard se limite aux devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation.

[76] Pour que le processus soit utile, il aurait fallu consulter la revendicatrice et tenir compte de ses intérêts dès les premières étapes de la préparation du site et de la construction. Pendant toute cette période, la revendicatrice était complètement vulnérable par rapport à l’intimée. La Couronne a permis au CFCP d’utiliser et d’occuper une bande de terre d’une largeur variable et excessive à travers la RI Nahamanak n7, et 0,08 acre de terres de la RI Zacht n5, pour la construction et l’exploitation d’un chemin de fer. La revendicatrice a ainsi été privée du bénéfice de l’intérêt sui generis que lui avait reconnu Sproat, qui représentait le Canada et la province, par l’attribution des terres de réserve, le 18 juin 1878.

[77] La province ayant transféré au Canada son intérêt dans les terres situées dans la zone du chemin de fer, la Couronne exerçait donc, dès 1883, à tout le moins sur les terres de la zone du chemin de fer qui avaient été attribuées à titre de réserves en 1878, un contrôle discrétionnaire absolu. La restriction imposée à l’exercice par la Couronne fédérale de son pouvoir discrétionnaire de compléter le processus de création des réserves — il lui fallait obtenir de la province qu’elle lui transfère les terres — le fait substantiel qui, selon l’arrêt Wewaykum, limitait le pouvoir de la Couronne fédérale, n’existait donc plus dès 1883. Comme la Couronne fédérale disposait d’un pouvoir discrétionnaire absolu sur les terres attribuées à titre de réserves, l’obligation d’agir avec prudence lui imposait donc dès lors de protéger l’intérêt qui sous‑tendait l’attribution des terres, à savoir l’accès à la pêche. Le consentement de la province aux mesures visant à garantir cet accès n’était pas requis.

[78] En ne consultant pas la revendicatrice ou en omettant de lui assurer un accès à ses stations de pêche, l’intimée n’a pas agi avec la prudence ordinaire requise et dans l’intérêt des membres de la Nation Siska.

[79] La preuve contenue dans l’exposé conjoint des faits présenté à l’étape de l’indemnisation, et qui porte sur la date de début de la construction, n’a pas été présentée au Tribunal à l’étape de la procédure sur le bien‑fondé de la revendication. Les parties conviennent maintenant que la construction a commencé le 15 mai 1880.

B. Entente de 2004

[80] L’importance de l’entente de 2004 tient à son effet potentiel sur la superficie à considérer dans la détermination de l’indemnité pour perte d’usage. L’intimée soutient par ailleurs qu’il n’y a pas eu d’autre manquement à une obligation de fiduciaire en ce qui concerne l’accès aux stations de pêche après 2004.

[81] Tel que mentionné précédemment, M. Peebles a peu tenu compte de la superficie des terres constituant la bande de 99 pieds qui traversait les réserves. Ainsi, la superficie des terres visées par la perte d’usage qui sont situées à l’extérieur des limites de l’étendue de 99 pieds est passée de 89,51 acres à 74,61 acres. J’ouvre une parenthèse pour souligner que M. Peebles a simplement attribué une valeur à 7 acres de terres cultivables (les terres excédentaires) pour la période du 1er juin 1886 au 28 décembre 1911, puis à 33,76 acres de pâturages, à 7 acres de terres cultivables (les terres excédentaires) et à 2,43 acres de pâturages (situées dans l’étendue de 99 pieds de large) pour la période du 28 décembre 1911 au 31 décembre 1990, et à 33,85 acres de « terres utilisées à des fins récréatives passives » pour la période du 1er janvier 1991 au 23 septembre 2004. M. Peebles a supposé que l’emprise de 99 pieds était valide jusqu’au 23 septembre 2004. En fait, il a continué de considérer cette emprise comme valide après cette date, apparemment parce qu’il croyait que l’entente de 2004 avait eu pour effet de confirmer l’emprise du CFCP et d’empêcher Siska de prétendre à une perte d’usage à partir de cette date.

[82] Comme il a été conclu à l’étape du bien‑fondé et comme il est expliqué dans les présents motifs, il n’y a eu aucune prise valide des terres de l’emprise de 99 pieds qui traversait les réserves, que ce soit en 1880, en 1885 ou par la suite. Les alinéas 20(1)g) et h) de la LTRP prévoient l’octroi d’une indemnité égale à la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, et à la valeur de la perte d’usage dans le cas où les terres du revendicateur n’ont jamais été prises par autorisation légale.

[83] La Couronne s’appuie maintenant sur le rapport de M. Peebles pour défendre sa position sur la perte d’usage. M. Peebles accorde une certaine importance à l’entente de 2004. Il a tort.

[84] Voici le préambule de l’entente :

[traduction] Afin d’éviter tout autre litige et de bâtir une nouvelle relation entre eux, le CFCP et la Première Nation ont convenu de régler le litige selon les conditions énoncées dans la présente entente. Le gouvernement du Canada a été invité à aider le CFCP et la Première Nation à régler le litige en mettant en œuvre l’entente de la manière prévue aux présentes et a accepté de devenir partie à l’entente à cette fin.

[85] À la section [traduction] « OBLIGATIONS À LA SIGNATURE » de l’entente, le paragraphe 9c) prévoit ce qui suit :

[traduction]

c) dans les 30 jours suivant la signature de la présente entente par le conseil de bande de la Première Nation, le CFCP devra verser à l’avocat de la Première Nation, en fiducie à l’usage et au profit de la Première Nation, la somme de 82 828,59 $. L’avocat de la Première Nation détiendra cette somme en fiducie et ne la remettra à la Première Nation qu’à la date d’entrée en vigueur de l’entente;

[86] À la section [traduction] « INDEMNISATION », l’entente prévoit ce qui suit :

[traduction]

23. Les parties conviennent que le paiement que verse le CFCP à la Première Nation aux termes du paragraphe 9c) constitue une indemnité visant à régler le litige qui oppose le CFCP et la Première Nation, et non une indemnité pour l’octroi du droit de passage.

[87] Aux termes de l’article 66, Siska libère le Canada de toute responsabilité relativement :

[traduction]

a) à la négociation, à la ratification et à la mise en œuvre de l’entente par la Première Nation;

b) à la mise en œuvre de l’entente, conformément à ses modalités, par le Canada;

c) au caractère suffisant des engagements pris par le Canada dans le cadre de la présente entente en contrepartie de la renonciation consentie par la Première Nation en vertu des présentes;

d) à tout intérêt acquis dans les réserves par le CFCP, ses sociétés affiliées ou les personnes autorisées par le CFCP, avant l’octroi du droit de passage, exception faite des intérêts visés par les revendications historiques exclues à l’article 67.

[88] L’article 67 est libellé comme suit :

[traduction]

67. Il est entendu que l’article 66 ne s’applique pas aux actions, causes d’action, poursuites, réclamations ou requêtes de quelque nature que ce soit, connues ou non, en droit, en equity ou autre, que la Première Nation et ses membres, ainsi que leurs héritiers, descendants, représentants légaux, successeurs et ayants droit respectifs ont, ont pu avoir ou pourraient avoir contre le Canada ou ses ministres, représentants, fonctionnaires, employés, agents, successeurs et ayants droit, relativement aux revendications historiques, notamment aux revendications que la Première Nation a présentées au Canada en vertu de la politique du Canada sur les revendications particulières, se rapportant à l’acquisition par le CFCP de l’emprise originale, y compris à toute utilisation et occupation de celle-ci par le CFCP et toute personne autorisée par le CFCP, ainsi qu’au caractère adéquat et suffisant de l’indemnité que la Première Nation a reçue en conséquence, le cas échéant.

[89] La revendication a été déposée auprès du Canada en vertu de la politique sur les revendications particulières, en 1991. La revendication qui a été présentée au Tribunal est essentiellement la même que celle qui a été déposée en 1991. Elle porte sur la totalité des 89,51 acres de terres qui auraient été prises.

[90] Considéré dans son contexte, le consentement par Siska à l’octroi d’une tenure au CFCP devait régler définitivement la question de sa capacité à imposer une taxe foncière au titre de la Loi sur les Indiens, et non régler ou autrement viser la question de la responsabilité qui incombait au Canada, le cas échéant, aux termes de la Politique sur les revendications particulières alors en vigueur. Les faits justifiant une revendication particulière sont essentiellement les mêmes au titre de la politique de 2004, de la politique actuelle et de la LTRP. La différence réside dans le fait qu’il est possible de soumettre au Tribunal une revendication qui a été rejetée en vertu de la politique. Le Tribunal est un organisme indépendant qui est chargé de déterminer si une revendication satisfait aux exigences de la politique et d’accorder une indemnité s’il juge qu’elle est fondée.

[91] À ce jour, la revendicatrice n’a toujours pas recouvré l’usage des terres visées. La situation n’a pas changé depuis que la revendicatrice, pressée de résoudre la question importante de la tenure du CFCP et des pouvoirs d’imposition de la Première Nation de Siska, a conclu l’entente de 2004.

[92] L’intention de Siska et du Canada se reflète dans l’article 67 de l’entente de règlement, qui exclut expressément l’objet de la revendication de la renonciation figurant à l’article 66. La revendication de Siska à l’égard de la totalité de l’« emprise » de 99 pieds et des « terres excédentaires » est donc maintenue.

X. évaluation de l’indemnisation

[93] Les parties ont présenté une preuve d’expert portant sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, ainsi que sur l’effet préjudiciable, la perte d’usage (basée sur la valeur locative des terres), les pertes relatives aux ressources halieutiques et au bétail, et la valeur actuelle de ces pertes. Un tableau récapitulatif des rapports d’experts et des sujets abordés est joint à l’annexe A.

A. Experts en évaluation

[94] Rod Cook, pour la revendicatrice, et John Peebles, pour l’intimée, ont préparé des rapports d’évaluation foncière présentant des estimations de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, de la perte attribuable à l’effet préjudiciable aux terres résiduelles, et de la perte d’usage des terres pour la période de la perte.

1. Qualification de MM. Cook et Peebles

[95] Les parties ont convenu que MM. Cook et Peebles étaient qualifiés pour donner une opinion d’expert dans le domaine de l’évaluation des biens immobiliers, y compris la valeur marchande actuelle des terres de réserve, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, la perte d’usage de ces terres, la valeur des terres prises à même les terres de réserve, la valeur des emprises et la valeur de l’effet préjudiciable. Le Tribunal les a donc jugés qualifiés.

2. Aperçu des approches adoptées par les parties à l’égard de l’évaluation de la perte d’usage et de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps

[96] Les parties ont abordé la question de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, et celle de la valeur locative des terres par rapport à la perte d’usage d’une manière qui reflète l’approche adoptée par la Direction générale des revendications particulières du ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada en vue du règlement des revendications particulières que le ministre a acceptées aux fins de négociation.

[97] En ce qui concerne la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, l’estimation des indemnités reposait sur la valeur marchande de terres semblables détenues en fief simple. Cette interprétation de l’alinéa 20(1)g) de la LTRP n’a pas été contestée et elle est conforme au libellé de la loi et à la jurisprudence quant au sens de « valeur marchande ».

[98] MM. Cook et Peebles ont abordé la question de la perte d’usage des terres en attribuant aux terres visées une valeur locative annuelle, qui peut ensuite être ajustée à la valeur actuelle à un taux convenu ou à un taux fixé par le Tribunal.

[99] Les terres que la revendicatrice a perdues par suite d’une disposition illégale étaient des terres de réserve dont le titre ne pouvait être négocié sur le marché immobilier tant qu’elles étaient des terres de réserve. Les évaluateurs se sont appuyés (à divers degrés et de différentes façons selon le modèle) sur des ventes de terres semblables détenues en fief simple, des évaluations de certaines terres de réserve faites par le CFCP, et des baux grevant des terres de réserve de la région, pour préparer des estimations de loyers annuels hypothétiques. Selon la perspective d’évaluation conventionnelle, la comparabilité des terres s’attache à leur utilité, contrairement à la perspective autochtone de la revendicatrice. Pour réaliser leurs estimations, les deux experts ont considéré que l’utilisation optimale des terres était celle faite à des fins agricoles (pâturage et culture limitée), à laquelle M. Peebles a ajouté, pour les dernières années, une utilisation récréative limitée.

[100] En l’espèce, les témoins experts ont dû composer avec le fait qu’il était difficile de trouver suffisamment de comparables pour évaluer le marché des terres à bail dans la région avoisinant les réserves. L’existence d’un marché locatif doit être établie afin de pouvoir conclure que la revendicatrice a été privée de l’occasion d’utiliser les terres à une telle fin. Lorsque la preuve de l’existence d’une demande de terres offertes en location est inexistante ou inaccessible, il y a lieu de se demander si la valeur de l’indemnité pour perte d’usage fondée sur l’application d’un taux de rendement à la valeur de la terre correspond à celle d’une perte économique découlant des manquements de l’intimée à son obligation de fiduciaire. Comme nous le verrons plus loin, dans le cadre de la présente revendication, les deux parties se sont contentées de modéliser le volet de l’indemnisation pour perte d’usage qui porte sur la location des terres visées en se servant de loyers hypothétiques comme valeurs de référence pour arriver à une évaluation globale de l’indemnisation.

[101] Les deux experts se sont appuyés sur le concept général selon lequel les taux de rendement des loyers sont liés à la valeur des terres. Or, si on applique ce concept, on voit tout de suite qu’il est plus difficile d’établir la valeur des terres de réserve que celle des terres en fief simple. Bien que les terres de réserve cédées et aliénées puissent redevenir des terres en fief simple et, partant, être évaluées comme telles, les terres qui ont conservé leur statut de terres de réserve rendent complexe l’évaluation de la perte d’usage. En l’espèce, les experts ont composé avec cette difficulté de façon différente, mais à certaines étapes de leurs analyses, ils ont établi des comparaisons avec des terres en fief simple. Ils ont notamment recensé les terres en tenure franche comparables aux terres visées, les données sur les prix de vente obtenus dans le marché immobilier et les données, plus limitées, sur les baux grevant des terres de réserve. Comme les terres de réserve ne sont pas commercialisables en soi et qu’elles sont inaliénables, sauf en faveur de la Couronne, ils ont utilisé la valeur marchande comme « valeur de référence » de ces terres qui ont fait l’objet d’une aliénation irrégulière.

[102] La comparabilité est déterminée par la taille de la parcelle, la topographie, l’emplacement et la date de vente et d’autres facteurs. Comme il est rare de trouver des terres vendues qui soient en tous points comparables aux terres en cause, les évaluateurs — qui sont accrédités par des organismes professionnels nationaux et provinciaux de réglementation — ont ajusté les « comparables » afin de pouvoir estimer la valeur des terres en cause. Les estimations correspondent en général à la valeur à l’acre multipliée par la superficie des terres.

[103] L’élément essentiel de la comparabilité est l’utilisation optimale. Celle‑ci est établie par l’offre et la demande de terres destinées à une utilisation particulière, par exemple, résidentielle, commerciale ou industrielle, par l’application de mesures de contrôle de l’utilisation.

[104] En l’espèce, les évaluateurs conviennent que l’utilisation optimale des terres visées est celle à des fins agricoles, principalement le pâturage. M. Peebles a aussi conclu à un certain potentiel d’utilisation à des fins récréatives quant à un lieu précis.

[105] Rien ne prouve qu’une partie des RI nos 5 ou 7 a déjà été louée pendant la période où la perte a été subie. Les pertes estimées sont hypothétiques. Le rapport de M. Peebles présente des données sur la location à bail de terres dans les réserves de la région. Quant à M. Cook, il s’appuie dans son rapport sur un taux de rendement plus général déjà établi dans un autre contexte.

[106] Les estimations de la valeur totale de la perte d’usage réalisées par les évaluateurs experts pour la période pendant laquelle la perte a été subie varient grandement, en grande partie à cause du mandat que ces experts ont reçu, de la superficie et de la valeur actuelle des terres en cause, et, dans une mesure moindre, des méthodes d’évaluation.

[107] Comme je l’ai mentionné, le recours à des valeurs de référence pour évaluer la perte d’usage des terres de réserve s’explique par le fait que les intérêts autochtones dans les terres sont inaliénables, sauf en faveur de la Couronne, et que les données relatives au marché locatif actif des terres de réserve sont limitées. Le modèle de substitution utilisé par M. Cook est fondé sur les marchés locaux des terres en fief simple et sur un taux de rendement calculé à partir de données externes, tandis que le modèle utilisé par M. Peebles repose sur des données tirées des marchés locatifs locaux des terres de réserves. Le taux de rendement appliqué par M. Cook est basé sur les données d’un marché locatif qui ne tient pas compte du marché local des terres à bail, alors que celui appliqué par M. Peebles tient davantage compte du marché locatif local, mais est moins précis en raison du caractère inévitablement restreint des données.

[108] Il est aussi vrai que les modèles de substitution ne permettent pas d’évaluer la perte de valeur qui, selon la revendicatrice, est essentielle à l’évaluation des terres visées. Tout en gardant ces points à l’esprit, j’examinerai ci‑après en détail les données d’évaluation.

3. Principales similitudes et différences entre les opinions de MM. Rod Cook et John Peebles

[109] Les deux experts ont souligné à quel point il était difficile d’évaluer les terres à cause de la rareté des données concernant des terres semblables pour la période visée. Ils disposaient de peu de données sur la location de terres de réserve semblables et sur la vente de terres en fief simple présentant des caractéristiques physiques similaires. À cause de ce manque de données et de la période visée, il a été long, coûteux et, à certains égards, impossible de procéder à l’évaluation selon les méthodes conventionnelles. Par conséquent, les deux experts ont dû faire appel à leur jugement professionnel pour surmonter ces difficultés.

[110] Les deux experts ont tenu compte de l’histoire de la région et des caractéristiques des terres en cause. M. Cook a conclu que, pendant toute la période pertinente, les utilisations optimales des terres étaient celle à des fins rurales ou résidentielles et celle à des fins de culture ou de pâturage. M. Peebles a parlé d’utilisations générales semblables (et, depuis peu, d’une certaine utilisation récréative passive), mais il a décrit plus précisément les différentes parties des RI nos 7 et 5 et a déclaré que les utilisations optimales se limitaient à celles qui étaient compatibles avec l’exploitation d’un chemin de fer (Pièce 31, « rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps », aux pp 62–67).

[111] Non seulement les opinions professionnelles de MM. Cook et Peebles divergent légèrement à plusieurs égards, mais leurs estimations présentent des différences qui s’expliquent essentiellement comme suit :

  1. S’appuyant sur leur mandat respectif, MM. Cook et Peebles ont utilisé différentes hypothèses quant à savoir si une forme quelconque de droit de passage grevait déjà les terres en cause. Cela a joué sur la qualification des intérêts immobiliers évalués et la superficie en cause.

  2. En ce qui concerne la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, M. Cook a adopté la méthode de comparaison directe pour évaluer la valeur en fief simple de 89,51 acres (RI n7) et de 0,08 acre (RI n5). M. Peebles a évalué 74,61 acres de terres de la RI no 7 et 0,08 acre de terres de la RI n5, sur le fondement d’une prise partielle, en utilisant la méthode dite « de l’addition ».

  3. S’agissant de l’estimation des loyers annuels non perçus depuis les années 1880, MM. Cook et Peebles ont utilisé non seulement des superficies différentes, mais aussi des méthodes différentes pour établir la valeur des terres et les taux de rendement annuels à appliquer à ces valeurs au titre de la location.

[112] Ces différences ont eu des effets importants sur les estimations fournies par les experts quant à la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, à l’effet préjudiciable et aux valeurs nominales de la perte d’usage. Les effets sur les valeurs relatives à la perte d’usage sont plus importants pour les dernières années. Les estimations relatives aux loyers annuels des terres « non grevées » réalisées par M. Cook sont légèrement plus élevées que les estimations relatives aux terres « grevées » fournies par M. Peebles pour la période de 1885 à 1918; elles sont semblables pendant quelques années, puis celles de M. Cook sont inférieures à celles de M. Peebles pour la période de 1924 à 1958, sont à nouveau d’un niveau semblable pendant quelques années, puis sont finalement nettement plus élevées après le milieu des années 1960 (Pièce 32, « rapport en réponse de M. Peebles », aux pp 2, 5–8). Lorsque M. Peebles a, à des fins de comparaison, appliqué ses taux à la superficie utilisée par M. Cook, il a constaté que ses valeurs nominales pour la perte d’usage étaient supérieures à celles de M. Cook pour chaque année jusqu’en 1978, puis qu’elles leur étaient inférieures par la suite.

[113] MM. Cook et Peebles ont convenu qu’en 1885, la valeur des terres de la RI no 5 était de 1 $ et que celle des terres de la RI no 7 s’élevait à 283,14 $ (Pièce 20, « rapport principal de M. Cook », à la p 90). Voici un résumé des autres valeurs évaluées :

Perte

Superficie

Cook

Peebles

Valeur marchande actuelle des terres de la RI n5, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps

0,08 acre

160 $ (15 décembre 2018)

200 $

Valeur marchande actuelle des terres de la RI no 7, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps

89,51 acres (Cook)

74,61 acres (Peebles)

179 020 $ (15 décembre 2018)

96 993 $ (16 novembre 2018)

Effet préjudiciable (RI n7)

272,49 acres

1 055 $ en 1885

S.O.

Location des terres après évaluation de la valeur actuelle

Varie selon l’expert

723 357 $ (valeur actuelle établie par M. Schellenberg)

229 114 $ (valeur actuelle établie par M. Johnson)

B. Valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps

1. Approche adoptée par Rod Cook à l’égard de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps

[114] M. Cook a évalué l’ensemble des terres visées par la revendication, soit 89,51 acres de terres de la RI no 7 et 0,08 acre de terres de la RI no 5 (rapport principal de M. Cook, à la p 6). Il a exclu la valeur de l’assiette des rails et des améliorations apportées, les pertes économiques liées aux sites de pêche, les [traduction] « pertes culturelles, spirituelles et sociétales », ainsi que les pertes agricoles (rapport principal de M. Cook, à la p 8).

[115] En ce qui concerne la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, établie pour l’année 2018, M. Cook a fait remarquer que la population locale avait augmenté au cours des cinq années précédentes. Bien que les [traduction] « moteurs économiques traditionnels comme l’exploitation forestière et minière » aient décliné au fil des décennies, les ventes immobilières ont été « florissantes », signe que les acheteurs ont souhaité s’éloigner des basses terres continentales et de Whistler/Squamish où les prix sont plus élevés. En 2018, cet effet s’est [traduction] « estompé » (rapport principal de M. Cook, à la p 134).

[116] M. Cook a déclaré qu’il n’avait pas à tenir compte des mesures de contrôle de l’utilisation des terres, car aux termes de son mandat, il devait évaluer les terres [traduction] « en tant que terres de réserve au sens de la Loi sur les Indiens » (rapport principal de M. Cook, à la p 135). Il a procédé à une évaluation [traduction] « en fief simple, avec les avantages liés au statut de réserve » (rapport principal de M. Cook, à la p 9).

[117] M. Cook a dressé une liste de sept indices et a conclu que les deux indices offrant la meilleure comparaison étaient ceux qui avaient une valeur foncière d’environ 2 700 $ l’acre. Il a estimé la valeur des terres visées par la revendication à 2 000 $ l’acre (rapport principal de M. Cook, à la p 142), soit 160 $ pour les terres situées dans la RI Zacht no 5 et 179 020 $ pour les terres situées dans la RI Nahamanak n7 en date du 15 décembre 2018.

[118] M. Cook a aussi répondu aux rapports de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, et sur la perte d’usage (Pièce 21, « rapport en réponse de M. Cook »). Ce rapport en réponse portait sur les limites des données, les conséquences du mandat de M. Peebles et le fait que celui‑ci a exercé son jugement professionnel et recouru à des hypothèses.

2. Effet préjudiciable

[119] En ce qui concerne l’effet préjudiciable, M. Cook a souligné que les terres bénéficiaient du statut de réserve. Il a rappelé les raisons pour lesquelles les terres avaient été mises de côté pour la revendicatrice et a indiqué que [traduction] « sans accès au fleuve, cette réserve n’aurait pratiquement aucune valeur pour le peuple de Siska » (rapport principal de M. Cook, à la p 150‑152). M. Cook a estimé la valeur contributive des terres résiduelles après la prise et l’a déduite de la valeur contributive qu’elles avaient avant la prise. Selon lui, les terres résiduelles ne valaient rien après la prise. S’agissant d’établir la valeur à l’acre des terres résiduelles avant la prise, il a indiqué que, selon l’estimation de M. Peebles, leur valeur s’élevait à 1 055 $ « après la prise » en 1885 (Pièce 25, « rapport de 2015 de M. Peebles », à la p 100; rapport principal de M. Cook, à la p 152). Cette valeur « après la prise » revient à 3,87 $ l’acre, ce qui se rapproche de la valeur convenue de 3,16 $ l’acre pour l’emprise en 1885 (rapport de 2015 de M. Peebles, à la p 100; rapport principal de M. Cook, à la p 152). M. Cook a déclaré que l’utilité plus grande des terres résiduelles était neutralisée par leur grande taille. Selon lui, la somme de 1 055 $ représentait une estimation raisonnable de la valeur des terres résiduelles avant la prise. Contrairement à M. Peebles, M. Cook a conclu que les terres résiduelles n’avaient plus aucune valeur pour Siska après l’expropriation, de sorte qu’il a évalué l’effet préjudiciable à 1 055 $.

3. Approche adoptée par John Peebles à l’égard de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps et de l’effet préjudiciable

[120] En date du 1er novembre 2018, M. Peebles a estimé la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à 200 $ pour la parcelle de 0,08 acre située dans la RI no 5, et à 96 993 $ pour les 74,61 acres de terres situées dans la RI no 7. La superficie en acres des terres de la RI no 7 dont la perte est indemnisable selon la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps se limitait aux terres occupées par le chemin de fer qui s’étendaient au‑delà de l’étendue de 99 pieds ayant pour centre la ligne médiane de la voie ferrée (les terres excédentaires). M. Peebles a évalué [traduction] « la différence dans la valeur des terres excédentaires avant et après l’établissement de l’emprise » (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 29).

[121] Conformément à son mandat, M. Peebles a traité l’étendue de 99 pieds ayant pour centre la ligne médiane de la voie ferrée dans la RI no 7 comme un grèvement préexistant et [traduction] « a adopté l’hypothèse extraordinaire selon laquelle toute incidence sur les RI nos 5 et 7 qu’aurait pu avoir l’emprise de 99 pieds, comme une entrave ou un accès limité, s’est produite avant que la bande n’ait un intérêt dans celles‑ci » (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 18). M. Peebles a aussi tenu compte de l’entente de règlement de 2004 : [traduction] « À mon avis, l’effet général des hypothèses 2.2.2c) et d) du mandat [qui portent sur l’entente de règlement de 2004] est que le CFCP a acquis un intérêt dans l’emprise, ainsi qu’un accès quasi exclusif aux terres excédentaires et le contrôle de leur utilisation » (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 20). M. Peebles a jugé que le CFCP [traduction] « avait le droit d’empêcher quiconque, y compris les membres de la bande de Siska, d’occuper ou de traverser les terres excédentaires » (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 21).

[122] En ce qui concerne la situation antérieure à l’entente de 2004, M. Peebles a déclaré ce qui suit :

[traduction] L’intérêt préexistant du CFCP dans l’emprise de 99 pieds n’est pas décrit dans le mandat. J’ai adopté l’hypothèse extraordinaire selon laquelle l’intérêt préexistant dans l’emprise de 99 pieds devrait être considéré de la même façon que l’intérêt dans les terres excédentaires de l’emprise.

Compte tenu des dispositions relatives à l’exclusivité contenues dans le mandat et de la pratique générale des sociétés de chemin de fer en Colombie-Britannique, j’ai adopté l’hypothèse extraordinaire selon laquelle le CFCP n’empêcherait pas sans raison les membres de la bande de Siska de traverser à pied l’emprise de 99 pieds et les terres excédentaires aux endroits désignés. Il s’agirait d’un droit discrétionnaire plutôt que d’un intérêt conservé par […] le Canada au nom de la bande. [Rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 21]

[123] M. Peebles a conclu :

[traduction] […] l’intérêt dans les terres excédentaires de l’emprise représente la quasi‑totalité des droits de propriété. J’ai adopté l’hypothèse extraordinaire générale selon laquelle l’intérêt dans les terres excédentaires des RI nos 5 et 7 faisant partie de l’emprise était semblable à un intérêt en fief simple. [Rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 22]

[124] M. Peebles a supposé que [traduction] « les effets liés à l’entrave à l’accès ont été reconnus dès l’établissement du droit de passage grevant l’étendue de 99 pieds. L’hypothèse connexe est que l’incidence de l’accès restreint aux terres excédentaires de l’emprise ne s’est pas répercutée sur l’accès à pied au fleuve Fraser » (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 25).

[125] M. Peebles a jugé important d’évaluer les terres de chaque réserve comme des terres ayant fait l’objet d’une prise partielle, et non comme s’il s’agissait de parcelles indépendantes, et il a ainsi établi une distinction entre son approche et celle adoptée par M. Cook (rapport en réponse de M. Peebles, aux pp 14–15, 23). Pour évaluer les terres excédentaires comme des terres ayant fait l’objet d’une prise partielle, M. Peebles a déterminé quelles étaient les parcelles originales. Selon les pratiques d’évaluation, la vaste superficie des réserves [traduction] « aurait vraisemblablement faussé la valeur de l’emprise […] à la baisse compte tenu de la relation inversement proportionnelle entre la taille de la parcelle et la valeur à l’acre » (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 26). Il a donc créé des parcelles originales fictives pour atténuer l’effet de cette pratique d’évaluation sur les terres de réserve (60 acres pour la RI n7 et 40 acres pour la RI no 5).

[126] M. Peebles a estimé que les données du marché étaient insuffisantes pour appliquer la méthode d’évaluation dite « avant et après ». Il a donc appliqué la méthode « de l’addition » afin d’obtenir la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps. Il a suivi les étapes suivantes, qui tiennent compte de l’effet préjudiciable (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, aux pp 30–31) :

  1. estimer la valeur marchande de la parcelle originale avant la prise, selon son utilisation optimale, à l’aide de la méthode de comparaison directe;

  2. déterminer la valeur « avant » de la parcelle prise, en tant que partie de la parcelle originale, en utilisant la valeur à l’acre obtenue à la première étape, multipliée par la superficie de la terre visée;

  3. évaluer l’effet préjudiciable sur les terres résiduelles;

  4. additionner la valeur établie à la deuxième étape à celle établie à la troisième étape pour obtenir la valeur de la prise partielle.

[127] M. Peebles a fait remarquer que la région était peu propice à l’agriculture, à cause des étés chauds et secs et du terrain montagneux. La population est demeurée plutôt stable entre 2012 et 2016 et le délai d’exposition sur le marché dépasse généralement 12 mois (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 39).

[128] M. Peebles a conclu que l’utilisation optimale des terres excédentaires de la RI n7 [traduction] « avant l’établissement de l’emprise » était la même que celle des parcelles originales après son établissement, c’est-à-dire qu’elle était :

[traduction] […] limitée aux utilisations qui seraient compatibles avec la présence d’un chemin de fer en exploitation dans l’emprise adjacente de 99 pieds. Les utilisations susceptibles d’être ainsi compatibles sont les utilisations résidentielles et récréatives, la culture ou le développement de pâturages sur les terrasses alluviales à pente modérée et les pâturages pour bestiaux dans les pentes plus prononcées.

[…]

J’estime que l’utilisation optimale des parcelles originales de la RI n7 avant l’établissement de l’emprise sur les terres excédentaires était celle faite à des fins récréatives saisonnières et de pâturage limité sous couvert forestier, avec une possibilité de créer des pâturages améliorés. Les parties à pente modérée des parcelles, à l’ouest des terres excédentaires, conviendraient à des usages utilitaires tels que le transport, le transport d’électricité et de gaz et les télécommunications.

L’utilisation optimale des terres excédentaires situées le long de la pente ascendante (à l’intérieur des limites des parcelles originales) serait limitée au pâturage et au développement d’environ 7,0 acres de pâturages améliorés. Les terres excédentaires situées le long de la pente descendante n’auraient probablement d’autre utilité que la préservation des valeurs naturelles et intangibles des Premières Nations.

[…] l’utilisation optimale des parcelles originales de la RI no 7 après la prise des terres excédentaires de l’emprise serait semblable à celle avant la prise de ces terres. [Rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, aux pp 62, 65, 67]

[129] En ce qui concerne la RI no 5, M. Peebles a conclu que l’utilisation optimale « avant » de la parcelle originale était l’agriculture intensive et un aménagement à vocation résidentielle, et que l’utilisation optimale des terres excédentaires de la RI no 5 consistait en un pâturage pour bestiaux sous couvert forestier (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 66). Quant à la RI no 7, il a conclu que l’utilisation optimale des parcelles originales « après » serait [traduction] « semblable à l’utilisation optimale avant la prise des terres constituant l’emprise » (rapport sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, de M. Peebles, à la p 67).

[130] Pour atténuer l’effet du nombre limité de ventes de terres comparables dans la région, M. Peebles a choisi d’appliquer une période [traduction] « plus longue que d’habitude », soit de 2012 à 2018, aux comparables retenus pour établir la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, et a « élargi la portée géographique de la recherche sur les ventes afin d’inclure le corridor de Lytton à Lillooet » (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, à la p 27). Il a fait état d’un manque d’information sur les conditions des ventes comparables et a précisé qu’il avait dû se tourner vers des biens immobiliers ayant fait l’objet d’améliorations et d’un développement agricole et apporter certains ajustements (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 27). Il a aussi dû apporter des ajustements qualitatifs en fonction de la superficie (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, à la p 72).

[131] Après avoir ajusté les valeurs en fonction des améliorations et de la superficie des terres, M. Peebles a présenté un tableau montrant la [traduction] « valeur ajustée en fonction de la superficie/acre » pour chaque indice, et indiquant qu’il avait considéré chaque indice comme étant supérieur aux terres visées (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, à la p 88). La fourchette ajustée des indices les plus élevés variait de 1 379 $ à 1 908 $ l’acre, ce qui était supérieur à la valeur des terres visées, de sorte que M. Peebles a estimé la valeur des parcelles originales de la RI no 7 à 1 300 $ l’acre (rapport de M. Cook sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, aux pp 90–91).

[132] M. Peebles a conclu que la valeur marchande actuelle des terres excédentaires situées dans la RI n7, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, correspondait à la valeur d’un intérêt en fief simple, ce qui, à 1 300 $ l’acre, s’élevait à 96 993 $. Au sujet des terres résiduelles, il a conclu qu’il n’y avait pas eu d’amélioration ni de perte résultant de l’effet préjudiciable (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, à la p 91). En ce qui concerne la RI no 5, il a suivi une démarche similaire et a conclu que la valeur unitaire était de 2 100 $ l’acre, pour un total de 168 $ qu’il a arrondi à 200 $ (rapport sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, à la p 94).

[133] S’agissant de l’effet préjudiciable, M. Peebles a conclu que les RI nos 5 et 7 n’avaient subi aucune perte (rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, à la p 70). En ce qui concerne la RI no 7 :

[traduction] Le mandat indique que l’emprise de 99 pieds est considérée comme un grèvement préexistant contre la RI n7. Le possible effet d’entrave s’est produit lors de la prise initiale de l’emprise de 99 pieds. [Rapport de M. Peebles sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, à la p 69]

[134] Même sans cette prémisse, M. Peebles a estimé que les valeurs à l’acre des terres résiduelles de la RI no 7 seraient les mêmes avant et après la prise (rapport en réponse de M. Peebles, à la p 56).

[135] Dans son rapport en réponse, M. Peebles a présenté d’autres calculs dans lesquels il a conservé les mêmes valeurs à l’acre, mais a adopté l’hypothèse selon laquelle les terres n’étaient pas grevées par l’emprise du chemin de fer afin de pouvoir comparer les superficies retenues par M. Cook (rapport en réponse de M. Peebles, aux pp 59, 71). À la suite de ces nouveaux calculs, la valeur marchande actuelle des terres de la RI n7, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, était de 116 400 $, à 1 300 $ l’acre, celle de la RI no 5 est restée la même et il n’y avait pas d’effet préjudiciable.

[136] Selon M. Peebles, l’effet préjudiciable est [traduction] « déterminé par l’analyse de la valeur marchande de la parcelle originale et des terres résiduelles selon leur utilisation optimale, et non selon l’utilisation qui serait la plus avantageuse pour un seul propriétaire ». Si l’accès au fleuve était important pour Siska, il l’était moins pour l’évaluation de la valeur marchande faite par M. Peebles : [traduction] « la perte d’accès au fleuve Fraser, pour pratiquer la pêche traditionnelle, risquait davantage de nuire à certains membres de la bande plutôt que d’avoir un effet préjudiciable sur la valeur » des terres résiduelles (rapport en réponse de M. Peebles, à la p 52).

4. Analyse

[137] La date de la « création » de la réserve importe peu pour la détermination de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps. Si, comme en l’espèce, les terres en cause constituaient une réserve au sens de la Loi sur les Indiens et que leur prise n’était pas autorisée par la loi, la revendicatrice a alors droit à une indemnité égale à la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps (alinéa 20(1)g) de la LTRP).

[138] En date du 15 décembre 2018, M. Cook a établi la valeur marchande actuelle des terres de la RI Zacht n5 visées par la prise, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, soit 0,08 acre, à 160 $. Pour la RI Nahamanak no 7, il a établi la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, soit 89,51 acres, à 179 020 $. M. Cook a retenu à titre de comparables les ventes de sept parcelles de terre situées entre Spuzzum et Lytton. Les valeurs à l’acre obtenues variaient entre 2 633 $ et 7 971 $. M. Cook a estimé qu’en raison de leur emplacement et de leur topographie, toutes ces parcelles avaient une valeur supérieure à celle de la propriété en cause, qu’il a établie à 2 000 $ l’acre.

[139] Selon les termes de son mandat, M. Peebles devait se prononcer uniquement sur la valeur d’une étendue de terre de 74,61 acres située dans la RI no 7. Cela correspond à la superficie de l’emprise, déduction faite d’une bande de 99 pieds de large traversant la RI no 7, et fait ressortir la position de la Couronne selon laquelle le CFCP détenait une tenure sur cette partie de la RI no 7 depuis 1880, ou que l’on devrait supposer qu’elle en détenait une aux fins de l’indemnisation. M. Peebles a évalué les 74,61 acres à 96 993 $, soit 1 300 $ l’acre.

[140] M. Peebles a choisi 12 propriétés situées dans la même région que celles retenues par M. Cook. Les prix de vente rajustés en fonction de la superficie allaient de 1 379 $ à 2 838 $ l’acre. Toutes ces valeurs ont été jugées supérieures à celle de la propriété en cause.

[141] M. Peebles a préparé un rapport dans lequel il reproche à M. Cook de s’être fié à deux des comparables qu’il avait retenus, à savoir les indices nos 3 et 6. La propriété de l’indice n3 s’est vendue au prix de 2 744 $ l’acre et celle de l’indice no 6 à 2 633 $ l’acre.

[142] Le rapport critique de M. Peebles est essentiellement fondé sur le fait que, dans son rapport, M. Cook ne donne aucune explication détaillée des ajustements qu’il a faits pour attribuer à la propriété en cause, en se basant principalement sur les indices nos 3 et 6, une valeur à l’acre de 2 000 $. Cependant, M. Cook a effectué des ajustements substantiels à l’égard de ces propriétés de référence, et je ne vois aucune erreur importante dans son approche globale.

[143] J’ai pris en considération le fait que M. Peebles avait présenté d’autres propriétés de référence, sur la base desquelles il a conclu que, après ajustements, la valeur des terres visées pourrait être inférieure à 1 800 $ l’acre.

[144] Vu la rareté des comparables directs, les deux évaluateurs ont dû faire preuve d’un grand jugement professionnel.

5. Conclusion

[145] Après avoir établi que les superficies concernées sont de 89,51 acres pour la RI no 7 et de 0,08 acre pour la RI no 5, j’ai examiné les rapports des deux évaluateurs et les rapports critiques préparés par chacun d’eux à l’égard du travail de l’autre, j’ai entendu leurs témoignages, et je fixe la valeur à l’acre des terres en cause à 1 800 $, ce qui donne une valeur marchande actuelle, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, de 161 118 $.

C. Perte d’usage

1. M. Cook

[146] M. Cook estime que la perte d’usage subie entre le 14 juillet 1885 et le 15 décembre 2018 se chiffre à 106 341 $. Ce montant n’est pas ajusté à la valeur actuelle.

[147] M. Cook a choisi des dates périodiques pour procéder, selon la méthode de comparaison directe, à une évaluation en fief simple de la valeur marchande des terres visées par la revendication, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps, en commençant par 1885, puis 1915, 1945, 1975, 1995, 2004 et 2018.

[148] Il a utilisé les données historiques de l’indice des prix à la consommation (IPC) et les statistiques du marché immobilier de la région pour [traduction] « niveler » les tendances entre les dates d’évaluation. Il a ainsi obtenu les valeurs estimatives des terres pour chaque année, soit de 1885 à 2018 (rapport principal de M. Cook, aux pp 143-46). M. Cook a choisi les dates de référence périodiques afin d’obtenir une répartition relativement uniforme entre 1885 et 2018 et parce qu’il affirme qu’en [traduction] « évitant les sommets et les creux, cela permet d’obtenir une tendance globale plus précise concernant les valeurs pour la période historique à l’étude » (rapport principal de M. Cook, à la p 72).

[149] À la page 143 de son rapport, M. Cook explique sa conception du modèle de substitution :

[traduction]

Pour le calcul de la perte d’usage des terres des Premières Nations, le modèle de substitution est une variante de la méthode d’évaluation utilisée dans le cadre de la location de terres (le mot « substitution » a le sens de remplacement ou de rechange). Cette méthode permet d’estimer l’indemnité à accorder pour l’utilisation passée en fonction d’un taux de location de substitution annuel. Le taux de location de substitution peut être considéré comme un taux de remplacement ou de rechange du rendement annuel basé sur la valeur de la terre. La différence entre cette méthode et la méthode d’évaluation traditionnelle utilisée à l’égard de la location de terres réside dans la périodicité des dates sélectionnées pour la valeur établie des terres et les provisions pour inoccupation ou l’absence de pareilles provisions (c’est-à-dire que, dans le modèle de substitution, chaque acre de terre est considérée comme étant « louée » pour chaque année). Le modèle de substitution utilise les valeurs historiques des terres et les données de l’inflation afin d’estimer le loyer annuel pour chaque année comprise dans la période visée par la revendication.

[150] Cette approche reflète la méthode proposée par Arthur Hosios et Lawrence Smith dans un article publié dans le Appraisal Journal, hiver 2006, intitulé « Valuing First Nation Land Claims and Other Historical Damages ». MM. Hosios et Smith définissent de la manière qui suit le concept de la valeur de la perte d’usage dans le cadre de l’application d’une méthode d’évaluation fondée sur un modèle de substitution :

[traduction]

La valeur de la perte d’usage des terres fait référence à la valeur qui aurait été obtenue par une Première Nation si elle avait conservé la terre en question. La valeur actuelle de la perte d’usage de ces terres est égale au total, à la fin de la période, des valeurs d’usage qui auraient été obtenues chaque année, à partir du début de la période.

La valeur totale de la perte d’usage d’une parcelle de terre représente la somme de deux éléments : la valeur actuelle de la terre et la valeur actuelle de la perte d’usage de la terre au cours de la période allant de son appropriation à aujourd’hui. En principe, la valeur actuelle de la terre, si elle avait été conservée par la Première Nation, peut être déterminée une fois que l’utilisation de la terre est précisée. Or, l’exercice consistant à déterminer la valeur actuelle de la perte d’usage de la terre demeure un problème de taille. Pour ce faire, il est nécessaire d’estimer les revenus de location nets pour chaque année. Ensuite, le facteur de capitalisation pour chaque année (calculé à l’aide du portefeuille échelonné) peut être appliqué aux revenus de location nets de cette année pour déterminer sa valeur actuelle. Enfin, ces valeurs actuelles sont additionnées pour toutes les années. [Souligné dans l’original; rapport principal de M. Cook, à la p 143.]

[151] Le rapport de M. Cook porte sur l’évaluation des loyers nominaux, tandis que celui de M. Schellenberg, un autre expert pour le compte de la revendicatrice, porte sur la valeur actuelle. En ce qui concerne le taux de location approximatif, M. Cook s’est exprimé comme suit :

[traduction]

Un taux de location de substitution a été utilisé comme donnée standard pour les besoins du modèle de substitution. L’arrêt Whitefish a conduit à l’établissement d’un taux à usage courant calculé en s’appuyant sur un portefeuille de placements échelonnés hypothétique composé d’obligations d’État à long terme. Le rapport d’expertise du Canada dans cette affaire a été rédigé par deux professeurs en économie : Arthur Hosios et Lawrence Smith. MM. Hosios et Smith ont publié un article dans le Appraisal Journal, hiver 2006, intitulé « Valuing First Nation Land Claims and Other Historical Damages », dans lequel ils ont conclu ce qui suit :

On obtient un taux de location net réel à long terme d’environ 2,7 % à 3,2 % pour les terres des Premières Nations en utilisant un rendement réel pour les terres, qui est tiré d’une série d’études sur le rendement du marché immobilier, et le taux d’appréciation réel des prix, qui provient d’une étude sur le rendement des terres des Premières Nations en Ontario au cours de la période 1930-2000. [Souligné dans l’original; rapport principal de M. Cook, à la p 146.]

[152] M. Cook a appliqué un taux de rendement de 3 % à la valeur annuelle des terres pour estimer les loyers nominaux pour chaque année (rapport principal de M. Cook, aux pp 146-47). Selon lui, à la lumière des travaux des économistes Arthur Hosios et Lawrence Smith, un taux de 3 % est une estimation raisonnable et globale du rendement net de la valeur des terres compte tenu de toutes les incertitudes (rapport principal de M. Cook, aux pp 146-47). Les loyers nominaux estimés ont été exprimés en dollars historiques, lesquels ont ensuite été ajustés à leur valeur actuelle par M. Schellenberg dans son rapport.

[153] M. Cook considérait que les coûts nécessaires pour tenter d’arriver à un taux de rendement plus précis pour les terres louées en se basant sur les données historiques locales remontant à 1885 étaient excessifs et que, compte tenu des incertitudes inévitables, il était peu judicieux de procéder à pareil exercice. Pour simplifier les choses, M. Cook a également traité toutes les terres visées par la revendication comme ayant la même valeur de vente par acre (sauf que pour la RI Zacht no 5, il a arrondi à 1 $ les valeurs des terres inférieures à 1 $; rapport principal de M. Cook, à la p 147). Pour M. Cook, la simplification de ces généralités était la façon la plus raisonnable et la plus rentable de traiter les incertitudes inhérentes à l’exercice d’évaluation.

[154] Pour son évaluation de 1885, M. Cook a relevé huit indices se rapportant à des ventes de terres détenues en fief simple (rapport principal de M. Cook, à la p 83). Il a également pris en compte neuf évaluations de terres de réserve effectuées par le CFCP (rapport principal de M. Cook, à la p 87). MM. Cook et Peebles se sont entendus sur la valeur des terres en 1885 : 1 $ pour la RI no 5 et 283,14 $ pour la RI no 7.

[155] Pour 1915, M. Cook a relevé sept indices se rapportant à des ventes de terres détenues en fief simple situées dans la partie la plus éloignée à l’ouest du fleuve Fraser. Quatre d’entre elles concernaient la [traduction] « valeur déclarée » et deux autres étaient des concessions de la Couronne (rapport principal de M. Cook, à la p 97). M. Cook a considéré les concessions de la Couronne, qui se sont vendues au prix de 2,50 $ l’acre, comme représentant la limite inférieure de la valeur indiquée (rapport principal de M. Cook, à la p 98). Il a rejeté cinq des sept indices, les jugeant trop élevés. Après avoir considéré la fourchette des prix pour les autres indices, à savoir de 2,50 $ à 6 $ l’acre, il a estimé les terres visées à 5 $ l’acre (rapport principal de M. Cook, à la p 99).

[156] Pour 1945, M. Cook a relevé six indices provenant de la vente de terres détenues en fief simple, mais a écarté cinq d’entre eux au motif qu’ils étaient trop élevés. Il a retenu l’indice restant de 10 $ l’acre, estimant qu’il s’agissait d’un bon indicateur de la valeur (rapport principal de M. Cook, à la p 107).

[157] Pour 1975, la valeur marchande de la plupart des indices était était également plus élevée compte tenu de leurs attributs, à savoir un terrain plus plat, une meilleure capacité d’utilisation et un emplacement plus central et accessible (rapport principal de M. Cook, à la p 117). À partir d’une fourchette de 10 $ à 524 $ l’acre, M. Cook a considéré que l’estimation la plus raisonnable de la valeur était de 100 $ l’acre (rapport principal de M. Cook, à la p 118).

[158] Pour 1995, M. Cook a relevé sept indices et a établi la valeur estimative à 700 $ l’acre, soit une valeur légèrement plus élevée que le deuxième indice le plus bas.

[159] Pour 2004, M. Cook a relevé cinq indices et a jugé qu’aucun d’entre eux ne représentait bien la valeur des terres visées. Il a établi son estimation à 1 250 $ l’acre, valeur qui se situe au milieu de la fourchette de 900 $ à 2 436 $ l’acre (rapport principal de M. Cook, à la p 133).

2. M. Peebles

[160] John Peebles a également évalué la perte d’usage à des fins de location des terres.

[161] Bien que M. Peebles ait adopté une approche différente de celle de M. Cook, il devait également trouver un moyen d’évaluer la valeur des terres et les taux de rendement des loyers sur une période de plus de 130 ans afin d’établir une base pour ses estimations. Pour faciliter la gestion de l’évaluation du contexte régional et des tendances économiques, M. Peebles a divisé la période pendant laquelle la perte a été subie, soit de 1886 à 2018, en six sous‑périodes. Il a souligné le nombre limité de données comparables sur les loyers et les ventes de terres, la difficulté de tenir compte des différences quant à la superficie des parcelles de terre, au terrain et à la viabilisation, les méthodes qu’il a utilisées pour atténuer ces effets et les répercussions de son mandat (Pièce 22 (corrigée), « rapport de M. Peebles sur la perte d’usage », aux pp 12, 25-27).

[162] Conformément à son mandat, M. Peebles a supposé que l’emprise de 99 pieds existait dans la RI no 7 avant la période visée par l’indemnisation pour perte d’usage et que [traduction] « l’incidence de l’entrave a été reconnue à la date de l’établissement de l’emprise de 99 pieds, qui est antérieure à la date à laquelle l’intérêt dans les terres de réserve visées par la revendication a pris naissance » (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 15). Tenant compte de cette hypothèse, M. Peebles a expliqué comment il a évalué les diverses incidences à différentes périodes pour l’étendue de 99 pieds ayant pour centre la ligne médiane de la voie ferrée :

  1. De 1886 à 1911 (création définitive de la RI no 7), [traduction] « [l]a perte d’usage correspondait à la perte de terres arables [...] dans l’emprise de 99 pieds si cet usage était compatible avec l’intérêt du CFCP dans l’emprise ». M. Peebles considérait qu’une superficie de 2,43 acres aurait pu servir à des fins de pâturage, si celle‑ci avait été clôturée (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, aux pp 16‑17).

  2. De 1911 à 2004 (entente de règlement), [traduction] « la perte d’usage correspondait à la perte d’un intérêt dans les terres de réserve visées par la revendication, sous réserve de l’intérêt du CFCP dans l’emprise », qu’il considérait comme préexistant (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 17). M. Peebles a considéré que le CFCP [traduction] « aurait accordé aux membres de la bande de Siska le droit de traverser à pied l’emprise de 99 pieds pour se rendre sur les lieux traditionnels situés sur le fleuve Fraser », et qu’il s’agissait d’un droit discrétionnaire « plutôt qu’un droit d’accès conservé par le Canada »(rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 17). Comme pour la période de 1886 à 1911, il a évalué que l’usage des mêmes 2,43 acres était le pâturage.

  3. De 2004 à 2018, M. Peebles n’a pas évalué de perte d’usage pour la superficie correspondant à l’étendue de 99 pieds, car [traduction] « le Canada s’est acquitté de ses obligations légales et de ses obligations de fiduciaire envers la bande »(rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, aux pp 17, 121).

[163] En ce qui concerne les terres excédentaires, M. Peebles a interprété le mandat comme indiquant que tout usage devait être compatible avec un chemin de fer en exploitation à proximité :

  1. De 1886 à 1911, la perte d’usage concernait la perte de terres cultivables d’une superficie de sept acres dans la RI no 7, de terres pouvant être utilisées pour le pâturage sur la pente ascendante de la RI no 7 et des terres excédentaires de la RI no 5, ainsi que l’accès au fleuve Fraser. La RI no 5 ne contenait pas de terres cultivables.

  2. De 1911 à 2004, la perte d’usage correspondait à la perte d’un intérêt dans les terres de réserve excédentaires non grevées, mais était limitée à des usages compatibles avec la contiguïté d’un chemin de fer.

  3. De 2004 à 2018, la perte d’usage représentait la [traduction] « différence entre l’intérêt dans les terres de réserve non grevées et un intérêt dans les terres de réserve assujetti à l’intérêt du CFCP dans l’emprise », où l’intérêt du CFCP correspondait pratiquement à l’ensemble des droits (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 18‑20).

[164] Étant donné que [traduction] « les terres de réserve ne se vendent pas sur un marché libre », M. Peebles a utilisé le prix de vente de terres situées hors réserve à titre de « donnée de substitution pour la valeur de terres de réserve similaires », estimant que cela était [traduction] « raisonnable compte tenu de [sa] conception des pratiques généralement reconnues pour l’analyse de la perte d’usage des terres de réserve » (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 25).

[165] M. Peebles a relevé trois méthodes généralement reconnues relativement à la perte d’usage des terres : la méthode de la comparaison directe, la méthode du taux de rendement et la méthode de l’indexation. Il a utilisé des comparaisons directes avec des terres de réserve louées pour certaines sous‑périodes, mais s’est heurté à un manque de données. Il a donc également utilisé la méthode du taux de rendement. Il a décrit ces méthodes comme étant [traduction] « des méthodes d’évaluation généralement reconnues pour l’analyse de la perte d’usage » (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, lettre d’introduction).

[166] M. Peebles a jugé que la méthode du taux de rendement était supérieure à la méthode de la comparaison directe pour les première, cinquième et sixième sous‑périodes; la méthode de la comparaison directe était supérieure pour la troisième sous‑période, et les deux méthodes ont été utilisées pour les deuxième et quatrième sous‑périodes. Pour la troisième sous‑période, à savoir de 1940 à 1965, M. Peebles disposait de suffisamment d’exemples de terres de réserve données en location à bail agricole dans la région pour utiliser la méthode de comparaison directe (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, aux pp 83-85, 89). Dans l’ensemble, de 1919 à 1990, M. Peebles a considéré qu’il disposait de suffisamment d’indices pour effectuer une comparaison directe avec les terres de réserve données en location à bail agricole dans la région, en particulier lorsqu’ils sont combinés à la méthode du taux de rendement aux fins de comparaison. En revanche, pour la période de 1991 à 2018, M. Peebles n’a trouvé [traduction] « aucun bail agricole de terres de réserve […] à utiliser pour la méthode de comparaison directe » (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 114).

[167] Selon la méthode du taux de rendement, [traduction] « [l]es taux de rendement du marché [pour les loyers nominaux] peuvent être estimés en établissant le rapport mathématique entre les loyers du marché pour les terres louées et la valeur marchande de la propriété louée [si elle est vendue] » (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 30). Selon l’exemple de M. Peebles, si le loyer est de 1 $ l’acre et que la valeur marchande estimée en cas de vente est de 30 $, le taux de rendement dans le contexte d’un usage locatif sera alors de 1 $/30 $ ou 3 %. M. Peebles a fait remarquer que, compte tenu de l’incertitude relative à ses calculs du taux de rendement pour des propriétés comparables, il a établi une [traduction] « marge de tolérance pour le taux de rendement estimé » (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 26).

[168] Concernant la méthode d’indexation, M. Peebles a utilisé des indices de mesure comme l’IPC et les statistiques des services interagences des chambres immobilières qui reflétaient des tendances plus générales, mais qui n’étaient pas directement applicables pour les raisons suivantes : les statistiques du marché immobilier avoisinant étaient pondérées en fonction des ventes résidentielles en milieu urbain; aucune donnée sur l’IPC n’était disponible pour les communautés rurales de la Colombie-Britannique et, avant 1979, ces données n’étaient disponibles qu’à l’échelle du Canada, sauf pour Vancouver; et l’IPC englobait de nombreux autres biens et services (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, aux pp 31-32).

[169] M. Peebles a supposé une indexation des loyers sur cinq ans pour les premières sous‑périodes et une indexation à des intervalles plus courts pour les sous‑périodes suivantes. Il a utilisé les ajustements suivants pour les dépenses : 2,0 % des revenus locatifs bruts pour les pertes liées à l’inoccupation et à la perception des loyers, et 1,0 % des revenus locatifs bruts pour l’administration du bail, soit un total de 3,0 % de dépenses non récupérables qu’il a appliquées à la perte d’usage annuelle brute (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 33). Cette déduction des dépenses tenait compte du risque lié à l’inoccupation (Pièce 33, « réponse de M. Peebles », à la p 26).

[170] Prenons l’exemple de l’application de la méthode du taux de rendement à la première sous‑période, à savoir de 1886 à 1911. L’utilisation optimale des terres excédentaires de la RI no 5 et de la pente ascendante des terres excédentaires de la RI no 7 (environ 34 acres) était le pâturage ou des activités agricoles limitées, et une superficie de 7 acres dans la RI no 7 pouvait être utilisée pour le pâturage amélioré ou la culture. Les terres situées le long de la pente descendante de la RI no 7 n’avaient [traduction] « aucune utilisation probable à cette époque, outre fournir un accès aux membres de la bande de Siska pour pratiquer la pêche traditionnelle et préserver leurs valeurs liées à la nature » (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 5). L’étendue de 99 pieds comprenait une superficie de 2,43 acres de terres qui pouvait servir au pâturage. M. Peebles a répertorié trois baux miniers sur les terres de réserve et a considéré qu’il s’agissait de terres agricoles d’une valeur supérieure à celle des terres visées.

[171] Pour chacun des trois baux, M. Peebles a évalué le prix du loyer annuel et du loyer par acre. Il a ensuite exercé son jugement professionnel pour estimer une [traduction] « valeur nominale de la terre par acre » pour chaque indice relatif aux terres louées (réponse de M. Peebles, à la p 23), puis a divisé le prix du loyer par acre ainsi obtenu par la valeur nominale de la terre par acre pour obtenir un [traduction] « taux de rendement indiqué » de 10 % pour chaque bail (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 58). Pendant cette sous‑période, puisqu’il n’y avait pas de terres agricoles louées, il n’a pas été possible de comparer le prix du loyer pour pareilles terres à celui des terres industrielles. M. Peebles a déclaré et confirmé dans son témoignage que, d’après son expérience, les taux de rendement des terres agricoles louées ont tendance à être inférieurs à ceux des terres industrielles louées dans une proportion de 2 % (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 58, transcription de l’audience du 21 octobre 2019, aux pp 179‑80). Il a donc retenu un taux de rendement de 8 % pour la location de terres agricoles pour la sous‑période de 1886 à 1911 (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 59). Il a ensuite appliqué ce taux de rendement à un autre ensemble d’indices se rapportant à des ventes de terres agricoles. En utilisant les prix de vente par acre de chaque indice et le taux de rendement de 8 % pour les terres agricoles, il a calculé le [traduction] « loyer brut par acre indiqué » pour chaque indice (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 59).

[172] En se basant sur cette fourchette de loyers par acre, M. Peebles a estimé que le loyer des terres cultivables pendant cette sous‑période variait de 0,40 $ à 0,75 $ l’acre et que le loyer des terres utilisées pour le pâturage variait de 0,10 $ à 0,187 $ l’acre.

[173] À l’aide de ces données, M. Peebles a effectué les calculs suivants :

  1. Il a fixé la valeur locative des terres utilisées pour le pâturage à 25 % de la valeur locative des terres cultivables.

  2. Il a fixé un loyer pour les 2,43 acres de terres utilisées à des fins de pâturage dans l’étendue de 99 pieds de la RI no 7, pour les 33,76 acres de terres utilisées à des fins de pâturage dans les terres excédentaires, pour les 7 acres de terres cultivables faisant partie des terres excédentaires et pour les 0,08 acre de terres utilisées pour le pâturage dans la RI no5.

  3. Il n’a pas attribué de loyer à la pente descendante des terres excédentaires de la RI no 7 (jusqu’au début de l’utilisation à des fins de loisirs passifs pendant la cinquième sous‑période, à savoir de 1991 à 2008; rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 113).

  4. Il a procédé à une indexation des loyers tous les cinq ans (fréquence qui a été réduite pour les sous‑périodes suivantes).

  5. Il a ajusté de 3 % à la baisse les loyers bruts au titre des dépenses (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 61).

  6. À l’aide des données ci‑dessus, il a calculé le loyer perdu estimé pour la RI no 7 et la RI no5 pour chaque année de la première sous‑période (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, aux pp 62-63).

[174] M. Peebles a utilisé cette approche globale, à quelques ajustements près, pour chaque sous‑période, sauf que pour la troisième sous‑période, il a accordé peu de poids à la méthode du taux de rendement, y préférant la méthode de la comparaison directe. Ses estimations du loyer par acre au début et à la fin de chaque sous‑période peuvent se résumer de la manière qui suit, les valeurs correspondantes établies par M. Cook étant présentées dans la dernière colonne à des fins de comparaison :

Sous-période

Années

Taux de rendement des terres agricoles établi par M. Peebles

Prix du loyer brut par acre établi par M. Peebles pour les terres utilisées à des fins de pâturage (déduction de 3 % au titre du loyer net)

Prix du loyer brut par acre établi par M. Peebles pour les terres cultivables (déduction de 3 % au titre du loyer net)

Prix du loyer par acre établi par M. Cook pour les sous‑périodes utilisées par M. Peebles

1

De 1886 à 1918

8 %

0,10 $ à 0,19 $

0,40 $ à 0,75 $

0,10 $ à 0,16 $

2

De 1919 à 1939

8 %

0,25 $ à 0,50 $

1,00 $ à 2,00 $

0,16 $ à 0,26 $

3

De 1940 à 1965

8 %, puis en baisse tout au long de la sous‑période pour atteindre 6 %

0,50 $ à 1,50 $

2,00 $ à 6,00 $

0,27 $ à 1,39 $

4

De 1966 à 1990

6 %

2,00 $ à 6,00 $

6,00 $ à 24,00 $

1,50 $ à 12,90 $

5

De 1991 à 2008

(M. Peebles n’a attribué aucune perte d’usage à l’étendue de 99 pieds ayant pour centre la ligne médiane de la voie ferrée après le 23 septembre 2004.)

5 %, puis en baisse pour atteindre 4 %

6,00 $ à 10,00 $

(même loyer pour les terres utilisées à des fins de « loisirs passifs » au‑dessous de la voie ferrée, à compter de cette sous‑période)

24,00 $ à 40,00 $

14,23 $ à 42,89 $

6

De 2008 à 2018

3 %

10,00 $ à 15,00 $

40,00 $ à 60,00 $

42,89 $ à 60,00 $

[175] Les valeurs locatives nominales établies par M. Peebles pour chaque année ont été actualisées par Howard Johnson.

[176] Dans son rapport en réponse, M. Peebles a fait d’autres estimations en partant de l’hypothèse que les terres visées par la revendication n’étaient [traduction] « pas grevées par l’emprise du CFCP ». M. Peebles a recalculé ses valeurs nominales annuelles de la perte d’usage en utilisant 89,51 acres pour la RI no 7 et la même superficie pour la RI no 5, à savoir 0,08 acre (réponse de M. Peebles, aux pp 5, 60-70). Les valeurs annuelles de la perte d’usage calculées par M. Peebles étaient alors plus élevées que celles obtenues par M. Cook pour toutes les années jusqu’en 1978 (considérablement plus élevées pour la plupart des années), après quoi elles étaient sensiblement plus basses en raison du taux de location plus faible calculé par M. Peebles pour les terres utilisées à des fins de pâturage (réponse de M. Peebles, aux pp 5‑8).

3. Christopher de Haan

[177] Christopher de Haan, expert de l’intimée, a fourni un rapport d’arpentage de la RI Nahamanak no 7 qui montre la superficie :

  1. des terres constituant l’étendue de 99 pieds ayant pour centre la ligne médiane de la voie ferrée;

  2. des terres situées à l’extérieur de l’étendue de 99 pieds, mais à l’intérieur de l’étendue de 89,71 acres occupée par le CFCP;

  3. des terres situées à l’est et à l’ouest de l’étendue de 99 pieds et à l’intérieur de l’étendue de 89,71 acres.

[178] Ce rapport n’a pas été contesté et a été utilisé par M. Peebles pour délimiter la superficie de l’étendue de 99 pieds et de la zone de la pente descendante de la RI Nahamanak no 7 (rapport de M. Peebles sur la perte d’usage, à la p 38). Il n’a pas été utilisé pour la superficie totale de la RI no 7.

4. Analyse

[179] En raison des instructions qu’il a reçues, M. Peebles n’a pas initialement fondé ses conclusions relatives à la valeur de la perte d’usage sur la valeur de la superficie totale des terres de la RI no 7 constituant l’emprise (89,51 acres) pour toute la période au cours de laquelle la perte a été subie relativement aux terres visées. Dans son rapport en réponse, M. Peebles a fourni une estimation pour l’ensemble de la parcelle de terre jusqu’en 2018.

[180] M. Peebles a fourni quelques données relatives aux rendements réels de la location de terres dans les réserves. Même si les échantillons pour les sous‑périodes sont de petite taille, ils donnent certaines indications quant aux taux de location locaux. M. Peebles a utilisé ces données conjointement avec la valeur de terres en fief simple pour calculer les loyers par acre à appliquer aux superficies des terres visées par la revendication.

[181] M. Cook s’appuie sur la méthode proposée par MM. Hosios et Smith pour établir une fourchette de taux de rendement de substitution pour la valeur marchande des terres des Premières Nations au motif qu’elle est [traduction] « couramment utilisée », mais la documentation accompagnant les travaux de MM. Hosios et Smith n’a pas été présentée en preuve dans la présente affaire. Le [traduction] « taux de location net réel à long terme d’environ 2,7 % à 3,2 % » établi par MM. Hosios et Smith n’a pas été utilisé par la Cour en première instance ou en appel dans l’affaire Whitefish pour estimer les loyers nominaux, car cette affaire portait sur la valeur historique d’une vente de bois d’œuvre en 1886 et sur la valeur actuelle de cette somme forfaitaire et, de toute façon, la Cour d’appel de l’Ontario a renvoyé l’affaire devant le tribunal de première instance pour nouvelle décision. Aucun précédent entérinant le taux de rendement net pour la location de terres de 2,7 % à 3,2 % établi par MM. Hosios et Lawrence n’a été présenté au Tribunal, ce qui laisse croire que l’usage auquel M. Cook fait référence pourrait être l’objet de négociations entre les Premières Nations et la Direction générale des revendications particulières.

[182] Dans l’ensemble, les méthodes employées par M. Cook et M. Peebles à l’égard de la perte d’usage des terres à des fins de location ont été fortement touchées par le manque de données sur de longues périodes et par la difficulté de comparer des intérêts fonciers autochtones, qui sont de nature sui generis, avec des intérêts dans des terres détenues en fief simple. Le mandat de M. Peebles a également eu une incidence considérable sur ses rapports. Les deux experts ont largement ignoré le caractère distinctif des intérêts autochtones sui generis concernés et ont utilisé des terres de substitution en fief simple. Les deux experts ont adopté des approches différentes sur la façon d’aborder la question du manque de données. M. Cook s’est appuyé sur le taux de rendement net pour la location de terres établi par MM. Hosios et Lawrence sans trop d’explications ou de preuves, tandis que M. Peebles s’est appuyé sur un très grand nombre d’estimations et d’hypothèses et souvent sur l’exercice de son jugement professionnel. Aucun des deux experts n’a pu résoudre le problème du manque de données; les deux rapports contenaient en fait un certain nombre d’hypothèses et de décisions subjectives qui rendent leurs résultats très approximatifs et incertains.

[183] Les dilemmes auxquels sont confrontés les parties et les experts sont, dans une large mesure, inévitables dans une revendication telle que celle qui nous occupe. Le défi que pose l’évaluation d’une indemnité équitable tient à la façon appropriée de gérer les incertitudes et de parvenir à un résultat. Les rapports donnent, de manière générale, une idée de certains types de valeurs, mais aucun des rapports n’est suffisamment précis pour être tout bonnement adopté à titre d’instrument présentant un calcul mathématique fiable permettant d’arriver à une réparation restitutoire.

[184] Même si les estimations de la valeur des terres de M. Cook et de M. Peebles diffèrent, les deux experts avancent des arguments raisonnables pour les justifier. Comme ils appliquent des périodes différentes à leurs estimations, ces dernières ne peuvent pas être rapprochées à l’aide de simples ajustements supplémentaires. Je suis d’avis que la méthode employée M. Peebles est davantage fondée sur le marché local et qu’elle est plus réaliste que celle adoptée par M. Cook. Je retiens la méthode utilisée par M. Peebles et ses estimations pour la totalité de la superficie telle qu’elle figure dans son rapport en réponse pour la période allant de 1911 à aujourd’hui, ainsi que pour les sept acres reconnus par l’intimée pour la période de 1886 à 1911.

[185] Je retiens l’opinion de M. Peebles sur la question de l’effet préjudiciable. M. Peebles et M. Cook ont abordé cette question en se fondant sur l’application des normes d’évaluation des terres commercialisables, c’est-à-dire des terres détenues en fief simple. C’est l’approche adoptée par les deux évaluateurs dans leurs estimations de la perte d’usage. L’analyse de M. Peebles était conforme aux normes applicables et n’a pas révélé d’effet préjudiciable.

[186] En contre-interrogatoire, M. Cook a dit qu’il comprenait que le point de vue des autochtones sur la valeur des réserves, en particulier le point de vue de la revendicatrice sur la valeur de la RI Nahamanak no 7, était inextricablement lié aux sites de pêche. Ce faisant, il a relevé une difficulté importante dans l’évaluation de la perte de valeur du reste des terres dans un contexte où les pertes résultent de la prise partielle de terres de réserve.

D. Entrave à l’usage des terres pour la pêche par la revendicatrice

[187] La revendicatrice fait valoir que la construction et l’exploitation du chemin de fer ont entravé l’accès à ses activités de pêche et endommagé les sentiers et les sites de pêche, et que cela a entraîné une diminution de ses récoltes annuelles.

1. Évaluation de la perte au titre de la LTRP

[188] Parmi les violations commises dans la présente affaire, mentionnons la prise illégale de terres de réserve, au sens donné au terme « réserve » dans la Loi sur les Indiens, laquelle est visée par l’alinéa 14(1)d) de la LTRP, ce qui entraîne l’application des alinéas 20(1)g) et h).

[189] La Couronne n’a pas non plus exercé de façon appropriée son pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’intérêt fondamental qui sous‑tend l’attribution des réserves, à savoir l’accès sans entrave de la revendicatrice aux activités de pêche. Dans la Décision sur le bien‑fondé, le Tribunal a conclu à une violation de l’alinéa 14(1)c) :

14 (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

[…]

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation; […]

[190] Plus particulièrement, dans la Décision sur le bien-fondé, le Tribunal a conclu à un manquement à des obligations de consultation et de prudence semblables à celles jugées applicables aux réserves provisoires dans l’arrêt Wewaykum. Ces obligations incombaient à la Couronne en raison de son engagement unilatéral à agir en tant qu’intermédiaire exclusif auprès de la colonie de la Colombie-Britannique pour le compte des Indiens. Ce manquement, qui s’est produit en 1880, s’est poursuivi de 1911 à aujourd’hui.

[191] L’alinéa 20(1)c) est libellé comme suit :

20 (1) Lorsqu’il statue sur l’indemnité relative à une revendication particulière, le Tribunal :

[…]

c) sous réserve des autres dispositions de la présente loi, accorde une indemnité qu’il estime juste, pour les pertes en cause, en fonction des principes d’indemnisation sur lesquels se fondent les tribunaux judiciaires; […]

[192] Le paragraphe 20(2) prévoit que le Tribunal peut prendre en compte, pour l’octroi de l’indemnité visée au paragraphe (1), « les pertes relatives aux activités susceptibles d’être exercées de façon continue et variable, notamment les activités liées aux droits de récolte ». Cela s’applique généralement aux motifs d’indemnisation énoncés au paragraphe 20(1).

[193] Dans la décision Mosquito, le Tribunal s’est intéressé à l’application des principes de l’indemnisation en equity pour déterminer la valeur pécuniaire de la perte d’usage en application de l’alinéa 20(1)h). L’adoption d’une approche similaire dans l’évaluation de l’indemnité à accorder pour le manquement constaté dans la présente affaire est conforme au régime d’indemnisation de la LTRP. Comme l’a conclu le Tribunal dans la décision Mosquito, l’alinéa 20(1)c) fait entrer en jeu les principes de l’indemnisation en equity dans l’évaluation de la perte d’usage fondée sur l’alinéa 20(1)h) et, bien entendu, de la perte résultant de la violation d’une obligation au titre de l’alinéa 14(1)c).

2. Évaluation de l’incidence sur l’intérêt sui generis de la revendicatrice

[194] Pour que l’indemnisation en equity des pertes attribuables à la violation soit proportionnelle, il faut tenir compte, dans l’application de l’article 20 de la LTRP, de l’incidence sur l’intérêt fondamental reconnu par M. Sproat, alors co‑commissaire des réserves indiennes, lors de l’attribution de la réserve.

[195] Le saumon était la principale source de subsistance de Siska et des communautés de la Nation Nlaka’pamux en plus d’être au cœur de leur culture et de leur économie.

[196] Les forces de la nature ont toujours eu un effet sur la fluctuation du retour saisonnier du saumon dans les frayères. L’afflux d’étrangers a créé de la concurrence pour cette ressource naturelle. La colonisation et l’exercice du pouvoir présumé de réglementation des récoltes ont eu des répercussions sur l’accès des Autochtones à cette ressource vitale. La pollution locale des réseaux fluviaux causée par les activités industrielles, de même que la pollution mondiale causée par les activités humaines et ses effets sur les océans, ont eu des incidences sur le retour du saumon.

[197] Dans ces circonstances, il est particulièrement difficile d’établir l’existence d’une perte réelle attribuable à un événement survenu dans un passé lointain. Il est tout aussi ardu de faire la preuve d’une perte continue sur une période de 138 ans au cours de laquelle de nombreux changements, naturels ou autres, ont eu une incidence sur la ressource halieutique. Où peut-on trouver les bases qui pourraient servir à évaluer la proposition sensée selon laquelle un accès entravé aux sites de pêche pourrait avoir entraîné une réelle baisse des récoltes?

[198] C’est un fait qu’avant l’arrivée du chemin de fer, Siska prenait ce dont elle avait besoin dans l’abondance du fleuve. Le poisson était à la fois consommé et utilisé comme objet d’échange entre les peuples autochtones de la côte et des rivières de la région du Pacifique Nord. Cette façon d’obtenir des produits de première nécessité s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui, bien qu’elle ait été transformée par des forces extérieures, des changements sociétaux et les choix disponibles.

[199] Dans les années 1880, la population autochtone de la région avait grandement diminué, comme partout ailleurs en Amérique. En 1880, la collectivité de Siska ne comptait plus que 67 personnes. La population des autres collectivités de la Nation Nlaka’pamux avait également diminué. En 1876, l’Acte des Sauvages est devenu applicable en Colombie-Britannique. Les affaires des communautés locales ont été placées sous la surveillance et le contrôle d’étrangers, des agents des Indiens nommés et envoyés par d’autres étrangers établis à Ottawa. Somme toute, ces mesures ont entraîné une grande réduction de la population, une importante diminution de l’assise territoriale et des ressources disponibles et une perte de souveraineté collective et individuelle. Il est impossible pour ceux d’entre nous qui n’ont pas vécu cette expérience d’imaginer le tribut physique et émotionnel qu’a payé la population autochtone restante.

[200] Les réserves ont été attribuées en 1878. La parcimonie dont a fait preuve la province et les obstacles à la reconnaissance des intérêts territoriaux des peuples autochtones ont empêché la création de réserves dans des régions convoitées par la population de colons grandissante. Comme les communautés autochtones sises dans le canyon du Fraser dépendaient entièrement de la pêche pour leur subsistance et leur économie, les réserves attribuées étaient de taille relativement modeste. À cet égard, il convient de se reporter à l’histoire de la création des réserves en Colombie‑Britannique relatée dans la décision Première Nation d’Akisq’nuk c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 3 (réexamen, 2020 SCTC 1) et dans la Décision sur le bien-fondé.

[201] Malgré la diminution du territoire pour l’exercice de ses pratiques coutumières, la bande de Siska, et sans aucun doute d’autres communautés de la région, a été contrainte d’assurer sa subsistance en recourant aux moyens de base historiques sur lesquelles reposait son économie.

[202] Puis, en 1880, de nombreux hommes munis de pioches, de pelles et de lourdes machines à vapeur sont venus creuser le territoire le long du fleuve, qui regorgeait de ressources dont dépendait la bande de Siska pour sa subsistance.

[203] Le Canada souligne l’absence d’éléments de preuve démontrant que les récoltes de Siska ont été touchées par la construction et l’exploitation du chemin de fer. Mais où pourrait‑on trouver de telles preuves?

[204] Le Canada soutient que la preuve ne permet pas d’établir qu’il y a eu une réduction de la récolte de saumon par Siska après 1880, et encore moins que la construction et l’exploitation du chemin de fer ont eu une quelconque incidence sur la capacité de Siska à récolter le saumon, ressource sur laquelle repose le sens de son existence même.

[205] Est‑il raisonnable de supposer que l’histoire orale a gardé en mémoire certains changements observés à un moment donné, en lien avec un événement particulier?

[206] Les répercussions spécifiques de leur présence sur la vie de ceux qui dépendaient de la pêche pour leur survie pourraient avoir été exprimées – ou non – dans des histoires orales. Dans l’affirmative, il est possible que le bouleversement des normes sociétales et des modes de vie traditionnels par l’imposition d’un pouvoir étranger ait, au fil du temps, brisé certains des maillons dans la transmission des connaissances.

[207] On peut s’appuyer sur les rapports d’experts. Les experts de toutes les disciplines s’appuient sur des renseignements recueillis dans leur domaine d’étude conformément à des normes qui permettent de tester leur fiabilité. Toutefois, les anthropologues et les historiens s’appuient sur les histoires orales telles qu’elles ont été relatées dans le passé et telles qu’elles le sont dans le présent.

[208] Lorsque le changement est mesurable, comme dans le cas des échappées et de la récolte du saumon, des données peuvent être disponibles. Or, il n’existe aucune donnée de ce type en l’espèce. Il s’agit là de la principale raison pour laquelle M. Blewett critique l’analyse et les estimations de M. Gislason.

[209] Dans le cadre de la procédure du Tribunal des revendications particulières, les parties revendicatrices se retrouvent investies de la lourde tâche de prouver des pertes mesurables qui seraient survenues il y a longtemps et qui perduraient jusqu’à aujourd’hui pour étayer le processus d’évaluation de l’indemnité. Le législateur a reconnu ce fardeau en adoptant l’alinéa 13(1)b), lequel prévoit que le Tribunal peut :

13(1)(b) recevoir des éléments de preuve — notamment l’histoire orale — ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire, à moins que, selon le droit de la preuve, ils ne fassent l’objet d’une immunité devant les tribunaux judiciaires; […]

[210] Lorsque, comme en l’espèce, la violation s’est produite dans un passé lointain, il est impossible de réunir suffisamment d’éléments de preuve directs pour satisfaire à la norme de la prépondérance des probabilités qui est requise établir la perte.

[211] Il y a les témoignages des membres de la communauté. Ceux-ci ont témoigné des difficultés d’accès aux sites de pêche familiaux et communautaires, mais le Canada invoque les témoignages de ceux qui sont restés en mesure d’accéder à la pêche malgré les obstacles liés au passage du chemin de fer. Le Canada souligne l’amélioration de l’accès à la réserve Nahamanak, de l’autre côté du fleuve Fraser, par le pont Cisco.

[212] Les membres de la communauté ont témoigné qu’ils ont eu accès aux sites de pêche et que, malgré les menaces d’accusation d’intrusion dont ils ont été l’objet et le danger évident que représente la traversée d’un pont ferroviaire, ils n’ont pas baissé les bras. En écoutant leur témoignage, j’ai été frappé par la fierté qu’ils éprouvaient à poursuivre leurs activités de pêche malgré les obstacles, plutôt que d’affirmer qu’il s’agissait du cours normal des choses depuis une époque antérieure à 1880.

[213] Lors de l’application des principes de l’indemnisation en equity, le lien de causalité entre une violation et une perte peut être établi en appréciant celui-ci à la lumière du bon sens (Canson Enterprises Ltd. c Boughton & Co., [1991] 3 RCS 534, [1991] ACS no 91).

[214] En l’espèce, les difficultés à accéder au fleuve et aux sites de pêche s’y trouvant étaient des conséquences directes des manquements aux obligations de fiduciaire et des dispositions illégales. Même si aucune preuve directe n’établit que le dynamitage de la roche pour niveler la pente le long de la voie ferrée ou d’autres activités de construction et d’exploitation du CFCP ont eu des répercussions sur le passage des alevins de saumon par les sites de pêche de la revendicatrice – où ils passent pour se rendre à l’océan depuis de leurs rivières natales, ou pour retourner dans leur frayère une fois adultes vers la fin de leur cycle de vie – le bon sens suggère le contraire.

[215] Il existe des éléments de preuve démontrant que certains des sites de pêche de la revendicatrice et l’environnement du fleuve lui‑même ont été touchés par la chute de débris pendant la construction et l’exploitation de la voie ferrée. Il serait singulier de penser que des débris dévalant des parois rocheuses abruptes ne seraient pas tombés dans le fleuve et que cela n’aurait pas eu un effet immédiat sur les saumons migrateurs alors présents ainsi qu’un effet à long terme si les chutes de roches ont détruit les zones de courant circulaire dans lesquelles les saumons se reposent des efforts déployés pour remonter les tronçons du fleuve Fraser où les courants sont forts et turbulents. Ce sont les sites de pêche privilégiés de Siska et des autres peuples autochtones de la région.

[216] La preuve appuie l’affirmation de la revendicatrice selon laquelle les sites de pêche ont été détruits ou perturbés par la chute de débris et que l’accès de Siska aux sites restants a été réduit en conséquence.

[217] En ce qui concerne la preuve des volumes de récolte, il n’existe pas de données quantitatives sur les récoltes pour les années 1870 qui permettraient d’établir la perte alléguée. Personne n’a recueilli de données pour les années antérieures à 1880; les données sur les échappées de saumons rouges ont commencé à être comptabilisées en 1894, alors que celles concernant les prises n’ont commencé à être recueillies qu’en 1925, soit plus de quatre décennies après le début des travaux de construction. Comme les obstacles rencontrés par Siska n’ont pas changé pendant la période au cours de laquelle la perte a été subie, les données sur ses récoltes annuelles d’une année à l’autre ne révéleraient rien qui pourrait éclairer l’étendue de la perte.

[218] Pendant la construction, les ouvriers étaient logés dans des wagons laissés sur le chantier. Des wagons contenant de l’équipement lourd se trouvaient également sur le chantier. Des panneaux indiquant que les terres de l’emprise étaient une propriété privée (panneaux [traduction] « Passage interdit ») ont été installés. Leur présence – et la possibilité d’imposition de sanctions – entravait naturellement l’accès normal au fleuve.

[219] La plateforme et la ligne de chemin de fer ont été régulièrement entretenues et réparées. Jusqu’à récemment, les débris de ces travaux étaient déversés latéralement au bas du remblai descendant jusqu’au fleuve par-dessus les sentiers et les sites de pêche.

[220] Les travaux de construction ont été effectués de 1880 à 1884. Les trains circulent sur cette voie ferrée quotidiennement depuis ce temps, la fréquence s’étant accrue au fur et à mesure de l’augmentation de la population de colons du Canada et de la diversification de l’économie. L’utilisation des terres à des fins ferroviaires se poursuivra indéfiniment dans l’avenir. Les matières de vidange des voyageurs évacuées par les trains ont porté atteinte à la dignité des membres de la communauté et ont souillé leurs terres. L’utilisation d’herbicides pour contrôler la croissance des plantes le long des voies ferrées, que les membres doivent traverser pour se rendre aux sites de pêche, soulève des préoccupations.

[221] Selon les témoignages des membres de la communauté, la construction et l’exploitation de la voie ferrée ont eu une incidence sur l’ampleur des efforts déployés pour accéder aux sites de pêche. Les obstacles physiques empêchant l’accès aux sentiers ont dû être enlevés. De nouveaux sentiers ont été créés. Même si la ligne de chemin de fer ne constituait pas une barrière physique complète, sa simple présence obligeait Siska à affronter l’autorité du CFCP. La réticence naturelle à la confrontation a nui à l’accès. Le temps nécessaire à l’enlèvement des débris, la réticence à affronter l’autorité, le malaise lié au fait de devoir traverser une voie ferrée utilisée à des fins industrielles sont tous des éléments qui ont contribué à réduire le temps consacré à la pêche comparativement à la période précédant la construction du chemin de fer. Siska a ainsi perdu la possibilité de pêcher comme elle le faisait par le passé. Les dommages causés aux lieux de pêche privilégiés et la perturbation des cycles de migration des poissons occasionnés par les travaux de construction ont naturellement nui aux récoltes.

[222] Les membres de la communauté ont témoigné au sujet des obstacles les empêchant, et empêchant leurs ancêtres, d’avoir accès aux ressources halieutiques, mais n’ont pas mentionné les fluctuations des volumes de récolte d’une année à l’autre, et encore moins attribué directement les fluctuations observées au chemin de fer. S’ils l’avaient fait, cela aurait soulevé des questions de crédibilité, étant donné qu’en tant que pêcheurs, ils savent mieux que quiconque que de nombreuses variables entrent en jeu en ce qui a trait aux niveaux d’échappée. Leurs témoignages n’ont porté que sur les obstacles à l’accès.

[223] La preuve démontre que la possibilité pour la revendicatrice d’exercer ses activités de pêche de la façon la plus avantageuse possible a été réduite pendant la construction et l’exploitation du chemin de fer. La présence des travaux ferroviaires, l’exploitation du chemin de fer, la prétention du CFCP à la propriété exclusive des terres qu’il occupait et les dommages périodiques aux sentiers menant aux sites de pêche ont entravé l’accès de la revendicatrice au fleuve depuis environ 1882. Les sentiers et les sites ont été détruits. Au cours d’une période de 140 ans, l’accès aux sentiers a été périodiquement obstrué par la projection latérale de débris et les éboulements rocheux dans les pentes abruptes menant aux sites de pêche et de séchage. L’existence de la voie ferrée, le passage des trains, la présence périodique d’équipes d’ouvriers et l’attitude autoritaire des hommes du CFCP ont naturellement entravé l’accès à la pêche, même en l’absence de barrières physiques fixes. Par conséquent, Siska a été privée de la possibilité de faire l’utilisation la plus avantageuse possible des ressources halieutiques, comme il avait été prévu lors de l’attribution des réserves par M. Sproat, le co‑commissaire des réserves indiennes, en 1878.

3. Preuve de la valeur pécuniaire

[224] Les rapports d’expertise de M. Gislason et de M. Blewett abordent la question de la diminution des récoltes et de la quantification de la perte, le cas échéant.

a) Qualification professionnelle de M. Gislason et de M. Blewett

[225] M. Gislason a une formation universitaire des plus classiques pour un expert de nos jours. Il est titulaire d’un B. Sc. (mathématiques, 1971) et d’une M. Sc. (statistiques, 1973). Son parcours professionnel, en revanche, est vaste et varié. Son curriculum vitæ mentionne 31 projets d’envergure dans les domaines de la pêche et de l’agriculture, plusieurs projets dans les domaines de l’énergie, du tourisme, des enquêtes liées à la pêche, et un grand nombre de projets dans le domaine de l’environnement et du développement économique. Parmi ses clients, mentionnons Pêches et Océans Canada (MPO), les ministères de l’Agriculture provincial et fédéral, la Commission du saumon du Pacifique et plusieurs groupes des Premières Nations ayant une histoire commune en tant que peuples pêcheurs.

[226] M. Gislason a été franc dans son témoignage. Il a reconnu que le jugement professionnel a joué un rôle important dans ses conclusions sur les volumes de récolte et les pertes.

[227] Le Tribunal a souscrit à l’affirmation des parties qui se sont entendues pour dire que M. Gislason était [traduction] « qualifié pour donner une opinion d’expert sur la quantification des pertes économiques en mettant à profit son expertise particulière dans l’évaluation des industries du secteur océanique, des pêches autochtones et non autochtones en Colombie‑Britannique, des pêches en eau douce en Colombie‑Britannique et de l’aquaculture en Colombie‑Britannique » (lettre conjointe déposée le 9 juin 2020).

[228] M. Blewett est titulaire d’un B.A. (1974), d’une M.A. (1977) et d’un Ph. D. (1982) en économie. Entre 1982 et 1987, il a travaillé à Pêches et Océans Canada, en tant que chef de la Section de l’analyse des ressources halieutiques et conseiller économique dans le cadre du Programme de mise en valeur des salmonidés. Depuis 1987, il travaille à son propre compte à titre de propriétaire d’une société d’experts‑conseils.

[229] Environ 70 % de sa pratique concerne la pêche, presque exclusivement les pêches du Pacifique.

[230] Le Tribunal est d’accord avec les parties que M. Blewett [traduction] « est qualifié pour donner son opinion d’expert sur les pratiques et l’économie de la pêche au saumon autochtone et non autochtone en Colombie‑Britannique » (lettre conjointe déposée le 9 juin 2020).

b) Introduction

[231] La revendicatrice a évalué les obstacles ayant entravé l’accès physique à la pêche et la réduction des récoltes de poissons en se fondant sur la modélisation de M. Gislason. Les pertes annuelles nominales sont estimées, puis ajustées à leur valeur actuelle.

[232] M. Gislason a expliqué qu’il avait comme objectifs d’estimer (Pièce 1, onglet 2 (audience de juillet 2020), « rapport du 27 février 2020 de M. Gislason », à la p 3) :

  1. [traduction] « la perte économique résultant des obstacles créés par la ligne du CFCP entravant l’accès aux stations ou aux sites de pêche de la bande et de toute perte de poisson, le cas échéant »;

  2. [traduction] « la perte économique résultant de la perte de bétail par suite de collisions avec les trains du CFCP, le cas échéant »;

  3. les calculs de la valeur actuelle (la revendicatrice s’est toutefois appuyée sur le rapport de M. Schellenberg pour l’évaluation de la valeur actuelle);

  4. les pertes futures découlant de l’accès entravé aux stations de pêche.

[233] M. Gislason a modélisé l’incidence sur la récolte de saumon à l’aide d’une approche fondée sur le coût d’option, en estimant la réduction de la récolte attribuable à l’accès injustement entravé et la valeur du même produit alimentaire dans l’économie de marché (rapport de M. Gislason du 27 février 2020, à la p 6). Il a examiné les données probantes disponibles sur les pêches et l’historique des prises de Siska, estimant les volumes des récoltes annuelles lorsque cela était nécessaire, puis a calculé le prix à payer pour acheter la quantité manquante de poissons annuellement auprès d’une autre source et la livrer à Siska.

[234] L’incidence modélisée sur la récolte de saumon est relativement faible pendant l’étape de l’exploitation et beaucoup plus importante pendant l’étape de la construction. M. Gislason a estimé la perte de récolte annuelle à 10 % de la récolte réelle pendant l’exploitation du CFCP (à partir de 1885) et à une réduction de un à deux tiers pendant les travaux de construction (1882 à 1884). Ainsi, au cours d’une année d’exploitation donnée, si la récolte réelle estimée était de 100 poissons, le modèle propose que, sans entrave à l’accès à la pêche, la récolte aurait pu être de 110 poissons, de sorte que la perte pour cette année correspond au coût de livraison de 10 poissons à Siska par la source de rechange la plus raisonnable en fonction du marché.

[235] En réponse au rapport de M. Gislason, l’intimée s’appuie sur le rapport en réponse révisé rédigé par M. Edwin Blewett (Pièce 5, onglet 4 (audience de juillet 2020), « rapport en réponse révisé de M. Blewett »). Dans son rapport, M. Blewett résume la méthode employée par M. Gislason :

[traduction]

La tâche de M. Gislason consistait à quantifier les dommages économiques causés à la pêche au saumon de Siska et à son bétail par la construction et l’exploitation du CFCP. En ce qui concerne la pêche, cette analyse commence par la récolte réelle de saumon par Siska (d’après les registres de prises du MPO). La perte correspond à la différence entre la récolte réelle de Siska et ce qu’elle aurait récolté n’eût été les perturbations causées par le CFCP. Celle-ci est estimée en appliquant des pourcentages proportionnels aux pertes aux prises réelles de la bande. Par exemple, si Siska avait réellement pêché 100 saumons et que la perte est estimée à 10 %, elle aurait donc pêché 110 saumons n’eût été la présence du CFCP. La valeur économique de la perte est ensuite calculée en multipliant le nombre de poissons perdus par le prix du saumon dans les réserves indiennes de Siska. L’évaluation porte sur les années 1880 à 2018, et concerne donc la valeur des pertes économiques annuelles subies pour chaque année de l’analyse sur une période de 137 ans (car M. Gislason suppose que les pertes commencent en 1882).

[236] Le résumé de M. Blewett traduit l’approche adoptée par M. Gislason pour évaluer la perte découlant du manquement par le Canada à une obligation de fiduciaire.

[237] Dans la décision Mosquito, le Tribunal a souligné la difficulté pour les experts en la matière d’estimer les pertes subies sur de longues périodes au cours desquelles peu ou pas de renseignements concrets sont disponibles pour appuyer les calculs. Dans la présente affaire, la période au cours de laquelle la perte a été subie s’étend de 1882 à aujourd’hui.

[238] M. Gislason décrit dans son sommaire les événements qui ont eu une incidence sur les pêches de Siska :

[traduction]

[…] l’exploitation de la ligne du CFCP à travers les terres de Siska depuis le milieu des années 1880 jusqu’à aujourd’hui – et dans l’avenir – a réduit les pêches à des fins alimentaires, sociales et rituelles (ASR) de Siska en raison des éléments suivants : 1) la présence continue des piliers du pont du CFCP à un endroit clé pour la pêche; 2) le fait que les membres de Siska ont souvent dû traverser les voies ferrées du CFCP pour accéder aux sites de pêche (14 des 34 sites de pêche recensés dans l’inventaire des sites de Siska se trouvent entre la ligne du CFCP et le fleuve Fraser); 3) les panneaux [traduction] « Passage interdit » installés par le CFCP qui empêchaient certains membres de Siska d’accéder aux sites de pêche; et 4) le déversement ou le déchargement latéral de débris, comme des traverses de rails, dans les pentes abruptes et les sentiers utilisés pour accéder aux sites de pêche. [Rapport de M. Gislason du 27 février 2020, à la p ii.]

[239] Il ajoute ce qui suit :

[traduction]

[…] compte tenu du manque d’information, il existe une incertitude substantielle quant à l’étendue des pertes. Or, dans de nombreux cas, l’expert a adopté une approche conservatrice pour les calculs d’évaluation des pertes. Le rapport d’expertise fournit suffisamment de détails sur les hypothèses sous‑jacentes aux calculs; cette transparence fait en sorte qu’il est alors possible d’examiner les incidences d’autres hypothèses. [Rapport de M. Gislason du 27 février 2020, à la p iii.]

[240] Il n’existe pas de données permettant de comparer l’incidence sur la récolte de poissons de Siska, le cas échéant, sur une période de deux ans ou plus pendant la période de construction et d’exploitation du chemin de fer. Comme il en a été question précédemment, les membres de la communauté ont témoigné au sujet de l’obstacle que représentait le chemin de fer pour eux et leurs prédécesseurs.

c) Rapports de M. Gislason : perte relative aux pêches

[241] M. Gislason a abordé la question en tirant des inférences à partir de la preuve concernant les répercussions de la construction et de l’exploitation du chemin de fer sur les multiples remontées annuelles de saumon et de truite arc-en-ciel qui quittent l’océan ou des lieux de pêche en aval. Il invoque à cet égard les obstacles auxquels a été confrontée Siska en raison de la destruction et de l’endommagement périodique des sites de pêche et des sentiers.

[242] En exerçant son jugement, qui repose sur une longue expérience et des observations concrètes, M. Gislason a conclu que la réduction de la récolte de poissons de Siska est attribuable aux répercussions de la construction et de l’exploitation du chemin de fer et à des obstacles entravant l’accès de Siska aux sites de pêche. Il a toutes les compétences nécessaires pour faire une telle inférence.

[243] Je reprends l’extrait suivant de son sommaire :

[traduction]

Le rapport d’expertise fournit suffisamment de détails sur les hypothèses sous‑jacentes aux calculs; cette transparence fait en sorte qu’il est alors possible d’examiner les incidences d’autres hypothèses.

[244] Je suis d’accord. L’approche de M. Gislason permet plus facilement d’apporter des ajustements lorsque cela est nécessaire par suite de conclusions portant sur d’autres éléments de preuve, que ceux-ci soient concordants ou non.

[245] Dans son rapport, M. Gislason utilise la méthode du [traduction] « coût d’option », comme l’a fait M. Blewett dans son rapport, pour évaluer la réduction de la récolte de Siska :

[traduction]

2.4 [...] coût d’option – valeur de marché de remplacement du même produit alimentaire dans une économie monétaire ou de marché ;

[...]

2.8 Dans le cadre de la présente étude, nous avons utilisé la méthode du « coût d’option », car la pêche commerciale du saumon est bien établie en Colombie‑Britannique. La valeur du saumon tiré de ces activités de pêche est utilisée pour évaluer la composante de la valeur alimentaire des récoltes ASR perdues de Siska. [Rapport de M. Gislason du 27 février 2020, à la p 6.]

[246] À la section 2.3 [traduction] « Méthode d’analyse » :

[traduction]

2.9 Les données historiques sur les prises de Siska révèlent que la Première Nation a capturé plusieurs espèces de saumon – saumon quinnat ou saumon de printemps, saumon rouge, saumon coho, saumon rose – et des truites arc‑en‑ciel (un très petit nombre de saumons kéta et d’esturgeons ont également été pêchés). Voir l’analyse à la section 4.

2.10 Le calcul de la valeur perdue pour chaque espèce se présente comme suit :

Valeur brute perdue

=

Nombre de saumons perdus

 

x

Poids moyen par poisson

 

x

Valeur moyenne par unité de poids

 

=

Valeur brute du produit alimentaire

Valeur nette perdue

=

Valeur brute perdue – Coûts non engagés

La valeur du produit alimentaire de chaque espèce est ensuite additionnée pour obtenir la valeur du produit alimentaire perdue totale.

La valeur nette est calculée en soustrayant les coûts appropriés de la valeur brute (Usher, 1976).

2.11 L’analyse financière a comme objectif de déterminer une valeur qui représente une réparation intégrale pour Siska relativement à sa subsistance. À notre avis, cela signifie que la valeur doit représenter le coût ou la valeur du saumon livré à la Première Nation de Siska.

2.12 En ce qui concerne les collisions des trains du CFCP avec le bétail, nous supposons, dans notre évaluation, qu’elles concernent les bovins de boucherie. Nous évaluons donc ces bovins de boucherie en fonction de la valeur moyenne par animal. [Rapport de M. Gislason du 27 février 2020, à la p 7.]

[247] Concernant la Pièce 6, le rapport énumère 34 [traduction] « sites de pêche historiques de la bande de Siska ». De ce nombre, 11 étaient situés sur la rive ouest du fleuve Fraser et quatre d’entre eux sont décrits comme des sites communautaires.

[248] M. Gislason s’est appuyé sur les obstacles entravant l’accès à 14 des 34 sites pour établir les pourcentages correspondant aux pertes. Toutefois, seuls cinq d’entre eux étaient situés dans les réserves (Nahamanak). Il justifie cela de la façon suivante : [traduction] « les 34 sites ne comprennent pas tous les sites qui auraient été utilisés dans le passé, car certains sites ont été enterrés ou détruits par des débris ferroviaires (transcription du témoignage de M. Sampson, 11‑18 sept., à la p 159) » (rapport du 27 février 2020 de M. Gislason, à la p 18). M. Gislason a également déclaré en contre‑interrogatoire que la prise en compte de ces sites n’était qu’un facteur parmi d’autres pour arriver à l’incidence de 10 %. Selon la revendicatrice, l’incidence de 10 % établie par de M. Gislason est le résultat d’une évaluation globale des indicateurs disponibles se rapportant aux répercussions sur la pêche de Siska dans les réserves.

[249] Il existe des témoignages et des éléments de preuve documentaires indiquant que la partie du fleuve où se trouvent les terres visées par la revendication comprenait des sites de pêche de grande qualité en raison de la géographie du fleuve et des pratiques de pêche spécialement adaptées de Siska, mais il n’y a aucune preuve directe de la valeur de la récolte aux cinq sites par rapport à celle des neuf autres sites. Il est reconnu que M. Sproat était très au fait des habitudes, des besoins et des activités des groupes autochtones locaux pour lesquels il devait attribuer des réserves. D’après ce que l’on sait de l’objectif de l’attribution de 1878, il est probable que M. Sproat se soit renseigné sur les sites privilégiés lorsqu’il a établi l’emplacement et l’étendue des réserves, de sorte que les cinq sites à l’intérieur des réserves étaient probablement les plus productifs.

[250] M. Gislason estime que pendant la période de construction (1882 à 1885), la récolte globale de Siska, toutes espèces confondues, a été réduite de 33 % à 66 % de ce qu’elle aurait été sans les répercussions de la construction du chemin de fer (au para 6.18, à la p 23). De plus, M. Gislason a estimé la perte ultérieure occasionnée par l’exploitation du chemin de fer à 10 % (au para 6.22, à la p 27).

[251] Les saumons migrent au‑delà des réserves de Siska pour se diriger vers les frayères. Siska pêchait cinq espèces de saumon (saumon quinnat, saumon rouge, saumon coho, saumon rose et saumon kéta) ainsi que la truite arc‑en‑ciel et l’esturgeon. Les prises de truites arc‑en‑ciel et d’esturgeons ont été faibles, voire inexistantes, au cours des dernières décennies. Les pertes sont attribuées au saumon quinnat, au saumon rouge, au saumon coho, au saumon rose et à la truite arc‑en‑ciel. Le saumon kéta et l’esturgeon ont été exclus parce que le MPO n’a pas publié de rapport sur ces espèces pour la région du milieu du fleuve Fraser depuis les années 1950 et 1980, respectivement.

[252] L’estimation du nombre de pertes par espèce est calculée en fonction de la récolte estimée par Siska pour trois périodes : avant 1925, de 1925 à 2000, et de 2001 à 2018.

[253] De 2001 à 2018, M. Gilalson a utilisé les données réelles sur les prises de Siska conservées par le MPO. Pour la période allant de 1925 à 2000, il a utilisé les données du MPO pour la région du milieu du fleuve Fraser et a attribué des pourcentages variables à Siska en fonction de son jugement professionnel. Avant 1925, ses estimations sont fondées sur son jugement et, en ce qui concerne le saumon rouge, sur les tendances des données sur les échappées. M. Gilalson a également tenu compte de l’importance relative du saumon quinnat au cours des premières années, des glissements de terrain à Hells Gate en 1913‑1914, des répercussions dans les années 1940 des efforts de restauration de la Commission internationale des pêcheries de saumon du Pacifique, et de la quasi‑disparition du saumon coho et de la truite arc‑en‑ciel au cours des 30 dernières années.

[254] Comme les données du MPO regroupent les prises des Premières Nations dans le cours moyen du fleuve Fraser depuis de nombreuses années, M. Gislason a dû estimer la part proportionnelle de Siska dans ces prises. Pour la période de 1925 à 2000, la récolte estimée de Siska est plus élevée par habitant que la moyenne des récoltes pour les autres communautés, comme l’indiquent les données de 2001 à 2018. M. Gislason était d’avis que cette estimation était justifiée compte tenu de l’emplacement stratégique de Siska, en aval de l’endroit où convergent le fleuve Fraser et la rivière Thompson, des sites de pêche productifs et du fait que la pêche à des fins commerciales de Siska est plus importante que celle de nombreux autres groupes autochtones dont les récoltes ont été regroupées dans les données sur les prises dans le cours moyen du fleuve Fraser. Il a notamment fait remarquer que les principales remontées de saumon rouge, comme celles de la Chilko, de la Horsefly et de la Stuart, migrent plus au nord en remontant le fleuve Fraser et que, par conséquent, [traduction] « les neuf bandes de Nlaka’pamux qui ne sont pas situées sur le fleuve Fraser n’ont pas accès à ces remontées de saumon rouge » (Pièce 1, onglet 11 (audience de juillet 2020), « réponse de M. Gislason, 30 mars 2020 », au para 4.21, à la p 13). De plus, M. Gislason a souligné que les données de 2001 à 2018 se rapportant aux prises propres à Siska indiquent que la bande a pêché une part des prises totales du cours moyen du fleuve Fraser qui est supérieure à la proportion de sa population (réponse de M. Gislason, 30 mars 2020, aux para 4.10 à 10).

[255] Pour estimer la valeur pécuniaire de la perte, M. Gislason a calculé, pour chaque espèce, le coût d’achat du poisson pêché en mer et le coût de transport des poissons par kilogramme jusqu’aux réserves de Siska. Au cours de sa carrière de consultant, M. Gislason a participé étroitement aux initiatives de fixation du prix du saumon en Colombie‑Britannique. Il a décrit ses sources et l’usage qu’il a fait de son jugement, en commençant par les données [traduction] « insuffisantes » antérieures à 1905, les données sur les prix du saumon en conserve pour la période de 1905 à 1940, les rapports du MPO jusqu’en 2011 et, enfin, les données des publications provinciales sur les fruits de mer pour la période de 2012 à 2018 (rapport de M. Gislason du 27 février 2020, à la p 75). En ce qui concerne les coûts de transport des eaux marines jusqu’à Siska, il a estimé [traduction] « plusieurs petites expéditions de poisson frais en provenance de la région métropolitaine de Vancouver » pour s’aligner sur la capacité de transformation de Siska, et a reconnu sans détour que les coûts de transport estimés étaient, par nécessité, fondés sur son jugement (rapport de M. Gislason du 27 février 2020, à la p 76). Finalement, il a déclaré que [traduction] « les coûts de transport [...] étaient fixés à 0,30 $ par kg en 2018 » et que « [e]ssentiellement, toute la série de prix liés au transport remontant aux années 1880 [était] fondée sur son jugement » (rapport de M. Gislason du 27 février 2020, à la p 76).

[256] M. Gislason estime que les prises annuelles futures représenteraient 80 % de la moyenne des prises de 2001 à 2018, en raison des conditions environnementales, d’un récent éboulement en amont du fleuve Fraser et de la prise en compte des années de cycle. Il estime les pertes futures à 10 % de la récolte annuelle et applique une méthode semblable à celle utilisée pour les pertes passées pour évaluer les pertes, ajustées à leur valeur actuelle.

[257] M. Gislason estime que les pertes annuelles passées, à savoir de 1880 à 2018, après avoir été ajustées à la valeur actuelle au taux – composé – du compte en fiducie de la bande, s’établissent à 8 291 000 $. Les pertes futures, à savoir à partir de 2019, calculées sur la base de 10 % de la récolte annuelle, sont estimées à 1 367 000 $, soit un total de 9 658 000 $. Toutefois, la revendicatrice s’est appuyée sur la valeur actuelle calculée par M. Schellenberg, à savoir 7 882 218 $ pour les pertes passées et 1 367 299 $ pour les pertes futures.

d) Rapports de M. Gislason : bétail

[258] La ligne de chemin de fer n’était pas clôturée. Des témoins issus de la communauté ont déposé au sujet de la perte de bétail et de chevaux attribuable aux collisions avec les trains.

[259] M. Gislason a estimé la fréquence, le nombre et les valeurs nominales du bétail perdu à cause des collisions avec les trains, estimations que l’intimée a acceptées après la correction d’une erreur par M. Gislason qui avait été relevée par cette dernière (réponse de M. Gislason, 30 mars 2020, aux pp 28-29; MFDI, au para 301).

[260] Pour estimer le nombre d’animaux perdus, M. Gislason s’est appuyé sur des témoignages portant sur les collisions avec du bétail et à des éléments de preuve documentaire datant de l’époque de la Commission royale des affaires des sauvages, qui démontraient que le CFCP n’avait pas clôturé le chemin de fer, que [traduction] « par conséquent, les collisions avec le bétail et les chevaux étaient assez fréquentes sur la réserve indienne Nahamanak no 7 » et que, dans de nombreux cas, l’indemnité versée par le CFCP a été minime, voire inexistante. M. Gislason a affirmé [traduction] « qu’il n’y a pas eu d’incidents liés au bétail depuis la fin des années 1960 sur la RI Nahamanak no 7, après le déménagement des familles et de leur bétail » (rapport de M. Gislason du 27 février 2020, à la p 29).

[261] M. Gislason a estimé la perte de deux animaux tous les cinq ans de 1885 à 1925 et d’un animal tous les cinq ans de 1930 à 1965. Il a estimé la valeur de chaque animal perdu en utilisant les données de Statistique Canada sur les bovins non laitiers pour la période de 1910 à 1965. Il a projeté la valeur avant 1910 [traduction] « en fonction du mouvement sur le marché de gros des bouvillons » (réponse de M. Gislason, 30 mars 2020, aux pp 28‑29).

[262] La perte nominale totale est estimée à 1 115 $. Les parties ont chacune fait valoir que la valeur actuelle devait être calculée selon les méthodes de leurs experts respectifs.

e) Rapports de M. Blewett

i) Introduction

[263] L’intimée soutient que la revendicatrice n’a pas établi l’existence d’une réduction de la récolte de poissons de Siska attribuable au chemin de fer, car il n’y a pas de preuve directe de pertes réelles pour la période de construction du chemin de fer, à savoir de 1882 à 1885, ou pour l’une ou l’autre des périodes pendant l’exploitation du chemin de fer.

[264] Il est vrai qu’il n’existe pas de données sur les prises montrant des variations d’une année à l’autre au cours de l’une ou l’autre des trois périodes établies par M. Gislason qui peuvent laisser entendre qu’il y a eu une perte attribuable au chemin de fer.

[265] M. Blewett ne reconnaît pas que la revendicatrice a subi une perte en raison d’une réduction de sa récolte annuelle de poissons. Il est d’avis que, si le Tribunal conclut à l’existence d’une réduction, celle‑ci est bien inférieure à celle estimée par M. Gislason, et que la valeur de la perte, déterminée en fonction du coût d’option par kilogramme de poisson livré à Siska, est également bien inférieure.

ii) Pertes passées

[266] M. Blewett affirme ce qui suit :

[traduction]

En ce qui concerne l’évaluation par M. Gislason des pertes de récoltes de poisson subies par Siska dans le passé, je parviens aux conclusions suivantes. À mon avis :

Les estimations de M. Gislason concernant les récoltes réelles de saumon de Siska sont trop élevées.

Les pertes exprimées en pourcentage calculées par M. Gislason ne sont étayées par aucun élément de preuve; ses estimations des pertes relatives aux pêches de Siska sont donc hypothétiques.

Les prix du saumon de Siska établi par M. Gislason sont trop élevés. [Je souligne; rapport en réponse révisé de M. Blewett, à la p xi.]

[267] Dans son rapport en réponse révisé, M. Blewett souligne l’absence de données sur les récoltes qui seraient pertinentes pour déterminer si des pertes ont été subies et, le cas échéant, l’ampleur de ces pertes :

[traduction]

Les données du MPO sur les récoltes et les échappées de saumon dans le cours moyen du fleuve Fraser, qui sont déterminantes dans le calcul des estimations des récoltes de saumon de Siska réalisé par M. Gislason, se répartissent en cinq groupes, à savoir (en ordre chronologique inversé) :

2001-2018 : Récoltes de saumon par la bande indienne de Siska (par espèce et par année).

1951-2000 : Données sur les récoltes (par espèce et par année) par les bandes du cours moyen du fleuve Fraser, notamment la bande de Siska.

1925-1950 : Récoltes de saumon rouge par les bandes du cours moyen du fleuve Fraser.

o Il y a une faible quantité de renseignements d’observation des récoltes de saumon quinnat, de saumon coho, de saumon rose et de la truite arc‑en‑ciel : 16 points de données sur un total de 104 (4 espèces x 26 ans).

o Le MPO a indiqué que certaines de ces valeurs sont des « estimations ». On ne peut pas dire clairement ce que cela signifie, mais on peut supposer que les estimations sont moins fiables que les autres renseignements d’observation.

1894-1924 : Absence de données sur les récoltes; données sur les échappées de saumon rouge uniquement.

1880-1893 : Absence de données sur les récoltes ou les échappées. [Rapport en réponse révisé de M. Blewett, à la p 4.]

[268] L’absence de données sur les récoltes soulevée – ci-dessus – par M. Blewett est la raison pour laquelle il qualifie les pertes estimées par M. Gislason de données [traduction] « hypothétiques ».

[269] Toutefois, ce n’est pas seulement l’absence de données sur les récoltes qui, selon M. Blewett, rend les estimations hypothétiques. À son avis, est également hypothétique l’opinion de M. Gislason selon laquelle les récoltes de Siska ont diminué en raison du chemin de fer.

[270] À la section [traduction] « Raisonnement sous‑tendant les pertes exprimées en pourcentage évaluées par M. Gislason », M. Blewett rejette l’affirmation de M. Gislason selon laquelle les renseignements qu’il a examinés [traduction] « démontrent que la construction et l’exploitation de la ligne du CFCP à travers la RI Nahamanak no 7 et la RI Zacht no 5 ont perturbé la pêche ASR de Siska » (rapport de M. Gislason du 27 février 2020, aux para 6.4 à 21), et que « [l]es éléments de preuve démontrant que l’exploitation de la ligne ferroviaire du CFCP à travers les terres de Siska a réduit l’accès et les activités de pêche jusqu’à ce jour sont solides » (rapport de M. Gislason du 27 février 2020, aux para 6.16 à 23). M. Blewett affirme que [traduction] « [l]es dépositions ne démontrent pas, à mon avis, que la construction [...] de la ligne du CFCP [...] a perturbé les activités de pêche ASR de Siska » (rapport en réponse révisé de M. Blewett, à la p 15). En ce qui concerne la période d’exploitation du chemin de fer, M. Blewett a conclu ce qui suit : [traduction] « À mon avis, bien que les témoignages fournissent des indications qui laissent entendre que l’exploitation du CFCP pourrait avoir perturbé les activités des pêcheurs de Siska, il ne s’agit pas d’“éléments de preuve solides” » (rapport en réponse révisé de M. Blewett, à la p 17).

[271] Contrairement à l’opinion de M. Blewett, j’estime, comme je l’ai indiqué précédemment au paragraphe 223 de mes motifs, que la construction et l’exploitation du chemin de fer ont perturbé l’accès de la revendicatrice aux activités de pêche. Le fait qu’il y ait eu une réduction de ces activités n’est pas purement hypothétique, car j’estime que la conséquence naturelle de cette perturbation a été la diminution du temps de pêche aux sites traditionnels, y compris les sites hautement productifs de la réserve Nahamanak. Une diminution du temps de pêche entraîne une diminution du nombre de poissons récoltés.

[272] L’absence de données permettant de comparer directement les années antérieures à 1880 et les années allant de 1880 jusqu’à aujourd’hui n’empêche pas de conclure que les récoltes de la revendicatrice ont vraisemblablement diminué. La question consiste à déterminer si les pertes estimées par M. Gislason doivent être admises.

[273] M. Blewett affirme que les données sur les récoltes sur lesquelles M. Gislason s’appuie sont [traduction] « incomplètes » :

[traduction]

De 1880 à 1893, il n’y a aucune donnée.

De 1894 à 1924, il n’y a pas de données sur les prises. Les seules données officielles pour cette sous‑période concernent les échappées de saumon rouge.

De 1925 à 1950, les données sur les prises du MPO ne sont complètes que pour le saumon rouge […]

De 1951 à 2000, les données sur les prises du MPO se rapportent à une zone du cours moyen du fleuve Fraser où vivent un certain nombre de bandes indiennes en plus de Siska. La récolte de la bande indienne de Siska doit être estimée à partir de ces données sur les prises en isolant les données concernant Siska. Il n’existe pas de données sur les prises du MPO pour 1992.

De 2001 à 2018, le MPO a des données complètes selon les espèces sur les récoltes de saumon par la bande indienne de Siska. [Rapport en réponse révisé de M. Blewett, à la p xi.]

[274] M. Blewett aborde la question de cette manière pour démontrer que l’utilisation de données incomplètes laisse planer un doute à l’égard des estimations de M. Gislason concernant le volume de poissons récoltés.

[275] Selon M. Blewett, il est préférable d’utiliser les données sur la population des Nlaka’pamux vivant dans la région du cours moyen du fleuve Fraser ainsi que les données disponibles sur les pêches pour estimer l’ampleur de la réduction de la récolte des quatre espèces de saumon et de la truite arc‑en‑ciel passant par les réserves. M. Blewett fait référence à la disponibilité de [traduction] « données quantitatives pertinentes au soutien de l’analyse de M. Gislason » :

[traduction]

Récoltes annuelles de saumon, par espèce, dans la région du fleuve Fraser (cours moyen du fleuve) qui comprend notamment la bande indienne de Siska.

Échappée du saumon rouge du fleuve Fraser.

Population de la bande indienne de Siska. [Je souligne; rapport en réponse révisé de M. Blewett, à la p xi.]

[276] La méthode de M. Blewett utilise les données sur la population de Siska de 1879 à 2018 (en employant une interpolation linéaire faite à partir de neuf écarts de deux à six ans chacun) conjointement avec les données limitées disponibles pour estimer les récoltes annuelles par habitant de Siska pour chaque espèce de poisson pour chacune des périodes. Comme les données antérieures à 2001 n’étaient pas spécifiques à Siska uniquement, M. Blewett a utilisé les données annuelles sur les récoltes conservées par le MPO entre 2001 et 2018 pour calculer la proportion du saumon pêché par Siska dans le cours moyen du fleuve Fraser. En utilisant cette proportion, il a calculé les récoltes annuelles par habitant pour Siska pour la période de 1951 à 2000.

[277] M. Blewett n’a pas calculé la récolte par habitant avant 1951 parce qu’il considérait que les données sur les prises du MPO avant 1951 étaient trop [traduction] « inégales ». Au lieu de cela, M. Blewett a utilisé la récolte annuelle moyenne par habitant pour la période de 1951 à 2018 pour estimer la récolte de Siska de 1880 à 1950 [traduction] « en supposant que la récolte annuelle de saumon par habitant de Siska pour chaque année de cette période était égale à [s]a moyenne calculée pour 1951-2018 » (rapport en réponse révisé de M. Blewett, à la p xiv). Dans son rapport en réponse du 1er juillet 2020, M. Blewett a ajusté à la hausse la proportion attribuable à Siska en reconnaissant que les données disponibles indiquaient que la part de la récolte de Siska dans les prises du cours moyen du fleuve Fraser était plus importante que la proportion de Siska dans la population. En conséquence, M. Blewett a estimé que la part relative de Siska dans les prises du cours moyen du fleuve Fraser était de 10,5 % pour la période de 1951 à 2000 (contre 8,8 % dans son rapport en réponse révisé). Son estimation finale de la part de Siska dans les prises du cours moyen du fleuve Fraser était inférieure à celle de M. Gislason dans une mesure de 70 % (Pièce 5, onglet 3 (audience de juillet 2020), [traduction] « réponse de M. Blewett », à la p vii).

[278] Les estimations de M. Blewett concernant la récolte de saumon de Siska de 1951 à 2018 sont, dans l’ensemble, nettement inférieures à celles de M. Gislason.

[279] M. Blewett répète ensuite son point principal, à savoir que les pertes de Siska exprimées en pourcentage qui ont été calculées par M. Gislason sont des valeurs hypothétiques qui ne sont étayées par aucune preuve. C’est pour cette raison qu’il fait valoir qu’il n’existe aucune preuve établissant l’existence de pertes et que rien ne permet de faire un lien entre les pertes alléguées et le chemin de fer.

[280] À titre subsidiaire, M. Blewett avance deux autres scénarios. Selon le premier scénario, Siska n’aurait subi aucune perte, car si les membres de la bande n’avaient pas pu pêcher de poisson dans leur propre réserve, ils auraient pêché sur des sites appartenant à leurs voisins. Cette hypothèse ne tient pas compte du fait que les réserves de Siska ont été établies pour donner aux membres de la communauté accès à la pêche sur leur territoire ainsi reconnu et sur le lieu de leur village.

[281] M. Blewett propose également un scénario fondé sur un coût d’option plus faible pour remplacer le poisson pendant la période où la perte a été subie. Suivant pareil scénario, les membres de la bande se seraient approvisionnés en poisson auprès d’autres sites de pêches autochtones en aval des réserves à un coût moindre et en engageant des frais de transport moindres. M. Blewett a estimé que les prix du poisson commercial à Agassiz, en Colombie‑Britannique, représentaient environ 75 % du coût dans les localités océaniques (Pièce 5, onglet 2 (audience de juillet 2020), [traduction] « rapport supplémentaire de M. Blewett », à la p viii). Il a établi les coûts de transport en fonction de l’utilisation d’un seul camion par année à partir d’Agassiz et a supposé que les coûts d’acquisition du poisson étaient de néant. Les coûts d’acquisition du poisson englobent [traduction] « l’emballage de la récolte depuis les lieux de pêche jusqu’aux usines de transformation et la fourniture de services à terre tels que l’amarrage, les services des glaces et les ateliers à filet » (rapport en réponse révisé de M. Blewett, à la p xv).

[282] Aucun des deux scénarios susmentionnés n’a été suffisamment développé pour être considéré sérieusement. Les deux scénarios requièrent la formulation d’hypothèses concernant les relations entre les communautés voisines des Nlaka’pamux et les peuples des Sto:lo à Agassiz. Aucun des scénarios ne tient compte du régime réglementaire émergent qui a réduit les volumes de récolte des communautés autochtones et interdit la vente et le commerce du poisson pêché en vertu de permis délivrés par le MPO à des fins alimentaires et cérémonielles. Enfin, aucun des deux scénarios n’aborde ou ne reconnaît le fardeau imposé à la revendicatrice pour s’adapter à la nouvelle réalité.

iii) Prix et coûts

[283] Dans la mesure où il est possible d’estimer la récolte de Siska et de déterminer une perte, M. Blewett s’exprime comme suit :

[traduction]

À mon avis, les estimations des récoltes et des pertes de M. Gislason sont nettement plus importantes qu’elles ne devraient l’être. Mes estimations, qui sont fondées sur les mêmes données de base, représentent 30 % à 60 % de la valeur de celles de M. Gislason.

[284] La proportion de 30 % à 60 % tient compte des conclusions de M. Blewett sur le coût d’option ainsi que de son point de vue sur la diminution de la récolte.

[285] M. Blewett précise ce qui suit :

[traduction]

Je suis d’accord avec M. Gislason selon qui « l’analyse financière a pour but de déterminer une valeur qui représente une réparation intégrale pour Siska relativement à sa subsistance. À notre avis, cela signifie que la valeur doit représenter le coût ou la valeur du saumon livré à la Première Nation de Siska » (page 6). Je suis d’accord avec son utilisation de la méthode du coût ou de la valeur d’option, mais sous réserve de mes commentaires ci‑dessous (voir le point sur les prix et les coûts, à la p xvi), mais je ne suis pas d’accord avec le scénario qu’il propose, à savoir la récolte du saumon dans les eaux marines et dans le cours inférieur du fleuve Fraser. [Réponse révisée de M. Blewett, à la p xv.]

[286] En ce qui concerne les coûts de transport du poisson, M. Blewett a repris le coût unitaire utilisé par M. Gislason pour 2018, soit 30 cents par kilogramme, avec lequel il était d’accord, et a utilisé l’IPC pour ajuster de manière rétroactive le coût par kilogramme à 1880. Son estimation des coûts de transport du poisson représente 55,2 % de la valeur moyenne calculée par M. Gislason. M. Blewett suppose un voyage par camion par année, à partir d’un endroit plus proche (Agassiz), comparativement à M. Gislason, qui prévoit plusieurs voyages par année à partir de sources marines.

[287] Après avoir appliqué ses coûts de transport réduits (55,2 % des coûts établis par M. Gislason) et ses estimations de prix à son estimation de la récolte annuelle de Siska, M. Blewett a estimé que la perte économique globale représentait de 10,6 % à 29,9 % des pertes estimées par M. Gislason (réponse de M. Blewett, à la p ix, révision du rapport supplémentaire de M. Blewett, à la p ix). Cela reflète également la fourchette de 1 à 10 % établie par M. Blewett pour les répercussions du chemin de fer sur les récoltes, alors que l’estimation des pertes de M. Gislason était fondée sur une incidence de 10 % pendant l’exploitation du CFCP et une plus grande incidence pendant les travaux de construction.

f) Analyse : pertes liées à l’accès entravé au fleuve

[288] L’évaluation de l’indemnité à accorder au titre des répercussions sur les activités de pêche dans la présente affaire nécessite la prise en compte des nombreuses variables qui ont existé pendant la période de 140 ans au cours de laquelle la perte a été subie. Bien qu’à la lumière du dossier, il ne soit pas possible d’analyser de tels changements selon l’approche conventionnelle qui consiste à suivre rigoureusement les principes appliqués par les tribunaux judiciaires, ces changements sont considérés à juste titre comme des éventualités lorsque l’indemnité doit être évaluée en fonction des principes de l’indemnisation en equity. Cette approche est nécessaire en equity. Dans les cas où la prévisibilité est largement mise de côté et que la proportionnalité est prise en compte, il est impossible d’adopter une approche fondée sur des calculs mathématiques, et l’indemnité doit être évaluée globalement.

[289] La Première Nation de Siska, qui est une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, fait partie de la Nation Nlaka’pamux, une nation autochtone dont les territoires traditionnels s’étendent dans les quatre directions autour des terres de Siska et englobent des terres dans la région du canyon et des cascades du fleuve Fraser.

[290] Avant l’arrivée des premiers colons, la population de la Nation Nlaka’pamux comptait des dizaines de milliers d’habitants, c’est-à-dire plus de 50 000 personnes rien qu’à Lytton, là où se rejoignent le fleuve Fraser et la rivière Thompson, selon l’aîné Maurice Michell. M. Michell s’est exprimé comme suit lors de son témoignage : [traduction] « Partout où votre regard se posait, il y avait des gens. Dans le haut comme dans le bas du fleuve Fraser. » (Transcription de l’audience, 13 septembre 2018, à la p 84.) Comme d’autres groupes autochtones, les Nlaka’pamux ont beaucoup souffert des maladies qui se sont propagées parmi la population autochtone après le contact avec les Européens.

[291] Au paragraphe 3.7 de son rapport du 27 février 2020, M. Gislason rapporte ce qui suit :

[traduction]

La Pièce 3 présente les données démographiques de la Première Nation de Siska de 1879 à 2018, ventilées en fonction de la population vivant dans les réserves et de celle vivant hors réserve pour les années ultérieures. Il n’est pas possible d’obtenir des données démographiques pour certaines années antérieures à 1965.

Il convient de souligner ce qui suit :

Il y a eu une baisse importante de la population de Siska, qui est passée de 67 personnes au début des années 1880 à 39 personnes en 1883 (la population de Siska n’a jamais dépassé 67 personnes avant 1954).

La Première Nation de Siska a fusionné avec la Première Nation de Halaha, plus petite, en 1898 (apparemment, la Première Nation de Halaha n’était composée que d’une seule famille).

La population de Siska a augmenté lentement, passant de 75 personnes en 1954 à 118 personnes en 1986.

La population a connu une croissance rapide depuis, atteignant 323 personnes en 2018 (cette croissance découle essentiellement du « projet de loi C‑31 : Loi modifiant la Loi sur les Indiens » de 1985, projet de loi qui s’attaque aux dispositions discriminatoires pour déterminer l’appartenance à une bande).

Parmi les 323 membres de la Première Nation de Siska en 2018, le tiers d’entre eux vivaient dans la réserve et les deux tiers, hors réserve (Pièce 3).

[292] On comprend bien que la consommation de poisson par habitant n’a pas été constante entre 1885 et 2020. La valeur de la pêche dans l’économie de la communauté de Siska a varié en raison de la réglementation externe et des niveaux d’échappée, et ce, indépendamment de la présence du chemin de fer. L’idée voulant que les répercussions sur la récolte correspondent toujours à un pourcentage fixe de la récolte annuelle réelle suppose que la récolte autorisée représente un nombre fixe de poissons par habitant. Rien ne prouve que ce soit le cas, et il est peu probable que ce le soit, car les valeurs associées à la récolte sont fondées sur des considérations liées aux échappées de poissons et à leur conservation, y compris les retours futurs.

[293] Je considère que la méthode utilisée par M. Blewett pour estimer la récolte de poissons avant 2001 en se basant sur la moyenne de la récolte par habitant de 2001 à 2018 présente des lacunes. M. Blewett utilise la valeur de la récolte par habitant de 2001 à 2018 et suppose que la relation est stable dans le temps, de sorte que [traduction] « la population peut être considérée comme une donnée pour mesurer la demande de saumons à des fins alimentaires » (réponse de M. Gislason, 30 mars 2020, au para 6, à la p 10). Cependant, cette approche intégrerait les répercussions des manquements de l’intimée dans les estimations de la consommation par habitant, et ne tiendrait pas compte du fait qu’au cours des premières décennies de la période au cours de laquelle la perte a été subie, le saumon occupait une place plus importante dans l’alimentation et les activités commerciales de Siska. Les données sur la consommation par habitant les plus récentes se rapportent à une époque où le nombre de membres de la bande avait considérablement augmenté en raison de l’adoption du projet de loi C‑31, qui visait à mettre fin aux pratiques discriminatoires enchâssées dans les dispositions en matière d’appartenance de la Loi sur les Indiens. L’utilisation des données de mesure des récoltes du 21e siècle pour estimer la récolte totale en 1880 jusqu’au moment où le MPO a commencé à recueillir des données sur les échappées donnerait lieu à des estimations faibles à une époque où les peuples autochtones de la région dépendaient entièrement de la pêche pour leur subsistance que ce soit à des fins de consommation ou grâce à l’utilisation du poisson comme marchandise commerciale. De plus, l’accès des Autochtones à leurs stations de pêche par la réglementation des récoltes et les restrictions quant à l’utilisation des récoltes ont également augmenté pendant une grande partie du 20e siècle, ce qui aurait fait fléchir la consommation par habitant.

[294] Les hypothèses de M. Blewett concernant les proportions liées à la population et aux récoltes l’ont amené à conclure que les récoltes de Siska pour les périodes antérieures à 1992 étaient inférieures à celles établies par M. Gislason, à savoir 60 % des valeurs déterminées par M. Gislason pour 1976-1991 et 30 % des valeurs déterminées par M. Gislason pour 1951-1975. Par la suite, dans son rapport en réponse, M. Blewett a revu à la hausse son calcul de la part de Siska dans les prises du cours moyen du fleuve Fraser, la faisant passer de 8,8 % à 10,5 % pour la période de 1951 à 2000. Il s’est exprimé comme suit pour justifier l’utilisation de la population pour établir la part de Siska dans les prises du cours moyen du fleuve Fraser : [traduction] « Il semble raisonnable, puisque les tribus du cours moyen du fleuve Fraser tentaient de se nourrir, que les récoltes par habitant en amont et en aval du fleuve dans la région du cours moyen du fleuve Fraser soient à peu près égales. » (Réponse révisée de Blewett, à la p 7.) Bien que les données des deux experts comportent de grandes incertitudes, les hypothèses de M. Blewett ne prennent pas suffisamment en compte les éléments de preuve disponibles sur Siska, ses lieux et pratiques de pêche et l’importance du commerce pendant la période au cours de laquelle la perte a été subie.

[295] M. Gislason n’a pas souscrit aux hypothèses de M. Blewett concernant la part des prises du cours moyen du fleuve Fraser revenant à Siska et n’était pas d’accord avec l’incidence de ces hypothèses sur les estimations de M. Blewett concernant la consommation par habitant. Selon M. Gislason, compte tenu des lieux de pêche privilégiés de Siska en aval du confluent de la rivière Thompson et du fleuve Fraser et de la participation de la bande aux activités commerciales, le nombre de prises par habitant de Siska aurait été plus élevé que celui de bon nombre de ses voisins de la Nation Nlaka’pamux (réponse de M. Gislason, 30 mars 2020, au para 4.8 à la p 10 et au para 4.21 à la p 13).

[296] L’utilisation par M. Gislason d’un coût de transport fixe par kilogramme est tout aussi problématique. L’accès à d’autres sources de poisson de [traduction] « remplacement », et donc les dépenses, changerait au fil du temps, tout comme les coûts liés aux changements de méthodes de transport.

[297] Bien entendu, les considérations qui précèdent ne rendent pas inutile l’appréciation des éléments de preuve.

[298] La preuve est insuffisante pour conclure que les piliers originaux du pont Cisco ont été retirés. S’ils ont effectivement été retirés, aucune analyse des répercussions sur les échappées ou l’accès à la pêche ne permet de conclure à une réduction d’un à deux tiers de la récolte de Siska entre 1882 et 1885.

[299] Même si je considère qu’il est raisonnable de conclure à une réduction de la récolte en raison des désagréments qu’ont subis les saumons migrateurs pendant la construction du chemin de fer et du temps nécessaire pour accéder aux sites de pêche pendant la construction et l’exploitation du chemin de fer, il n’est pas possible d’établir un calcul basé sur un pourcentage fixe représentant la réduction ni de calculer avec précision les récoltes et les prix.

[300] De plus, concernant l’évaluation de la perte, il est également question des efforts déployés pendant plus de 140 ans pour rétablir et maintenir l’accès aux sites de pêche. Comme ce travail est tangible et peut être évalué en dollars, il est de nature pécuniaire. Il pourrait être modélisé, « calculé » annuellement, et ajusté à la valeur actuelle. Toutefois, sur une période de 140 ans, pareil exercice relèverait également du domaine de la conjecture. Ce que l’on sait, c’est que les sentiers menant aux lieux de pêche devaient être nettoyés et remis en état de façon saisonnière.

[301] J’accepte également la preuve démontrant que la présence de la ligne de chemin de fer et des équipes de travail, le passage des trains, le danger d’éboulement et l’autorité apparente du CFCP en possession effective du terrain auraient dissuadé certains membres de la communauté d’accéder à leurs sites de pêche.

[302] Les pêcheurs actifs depuis cinq générations ou plus ont témoigné des difficultés que présentent le chemin de fer et ses activités. Certains pêcheurs plus jeunes ont également témoigné. Leurs dépositions laissent croire que, depuis quelques années, il est possible de pêcher du saumon à des fins de consommation personnelle et familiale, ce qui toutefois ne permet pas d’établir l’absence de perte passée ou actuelle.

[303] Le chef Sampson a été franc en témoignant des facteurs ayant perturbé la pêche qui ne sont pas liés au chemin de fer. Le plus important, selon lui, a été l’éboulement de 1914 en aval de la rivière à Hell’s Gate. Comme un certain nombre de remontées de saumons ont été substantiellement, sinon entièrement, stoppées, les répercussions sur les échappées se fait encore sentir. Il estime le taux de rétablissement à 30 %, quoique légèrement inférieur en raison des impacts environnementaux et de la surpêche dans les océans. Ces répercussions ont conduit, dans les années 80, à une réglementation plus stricte de la pêche autochtone.

[304] Je conclus qu’il y a eu une réduction de la récolte de Siska attribuable à la construction et à l’exploitation du chemin de fer. Il est peu probable que la réduction puisse être mesurée en fonction d’un pourcentage fixe représentant la récolte annuelle moyenne, mais l’approche adoptée par M. Gislason pour estimer la perte constitue un point de départ à prendre en considération et à ajuster à la lumière des éventualités et des éléments de preuve fournis par M. Blewett.

[305] Dans le rapport de M. Blewett, la perte estimée est inférieure à celle calculée par M. Gislason. J’ai pris en compte les estimations de M. Blewett quant à l’ampleur des répercussions sur la récolte du saumon et ses estimations du coût du saumon pêché dans l’océan et de son transport, et j’établis la valeur actuelle de la perte qu’a subie Siska en conséquence des répercussions sur la pêche à 2 800 000 $. Ce chiffre tient compte du fait que les pertes évoquées par M. Gislason n’ont pas toutes été subies sur les sites situés dans les réserves.

[306] L’estimation des pertes annuelles de M. Gislason est ajustée en fonction du taux du compte en fiducie de la bande. La valeur établie représente un ajustement de l’estimation globale de M. Gislason. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le taux du compte en fiducie de la bande s’applique.

[307] Les efforts déployés entre 1880 et 1885 pour dégager les sentiers auraient été plus importants pendant la construction que pendant la période d’exploitation. Il y aurait eu une autre réduction des efforts récemment en raison des pratiques plus responsables du CFCP, y compris l’arrêt du déchargement latéral.

[308] Il y a cinq remontées de saumon par année, en plus de celle de la truite arc‑en‑ciel. Il y a un certain chevauchement dans ces remontées. La « saison » de la pêche s’échelonne sur une période de 5 à 6 mois par année. Mon estimation, ou ma supposition, du temps passé à dégager les sentiers jusqu’en 1884 est de 60 jours par année à raison de 6 heures par jour, de 1885 à 2004, 36 jours par année à raison de 6 heures par jour et de 2004 à 2021, une moyenne de 10jours par année, compte tenu du fait que les efforts déployés ont progressivement diminué pour finalement cesser. Au total, cela représente 27 684 heures (4 614 x 6). Même si la marge d’erreur relative à cette estimation des heures est importante, les efforts sont manifestement considérables, puisqu’ils ont été déployés chaque année pendant plus d’un siècle. Cette perte incalculable est évaluée à 700 000 $.

[309] La preuve d’événements survenus entre‑temps qui ont nui aux échappées et à l’accès aux ressources halieutiques entre 1880 et aujourd’hui milite contre la conclusion selon laquelle d’autres pertes peuvent être attribuées au manquement à une obligation de fiduciaire constaté à l’étape de la validité de la revendication. En conséquence, il n’y aura pas d’évaluation des pertes futures.

E. Conclusion relative aux pertes de bétail

[310] La perte nominale, estimée à 1 115 $, se chiffre à 367 008 $ une fois ajustée à la valeur actuelle au taux du compte en fiducie de la bande.

F. Experts en matière d’évaluation de la valeur actuelle

[311] Scott Schellenberg, pour la revendicatrice, et Howard Johnson, pour l’intimée, ont préparé des rapports dans lesquels ils estiment la valeur actuelle des pertes nominales calculée par les experts en évaluation foncière et les experts des pêches.

1. Scott Schellenberg

[312] Les parties ont convenu que M. Schellenberg possède les compétences requises pour [traduction] « donner une opinion d’expert sur les dommages économiques en général et sur la méthode employée pour déterminer la valeur actuelle des pertes historiques nominales » (lettre conjointe déposée le 9 juin 2020). Il a donc été jugé compétent pour ce faire.

[313] M. Schellenberg a préparé un rapport dans lequel il estime la valeur actuelle des pertes nominales présentées dans les rapports de M. Cook (1885-2018), y compris les effets préjudiciables depuis 1885, et de M. Gislason (1882-2017), y compris les pertes relatives aux pêches et au bétail.

[314] On a demandé à M. Schellenberg de calculer la valeur actuelle en appliquant le taux du compte en fiducie de la bande, composé. Établi par voie de décret, le taux des comptes en fiducie des bandes a été fixe de 1867 à 1969 et fluctue maintenant selon le taux des obligations à long terme du gouvernement du Canada. Au cours des périodes en question, les comptes en fiducie de la revendicatrice étaient détenus par le Canada au nom de cette dernière et les fonds étaient conservés dans le Trésor.

[315] On a demandé à M. Schellenberg de présenter d’autres scénarios d’investissement (qui étaient tous plus élevés), mais ceux-ci n’ont pas été abordés par la revendicatrice dans ses observations. M. Schellenberg a souligné que les taux du compte en fiducie des bandes étaient des taux sans risque, alors qu’après la fin des années 1970, les grands investisseurs de titres en fiducie ont commencé à rechercher des placements présentant des taux de rendement plus élevés à long terme. Ainsi, les taux des comptes en fiducie des bandes au cours des 25 dernières années ont été [traduction] « faibles par rapport aux types de rendements obtenus par les investisseurs de titres en fiducie comme ceux détenus dans des régimes de retraite et des fonds de dotation » (Pièce 1, onglet 35 (audience de juillet 2020), « rapport principal de M. Schellenberg », à la p 3).

[316] M. Schellenberg a décrit trois éléments du rendement des placements :

  1. L’inflation, mesurée en fonction de l’IPC;

  2. La « valeur temporelle de l’argent », décrite comme la préférence économique pour un dollar aujourd’hui plutôt que pour un dollar dans le futur, ce qui signifie qu’un certain rendement supérieur à l’inflation doit être généré pour qu’un investissement soit rentable;

  3. Le « rendement associé aux possibilités d’investissement perdues », qu’il décrit comme faisant référence à la recherche par les investisseurs d’un certain degré de risque pour tirer de plus grands profits de leurs placements (rapport principal de M. Schellenberg, aux pp 7‑10).

[317] M. Schellenberg a considéré que les taux des comptes en fiducie des bandes étaient conservateurs aux fins de la détermination de la valeur actuelle parce qu’ils sont sans risque. En se basant sur les taux des comptes en fiducie des bandes, M. Schellenberg a utilisé des multiplicateurs pour chaque année et a calculé un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 5,4 % pour la période au cours de laquelle la perte a été subie (rapport principal de M. Schellenberg, à la p 11). Il a estimé que la valeur actuelle des pertes de la revendicatrice totalisait 10 280 000 $, dont 7 882 218 $ se rapportaient aux pertes relatives aux pêches, 424 832 $, aux pertes relatives au bétail, 723 357 $, aux pertes liées à la location de terres et 1 250 000 $, aux effets préjudiciables (rapport principal de M. Schellenberg, à la p 12).

[318] En réponse à M. Johnson, M. Schellenberg a considéré qu’il ne fallait pas présumer que la consommation aurait, théoriquement, un effet négatif sur le taux de rendement : [traduction] « Étant donné que la revendicatrice n’a pas pu effectivement consommer les sommes perdues, il n’est pas approprié de tirer une telle conclusion d’un point de vue économique. » (Pièce 1, onglet 44 (audience de juillet 2020), « réponse de M. Schellenberg », à la p 6). M. Schellenberg a fait remarquer que le taux de croissance du PIB par habitant utilisé par M. Johnson n’est pas un taux de rendement, mais plutôt une mesure du bien‑être. Selon M. Johnson, la croissance du PIB par habitant devait être utilisée comme taux de rendement dans les circonstances actuelles, opinion que M. Schellenberg ne partage pas. Plus particulièrement, M. Schellenberg estime qu’il n’est pas approprié d’utiliser un taux inférieur au taux du compte en fiducie de la bande (ce qui, selon lui, viendrait réduire d’environ 55 % l’estimation de l’indemnité finale) pour refléter la notion de consommation sacrifiée, qui est de moindre utilité (réponse de M. Schellenberg, aux pp 8‑9). Pour M. Schellenberg, puisque la revendicatrice n’a pas eu l’occasion de consommer, l’utilisation d’un taux de rendement inférieur au taux du compte en fiducie de la bande au motif qu’il s’agit de consommation présumée aurait pour effet de [traduction] « pénaliser la revendicatrice pour les possibilités de consommation dont elle n’a pas profité » (réponse de M. Schellenberg, à la p 10).

2. Howard Johnson

[319] Les parties ont convenu que M. Johnson avait [traduction] « les compétences requises pour donner son opinion en tant qu’expert sur la valeur actuelle des pertes pécuniaires historiques sur le plan financier et économique, plus particulièrement, concernant l’élaboration et l’application de méthodes pour calculer la valeur actuelle des pertes pécuniaires historiques » (lettre conjointe déposée le 9 juin 2020). Il a donc été jugé compétent pour ce faire.

[320] M. Johnson a préparé un rapport dans lequel il décrit la méthode qu’il a utilisée pour calculer la valeur actuelle, pour le compte de l’intimée, et l’appliquer aux valeurs de perte d’usage établies par M. Peebles (Pièce 7, onglet 1 (audience de juillet 2020), [traduction] « rapport principal de M. Johnson »). M. Johnson a décrit son approche comme reflétant [traduction] « ce [...] qu’[auraient] été les répercussions économiques pour Siska si la bande avait tiré un revenu de l’utilisation des terres visées » de 1886 à 2018 (rapport principal de M. Johnson, à la p 5).

[321] M. Johnson a appliqué un taux de rendement composé représentant la croissance du PIB par habitant pour la période de 1927 à 2018 et une moyenne pondérée des taux de l’IPC et du compte en fiducie de la bande pour la période de 1886 à 1926 (en raison du manque de données sur le PIB avant 1927; rapport principal de M. Johnson, à la p 2).

[322] M. Johnson a utilisé [traduction] « le PIB fondé sur les dépenses, à savoir le PIB aux prix du marché qui est présenté comme étant égal à la somme des dépenses de consommation finale, de la formation brute de capital, des exportations et des importations de biens et de services, et de la divergence statistique » (rapport principal de M. Johnson, à la p 7). Les [traduction] « dépenses de consommation finale » comprennent les dépenses des ménages et les dépenses publiques pour les biens et les services consommés dans l’année de l’achat. Les dépenses publiques comprennent les dépenses liées aux soins de santé et à l’éducation. Selon M. Johnson, [traduction] « [l]e PIB intègre tous les éléments (consommation, investissement, etc.) qui contribuent à la santé économique et à la prospérité d’une nation » (rapport principal de M. Johnson, à la p 9). Les dépenses de consommation totales ont représenté de 73 % à 93 % de l’ensemble des dépenses pour la période allant de 1926 à 2017, ce qui représente une médiane de 77 % et une moyenne de 78 % (rapport principal de M. Johnson, à la p 11). Le TCAC du PIB par habitant était de 5,23 % au cours de la même période, puis a suivi une tendance à la hausse au fil du temps (rapport principal de M. Johnson, aux pp 12-13).

[323] Pour les années antérieures à 1926, M. Johnson a exigé un taux supérieur à l’IPC pour refléter le rendement de l’épargne et des investissements (rapport principal de M. Johnson, à la p 14). De 1886 à 1926, le TCAC des taux du compte en fiducie de la bande était de 3,7 % (rapport principal de M. Johnson, à la p 15). De 1926 à 2017, la ligne de tendance du TCAC du PIB par habitant se situait entre la ligne de tendance de l’IPC et celle des taux du compte en fiducie de la bande (figure 6, rapport principal de M. Johnson, à la p 16). M. Johnson a utilisé cette relation pour choisir une pondération de 30 % pour l’IPC et de 70 % pour les taux du compte en fiducie de la bande pour la période de 1886 à 1926. Dans sa réponse, M. Schellenberg met en doute la qualité des données pour cette période de 40 ans.

[324] M. Johnson a considéré que la méthode fondée sur le PIB par habitant était la plus appropriée pour les raisons suivantes (rapport principal de M. Johnson, aux pp 17‑19) :

  1. Le PIB par habitant est largement utilisé pour mesurer les revenus historiques, le bien-être économique et la performance économique globale des pays.

  2. Une analyse des habitudes spécifiques de la revendicatrice en matière de dépenses et d’investissements permettrait de constater des différences par rapport aux dépenses et aux investissements du Canada, mais ce que la revendicatrice aurait fait du revenu qu’elle n’a jamais reçu restera toujours inconnu.

  3. Le PIB par habitant indique [traduction] « comment le Canadien moyen s’est comporté pendant la période au cours de laquelle la perte a été subie, notamment en ce qui concerne son revenu et son pouvoir d’achat ».

  4. La méthodeintègre des [traduction] « éventualités réalistes »puisqu’elles tiennent compte « des résultats positifs et négatifs découlant des dépenses de consommation individuelle et des dépenses publiques » et du fait que, comme« les communautés des Premières Nations font partie de l’économie canadienne [...], [elles] auraient pris des décisions similaires et connu une croissance similaire ».

  5. L’utilisation de la position économique du Canada [traduction] « pourrait favoriser une bande en particulier »puisque le PIB par habitant tient compte de la puissance économique du Canada à l’échelle nationale, mais les pertes de la revendicatrice [traduction] « auraient pu entraîner des améliorations du niveau de vie de [la revendicatrice] qui seraient au moins comparables aux progrès réalisés par le Canada dans son ensemble ».

  6. Le PIB par habitant est rigoureusement mesurable et largement étudié.

[325] M. Johnson a établi une série de multiplicateurs pour les valeurs actuelles nominales de chaque année comprise entre le 1er juin 1886 le 1er février 2018 (rapport de M. Johnson, annexe 1).

[326] D’après M. Johnson, l’approche de M. Schellenberg suppose un réinvestissement de 100 % chaque année dans le compte en fiducie de la revendicatrice, ce qu’il juge irréaliste (Pièce 7, onglet 2 (audience de juillet 2020), « réponse de M. Johnson », à la p 4). M. Johnson a fait remarquer que M. Schellenberg était d’accord pour dire que la revendicatrice devrait être indemnisée pour la perte d’occasion de consommer, mais M. Johnson était d’avis que la méthode fondée sur le taux du compte en fiducie de la bande employée par M. Schellenberg donnait lieu à une indemnité excessive pour cette perte d’occasion de consommer (réponse de M. Johnson, aux pp 4, 8). M. Johnson fait valoir que les avantages de la consommation sur l’économie canadienne sont intégrés dans sa méthode, mais avec des effets moins rémunérateurs que la méthode de M. Schellenberg, puisque [traduction] « les articles consommés ne donnent pas tous lieu à la même quantité d’avantages économiques à long terme » (réponse de M. Johnson », à la p 10).

[327] M. Johnson a utilisé sa méthode pour estimer la valeur actuelle des pertes nominales présentées dans le rapport de M. Peebles sur la perte d’usage uniquement (1886-2018); il a estimé leur valeur actuelle à 229 114 $. M. Blewett a également utilisé les multiplicateurs de M. Johnson pour calculer la valeur actuelle des pertes relatives aux pêches nominales estimées par ce dernier. Celles‑ci variaient de 388 34 866 000 $ pour une réduction de 1 % des récoltes de poissons à 1 095 458 $ pour une réduction de 10 % des récoltes de poissons (réponse de M. Blewett, à la p 14). En utilisant les pertes relatives aux pêches déterminées par M. Gislason et les multiplicateurs de M. Johnson, M. Blewett a estimé que la valeur actuelle s’établissait à 3 665 000 $ (rapport supplémentaire de M. Blewett, à la p 3).

3. Autres moyens pour actualiser les pertes historiques

[328] Aucune des parties n’a présenté de preuves ou d’arguments proposant l’application de méthodes différentes de celles de leurs experts respectifs.

4. La « consommation » et les intérêts composés

[329] L’intimée fait valoir que les pertes relatives aux pêches et au bétail ne devraient pas être traitées de la même manière que dans les décisions antérieures portant sur des pertes pécuniaires, et que la méthode fondée sur le PIB est celle qui répond le mieux aux préoccupations liées à la modélisation de la consommation sacrifiée et aux éventualités réalistes. La revendicatrice soutient qu’il convient d’utiliser la méthode fondée sur le taux de rendement des investissements et que c’est le taux du compte en fiducie de la bande qui devrait être applicable. Selon la revendicatrice, il faut supposer qu’elle aurait utilisé les terres et les avantages en découlant de la façon la plus avantageuse possible. De plus, elle fait valoir que les intérêts composés tiennent compte de la valeur temporelle de l’argent et soutiennent les objectifs de la restitution et de la dissuasion propres à l’indemnisation en equity.

[330] MM. Gislason et Blewett ont convenu qu’il était approprié d’utiliser une méthode fondée sur le coût d’option pour établir la valeur pécuniaire des pertes relatives aux pêches et au bétail. Le coût de remplacement pour chaque année représente le poisson et le bétail perdus. Ce coût de remplacement peut être actualisé à l’aide d’un intérêt composé selon un taux de rendement sur les investissements ou traité comme si la somme aurait vraisemblablement été « consommée », ce qui soulève la question supplémentaire de savoir comment actualiser la perte d’occasion de consommer.

[331] À première vue, il semble que le Canada s’appuie sur la méthode établie par M. Johnson pour ajuster la valeur des pertes historiques afin d’aborder indirectement une question qui a été directement soulevée dans d’autres revendications des Premières Nations devant le Tribunal et les tribunaux judiciaires. Dans les revendications antérieures, la question était de savoir si les pertes subies par les revendicatrices et évaluées devaient être ajustées suivant la pleine application des intérêts, y compris les intérêts composés, ou en fonction d’un taux de rendement réduit sur la base des montants historiques qui, s’ils avaient été reçus, auraient probablement été dépensés pour des articles ayant une valeur à court terme (« consommés »). Cette dernière approche a été rejetée dans les décisions Bande Beardy et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 15 [Beardy’s], Premières Nations Huu-Ay-Aht c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 14, et Southwind c Canada (2017 CF 906 [Southwind], appel interjeté pour d’autres motifs, conf. par 2019 CAF 171, jugement en délibéré devant la Cour suprême du Canada).

[332] L’intimée a fait valoir que la méthode fondée sur le PIB [traduction] « règle la question de savoir comment indemniser la bande indienne de Siska pour la perte des avantages liés à la consommation en appliquant le même taux de rendement à la valeur pécuniaire de toutes les occasions manquées par la Première Nation, qu’il s’agisse d’une occasion manquée d’épargner, d’investir ou de consommer » (MFDI, au para 364). Néanmoins, la valeur actuelle des pertes historiques obtenue par M. Johnson en appliquant un taux fondé sur le PIB, pour établir des multiplicateurs permettant d’ajuster les pertes historiques, est inférieure à celle obtenue par la pleine application d’intérêts composés au taux du compte en fiducie de la bande.

[333] M. Johnson explique avoir retenu la méthode d’ajustement fondée sur le PIB parce que la revendicatrice tirerait avantage d’un montant d’indemnisation qui reposerait en partie sur la valeur des dépenses de consommation à l’échelle de l’économie canadienne. Il semble donc que de calculer la part de l’indemnisation de la revendicatrice en fonction du PIB en se fondant sur les dépenses consommation soit considéré comme une méthode plus appropriée pour indemniser cette dernière pour les occasions manquées de louer les terres et de consommer et de faire le commerce du saumon au cours des dernières décennies que celle fondée sur le taux du compte en fiducie de la bande. En effet, les dépenses de consommation, de par leur nature, ne devraient pas être ajustées à la valeur actuelle d’une manière semblable aux sommes d’argent qui sont placées dans le but de réaliser un rendement.

[334] Dans l’affaire Beardy, le Canada faisait valoir qu’il ne convenait pas d’appliquer le plein intérêt composé du fait qu’une partie de l’intérêt annuel aurait été consommée. Cet argument a été rejeté parce que la revendicatrice n’a jamais pu utiliser l’argent. Un argument similaire a été avancé par le Canada dans l’affaire Southwind et a été rejeté par le juge Zinn. Le juge Zinn était d’avis que la consommation sacrifiée est une possibilité perdue qui doit faire l’objet d’une indemnisation. Dans son analyse de la position de l’un des experts qui, comme MM. Lazar et Prisman, avait adopté ce point de vue, le juge Zinn a conclu comme suit :

M. Hosios a attribué une valeur à la consommation, puisque même en l’absence de dépenses de consommation réelles, il y a eu perte de la possibilité de consommer. À mon avis, cette situation cadre plus étroitement avec la jurisprudence relative à l’indemnisation en equity. En particulier, elle cadre avec l’observation de la juge McLachlin dans l’arrêt Canson Enterprises à la page 556, à savoir que l’indemnisation en equity « tente de rendre au demandeur ce qu’il a perdu par suite du manquement, c’est-à-dire la possibilité qu’il a perdue » [non souligné dans l’original]. [Au para 486]

[335] La jurisprudence est claire : les pertes d’occasion de consommer sont susceptibles d’indemnisation, laquelle doit prendre la forme d’une indemnité pécuniaire.

5. Équité et égalité

[336] Quels que soient les avantages découlant d’un ajustement des pertes historiques fondé sur le PIB, il ne s’agit pas là d’une méthode qui est prévue par la LTRP ou qui cadre le mieux avec les principes d’equity. L’alinéa 20(1)h) de la LTRP prévoit que les pertes historiques doivent être ajustées à la valeur actuelle « conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires ».

[337] L’intimée n’a cité aucun précédent appuyant l’utilisation d’un multiplicateur fondé sur le PIB pour tenir compte de la valeur temporelle de l’argent dans l’octroi d’une indemnité. Bien que le Tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider de l’indemnité à octroyer, il se doit d’appliquer une méthode qui vise à rendre à la revendicatrice ce qu’elle a perdu de façon optimale, d’une manière compatible avec la jurisprudence, et ne devrait pas appliquer une méthode qui s’écarte du principe selon lequel, en equity, l’intérêt composé peut être attribué sur la valeur d’une perte historique.

[338] Il est clair que les intérêts composés peuvent faire partie de la réparation. Les motifs justifiant l’application d’intérêts composés à des sommes d’argent sont exposés aux paragraphes 108 à 113 de la décision Beardy :

Il est possible de recourir à l’intérêt composé afin de déterminer le montant de l’indemnité en equity à accorder, si cela s’avère nécessaire pour indemniser le bénéficiaire lésé. Cette utilisation de l’intérêt composé n’est pas tributaire, comme dans Whitefish, de l’existence d’éléments de preuve établissant que, eussent‑ils été reçus, les fonds dont le bénéficiaire a été privé (parce que non versés) auraient été conservés par la Couronne dans un compte portant intérêt.

Dans l’arrêt Banque d’Amérique du Canada c Société de Fiducie Mutuelle, 2002 CSC 43, [2002] 2 RCS 601 [Banque d’Amérique], la Cour suprême du Canada a formulé les remarques qui suivent au sujet de la valeur temporelle de l’argent, de l’intérêt simple et de l’intérêt composé dans le contexte d’une affaire relevant du domaine des contrats :

La valeur de l’argent diminue avec le temps. Un dollar vaut davantage aujourd’hui que demain. La dépréciation de l’argent est imputable à trois facteurs : (i) le coût de renonciation, (ii) le risque et (iii) l’inflation.

Le premier facteur, le coût de renonciation, correspond aux occasions manquées d’utiliser la somme dont on attend le versement. La valeur de la somme diminue à cause de l’impossibilité de l’utiliser. Le deuxième facteur, le risque, traduit l’incertitude inhérente au report de la possession de la somme. La possession d’une somme aujourd’hui est certaine, mais son versement ultérieur ne l’est pas. La somme dont on prévoit le versement ultérieur pourrait ne jamais être touchée. Le troisième facteur, l’inflation, reflète la fluctuation des prix. À cause de l’inflation, un dollar permet d’acheter plus de biens ou de services aujourd’hui que demain (G. H. Sorter, M. J. Ingberman et H. M. Maximon, Financial Accounting : An Events and Cash Flow Approach (1990), p. 14). La valeur temporelle de l’argent est un fait notoire et constitue l’une des pierres angulaires de tous les systèmes bancaires et financiers.

L’intérêt simple et l’intérêt composé traduisent chacun la valeur temporelle de la somme d’argent initiale, le capital. La différence entre les deux réside dans le fait que, contrairement à l’intérêt simple, l’intérêt composé tient compte de la valeur temporelle des versements d’intérêts. Comme dans l’exemple du dollar cité aux par. 21 et 22, l’intérêt exigible aujourd’hui, mais payé plus tard, voit sa valeur diminuer dans l’intervalle. L’intérêt composé indemnise le prêteur de la dépréciation de tout l’argent qui lui est dû et qui demeure impayé, l’intérêt en souffrance étant assimilé au capital dû.

L’intérêt simple crée une distinction artificielle entre la somme exigible à titre de capital et celle payable à titre d’intérêt. Dans le calcul de l’intérêt composé, chaque dollar est considéré comme un dollar; ce type d’intérêt traduit donc plus précisément la valeur de la possession d’une somme pendant une période donnée. L’intérêt composé est la norme dans les systèmes bancaires et financiers au Canada et dans le monde occidental, et tant l’appelante que l’intimée en exigent couramment le paiement. [Je souligne; Banque d’Amérique, aux para 21-24.]

Dans Banque d’Amérique du Canada, la Cour suprême s’est penchée sur la question des intérêts antérieurs au jugement. Elle a dressé un historique du pouvoir d’accorder des intérêts avant jugement, depuis ses origines en common law jusqu’à son inscription dans la loi, de telle manière à résoudre tout doute susceptible d’être soulevé quant à la possibilité, pour les tribunaux de l’Ontario, d’ordonner le paiement de tels intérêts. Au paragraphe 41, la Cour suprême a déclaré ce qui suit au sujet du droit à l’intérêt composé conféré par l’equity :

Les tribunaux ont reconnu que l’equity pouvait conférer un autre droit aux intérêts, y compris à l’intérêt composé, que celui expressément prévu aux art. 128 et 129 LTJ. (Voir Brock c. Cole (1983), 1983 CanLII 1952 (ON CA), 142 D.L.R. (3d) 461 (C.A. Ont.); Claiborne Industries Ltd. c. National Bank of Canada (1989), 1989 CanLII 183 (ON CA), 59 D.L.R. (4th) 533 (C.A. Ont.); Confederation Life Insurance Co. c. Shepherd (1996), 1996 CanLII 3206 (ON CA), 88 O.A.C. 398 (C.A.); Oceanic Exploration Co. c. Denison Mines Ltd., C. Ont. (Div. gén.), 8 mai 1998.) Il convient de signaler que dans Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), 1997 CanLII 361 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 581, par. 85, où notre Cour approuve Brock, précité, le juge Iacobucci insiste sur le fait que, selon l’equity, l’attribution d’intérêts composés est discrétionnaire. La simple inexécution de contrat n’exige pas de réprobation morale et elle ressortit habituellement à la common law, et non à l’equity. [Je souligne.]

D’autre part, l’attribution d’intérêts en tant que composante de l’indemnité en equity n’est pas fonction d’une loi. Ces intérêts font partie intégrante de l’indemnisation en equity, plutôt que de constituer un supplément, prévu par la loi, qui viendrait compléter des dommages‑intérêts accordés dans des affaires d’inexécution de contrat et de responsabilité délictuelle.

Dans les cas où une perte peut être mesurée en argent, qu’il s’agisse d’une somme connue ou du montant des dommages-intérêts accordés pour la perte, la logique qui préside à l’application des intérêts composés est la même, même si ceux-ci tirent leur origine de diverses sources du droit. C’est d’ailleurs cette logique qui est exposée dans l’arrêt Banque d’Amérique.

La revendicatrice a été privée d’argent. Il n’existe aucune raison apparente qui justifierait de distinguer l’espèce de l’arrêt Banque d’Amérique pour ce qui est de l’approche adoptée par la Cour suprême à l’égard du rajustement du montant de la perte, au motif qu’il s’agit, dans le cas présent, d’un recours fondé sur l’equity. De fait, les arguments avancés au soutien d’une application des intérêts composés dans le cadre de l’indemnisation en equity ont même encore davantage de solidité en l’espèce que dans une affaire contractuelle. L’equity permet la restitution, laquelle sert l’objectif de dissuasion.

[339] L’intimée a utilisé un taux fondé sur les statistiques relatives au PIB plutôt qu’un taux représentant le rendement d’un montant évalué à titre de perte – théoriquement un montant en capital – majoré des intérêts courus sur le principal. Un ajustement fondé sur le PIB ne repose pas sur l’accumulation d’intérêts.

[340] L’application d’un ajustement fondé sur le PIB pour actualiser les pertes historiques lorsqu’un manquement à une obligation de fiduciaire a causé des pertes à des communautés autochtones aurait pour effet de priver ces dernières d’une réparation possible, à savoir les intérêts courus sur les sommes qui sont dues par une partie à l’autre. En ce qui concerne plus précisément les circonstances liées à la consommation sacrifiée, l’application d’un ajustement fondé sur le PIB ne serait pas compatible avec la jurisprudence applicable en matière de manquements à des obligations de fiduciaire dans le contexte des relations Couronne-Autochtones, qui conclut que le taux du compte en fiducie de la bande est une méthode raisonnable pour déterminer la valeur actuelle, et ce, peu importe si l’on tient compte de la consommation sacrifiée ou des investissements dans les comptes en fiducie.

6. Taux d’intérêt

[341] Le Tribunal a octroyé des intérêts composés au taux du compte en fiducie de la bande dans les décisions Beardy et Mosquito. Dans Beardy, concernant le choix du taux du compte en fiducie de la bande, le Tribunal a expliqué que la Couronne avait, théoriquement, conservé l’argent des annuités payables aux membres de la bande revendicatrice. Dans Mosquito, le raisonnement était que le manque à gagner provenant de la location aurait été déposé – si l’argent avait été obtenu –dans le compte en fiducie de la bande où il aurait pu générer des intérêts composés au taux du compte en fiducie de la bande.

[342] Toutefois, dans la présente affaire, il n’existe aucun scénario dans lequel l’évaluation de l’indemnité à octroyer pour les pertes relatives aux pêches tiendrait compte de l’argent qui, n’eût été le manquement, aurait été déposé dans le compte de fiducie de la revendicatrice. La raison d’être de l’application d’intérêts composés n’est pas que le manque à gagner (ou toute autre perte pécuniaire) aurait été déposé dans le compte de fiducie de la revendicatrice. Cette raison d’être découle plutôt de la nature restitutoire de l’indemnisation en equity et de la nécessité que l’indemnité accordée à la revendicatrice pour ses pertes pécuniaires tienne compte de l’usage perdu et des délais.

[343] Le taux du compte en fiducie de la bande répond également à un autre critère que le juge Zinn a exposé dans la décision Southwind :

[…] l’analyse de l’indemnisation en equity dans les affaires comme celles‑ci ne doit pas et ne devrait pas être compliquée, longue ou coûteuse. Comme l’a précisé le juge Laskin au paragraphe 90 dans l’arrêt Whitefish : [traduction] « En equity, l’indemnisation est évaluée et non calculée » [non souligné dans l’original]. La décision repose donc sur l’évaluation et le jugement, car la Cour doit prendre en compte les éventualités réalistes (positives ou négatives) qui, à la suite d’une analyse rétrospective, peuvent être présentes et, ce faisant, modifier la méthode de calcul qui pourrait être utilisée. [Au para 465]

[344] Bien entendu, le taux d’intérêt ne doit pas nécessairement être celui du compte en fiducie de la bande. Tant l’application des intérêts composés que le choix du type de taux d’intérêt sont des décisions discrétionnaires. La proportionnalité de l’indemnisation et de la perte est un facteur, tout comme l’uniformité de la base sur laquelle repose l’évaluation de l’indemnisation pour les pertes découlant de manquements à des obligations de fiduciaire dans le contexte des relations Couronne-Autochtones, qui sont elles-mêmes de nature fiduciaire. Cette approche est conforme au préambule de la LTRP, qui prévoit notamment que « le règlement de ces revendications contribuera au rapprochement entre Sa Majesté et les Premières Nations et au développement et à l’autosuffisance de celles-ci », et que le Tribunal doit encourager le « règlement par la négociation des revendications bien fondées ».

7. Conclusion

[345] La valeur nominale des pertes historique qui font l’objet d’estimations périodiques déposées en preuve sera ajustée au taux du compte en fiducie de la bande, composé comme si l’argent avait alors été déposé dans le compte en fiducie administré par le ministère des Affaires Indiennes.

G. Pertes en bois d’œuvre

[346] Aucune des parties n’a présenté de preuve d’expert concernant les pertes en bois d’œuvre que la revendicatrice aurait subies. La revendicatrice a invité le Tribunal à octroyer une indemnité globale. L’intimée a convenu que le bois défriché sans contrepartie serait susceptible d’indemnisation si ce défrichage pouvait être prouvé. Cependant, elle a affirmé que la preuve était minime et que toute indemnité éventuelle devrait être évaluée à sa valeur nominale.

[347] La carte photographique aérienne de la RI no 7 montre une couverture forestière modérée dans les zones qui n’ont pas été défrichées.

[348] La construction de la voie ferrée aurait entraîné le défrichage d’arbres sur la totalité des terres visées par la revendication (89,51 acres). N’eut été la « prise » de ces 89,51 acres de terre, Siska aurait pu récolter le bois d’œuvre de qualité marchande pour le vendre ou l’utiliser pour le bien de la communauté.

[349] La valeur actuelle de la perte est évaluée à 100 000 $.

H. Déduction en vertu du paragraphe 20(3) de la LTRP

[350] L’intimée fait valoir que la valeur actuelle des paiements reçus pour la RI no 5 (1,60 $ en 1925) et la RI no 7 (89,60 $ en 1892) devrait être déduite de l’évaluation de l’indemnité globale. L’intimée soutient que la valeur actuelle devrait être déterminée de la même manière que l’indemnité pour perte d’usage accordée à la revendicatrice.

[351] La valeur actuelle des paiements reçus qui ont été portés au crédit de la revendicatrice en 1892 et en 1925 est de 81 400 $ (montant arrondi). L’indemnité sera réduite en conséquence.

XI. INDEMNITÉ

A. Évaluation globale selon les principes d’equity

[352] Les parties ont convenu qu’une évaluation globale serait appropriée dans les circonstances et que la preuve devrait servir à déterminer l’ampleur de l’indemnité. Compte tenu des difficultés qui ont été abordées relativement à la nature de l’évaluation, du cadre historique et des défis en matière de preuve, l’indemnité à accorder à la revendicatrice est évaluée globalement pour toutes les catégories, à l’exception de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps. L’évaluation est divisée en catégories pour mieux délimiter la portée de l’indemnité globale à la lumière des éléments de preuve présentés dans les témoignages et les rapports d’experts.

B. Estimations

  1. Valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre‑temps : 161 118 $

  2. Valeur actuelle de la perte d’usage des terres selon les estimations de M. Peebles : 710 000 $

  3. Répercussions de l’accès entravé aux sites de pêche sur les récoltes : 2 800 000 $

  4. Dommages aux sentiers et main d’œuvre pour dégager les sentiers : 700 000 $

  5. Pertes de bétail, fondées sur les valeurs nominales sur lesquelles les parties se sont entendues et la valeur actuelle déterminée par M. Schellenberg : 367 008 $

  6. Bois d’œuvre défriché : 100 000 $

  7. Déduction pour les paiements reçus pour la RI no 5 (1,60 $ en 1925) et la RI no 7 (89,60 $ en 1892) : 81 400 $

  8. Indemnité totale : 4 756 726 $

C. Ajustements

[353] La valeur à l’alinéa a) ci-dessus et les estimations aux alinéas b) et e) sont en date du 31 décembre 2019. Elles doivent être ajustées au taux du compte en fiducie de la bande à la date des motifs de la décision. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le(s) montant(s) ajusté(s), elles pourront demander au Tribunal de rendre une ordonnance.

HARRY SLADE

L’honorable Harry Slade

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20210409

Dossier : SCT-7002-14

OTTAWA (ONTARIO), le 9 avril 2021

En présence de l’honorable Harry Slade

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE SISKA

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice BANDE INDIENNE DE SISKA

Représentée par Me Darwin Hanna, Me Caroline Roberts et Me Kirk Gehl.

Callison & Hanna, avocats

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Me James Mackenzie et MJames Rendell

Ministère de la Justice

 

 


 

Annexe A : Rapports d’experts invoqués par les parties

 

Partie, numéro de pièce

(P-XX)

Expert

Type de rapport

Rapport

Revendicatrice, P‑20, audience d’octobre 2019

Rod Cook

Évaluation principale de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu être apportées entre‑temps, et de l’usage locatif des terres

RI Zacht no 5 et RI Nahamanak no 7 à proximité de Lytton, en Colombie‑Britannique, estimation de la valeur marchande actuelle et indemnité pour perte d’usage de 1885 à aujourd’hui, préparé le 15 décembre 2018

Revendicatrice, P‑21, audience d’octobre 2019

Rod Cook

Réponse à John Peebles, Pièces 22 et 31

Examen des rapports d’évaluation portant sur l’estimation de la valeur marchande actuelle et la perte d’usage dans l’emprise du CFCP traversant la RI Zacht n° 5 et la RI Nahamanak n° 7, préparé le 4 septembre 2019

Intimée, P-31 et recueil condensé de documents de l’intimée (P‑26), vol 1, onglet 2, audience d’octobre 2019

John Peebles

Évaluation principale de la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps

Valeur marchande actuelle, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, Bande indienne de Siska c SMRC, emprise – Chemin de fer Canadien Pacifique, RI Nahamanak n° 7 et RI Zacht n° 5, à proximité de Lytton (C.-B.), préparé le 25 janvier 2019

Intimée, P‑22 et recueil condensé de documents de l’intimée (P‑26), vol 1, onglet 3, audience d’octobre 2019

John Peebles

Évaluation principale de l’usage locatif des terres

Perte d’usage, Bande indienne de Siska c SMRC, revendication particulière par Siska – emprise – RI Nahamanak n° 7 et RI Zacht n° 5, à proximité de Lytton (C.‑B.), préparé le 30 janvier 2019.

*
page 99 corrigée par P-22a et page 114 corrigée par P-22b.

Intimée, P-32, recueil condensé de documents de l’intimée (P‑26), vol 1, onglet 4, audience d’octobre 2019

John Peebles

Réponse au rapport de Rod Cook sur la valeur marchande actuelle des terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps, et l’usage locatif des terres (P-20, audience d’octobre 2019).

Rapport en réponse, Rod Cook, AACI, P. App., revendication particulière de la bande indienne de Siska, prise de l’emprise par le CFCP, RI Nahamanak n° 7 et RI Zacht n° 5, à proximité de Lytton (C.-B.), estimation de la valeur marchande actuelle et indemnisation pour la perte d’usage de 1885 à aujourd’hui, date du rapport : 15 décembre 2018, préparé le 30 mai 2019

Intimée, P-25, recueil condensé de documents de l’intimée (P‑26), vol 1, onglet 1, audience d’octobre 2019

John Peebles

Partie 1 : évaluation principale de la valeur des terres au 14 juillet 1885

Partie 2 : réponse à l’évaluation de Rod Cook datée du 7 juillet 2015

Partie I – Évaluation relative à la RI no 5 et à la RI no 7 de Siska, revendication de la Première Nation de Siska SCT-7002-14, à proximité de Lytton (C.-B.) et partie II – Examen du rapport de consultation de MM. Kent et Macpherson concernant les RI no 5 et RI no 7 de Siska, préparé le 9 septembre 2015

Intimée, P-33, recueil condensé de documents de l’intimée (P‑26), vol 1, onglet 5, audience d’octobre 2019

John Peebles

Réponse à M. Cook (M. Cook, P-21, audience d’octobre 2019)

Rapports en réponse, Bande indienne de Siska c SMRC, revendication particulière de Siska – emprise ferroviaire – RI Nahamanak n° 7 et RI Zacht n° 5, à proximité de Lytton (C.‑B.), préparé le 30 septembre 2019

Intimée, P-38, recueil condensé de documents de l’intimée (P‑26), vol 2, onglet 7, audience d’octobre 2019

Christopher de Haan

Rapport d’arpentage

Première Nation de Siska – détermination de la superficie des terres du CFCP dans la réserve indienne Nahamanak no 7, préparé le 1er janvier 2019

Revendicatrice, P-1, onglet 1, audience de juillet 2020

Gordon Gislason

Rapport principal sur les pertes relatives aux pêches

Perte relative aux pêches de Siska attribuable à la ligne du CFCP, préparé le 4 septembre 2019

* révisé par la P-1, onglet 2

Revendicatrice, P-1, onglet 2, audience de juillet 2020

Gordon Gislason

Rapport principal révisé sur les pertes relatives aux pêches

Perte relative aux pêches de Siska attribuable à la ligne du CFCP, rapport d’expert révisé, préparé le 27 février 2020

Revendicatrice, P-1, onglet 11, audience de juillet 2020

 

Gordon Gislason

Réponse à M. Blewett (P-5, onglet 1)

Perte relative aux pêches de Siska attribuable à la ligne du CFCP, rapport de M. Gislason en réponse au rapport en réponse de M. Blewett daté du 24 janvier 2020, préparé le 30 mars 2020

Revendicatrice, P-1, onglet 20, audience de juillet 2020

Gordon Gislason

Réponse au rapport supplémentaire de M. Blewett (P‑5, onglet 2)

Perte relative aux pêches de Siska attribuable à la ligne du CFCP, deuxième rapport de M. Gislason en réponse au rapport supplémentaire de M. Blewett daté du 27 février 2020, préparé le 2 avril 2020

Intimée, P-5, onglet 1, audience de juillet 2020

Edwin Blewett

Réponse à Gordon Gislason

Perte relative aux pêches de Siska attribuable à la ligne du CFCP, rapport en réponse, préparé le 24 janvier 2020.

* révisé par la P-5, onglet 4, qui traite des pertes futures et de la valeur actuelle

Intimée, P-5, onglet 2, audience de juillet 2020

Edwin Blewett

Estimation par M. Blewett du nombre annuel de poissons récoltés, de la perte annuelle en utilisant des pourcentages au titre des pertes variant de 0 % à 10 %, et de la valeur actuelle de la perte à l’aide des multiplicateurs de M. Johnson

Perte relative aux pêches de Siska attribuable à la ligne du CFCP, rapport supplémentaire, préparé le 27 février 2020

Intimée, P-5, onglet 3, audience de juillet 2020

Edwin Blewett

Réponse à M. Gislason

Perte relative aux pêches de Siska attribuable à la ligne du CFCP, rapport en réponse au rapport en réponse de M. Gislason, préparé le 1er juillet 2020.

Intimée, P-5, onglet 4, audience de juillet 2020

Edwin Blewett

Réponse révisée au rapport révisé de M. Gislason du 27 février 2020 (M. Gislason, P‑1, onglet 2), y compris les pertes futures

Perte relative aux pêches de Siska attribuable à la ligne du CFCP, rapport en réponse révisé, préparé le 2 juillet 2020

Revendicatrice, P-1, onglet 35, audience de juillet 2020

Scott Schellenberg

Rapport principal sur la valeur actuelle

Bande indienne de Siska c. SMRC – valeur actuelle des pertes historiques, préparé le 25 mars 2020

Revendicatrice, P-1, onglet 42, audience de juillet 2020

Scott Schellenberg

Réponse à M. Johnson (P-7, onglet 1)

Bande indienne de Siska c. SMRC – valeur actuelle des pertes historiques, rapport en réponse de Scott Schellenberg, préparé le 29 mars 2020

Revendicatrice, P-1, onglet 44, audience de juillet 2020

Scott Schellenberg

Réponse à M. Johnson (P-7, onglet 2)

Bande indienne de Siska c. SMRC – valeur actuelle des pertes historiques, rapport en réponse de Scott Schellenberg, préparé le 30 avril 2020

Intimée, P-7, onglet 1, audience de juillet 2020

Howard Johnson

Rapport principal sur la valeur actuelle

Bande indienne de Siska c. SMR (du chef du Canada) SCT-7002-14, modèle proposé pour établir la valeur des pertes pécuniaires historiques au 1er février 2018, préparé le 6 mars 2020

Intimée, P-7, onglet 2, audience de juillet 2020

Howard Johnson

Réponse à M. Schellenberg (P‑1, onglet 35, audience de juillet 2020) et réponse à M. Schellenberg (P-1, onglet 42, audience de juillet 2020).

Bande indienne de Siska c. SMR (du chef du Canada) SCT-7002-14, rapport en réponse, préparé le 14 avril 2020

 

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