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DOSSIER : SCT-7001-17

RÉFÉRENCE : 2022 TRPC 1

DATE : 20220211

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

KWAKIUTL

Revendicatrice

 

Me Christopher Devlin, MTanner Doerges et MKajia Eidse-Rempel, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

 

Me James Mackenzie, Me Deborah McIntosh et Me Chase Blair, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE: Du 24 au 27 novembre 2020, du 30 novembre au 3 décembre 2020 et du 16 au 18 février 2021

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable William Grist


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, 177 DLR (4th) 513; Conseil de bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54, [2002] 2 RCS 816; Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien), 2018 CSC 4, [2018] 1 RCS 83; Chartrand v British Columbia (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2015 BCCA 345, 77 BCLR (5th) 26; Kwakiutl First Nation v British Columbia (District Manager, North Island Central Coast Forest District), 2013 BCSC 1068, [2014] 4 WWR 150; Komoyue Heritage Society v British Columbia (AG), 2006 BCSC 1517, 2006 CarswellBC 2514; R v Hunt, [1995] 3 CNLR 135, 1995 CarswellBC 2508 (Cour provinciale de la C.-B.); R v White, 50 DLR (2d) 613, 1964 CarswellBC 212; R v Bartleman (1984), 12 DLR (4th) 73, 55 BCLR 78; R c Morris, 2006 CSC 59, [2006] 2 RCS 915.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14.

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, app II, n10, art 13.

Doctrine cité :

The Concise Oxford Dictionary of Current English, 8e éd., « village ».

Robert Galois, Kwakwaka’wakw colonies, 1775-1920 : A Geographical Analysis and Gazetteer (Vancouver, UBC Press, 1994).

Franz Boas, The Kwakiutl of Vancouver Island (Leiden & New York : E. J. Brill et G. E. Strechert & Co, 1909).

Franz Boas, Geographical Names of the Kwakiutl Indians (New York : AMS Press, 1969).

Sommaire :

Droit des Autochtones — Revendication particulière — Interprétation des traités — Obligation de fiduciaire

Suquash est un emplacement situé sur la côte nord-est de l’île de Vancouver, là où les prédécesseurs de la revendicatrice, Kwakiutl (Première Nation Kwakiutl), produisaient du charbon dans le but de faire des échanges commerciaux avec la Compagnie de la Baie d’Hudson (« CBH » ou la « Compagnie »). La revendicatrice soutient que, aux termes des deux traités du fort Rupert de 1851 (les « traités »), Suquash aurait dû être réservé à son usage.

D’après les traités du fort Rupert, les Premières Nations Kwagulth et Kweeha, prédécesseures de la Première Nation Kwakiutl, ont renoncé, en faveur de la CBH, au contrôle des terres s’étendant sur 37 kilomètres le long de la rive nord-est de l’île de Vancouver, et s’étendant du sud-est de la baie Hardy (maintenant Port Hardy, en Colombie-Britannique) jusqu’au havre de McNeill (maintenant Port McNeill, en Colombie-Britannique).

La Première Nation Kwakiutl prétend que l’intimée (le « Canada ») a manqué à ses obligations légales après la signature des traités, ce qui a entraîné la perte de Suquash, un lieu situé à 13 kilomètres au sud de l’ancien fort de la CBH, le fort Rupert.

La principale question en litige consiste à savoir si, en 1851, lors de la signature des traités, les parties voulaient que Suquash soit visé par l’expression « l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent ».

La revendicatrice soutient que les parties aux traités avaient l’intention de réserver les terres de Suquash pour [traduction] « l’utilisation et l’occupation continues et exclusives » des Premières Nations Kwagulth et Kweeha (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 110).

Le Canada affirme que Suquash n’était ni un village ni un pré enclos et que, par conséquent, les terres de Suquash n’étaient pas exclues des terres transférées à la Compagnie en vertu des traités. Selon le Canada, les parties voulaient que les traités aient pour effet de transférer les terres de Suquash à la Compagnie en même temps que les terres houillères.

Le Tribunal a conclu que la revendicatrice n’avait pas réussi à établir que, par l’expression « l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent » qui figure dans les traités du fort Rupert, les parties aux traités avaient comme intention commune d’exclure Suquash du transfert. Elles avaient donc l’intention commune d’inclure cet emplacement dans le transfert.

La CBH a construit le fort Rupert en 1849 et 1850, et ce, pour deux raisons : (1) mettre la main sur les gisements houillers dont lui avaient parlé des commerçants autochtones en 1835, et (2) poursuivre la traite des fourrures avec les Premières Nations de la région.

Il n’existe pas de documents historiques concernant les discussions qui ont mené aux traités.

La jurisprudence reconnaît clairement que les accords mentionnés par les parties, tels que les traités du fort Rupert, sont effectivement des traités autochtones, et qu’ils doivent être interprétés conformément à la jurisprudence applicable à l’interprétation des traités autochtones (R v White, 50 DLR (2d) 613, 1964 CarswellBC 212; R v Bartleman (1984), 12 DLR (4th) 73, 55 BCLR 78; R c Morris, 2006 CSC 59, [2006] 2 RCS 915).

Au paragraphe 14 de l’arrêt R c. Marshall, [1999] 3 RCS 456, 177 DLR (4th) 513, la Cour suprême du Canada a souligné que le tribunal qui interprète un traité « doit tenir compte du contexte dans lequel les traités ont été négociés, conclus et couchés par écrit » (souligné dans l’original). De plus, le tribunal doit « choisir, parmi les interprétations de l’intention commune [...] celle qui concilie le mieux » les intérêts de la Première Nation et ceux de la Couronne (souligné dans l’original).

Aux termes des traités, l’« emplacement [des] villages et les prés qu’ils enclosent » devaient « reste[r] » à l’usage des Premières Nations. La revendicatrice a fait valoir que, à la signature des traités du fort Rupert en 1851, [traduction] « il est fort probable que les deux parties aient compris que les termes “l’emplacement [des] villages et les prés qu’ils enclosent” » devaient « reste[r] » à l’usage des Premières Nations signifiaient que les « tribus des Kwakiutl pouvaient continuer à utiliser et à occuper Suquash de façon exclusive » (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 110).

Au milieu des années 1800, les Premières Nations de la région n’occupaient pas continuellement leurs villages. Selon la preuve d’expert, les Kwagulth et les Kweeha suivaient un cycle saisonnier, c’est-à-dire que, chaque année, ils se déplaçaient d’un village à un autre afin de récolter les ressources qui s’y trouvaient en abondance, selon les saisons, comme l’eulakane au printemps et le saumon en été et en automne. La construction du fort Rupert a débuté en mai 1849. Les Premières Nations, y compris Kwagulth et Kweeha, ont déplacé leurs villages d’hiver près du fort où, pendant environ cinq mois, en 1849 et 1850, elles ont produit du charbon afin de faire des échanges commerciaux avec la CBH.

Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune trace des structures que les Premières Nations du fort Rupert auraient construites et utilisées en vue d’aménager des habitations saisonnières à Suquash – lesquelles pourraient indiquer la présence d’un village – que ce soit pendant qu’elles y récoltaient leurs ressources traditionnelles, ou pendant qu’elles y extrayaient du charbon. Suquash se trouvait à 13 kilomètres au sud du fort Rupert. À en croire certaines entrées du journal du fort Rupert de 1849, des membres des Premières Nations se rendaient à Suquash en canot, puis retournaient au fort avec le charbon.

Il n’existe aucune preuve archéologique de l’occupation des Kwagulth ou des Kweeha à Suquash. La doctrine portant sur les Premières Nations de la région ne reconnaît pas non plus Suquash comme un village. Par ailleurs, ce n’est pas sans aide que ces dernières ont extrait le charbon de Suquash après la signature des traités. En fait, c’est la CBH qui a alors effectué les travaux à cet endroit afin de poursuivre activement les efforts d’exploitation commerciale du gisement de charbon dont elle avait obtenu le contrôle grâce aux traités.

Avant la négociation des traités, la CBH avait reconnu que les Premières Nations revendiquaient avec conviction la propriété et le contrôle des terres. Les Premières Nations du fort Rupert ne se laissaient pas intimider ou écraser dans leurs relations avec les représentants de la CBH, largement supérieurs en nombre, qui se trouvaient au fort, et la CBH était bien consciente que le commerce avec les Premières Nations passait nécessairement par la coopération et les bonnes relations. La prise de contrôle de l’emplacement après la signature des traités est une preuve convaincante que ceux‑ci ont eu pour effet de modifier la façon dont les parties signataires percevaient Suquash, ce qui est incompatible avec le fait que Suquash doive être exclu du transfert.

TABLE DES MATIÈRES

I. HISTORIQUE PROCÉDURAL DE LA REVENDICATION 8

II. REVENDICATION 9

III. DIFFICULTÉ LIÉE À L’UTILISATION DE NOMBREUX SYNONYMES 10

IV. INTRODUCTION 10

V. CONTEXTE 12

A. Premières Nations de langue kwakwala 13

B. Compagnie de la Baie d’Hudson 15

C. Fort Rupert 16

D. Début de la production de charbon au fort Rupert 24

E. Traités de Victoria de 1850 29

F. Signature des traités du fort Rupert de 1851 32

G. Histoire après les traités 33

VI. TÉMOIGNAGE EN PERSONNE DE DEUX MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION KWAKIUTL 35

A. Ross Hunt Jr. 35

B. Wata : Christine Mary Twance 36

VII. COMMENT INTERPRÉTER L’EXPRESSION « L’EMPLACEMENT DE NOS VILLAGES ET LES PRÉS QU’ILS ENCLOSENT »? 37

A. Interprétation des traités 37

VIII. Revendications fondÉes sur la LOI SUR LE TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES 39

IX. POSITIONS DES PARTIES 40

A. La position de la revendicatrice 40

B. La position de l’intimée 41

X. CRÉATION D’UNE RÉSERVE 42

XI. RECONNAISSANCE JUDICIAIRE DES TRAITÉS DE DOUGLAS 44

XII. ANALYSE 47

XIII. EST-CE QUE SUQUASH ÉTAIT UN VILLAGE AVANT 1849? — LES PREUVES ETHNOGRAPHIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES 52

XIV. SUQUASH ÉTAIT-IL UN EMPLACEMENT OCCUPÉ PENDANT LA PRODUCTION DE CHARBON PAR LES KWAKIUTL? 55

XV. SUQUASH ÉTAIT-IL UN VILLAGE PENDANT LA PRODUCTION DE CHARBON DE 1849-1850? 59

XVI. FIN DE LA PRODUCTION DE CHARBON PAR LES PREMIÈRES NATIONS À SUQUASH 61

XVII. CONDUITE DES PARTIES APRÈS LA SIGNATURE DU TRAITÉ 65

XVIII. CRÉATION DE LA RÉSERVE AU FORT RUPERT 68

XIX. CRÉATION DES RÉSERVES APRÈS LA CONFÉDÉRATION 70

XX. ANALYSE 73

XXI. CONCLUSION 78


 

I. HISTORIQUE PROCÉDURAL DE LA REVENDICATION

[1] Le ou vers le 29 février 2012, Kwakiutl (la « Première Nation Kwakiutl » ou la « revendicatrice ») a déposé une revendication auprès du ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord, dans laquelle elle alléguait que [traduction] « la Couronne avait violé les traités du fort Rupert de 1851 […] en ne mettant pas de côté à titre de réserve le village de Suquash […], là où se trouvait une mine de charbon exploitée par Kwakiutl » (déclaration de revendication réamendée (troisième amendement), au para 3).

[2] Dans une lettre datée du 2 février 2015, le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord a avisé Kwakiutl de son refus de négocier le règlement de la revendication.

[3] Le 9 août 2017, Kwakiutl a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal des revendications particulières (le « Tribunal »).

[4] Le 6 octobre 2017, l’intimée (la « Couronne » ou le « Canada ») a déposé auprès du Tribunal une réponse à la déclaration de revendication.

[5] Le 5 mars 2018, le Tribunal a avisé la province de la Colombie-Britannique, conformément à l’article 22 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 (la « Loi »), qu’une décision sur certaines questions soulevées dans la présente revendication pouvait avoir des répercussions importantes sur ses intérêts.

[6] Le 9 mars 2018, Kwakiutl a déposé une déclaration de revendication amendée auprès du Tribunal.

[7] Dans une lettre datée du 14 mars 2018, le Tribunal a été avisé que le procureur général de la Colombie-Britannique ne comparaîtrait pas.

[8] Le 10 avril 2018, l’intimée a déposé auprès du Tribunal une réponse amendée.

[9] Le 26 septembre 2018, le Tribunal a rendu une ordonnance par laquelle il a scindé l’instruction de la présente revendication en deux étapes distinctes : celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation.

[10] Le 26 février 2019, Kwakiutl a déposé une déclaration de revendication réamendée auprès du Tribunal.

[11] Le 28 mars 2019, l’intimée a produit une réponse réamendée auprès du Tribunal.

[12] Le 27 mai 2020, Kwakiutl a déposé une déclaration de revendication réamendée (troisième amendement) auprès du Tribunal.

[13] Le 12 juin 2020, l’intimée a déposé une réponse réamendée (troisième amendement) auprès du Tribunal.

[14] Le 20 octobre 2020, le Tribunal a entendu par téléconférence une demande présentée par la revendicatrice sur deux questions de procédure.

[15] Le 30 octobre 2020, le Tribunal a exposé ses motifs de vive voix et rendu une ordonnance relativement à la demande.

[16] Du 24 novembre au 3 décembre 2020, le Tribunal a tenu une audience virtuelle afin d’entendre la preuve par histoire orale et la preuve d’experts, toutes deux relatives au bien‑fondé.

[17] Du 16 au 18 février 2021, le Tribunal a tenu une audience virtuelle pour entendre les observations orales sur le bien‑fondé.

II. REVENDICATION

[18] La revendicatrice invoque les alinéas 14(1)c) et d) de la Loi et, à titre subsidiaire, l’alinéa 14(1)a) au soutien de ses revendications.

[19] Dans ses revendications fondées sur l’alinéa 14(1)c), la revendicatrice fait valoir que la Couronne a manqué à ses obligations légales découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres de réserve, notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale. Plus précisément, la Couronne a manqué à l’obligation légale qu’elle avait de faire arpenter les terres de Suquash, qui devaient — selon la revendicatrice — [traduction] « reste[r] » (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 139) à l’usage des prédécesseurs de Kwakiutl, donc échapper au transfert des terres cédées en vertu des traités du fort Rupert.

[20] Dans sa revendication fondée sur l’alinéa 14(1)d), la revendicatrice soutient que la Couronne n’a pas empêché l’aliénation des terres de Suquash en ne contestant pas les concessions de terres provinciales qui ont suivi et en ne rachetant pas Suquash pour corriger la situation lorsque l’occasion s’est présentée. Elle prétend que ces manquements sont des manquements à une obligation légale découlant de la disposition illégale par la Couronne de terres de réserve.

[21] Dans la revendication subsidiaire, fondée sur l’alinéa 14(1)a), il est précisé que, si Suquash n’a pas été réservé de plein droit à la signature des traités du fort Rupert, le fait de ne pas avoir ensuite arpenté et mis de côté les terres de Suquash constituait une violation de l’obligation légale qu’avait la Couronne de fournir des terres (emplacement des villages et prés qu’ils enclosent) en vertu desdits traités.

III. DIFFICULTÉ LIÉE À L’UTILISATION DE NOMBREUX SYNONYMES

[22] Les documents soumis au Tribunal renvoient de plusieurs façons différentes aux peuples des Premières Nations et aux lieux qui leur sont associés, et ce sous différentes graphies qui supposent parfois des prononciations différentes. Dans les présents motifs, j’ai tenté de faire preuve d’uniformité en utilisant ce que je considère être des noms appropriés, lesquels ont été choisis parmi leurs nombreuses variantes, et je les ai substitués aux noms originaux dans les extraits cités. Les noms ainsi substitués sont indiqués entre crochets.

IV. INTRODUCTION

[23] La Première Nation Kwakiutl a succédé à deux Premières Nations, les Kwagulth et les Kweeha, qui étaient parties aux traités du fort Rupert (les « traités »), conclus en février 1851, par lesquels elles ont renoncé, en faveur de la Compagnie de la Baie d’Hudson (la « CBH » ou la « Compagnie ») au contrôle des terres situées le long de la rive nord-est de l’île de Vancouver, soit environ 37 kilomètres de terres riveraines s’étendant du sud-est de la baie Hardy (maintenant Port Hardy, en Colombie-Britannique) jusqu’au havre de McNeill (maintenant Port McNeill, en Colombie-Britannique).

[24] La carte ci-dessous montre où sont situés Port Hardy et Port McNeill (recueil condensé de documents de la revendicatrice (le « RCD de la revendicatrice »), vol 1, onglet 2) :

Carte de Port Hardy et Port McNeill versée au recueil condensé de documents de la revendicatrice, vol 1, onglet 2.

[25] La Première Nation Kwakiutl prétend que le Canada a manqué à ses obligations légales après la conclusion des traités, ce qui s’est traduit par la perte des terres de Suquash dont elle dit qu’elles étaient exclues du transfert. Suquash est situé à 13 kilomètres au sud de ce qui était alors le fort de la CBH, fort Rupert, là où les deux Premières Nations signataires produisaient du charbon à partir d’un dépôt de surface situé à l’embouchure du ruisseau Suquash.

[26] Selon la revendicatrice :

  1. le passage des traités du fort Rupert, selon lequel « l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent » sont exclus du transfert (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 89, aux pp 1220, 1224 de la version PDF) devrait être interprété comme s’il incluait Suquash;

  2. l’intention des parties aux traités était d’exclure Suquash du transfert en tant qu’emplacement devant rester à l’utilisation et à l’occupation continues et exclusives des Kwagulth et des Kweeha (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, aux para 3, 110);

  3. le fait que les terres transférées à la CBH en vertu des traités n’aient pas été arpentées et mises de côté a eu pour conséquence qu’il n’a pas été reconnu que Suquash avait été attribué aux Premières Nations signataires des traités et qu’il n’a pas été inclus dans les réserves qui ont finalement été attribuées en vertu de la Loi sur les Indiens.

[27] Le Canada admet que la CBH servait d’intermédiaire à l’exercice du pouvoir de la Couronne sur l’île de Vancouver à l’époque des traités du fort Rupert, que la Première Nation revendicatrice est le successeur contemporain des Premières Nations signataires des traités et que ces dernières ont obtenu l’assurance que « l’emplacement de [leurs] villages et les prés qu’ils enclosent reste[raient] à [leur] usage [...] et [que] le terrain [serait] strictement arpenté dès la vente effectuée ». Le Canada soutient toutefois que Suquash ne constituait pas un tel emplacement et que le texte des traités ne devrait pas être interprété de manière à exclure Suquash du transfert. Il précise que l’intention des parties aux traités était que ceux‑ci aient pour effet de transférer à la CBH la région qui y était visée, et en particulier Suquash, que la Compagnie convoitait pour ses gisements de charbon.

V. CONTEXTE

[28] D’après les données ethnographiques et historiques les plus anciennes présentées lors des audiences, le territoire utilisé par les Premières Nations parties aux traités, les Kwagulth et les Kweeha, au cours de la première moitié du XIXe siècle, s’étendait le long de la côte de l’île de Vancouver vers le sud-est de la baie Beaver, soit le futur emplacement du fort Rupert (le « fort »), jusqu’à la rivière Nimpkish, un village et un site de pêche également utilisé par les Nimpkish, et au nord-ouest du fort Rupert vers les zones occupées par les Nahwitti dont le village se trouvait à la baie Shushartie, 43 kilomètres au nord-ouest. Cette partie du littoral située au nord-est de l’île de Vancouver comprenait l’emplacement de Suquash, un village et une zone de pêche au saumon productive à l’embouchure de la rivière Cluxewe, à quatre kilomètres au sud de Suquash. Elle borde le détroit Queen Charlotte, qui s’étend vers le sud-est jusqu’à la partie supérieure de l’île Discovery et vers l’est jusqu’aux îles et aux bras de mer situés le long de la côte continentale.

[29] Avant la construction du fort Rupert, les deux Premières Nations avaient des villages d’hiver sur l’île Turnour ou près de celle-ci. Ces villages se trouvaient du côté continent du détroit Queen Charlotte. Les villages d’hiver étaient des lieux d’importance construits par les Premières Nations. Ils étaient composés de grandes maisons soutenues par des montants et des traverses en bois. Des planches de cèdre fendu étaient attachées à la charpente pour former le toit et les murs de la structure. Ces grandes maisons abritaient souvent de nombreuses de familles, et peut-être de 25 à 50 personnes. Pour se déplacer, les Premières Nations utilisaient de grands canots en bois de cèdre dont certains mesuraient jusqu’à 50 pieds. Ces canots permettaient aux gens de parcourir des distances considérables et, chaque année, ils servaient à transporter la plupart des occupants des villages d’hiver vers les endroits où se trouvaient les ressources. Parmi les endroits privilégiés figuraient les sites de fraie de l’eulakane, qui est un petit poisson dont on extrait l’huile au début du printemps. Plus tard au cours de l’été et de l’automne, les gens se déplaçaient dans les secteurs de pêche au saumon où ils installaient des habitations. Ils transportaient des planches de cèdre provenant de leurs maisons d’hiver pour les fixer aux structures en place. Il ressort de la preuve se rapportant à ces déplacements annuels que les gens pouvaient dans certains cas parcourir plus de 400 kilomètres.

[30] Les villages d’hiver de l’île Turnour semblent avoir succédé aux villages d’hiver situés sur la côte nord-est de l’île de Vancouver. Selon de très anciens documents espagnols et britanniques, il y avait un très grand village d’hiver à l’embouchure de la rivière Cluxewe, lequel était probablement occupé par les prédécesseurs de ceux qui ont déménagé dans la région du fort Rupert lors de la construction du fort de la CBH.

A. Premières Nations de langue kwakwala

[31] Les données ethnographiques et historiques révèlent que les Premières Nations qui parlaient différents dialectes du kwakwala (les Kwakwaka’wakw) occupaient une région qui s’étendait sur le continent, vers le nord jusqu’à Bella Bella, vers l’ouest jusqu’à la côte nord-ouest de l’île de Vancouver et vers l’est et le sud de manière à englober le détroit Queen Charlotte et les voies navigables, les îles et les bras de mer de l’île Discovery et du continent, jusqu’à l’extrémité sud de l’île Quadra, près de l’actuelle ville de Campbell River, en Colombie-Britannique. Selon les preuves archéologiques, les secteurs bordant le détroit Queen Charlotte sont occupés depuis plusieurs milliers d’années. La région abondait en ressources marines et il se pourrait que ses habitants aient dépassé le nombre de 5 000 au cours des dernières décennies du XVIIIsiècle. Les Kwakwaka’wakw étaient composés de nombreuses Premières Nations et, d’après les données ethnographiques et historiques recueillies sur ce groupe linguistique au cours du XIXe siècle, les populations ont connu une baisse dramatique à cause non seulement des épidémies, mais aussi des conflits qui ont éclaté entre certains groupes qui possédaient maintenant des armes à feu. Ils ont également vu leur ordre social chamboulé par les conséquences de ces événements sur leur mode de vie.

[32] Les sociétés Kwakwaka’wakw étaient organisées en fonction d’un groupe social appelé « numaym » dans la littérature, c’est-à-dire une famille et d’autres personnes apparentées dont la lignée remonte à des ancêtres communs. Les numayms jouissaient d’un statut et de privilèges et exerçaient des droits de propriété sur les villages ainsi que sur les sites de ressources. Un certain nombre de numayms pouvaient occuper un village d’hiver et leur association offrait une plus grande sécurité et un soutien politique et économique. Ces grands regroupements étaient décrits comme des « tribus », ou comme c’est plus souvent le cas maintenant, comme des « Premières Nations », et ils pouvaient à leur tour partager des villages d’hiver ou des sites de ressources avec d’autres personnes parlant le kwakwala.

[33] Les premiers allochtones à fouler la côte nord-ouest, y compris le territoire actuel de l’Alaska, ont été des explorateurs russes, espagnols et britanniques du milieu à la fin du XVIIIe siècle. Presque en même temps, et peut-être même avant, des navires de commerce ont commencé à sillonner la côte nord-ouest. Les marchands cherchaient à tirer profit du riche commerce des peaux de loutre de mer, qu’ils achetaient des Premières Nations et qu’ils transportaient et vendaient souvent à des acheteurs chinois. Ce commerce s’est poursuivi pendant les dernières décennies du XVIIIe siècle et au cours du XIXe siècle, jusqu’à ce que la loutre de mer soit presque entièrement disparue. Les Kwakwaka’wakw ont participé à ce commerce et à d’autres échanges commerciaux, et plusieurs sources en parlent comme des commerçants expérimentés dès les premiers échanges.

B. Compagnie de la Baie d’Hudson

[34] La CBH a commencé à exercer ses activités le long de la côte nord‑ouest de l’Amérique du Nord à la suite de sa fusion avec la Compagnie concurrente du Nord-Ouest, en 1821. Elle cherchait à faire la traite des fourrures et à développer d’autres intérêts commerciaux. La Compagnie a établi un certain nombre de forts entre la rivière Columbia (le fort Vancouver) et la rivière Nass (le fort Simpson). En 1846, le traité Oregon a mis fin au conflit entre la Grande‑Bretagne et les États-Unis qui revendiquaient la souveraineté sur le territoire de la côte nord-ouest, et la Compagnie a déplacé son centre d’opérations du fort Vancouver au fort Victoria, dont la construction avait commencé en 1843 à l’extrémité sud de l’île de Vancouver.

[35] Le 13 juin 1849, la Grande-Bretagne a fait de l’île de Vancouver (l’« île ») une colonie (la « colonie »). Toute l’île a alors été concédée à la CBH afin que celle‑ci puisse promouvoir l’établissement des colons et disposer des terres [traduction] « selon ce qui peut être nécessaire aux fins de la colonisation » (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 27). Conformément aux modalités convenues entre la Couronne et la Compagnie, cette dernière a conservé la licence qui lui avait été accordée pour faire du commerce avec les Premières Nations et est devenue responsable du système d’attribution des terres aux colons. La tâche de gouverner l’île devait continuer de relever de la Couronne, mais à l’époque, peu d’allochtones vivaient dans la colonie à long terme, à part ceux qui avaient des liens avec la CBH.

[36] Le 9 juillet 1849, Richard Blanshard a été nommé gouverneur de la colonie. Après sa démission en 1851, James Douglas, facteur en chef de la CBH à Victoria, qui comptait de nombreuses années de service au sein de la Compagnie dans le Nord-Ouest, est devenu gouverneur de la colonie. De sa nomination jusqu’en 1858, il a cumulé les fonctions de facteur en chef de la CBH et de gouverneur de la colonie. En 1858, il a quitté son poste au sein de la Compagnie, mais il a conservé celui de gouverneur de la colonie de l’île de Vancouver jusqu’à ce que celle-ci soit rattachée au continent, en 1862, pour devenir la colonie de la Colombie-Britannique. Il est resté gouverneur de la plus grande colonie de la Colombie-Britannique jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite en 1864.

[37] La CBH a renoncé à son titre sur l’île de Vancouver lorsque la Couronne a décidé de ne pas prolonger la concession de l’île au-delà de 1859.

[38] Dans un document d’information du bureau colonial sur la création de la colonie et la concession de l’île à la CBH, on peut lire ceci :

[traduction] La concession est assortie d’une condition : la colonisation de l’île. À cette fin, la Compagnie est tenue de disposer des terres en question à un prix raisonnable, et de consacrer toutes les sommes qu’elle peut recevoir en contrepartie de terres ou de minéraux (après une déduction d’au plus 10 pour cent de profit) à la colonisation de l’île [...] [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 28].

[39] Le passage, [traduction] « les sommes qu’elle peut recevoir en contrepartie [...] de minéraux », renvoie vraisemblablement au fait que la Compagnie pouvait exiger une redevance à ceux qui auraient voulu se lancer dans l’exploitation minière sur l’île.

[40] Il est également écrit ce qui suit dans le document :

[traduction] En ce qui concerne les Indiens, il a été convenu qu’il était préférable de ne pas prévoir de disposition à leur sujet dans l’acte de concession.

[…]

[…] Sa Majesté ne cède que son propre droit, et l’obligation qu’elle a de prendre les mesures nécessaires pour éteindre le titre indien incombe tout autant à la Compagnie.

C. Fort Rupert

[41] La Compagnie a construit le fort Rupert en 1849 et 1850, et ce, pour deux raisons :

  1. mettre la main sur le charbon susceptible de se trouver le long de la côte, de la baie Hardy au havre de McNeill, soit sur une distance d’environ 37 kilomètres. Cette portion de la côte comprenait l’emplacement du fort Rupert, à 10 kilomètres au sud‑est de la baie Hardy, et Suquash, à environ 13 kilomètresau sud-est de l’endroit choisi pour le fort Rupert;

  2. poursuivre la traite des fourrures avec les Premières Nations établies sur la côte nord‑ouest de l’île de Vancouver et dans la région du détroit Queen Charlotte, entre l’île et le continent.

[42] C’est en 1835 que la Compagnie a appris qu’il y avait du charbon à Suquash grâce à des commerçants des Premières Nations de la région qui avaient séjourné au fort McLoughlin, situé à une certaine distance au nord, à Bella Bella. De 1836 à 1846, la qualité du charbon a été analysée, mais peu de mesures ont été prises pour exploiter la source. En 1836, Duncan Finlayson, facteur en chef de la Compagnie, a voyagé à bord du Beaver, le premier bateau à vapeur à aubes de bois à naviguer sur la côte, pour parcourir la région du charbon qu’il a plus tard décrite ainsi :

[traduction] La mine semble s’étendre le long de la plage sur une certaine distance et, là où la mer frappe la berge, nous avons pu apercevoir un dépôt considérable de grès […] Nous avons suivi le ruisseau qui emportait le grès sur une distance de trois quarts de mille, et nous avons découvert que son lit était entièrement constitué de charbon [...] il y avait un village très peuplé d’Indiens [Kwagulth], composé de 50 à 60 maisons, à moins de 2,5 milles de là [...] [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 37, à la p 331 de la version PDF].

[43] Le village très peuplé dont il parle a été identifié par M. Robert M. Galois, géographe historique, comme étant Cluxewe. Selon M. Galois, les Kwagulth et les Kweeha avaient des villages à l’embouchure de la rivière Cluxewe, et le ruisseau en question était probablement le ruisseau Suquash.

[44] J’ai indiqué les emplacements approximatifs de Suquash et de Cluxewe sur la carte de la région qui figure ci-dessous et qui a été versée au RCD de la revendicatrice (vol 10, onglet 12, à la p 83 de la version PDF) :

Emplacements approximatifs de Suquash et de Cluxewe sur la carte qui figure dans le RCD de la revendicatrice (vol 10, onglet 12, à la p 83 de la version PDF).

[45] Peu avant la visite de Duncan Finlayson, négociant pour la CBH, en 1836, la CBH avait acquis du charbon auprès des Premières Nations à l’endroit qu’elle avait appelé [traduction] « la mine de charbon » lors du premier passage du Beaver dans la région. Ce charbon provenait de la zone intertidale du havre de McNeill. Le village de Cluxewe était situé à huit kilomètres au nord‑ouest du havre, et Suquash, à quatre kilomètres au nord-ouest de Cluxewe. Ainsi, la [traduction] « mine de charbon » semblait s’étendre sur plusieurs kilomètres, et le gisement de charbon se trouvait au nord de la zone intertidale, à Suquash. Le Beaver a de nouveau transporté du charbon en 1838. Seize tonnes ont été achetées des Premières Nations. On a jugé que le charbon était bon [traduction] « pour le bateau à vapeur et le travail du forgeron » (recueil condensé de documents de M. Theodore Binnema (le « RCD de M. Binnema »), vol 3, onglet 28).

[46] Dans sa lettre du 20 octobre 1838, John Work, agent principal de la Compagnie, a fait rapport à James Douglas des chances qu’il y avait de trouver du charbon à la [traduction] « mine de charbon ». Il a relaté son séjour à bord du Beaver plus tôt cette année-là et il a rapporté que 16 tonnes de charbon avaient été achetées et transportées au fort McLoughlin. Il a indiqué qu’il y avait probablement du charbon sur un certain nombre de kilomètres le long de la côte, et que pendant la majeure partie de l’année, il serait dangereux de tenter d’y accoster parce qu’un grand nombre d’Autochtones occupaient la région. Dans une lettre du 14 octobre 1839 adressée au gouverneur, au sous‑gouverneur et au comité, Douglas fait état des 100 tonnes achetées en 1839, mais il précise que le charbon s’est révélé être de qualité inférieure. Douglas croyait qu’il était possible d’obtenir du charbon de meilleure qualité en l’extrayant d’un gisement souterrain, mais il se demandait si la valeur du charbon couvrirait [traduction] « les coûts élevés de l’exploitation minière » (RCD de M. Binnema, vol 3, onglet 30).

[47] L’intérêt pour le charbon dans la région a faibli. La situation a changé en 1846 lorsque la Marine royale a commencé à vouloir se procurer du charbon pour préparer la transition de sa flotte du Pacifique vers des navires à vapeur. La Marine a envoyé le capitaine John Duntze et la frégate, le Fisgard, sur la côte ouest pour renforcer la présence navale britannique et pour examiner la possibilité de s’approvisionner en charbon à partir des gisements de la côte nord-est de l’île. Les agents de la CBH, Peter Ogden et James Douglas, ont fourni des renseignements au capitaine Duntze dans une lettre datée du 7 septembre 1846. Ils ont porté à son attention les gisements houillers qui s’étendaient sur un mille à la hauteur du havre de McNeill (plus tard Port McNeill) dans la zone intertidale. Ils ont également mentionné le gisement mis au jour par un cours d’eau (le ruisseau Suquash) sur une distance de trois-quarts de mille à partir de la plage. Selon eux, il était possible d’en tirer une grande quantité de charbon si les Premières Nations acceptaient de l’extraire et de le transporter en échange d’une modeste rémunération. Ils ont ajouté que, si l’intention était de mettre du charbon à la disposition de la Marine, il fallait constituer une réserve et [traduction] « former un établissement avec suffisamment d’effectifs pour le protéger contre les Indiens […] et aussi pour poursuivre les opérations minières » (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 78). Former un établissement signifiait construire un fort.

[48] Le 15 septembre 1846, le capitaine Duntze a envoyé le commandant George Gordon dans la région à bord d’un navire de guerre à vapeur, le Cormorant. À Port McNeill, pendant deux jours, environ 60 tonnes de charbon ont été chargées sur le Cormorant par des membres des Premières Nations. Gordon a jugé que le charbon était d’excellente qualité. À son arrivée à Port McNeill, il a vu les filons de charbon qui étaient à découvert, mais en poursuivant vers le nord-ouest, il a découvert un endroit où le charbon abondait, ainsi qu’un ruisseau d’eau douce. Gordon a écrit ce qui suit : [traduction] « C’est là où les Indiens ont pris la plus grande partie du charbon qu’ils nous ont apporté » (RCD de M. Binnema, vol 3, onglet 45). La description qu’il donne laisse croire qu’il s’agissait très probablement de Suquash. Gordon a estimé que le terrain houiller s’étendait probablement de la rivière Nimpkish, à 22 kilomètres au sud-est de Suquash, jusqu’à la baie Beaver, le futur emplacement du fort Rupert, à 12 kilomètres au nord-ouest, et a noté ce qui suit :

[traduction] Lorsque nous sommes arrivés sur le rivage, les Indiens semblaient réticents à l’idée que nous examinions le charbon, et ils nous ont accusés de venir les voler […] Je suis simplement étonné qu’ils aient pu, avec les outils rudimentaires dont ils disposent pour creuser, c’est-à-dire des hachettes et des bondieux, obtenir une si grande quantité de charbon en si peu de temps […] [RCD de M. Binnema, vol 3, onglet 32]

[49] Le rapport du commandant Gordon se terminait ainsi :

[traduction] En conclusion, je me permets de faire remarquer que le terrain houiller est, à mon avis, très bien situé, car il bénéficie de parfaites zones de mouillage à proximité et qu’il est si loin au nord que les navires peuvent, peu importe la tonne de portée, s’en approcher par le cap Scott, et éviter ainsi les difficultés et les dangers que présentent pour la navigation le passage Sir George Seymour et le détroit de Johnstone.

[50] Il convient de noter que la voie de navigation décrite par le commandant Gordon consistait à arriver par le large, en contournant la pointe nord de l’île de Vancouver, le cap Scott. Comme il l’a indiqué, cette voie permettait d’éviter le passage intérieur du détroit de Johnstone, particulièrement inadapté aux voiliers, ainsi que l’étroit passage intérieur qui mène au nord de l’île. Toutefois, il s’est avéré que le trajet le long de la côte ouest et autour du cap Scott incitait les navires à s’approvisionner à une source située plus au sud après que l’on eut découvert du charbon à Nanaimo, un site beaucoup plus proche de Victoria.

[51] Après le passage de la Marine, en décembre 1846, les agents de la Compagnie, James Douglas et John Work, ont fait des recommandations au gouverneur et au comité de la CBH de Londres :

[traduction] Si jamais vos Honneurs souhaitent conclure une entente avec le gouvernement sur l’approvisionnement en charbon, nous vous informons qu’il sera nécessaire de former un établissement, sur place, et d’employer des Indiens pour travailler dans les gisements. [RCD de M. Binnema, vol 3, onglet 44, à la p 547 de la version PDF.]

[52] La Marine royale n’est pas la seule à avoir manifesté son intérêt. Le 23 novembre 1848, la CBH a conclu un contrat par lequel elle s’engageait à fournir à la nouvelle compagnie américaine, la Pacific Mail Steamship Company, 1 000 tonnes de charbon provenant de la région afin qu’elle puisse alimenter ses bateaux à vapeur qui servaient à transporter le courrier de la rivière Columbia jusqu’au Panama. De plus, à l’automne 1848, le gouverneur et le comité de la CBH de Londres ont envoyé au fort Rupert sept mineurs écossais qui, une fois sur place, devaient travailler à l’ouverture d’une mine de charbon. Avant leur arrivée, George Simpson, l’agent principal de la CBH en Amérique du Nord, a demandé aux responsables de la CBH basés au fort Vancouver de construire un poste à la mine ou de laisser le Beaver sur place, afin de protéger les employés.

[53] En février 1849, le facteur en chef Work, qui était chargé de superviser la construction du fort, s’est rendu sur les lieux et a envoyé à Londres une carte de l’extrémité nord-ouest de l’île de Vancouver ainsi qu’une lettre. Il a noté que l’on avait constaté la présence de charbon au havre de McNeill et le long de la rive, au-delà des trois petits cours d’eau indiqués sur la carte. Il a ajouté que le seul cours d’eau où l’on pouvait voir du charbon au-dessus de la laisse des hautes eaux était celui qui se trouvait le plus au sud, ce qui porte à croire qu’il s’agissait ruisseau Suquash. Il a entouré d’un cercle les villages des Premières Nations sur la carte et celui qu’il a désigné comme étant le village des Kwagulth était situé au sud-est de ce cours d’eau, à un endroit qui correspondait aux descriptions de Cluxewe. Il a également indiqué l’emplacement du village des Nimpkish à Cheslakees, du village des Nahwitti à la baie Shushartie et de deux villages de la côte ouest. Il n’a relevé aucun village près du cours d’eau qui correspondrait à Suquash.

[54] Une partie de la carte de l’extrémité nord‑ouest de l’île de Vancouver réalisée par le facteur en chef Work, qui se trouve dans les archives de la CBH et constitue la pièce 27 dans la présente instance, est présentée à la page suivante. Afin d’en faciliter la lecture, j’ai mis les endroits clés suivants en caractères plus gros et plus foncés, et entre crochets : [village des Nawitee], [village des Quatseenah], [village des (Kwagulth)] et [village des Nimkish]. La carte a été placée sur le côté pour permettre l’agrandissement. J’ai donc ajouté une flèche pour indiquer le nord.

Sur cette carte, j’ai mis en caractères plus gros et plus foncés, et entre crochet, les endroits clés suivants : [village des Nawitee], [village des Quatseenah], [village des (Kwagulth)] et [village des Nimkish].

[55] La construction du fort a commencé peu après, dès mai 1849. Le choix de son emplacement s’est arrêté sur la baie Beaver. Non seulement des murs et des bastions ont été érigés, mais de grands villages ont été établis à côté du fort pour accueillir les membres des Premières Nations qui avaient déplacé leurs villages d’hiver qui se trouvaient dans les îles du sud-est du détroit Queen Charlotte. Ces peuples, les Kwagulth, les Kweeha, les Komkiutis et les Walas Kwagulth, se sont rendus au fort pour agir comme intermédiaires dans la traite des fourrures, pour travailler au sein de la Compagnie à l’établissement et à l’approvisionnement du fort, et pour faire le commerce du charbon qu’ils pouvaient rapporter de Suquash.

[56] Sur la côte nord-ouest, il était courant que les Premières Nations déplacent et regroupent leurs villages d’hiver pour les installer à proximité des forts de la CBH. Il était avantageux pour elles de contrôler la région qui allait être au cœur des activités commerciales. Elles ont créé des possibilités d’emploi avec la Compagnie et ont su commercer pour approvisionner le fort. Par ailleurs, le fort offrait une certaine sécurité en cas de conflits avec d’autres Premières Nations.

[57] De son côté, la Compagnie dépendait essentiellement des bonnes relations qu’elle avait établies avec les occupants des villages. Elle comptait sur leur travail, leur apport en provisions et leur rôle dans les échanges commerciaux. Dans le cas du fort Rupert, la production et le transport du charbon s’ajoutaient à la liste. La sécurité des employés de la Compagnie dépendait aussi beaucoup des bonnes relations qu’elle entretenait avec les Premières Nations. Le fort n’allait abriter que quelques douzaines d’agents et d’employés de la Compagnie, tandis que les villages avoisinants comptaient plus de 2 000 membres des Premières Nations.

D. Début de la production de charbon au fort Rupert

[58] Le 3 septembre 1849, James Douglas a fait le compte rendu suivant au gouverneur et comité de la CBH de Londres (secrétaire Archibald Barclay) sur la construction du fort et le début du commerce du charbon :

[traduction] Les progrès réalisés dans la construction du nouvel établissement sont très satisfaisants : les défenses sont terminées et plusieurs bâtiments ont été érigés. Nous avons établi des relations amicales avec les Indiens qui, sans connaître nos plans pour le futur, sont extrêmement utiles lorsqu’il s’agit de trouver du charbon. D’ailleurs, 750 tonnes de charbon étaient prêtes à être expédiées au début du mois dernier, de sorte qu’on ne craint pas de ne pas pouvoir fournir au capitaine Stout, agent de la Mail Steam Company, les mille tonnes que nous lui avons promises pour l’année en cours. [Note de bas de page omise; RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, à la p 790 de la version PDF].

[59] Les commis de la CBH tenaient un journal des activités quotidiennes du fort. Les entrées du 11 mai 1849 au 27 avril 1850 ont été conservées (RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 76).

[60] On peut lire à l’entrée du 11 mai 1849 que quelque 35 agents et hommes de la CBH sont arrivés pour participer à la construction du fort. Ils ont été accueillis par des membres des Premières Nations qui se trouvaient déjà à l’endroit choisi à la baie Beaver et ils ont pour la plupart été affectés à la construction du fort.

[61] À l’entrée suivante, il est écrit que d’autres membres des Premières Nations sont arrivés. À l’entrée du 6 juillet 1849, on peut lire ce qui suit :

[traduction] [...] des [Kwagulth] sont venus de toutes parts, si bien que plus de 500 âmes ont rejoint celles qui avaient déjà établi leur campement près de nous, pour un total d’environ 1 200 âmes. [RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 76, à la p 293 de la version PDF.]

[62] Le 7 juillet 1849, une centaine d’autres personnes sont arrivées.

[63] La première mention de l’idée de stocker du charbon date du 22 mai 1849 (RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 76, à la p 284 de la version PDF) : [traduction] « Les Indiens sont partis ce matin à la recherche de charbon. » À l’entrée du jour suivant, il est écrit : [traduction] « Un certain nombre de canots sont arrivés ce matin, chargés de 36 tonnes de charbon, qui ont été vendues et payées […] ». Le journal comporte plusieurs autres entrées qui ont été rédigées au cours de l’été et de l’automne 1849, selon lesquelles des canots partaient et revenaient avec du charbon :

[traduction]

Date :

Commentaires :

18 juillet 1849

Plus de 50 canots sont partis à la recherche de charbon

 

18 septembre 1849

Beaucoup de canots ne sont pas encore revenus

 

6 septembre 1849

Plusieurs canots sont arrivés […] plusieurs autres sont absents

 

7 novembre 1849

Une grande majorité des Indiens sont maintenant absents, car ils sont partis chercher du charbon et des provisions.

 

[64] Bon nombre de ces entrées donnent à penser que les membres des Premières Nations qui fournissaient le charbon faisaient partie de la population du fort.

[65] Il est inscrit dans le journal que, cette année-là, les arrivées de charbon ont pris fin le 18 novembre 1849.

[66] L’année suivante, à l’entrée du 9 avril 1850, on peut lire ce qui suit (RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 76, à la p 379 de la version PDF) : [traduction] « J’ai convoqué tous les principaux chefs ce matin et leur ai donné à chacun un petit cadeau pour les inciter à bien travailler et à rapporter une bonne quantité de charbon [...] ». En date du 23 avril 1850, il est indiqué que [traduction] « [l]es Indiens ne sont pas pressés d’aller chercher du charbon. Ils partiront probablement dans une vingtaine de jours, mais la crainte d’être attaqués par leurs ennemis pourrait toutefois les retenir chez eux » (RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 76, à la p 389 de la version PDF). C’est d’ailleurs en avril 1850 que s’arrête l’histoire relatée dans le journal puisque les entrées subséquentes ont été perdues. Selon un rapport ultérieur de James Douglas, en 1850, la production s’est élevée à 1 700 tonnes.

[67] Le journal fait aussi état de l’arrivée de John Muir et d’un groupe de mineurs écossais, dont plusieurs membres de la famille élargie de John Muir, en septembre 1849. Il y est ensuite question de tous les efforts infructueux que ceux-ci ont déployés pour creuser un puits et trouver du charbon près du fort, ainsi que des conflits qu’ils ont eus avec les représentants de la CBH au sujet des conditions d’emploi. Les mineurs se plaignaient du travail qu’on leur demandait de faire et du peu de protection que leur offrait, selon eux, la CBH alors qu’ils tentaient d’exploiter des sites miniers près du fort. Plusieurs des mineurs ont été emprisonnés dans le fort pendant le conflit et, à l’automne 1850, la plupart sont partis à bord d’un navire, l’England, qui s’était arrêté pour prendre du charbon pour la Pacific Mail Steamship Company et qui devait se rendre à San Francisco.

[68] En 1850, San Francisco était en pleine ruée vers l’or et beaucoup étaient impatients d’y prendre part ou de pouvoir bénéficier des salaires plus élevés qui en découlaient. À bord de l’England, le navire qui avait transporté les mineurs du fort Rupert, se trouvaient également trois marins qui avaient travaillé sur un navire de la Compagnie, le Norman Morison, avant de l’abandonner. Ils s’étaient cachés à bord de l’England, qui se dirigeait vers la Californie, avant qu’il ne fasse escale au fort Rupert pour prendre du charbon. À l’arrivée du navire au fort Rupert, le capitaine McNeill, agent principal de la Compagnie au fort, a menacé de mettre les [traduction] « déserteurs » en détention. Les trois hommes ont donc quitté le navire pour tenter de lui échapper, et ont remonté vers le nord, sur le territoire des Nahwitti, où ils avaient une chance de regagner le navire qui se dirigeait vers l’océan en longeant l’extrémité nord de l’île de Vancouver. Ces trois anciens employés de la CBH ont été tués peu après avoir quitté le navire, par les Nahwitti semble-t-il (RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 12, à la p 88 de la version PDF).

[69] À la suite de cet incident, le gouverneur de la colonie, M. Blanshard, a envoyé un navire de la Marine royale pour attaquer les Nahwitti en guise de représailles. Lors de la première attaque, en juillet 1850, le village des Nahwitti situé au nord-ouest du fort Rupert était vacant. La canonnière de la Marine, le Daedalus, a tiré sur le village vacant, mais s’est arrêtée là et est retournée à Victoria. Un an plus tard, en octobre 1851, la canonnière Daphne a entrepris une nouvelle expédition, qui l’a menée à l’île Nikei et a entraîné la mort de plusieurs Nahwitti. Par la suite, les Nahwitti, ceux qui auraient été responsables de la mort des trois [traduction] « déserteurs », ont remis trois dépouilles et les hostilités ont pris fin.

[70] Les activités du fort étaient consignées de façon quasi quotidienne. Or, ce compte rendu prend fin en avril 1850 puisque les entrées ultérieures du journal ont été perdues. Il semble toutefois que, bien qu’elles se soient initialement montrées réticentes à extraire du charbon, les Premières Nations aient continué à en produire, qu’elles en aient vendu à la Compagnie et qu’elles en aient stocké au fort, de sorte qu’à la fin de l’année, l’approvisionnement avait dépassé la production de l’année précédente. Dans un rapport daté du 16 novembre 1850 et adressé à Archibald Barclay, le secrétaire du gouverneur et comité de la Compagnie à Londres, le facteur en chef Douglas a indiqué que 1 200 tonnes avaient été produites par les Premières Nations en 1849 et 1 700 tonnes, en 1850. Douglas a ajouté qu’il s’attendait à ce que les livraisons de charbon se poursuivent au printemps 1851 [traduction] « dès que le temps le permettra » (RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, à la p 833 de la version PDF).

[71] Dès qu’il a été décidé de fonder le fort Rupert, le gouverneur George Simpson, l’agent principal de la CBH au Canada, et James Douglas, facteur en chef de la région du Pacifique occidental, ont recommandé que les terrains houillers de la côte nord-est de l’île soient achetés aux Premières Nations qui revendiquaient la région près du fort, là où il y avait, croyait‑on, le plus de chances de trouver du charbon. Dans une lettre envoyée au gouverneur et comité de Londres, le 26 juin 1850, Simpson fait référence à la dépêche générale qu’il avait envoyée en 1849 et dans laquelle il suggérait ce qui suit :

[traduction] […] qu’une entente devrait être conclue avec les Indiens, aux termes de laquelle une annuité n’excédant pas 100 £ leur serait versée, afin d’éteindre leur droit de revendiquer les terres houillères lorsqu’elles seraient vendues ou transférées à la Compagnie, ce qui permettrait d’en exclure les étrangers [...] [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 44]

[72] Le gouverneur Simpson avait déjà envoyé au conseiller juridique de la Compagnie un modèle d’entente afin qu’il l’examine et, dans la lettre du 26 juin 1850, il précisait que le facteur en chef Douglas l’avait prié de voir à ce que cette affaire soit réglée rapidement et avait demandé ce qui suit :

[traduction] […] si l’acte devant être conclu n’a pas été envoyé [...] il faut le faire parvenir le plus rapidement possible en passant par le Panama, et y joindre les instructions nécessaires à l’intention du facteur en chef Douglas.

[73] Dans la lettre qu’il a envoyée au facteur en chef Douglas, le 23 août 1850, le secrétaire Barclay donnait ce qui suit comme instruction :

[traduction] Je dois également souligner que le gouverneur et le comité considèrent qu’il est hautement souhaitable de ne pas perdre de temps pour acheter aux indigènes les terres situées à proximité du fort Rupert. [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 45]

[74] Le facteur en chef Douglas a suivi ces instructions, ainsi que les lettres au même effet sur les terres à acquérir au fort Victoria, en vue de la conclusion des traités du fort Victoria (les « traités de Victoria ») en 1850, puis des traités du fort Rupert en février 1851.

[75] On peut lire ce qui suit dans la lettre de rapport que le facteur en chef Douglas a écrite, le 24 février 1851, après avoir signé le premier des traités du fort Rupert :

[traduction] Nous avons conclu un arrangement avec les chefs de la tribu [des Kwagulth] en ce qui concerne l’achat des terres situées dans les environs du fort Rupert, entre le havre de McNeill et le détroit Hardy [...] L’accord a été officiellement signé par tous les chefs, en contrepartie du paiement des biens [...] [RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, aux pp 845-846 de la version PDF].

[76] Il était de notoriété publique au fort Rupert que des terres seraient achetées des Premières Nations avant même la signature du premier traité. Au cours de l’année précédant cette signature, George Blenkinsop, le commis résident responsable de l’exploitation quotidienne du fort Rupert, s’était heurté aux habitants des villages autochtones établis près du fort lorsqu’il avait tenté d’enclaver une terre pour y aménager un potager. Voici comment il a relaté l’incident dans le journal du fort, le 15 avril 1850 :

[traduction] Cet après-midi, les chefs nous ont empêchés de travailler dans le potager aménagé dans la partie inférieure du fort. Ils nous ont dit que nous ne devions plus enclaver leurs terres, car nous ne leur avions rien versé en contrepartie et que le potager barrait les routes qu’ils empruntaient pour aller, par exemple, chercher du bois dans la forêt. Sachant que les autorités envisageaient d’acheter ces terres, j’ai pensé que la meilleure solution était de payer chacun d’eux pour les terres nécessaires à l’aménagement d’un potager, etc. Ils ont donc consenti à me vendre tous les droits sur les terres situées à proximité du fort en contrepartie d’une couverture et d’une chemise pour chacun. Je les ai tous fait apposer leur marque sur un accord établi à cet effet, de sorte que nous pouvons maintenant nous considérer comme les seuls propriétaires des terres ou, au mieux, nous en approprier autant que nous en avons besoin pour les potagers, les mines, etc. [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 92, à la p 1441 de la version PDF]

[77] Dans un rapport présenté au gouverneur Simpson, le 24 janvier 1851, George Blenkinsop a formulé certains commentaires sur l’entente qui était sur le point de se conclure pour l’achat des terres houillères et a écrit ce qui suit :

[traduction] Je vais me servir de ce que nous allons leur verser en échange de leurs terres pour les calmer, car il faut absolument les amadouer avant que ne vienne le temps d’exploiter les gisements houillers. [RCD de la revendicatrice, vol 9, onglet 51]

E. Traités de Victoria de 1850

[78] Les traités du fort Victoria mis en œuvre par le facteur en chef Douglas ont été négociés et officialisés en avril et mai 1850, soit environ neuf mois avant les traités du fort Rupert. Ces traités différaient des traités du fort Rupert en ce qu’ils visaient à obtenir des terres pour répondre aux besoins du fort et pour permettre à la CBH de s’acquitter de l’obligation qu’elle avait contractée lorsque l’île de Vancouver lui avait été concédée en 1849, à savoir ouvrir le territoire aux colons attirés par la nouvelle colonie de la Couronne. La négociation des traités du fort Victoria a commencé par une conférence qui réunissait les chefs et d’autres membres importants des Premières Nations environnantes. Douglas avait convoqué cette conférence après avoir reçu une lettre datée de décembre 1849 par laquelle le secrétaire Barclay l’autorisait à traiter avec les Premières Nations de la région du fort Victoria de la façon suivante :

[traduction] Les Indiens conserveront la possession de leurs terres tant et aussi longtemps qu’ils les occuperont et les cultiveront eux-mêmes, mais ils ne seront pas autorisés à les vendre ou à les céder à un particulier puisque la Couronne a conféré à la Compagnie le droit sur l’ensemble du sol. Ils conserveront le droit de pêcher et de chasser et, lorsque leurs terres seront enregistrées et qu’ils se seront conformés aux mêmes conditions que celles auxquelles les autres colons sont tenus de se conformer, ils jouiront des mêmes droits et privilèges. [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 29]

[79] Le facteur en chef Douglas a fait un compte rendu de sa conférence avec les chefs et les autres membres de la Première Nation Songhees dans la lettre qu’il a envoyée au secrétaire Barclay en mai 1850 :

[traduction] Après de longues discussions, il a été convenu que l’ensemble de leurs terres — qui, comme nous l’avons déjà dit, forment le district de Victoria — seraient vendues à la Compagnie, à l’exception des villages et des prés qu’ils enclosent, en contrepartie d’une certaine somme, versée en une seule fois à chaque membre de la tribu. J’aurais préféré faire des paiements sous forme d’allocations annuelles, mais la proposition a été si mal accueillie que j’ai cédé à leur volonté et remis la somme en un seul versement. [RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, à la p 814 de la version PDF]

[80] Aucun texte n’a été présenté à ceux qui ont assisté à la conférence, mais 40 signatures (des « X ») ont été apposées à côté des noms des chefs et des autres participants, en plus des signatures des représentants de la CBH témoins de l’apposition des signatures des membres des Premières Nations, sur une feuille de papier vierge. Le facteur en chef Douglas voulait que les signatures fassent partie d’un document détaillé, [traduction] « dans lequel serait copié le contrat ou l’acte de cession dès la réception d’un modèle approprié » (RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, à la p 815 de la version PDF). Dans une lettre que le secrétaire Barclay a envoyée à Douglas le 16 août 1850, il était indiqué que le gouverneur et le comité de London avaient approuvé l’idée de Douglas de convoquer la réunion des Premières Nations établies près du fort Victoria et de conclure une entente sur le transfert de l’intérêt des Premières Nations sur les terres. Barclay avait joint à sa lettre le modèle de [traduction] « contrat ou [d’]acte de cession devant être utilisé lorsque des terres viendront à être cédées à la Compagnie par les tribus indiennes » (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 35). Le modèle suivait celui utilisé par la Compagnie de Nouvelle‑Zélande qui, en juin 1848, avait conclu avec les Ngāi Tahu une entente de transfert de terres sur l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande. Le voici :

[traduction] Sachez tous, que nous, chefs et membres de la tribu [vide], agissant au nom et avec le consentement des membres présents de notre peuple qui, individuellement et collectivement, ont confirmé et ratifié les présentes, avons apposé nos noms et nos marques à ce traité le [vide] jour de [vide] mil huit cent [vide], consentons à céder, entièrement et à perpétuité, à James Douglas, agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson dans l’île de Vancouver, agissant au nom du gouverneur, du sous-gouverneur et du comité de cette Compagnie, l’intégralité des terres situées et comprises entre [vide].

Les termes ou l’entente de cette vente sont que l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent resteront à notre propres usage, à l’usage de nos enfants et de ceux qui pourront venir après nous; et le terrain devra être strictement arpenté dès la vente effectuée. Toutefois, il est bien entendu que la terre elle-même, ces exceptions minimes étant faites, devient la propriété pleine et entière des Blancs à perpétuité. Il est également entendu que nous avons toute liberté de chasser sur les terres non habitées et de pêcher comme autrefois. [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 35.]

[81] La version anglaise du modèle de Barclay est très semblable à la traduction anglaise du traité de la Compagnie de la Nouvelle‑Zélande, lequel a été rédigé dans la langue autochtone des Ngāi Tahu. Dans la version anglaise du traité de la Nouvelle-Zélande, la condition énoncée au deuxième paragraphe a été traduite comme suit : « our places of residence & plantations are to [be] left for our own use» ([traduction] « nos lieux de résidence et nos plantations resteront à notre propre usage ») (je souligne; recueil de pièces de la revendicatrice, onglet 39, à la p 1934 de la version PDF). Dans les traités de Victoria, ce passage a été remplacé par « our village sites and enclosed fields are to be kept for our own use » (« l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent resteront à notre propres usage [...] ») (je souligne).

[82] Le traité de la Nouvelle-Zélande faisait référence à une carte qui montrait les terres à céder. Il comportait une disposition selon laquelle [traduction] « & si le terrain est strictement arpenté dès la vente effectuée, le gouvernement aura le pouvoir et la discrétion de nous accorder des réserves de terres additionnelles », qui n’a pas été reprise dans les traités de Victoria et du fort Rupert. Les traités de Victoria et du fort Rupert faisaient seulement mention d’une description par tenants et aboutissants et précisaient que « le terrain dev[ait] être strictement arpenté dès la vente effectuée ». Les deux traités de Victoria mentionnaient aussi : « il est également entendu que nous avons toute liberté de chasser sur les terres non habitées et de pêcher comme autrefois » (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 35).

[83] Les Ngāi Tahu occupaient des lieux où ils avaient construit des maisons et aménagé des champs pour y pratiquer une forme traditionnelle d’agriculture. Dans la région du fort Victoria, les Premières Nations avaient commencé à cultiver des pommes de terre en 1850, mais l’agriculture n’était pas une source alimentaire traditionnelle importante, ni dominante à l’époque. Près du fort Rupert, les Premières Nations avaient clôturé des champs de trèfle situés dans les estuaires, comme l’embouchure de la rivière Nimpkish. Ces champs étaient détenus par certains numayms et constituaient une précieuse ressource alimentaire et médicinale. Les Kwakwaka’wakw ont peut-être aussi été initiés à la culture des pommes de terre, un aliment de base important pour tous les forts de la CBH de la côte ouest, mais leur plus grande source de nourriture était sans contredit les riches ressources marines.

[84] Le passage « l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent » a été ajouté au texte suggéré par le facteur en chef Douglas dans une lettre antérieure, et la disposition selon laquelle les Premières Nations avaient toute liberté de chasser et de pêcher était, selon Douglas, essentielle à l’obtention de leur approbation.

F. Signature des traités du fort Rupert de 1851

[85] Les deux traités du fort Rupert ont été signés le 8 février 1851, après que les membres dirigeants de chaque Première Nation se soient réunis au fort. Il semble que le document contenant le libellé intégral leur ait alors été présenté, mais les discussions ne se sont probablement pas déroulées en anglais puisque les Autochtones ne comprenaient pas bien cette langue. D’ailleurs, ces derniers auraient accordé plus d’importance aux promesses faites verbalement dans une langue qui leur était familière plutôt qu’à la signification du texte écrit. Les discussions se sont sans doute déroulées en kwakwala ou en chinook, la langue commerciale de la côte nord-ouest.

[86] Il n’existe aucune trace des discussions ayant mené aux traités. Seize personnes ont apposé leur marque sur le traité des Quakeolth (Kwagulth), dans lequel elles sont décrites comme étant des chefs et des membres de la tribu, et elles ont reçu des objets de commerce évalués par la Compagnie à 86 livres sterling. Le traité des Queackar (Kweeha) a été signé par 12 personnes décrites de la même façon et celles-ci ont reçu des objets d’une valeur de 64 livres sterling. Les traités ont été signés devant témoins : trois représentants de la CBH, le traiteur en chef William McNeill, le capitaine du Beaver Charles Dodd et le commis George Blenkinsop.

[87] Dans les traités du fort Rupert, l’étendue des terres faisant l’objet du transfert était décrite à l’aide de références géographiques courantes ou faciles à traduire, et la contrepartie offerte aurait été bien comprise, tout comme la promesse de pouvoir continuer de chasser et de pêcher. Compte tenu du fait que les Premières Nations occupaient différents endroits tout au long de leur cycle annuel, on ne peut pas se contenter d’interpréter de façon stricte l’expression « l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent » pour déterminer les emplacements qui étaient exclus du transfert. Est‑ce que cette expression désignait uniquement les villages d’hiver? Ou est-ce qu’elle excluait également les endroits où des structures avaient été érigées pour héberger une grande partie de la population pendant un certain temps tout au long de ses déplacements annuels? Ou est‑ce que les emplacements de moindre importance devaient aussi être exclus? Plus particulièrement, en l’espèce, est-ce que Suquash était un emplacement qui aurait été considéré comme exclu? Pour répondre à ces questions, il faut examiner les éléments de preuve attestant de la compréhension commune des parties au moment où elles ont apposé leur marque sur les traités.

G. Histoire après les traités

[88] En 1851, il était prévu de poursuivre la production de charbon en sollicitant à nouveau les Premières Nations pour l’extraction et le transport du charbon destiné à être vendu à la Compagnie établie au fort. Toutefois, la production s’est interrompue cette année-là et, le 13 novembre 1851, George Blenkinsop a présenté un rapport au gouverneur Simpson, dans lequel il expliquait ce qui suit :

[traduction] Il reste encore 1 400 tonnes de charbon. Les Indiens ont tenté d’en produire cette année, mais le travail était si pénible qu’ils ont abandonné en désespoir de cause. [RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 85]

[89] Dans son rapport du 24 octobre 1852 au gouverneur Simpson, George Blenkinsop a indiqué ce qui suit :

[traduction] Les gisements de charbon à ciel ouvert de Suquash sont également épuisés. Il reste cependant dans ce secteur environ deux acres de ce que l’on pourrait appeler du charbon de surface, mais le coût de son exploitation serait supérieur à sa valeur étant donné qu’il est recouvert d’une couche d’argile raide d’une profondeur moyenne de 17 pieds. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour convaincre les Indiens d’enlever l’argile, mais en vain. En réalité, la tâche est trop lourde pour eux. [RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 86, à la p 585 de la version PDF]

[90] Il ressort de ces rapports que, malgré l’optimisme initial, les Premières Nations n’ont pratiquement pas fourni de charbon après la signature des traités du fort Rupert. Lorsque George Blenkinsop a présenté son rapport au gouverneur Simpson en 1853, la réserve de charbon produit en 1849 et 1850 était encore plus réduite et il y avait apparemment peu de chances que ce charbon se vende s’il ne trouvait pas preneur au cours de l’année suivante.

[91] En 1851 et 1852, la Compagnie a poursuivi ses tentatives d’exploitation minière, d’abord en confiant le travail à John Muir et à son groupe de mineurs écossais, puis en embauchant un autre mineur expérimenté, Boyd Gilmour. Ce dernier a examiné les puits creusés par le groupe de John Muir et a constaté qu’ils étaient peu prometteurs. Gilmour est arrivé en août 1851 et a conclu qu’il n’y avait aucun gisement potentiel près du fort Rupert. Il a donc voulu exploiter le secteur de Suquash en creusant des puits qui, espérait-il, laisseraient découvrir des gisements sous les dépôts de surface dont les Premières Nations avaient extrait du charbon qu’ils avaient transporté au fort, mais après environ un an de travail, il n’avait trouvé aucun filon convenable à transformer en mine. Les efforts de Gilmour ont sonné le glas pour la Compagnie, qui a mis fin à ses tentatives de trouver du charbon commercialisable dans la région du fort Rupert, et en 1852, elle a orienté ses efforts vers l’exploitation des gisements de charbon découverts à Nanaimo ou dans ses environs, un emplacement situé au milieu de l’île, plus près du fort Victoria, qui a connu plus de succès.

[92] La Compagnie n’a rien fait de plus pour occuper les terres dont les Premières Nations lui avaient transféré le contrôle en vertu des traités : 37 kilomètres de littoral entre le havre de McNeill et la baie Hardy, y compris ces ports, s’étendant sur deux milles à l’intérieur de l’île (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 89, aux pp 1220, 1224 de la version PDF). Ces terres n’ont pas été arpentées et, en fait, il aurait été presque impossible de les arpenter sans en modifier la description, laquelle délimitait la zone en transposant une limite naturelle irrégulière, c’est-à-dire le littoral, à une distance de deux milles à l’intérieur de l’île, dans une direction elle-même incertaine.

[93] Les villages et les prés censés être exclus des terres visées par le transfert de l’intérêt des Premières Nations n’ont donc jamais été identifiés au cours du processus d’arpentage.

[94] Dans la colonie de l’île de Vancouver, l’arpentage en était à ses débuts en 1851. Le premier arpenteur à avoir réussi à produire un plan utilisable a été J. D. Pemberton, un jeune ingénieur et arpenteur arrivé d’Angleterre en 1851. Il avait été embauché par la CBH et chargé d’arpenter les terres obtenues grâce aux traités des forts Victoria et Rupert. Il a commencé par arpenter les terres de Victoria, qui étaient mieux décrites dans les traités, et il a réussi à créer le premier plan de ce qui est devenu la ville de Victoria. En 1853, il s’est rendu au fort Rupert, mais à cette époque, la Compagnie avait abandonné l’idée de prendre le contrôle des 37 kilomètres de littoral et n’avait plus aucun espoir d’exploiter un gisement de houille. Pemberton s’est borné à établir un plan, d’une superficie de 100 acres, montrant le fort et la région environnante, que la Compagnie a utilisé pour en acquérir le titre de propriété par préemption en vertu de la proclamation relative aux terres coloniales de l’époque. La région entourant le fort Rupert a continué à être occupée par les Premières Nations qui s’y étaient installées, et le fort est resté un poste de traite des fourrures jusqu’à ce que la Compagnie l’abandonne en 1882 et le vende à un particulier en 1885, qui a continué à l’utiliser comme poste de traite. Peu de temps après la signature des traités, le peuple s’exprimant en kwakwala au fort Rupert a été dévasté par la maladie et la dissolution de son ordre social. Dès 1862, sa population a commencé à décliner et les épidémies de diverses maladies ont continué à faire des victimes au cours de la dernière moitié du XIXe siècle. Cette perte démographique a ébranlé l’ordre social, lequel était fondé sur le statut et les responsabilités de chacun au sein des cultures autochtones. Elle a été à ce point importante qu’en 1885, G. M. Dawson, un géologue et arpenteur qui faisait un relevé géographique du Canada, n’a pu trouver aucune trace de l’ancien village de Cluxewe.

[95] Après la construction du fort Rupert, la région avoisinante était habitée par environ 2 500 Autochtones. En 1879, quand la nouvelle province et le Canada ont commencé à envisager l’attribution de réserves dans la région, le commissaire Sproat a estimé la population à 240 personnes. En 1914, lorsque la Commission royale McKenna–McBride (la « Commission McKenna–McBride » ou la « Commission »), chargée de réexaminer l’attribution des réserves, a entamé son processus, la population avait encore diminué et ne comptait plus que 118 personnes, soit une perte de plus de 90 % de la population initiale.

VI. TÉMOIGNAGE EN PERSONNE DE DEUX MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION KWAKIUTL

A. Ross Hunt Jr.

[96] Ross Hunt Jr. est l’actuel conseiller en chef de la Première Nation Kwakiutl. Il réside à Tsulquate, une réserve située juste au nord de Port Hardy. Il en est à son deuxième mandat. Il a déclaré que la Première Nation Kwakiutl comptait 816 membres, dont environ 300 vivaient dans une réserve, la plupart dans la réserve de Tsulquate.

[97] Le conseiller en chef Hunt a expliqué bon nombre des défis auxquels sont confrontés les membres de la Première Nation Kwakiutl, tant sur le plan économique que culturel. Il a raconté que Suquash était un nom traditionnel signifiant « un lieu de chasse au phoque » et que les crânes de phoques étaient utilisés à des fins cérémoniales, particulièrement dans la tradition du potlatch.

B. Wata : Christine Mary Twance

[98] Wata, une aînée de la Première Nation Kwakiutl, est née en 1941 à Alert Bay, sur l’île Cormorant, une communauté insulaire desservie par un traversier local reliant Port McNeill, Sointula et Alert Bay. Wata parle le kwakwala. Ross Hunt Jr., conseiller en chef, a expliqué que la Première Nation Kwakiutl appuyait des programmes culturels comme la formation linguistique, mais que le nombre de personnes parlant le kwakwala avait chuté pour ne représenter qu’environ 2 % de la population de la Première Nation Kwakiutl compte tenu du fait que les membres plus âgés, ceux qui connaissaient la langue, étaient décédés.

[99] Wata vit maintenant sur l’île King, près du continent, à l’est de Bella Bella. Elle a été élevée par sa mère, son père et ses grands‑parents et, quand elle était plus jeune, elle a vécu pendant cinq à six ans à Cluxewe, un village ancestral situé à l’embouchure de la rivière Cluxewe, juste au nord‑ouest de Port McNeill. Elle a raconté que son arrière‑grand‑père était vivant au moment de la signature des traités du fort Rupert et qu’il était déjà décédé lorsque son arrière‑grand‑mère est décédée en 1947.

[100] Wata a déclaré que, pendant son enfance, sa famille dépendait des fruits de mer, comme le poisson et les œufs de poisson, les algues, les palourdes et les crabes, pour se nourrir, et qu’elle se rendait à la rivière Nimpkish, là où se trouvait un autre village ancestral, pour chasser le canard. Elle a ajouté qu’elle allait souvent à Alert Bay, où vivaient ses grands‑parents, et que ces derniers lui avaient enseigné l’artisanat, la langue et le maniement des bateaux.

[101] Wata a déclaré que, toute jeune, elle allait à Suquash à certains moments de l’année avec sa famille, c’est-à-dire quand la marée était basse, pour ramasser des palourdes et récolter des algues. Elle a dit que ce lieu était aussi un territoire de chasse au phoque. La famille s’y rendait en canot, à environ 45 minutes de Cluxewe. Elle a précisé qu’ils faisaient habituellement l’aller-retour en une journée, mais qu’ils pouvaient y passer la nuit, dans une cabane appartenant à sa grand‑tante. Selon elle, le voyage de Suquash au fort Rupert prenait environ une demi‑journée en canot.

VII. COMMENT INTERPRÉTER L’EXPRESSION « L’EMPLACEMENT DE NOS VILLAGES ET LES PRÉS QU’ILS ENCLOSENT »?

A. Interprétation des traités

[102] Les deux traités du fort Rupert ont été rédigés en anglais. Or, les signataires autochtones n’étaient pas alphabétisés et ne parlaient pas couramment l’anglais. Les négociations entre les agents de la CBH et les chefs et les hommes des Premières Nations du fort Rupert ont probablement été menées en kwakwala, ou peut-être en chinook, la langue commerciale hybride qui facilitait le commerce sur la côte nord-ouest. Le capitaine McNeill, l’employé le plus haut placé de la CBH qui a signé les traités au nom de la Compagnie et qui avait une longue expérience comme négociant sur la côte nord-ouest, aurait probablement été chargé de mener la plupart des négociations et aurait su parler la langue commerciale, et probablement aussi le kwakwala.

[103] Il convient d’examiner le libellé des traités dans ce contexte et de déterminer l’intention commune qui s’en dégage en fonction des preuves extrinsèques de ce que chacune des parties pensait gagner et céder en signant les documents. Au paragraphe 14 de l’arrêt R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, 177 DLR (4th) 513, le juge Binnie a déclaré :

Dans des arrêts ultérieurs, notre Cour s’est écartée d’une règle « stricte » d’interprétation des traités, comme l’a récemment mentionné le juge Cory dans Badger, précité, au par. 52 :

[...] le tribunal qui examine un traité doit tenir compte du contexte dans lequel les traités ont été négociés, conclus et couchés par écrit. En tant qu’écrits, les traités constataient des accords déjà conclus verbalement, mais il ne rapportaient pas toujours la pleine portée de ces ententes verbales : voir Alexander Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories (1880), aux pp. 338 à 342; Sioui, précité, à la p. 1068; Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba (1991); Jean Friesen, Grant me Wherewith to Make my Living (1985). Les traités, qui ont été rédigés en anglais par des représentants du gouvernement canadien qui, on le présume, connaissaient les doctrines de common law, n’ont toutefois pas été traduits, par écrit, dans les diverses langues (en l’espèce le cri et le déné) des nations indiennes qui en étaient signataires. D’ailleurs, même s’ils l’avaient été, il est peu probable que les Indiens, qui communiquaient exclusivement oralement, les auraient interprétés différemment. Par conséquent, il est bien établi que le texte d’un traité ne doit pas être interprété suivant son sens strictement formaliste, ni se voir appliquer les règles rigides d’interprétation modernes. [Je souligne.]

Il ne faut pas confondre les règles « généreuses » d’interprétation avec un vague sentiment de largesse a posteriori. L’application de règles spéciales est dictée par les difficultés particulières que pose la détermination de ce qui a été convenu dans les faits. Les parties indiennes n’ont à toutes fins pratiques pas eu la possibilité de créer leurs propres comptes-rendus écrits des négociations. Certaines présomptions sont donc appliquées relativement à l’approche suivie par la Couronne dans la conclusion des traités (conduite honorable), présomptions dont notre Cour tient compte dans son approche en matière d’interprétation des traités (souplesse) pour statuer sur l’existence d’un traité (Sioui, précité, à la p. 1049), le caractère exhaustif de tout écrit (par exemple l’utilisation du contexte et des conditions implicites pour donner un sens honorable à ce qui a été convenu par traité : Simon c. la Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, et R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393), et l’interprétation des conditions du traité, une fois qu’il a été conclu à leur existence (Badger). En bout de ligne, la Cour a l’obligation « de choisir, parmi les interprétations de l’intention commune [au moment de la conclusion du traité] qui s’offrent à [elle], celle qui concilie le mieux » les intérêts des Mi’kmaq et ceux de la Couronne britannique (Sioui, le juge Lamer, à la p. 1069 (je souligne)).

[104] Dans le même arrêt, la juge McLachlin énonce les neuf principes régissant l’interprétation des traités au paragraphe 78 :

Notre Cour a, à maintes reprises, énoncé les principes qui régissent l’interprétation des traités, notamment les principes suivants :

1. Les traités conclus avec les Autochtones constituent un type d’accord unique, qui demandent l’application de principes d’interprétation spéciaux : R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393, au par. 24; R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, au par. 78; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, au par. 1043; Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, à la p. 404. Voir également : J. [Sákéj] Youngblood Henderson, « Interpreting Sui Generis Treaties » (1997), 36 Alta. L. Rev. 46; L. I. Rotman, « Defining Parameters: Aboriginal Rights, Treaty Rights, and the Sparrow Justificatory Test » (1997), 36 Alta. L. Rev. 149.

2. Les traités doivent recevoir une interprétation libérale, et toute ambiguïté doit profiter aux signataires autochtones : Simon, précité, à la p. 402; Sioui, précité, à la p. 1035; Badger, précité, au par . 52.

3. L’interprétation des traités a pour objet de choisir, parmi les interprétations possibles de l’intention commune, celle qui concilie le mieux les intérêts des deux parties à l’époque de la signature : Sioui, précité, aux pp. 1068 et 1069.

4. Dans la recherche de l’intention commune des parties, l’intégrité et l’honneur de la Couronne sont présumées : Badger, précité, au par. 41.

5. Dans l’appréciation de la compréhension et de l’intention respectives des signataires, le tribunal doit être attentif aux différences particulières d’ordre culturel et linguistique qui existaient entre les parties : Badger, précité, aux par. 52 à 54; R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901, à la p. 907.

6. Il faut donner au texte du traité le sens que lui auraient naturellement donné les parties à l’époque : Badger, précité, aux par. 53 et suiv.; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 36.

7. Il faut éviter de donner aux traités une interprétation formaliste ou inspirée du droit contractuel : Badger, précité, Horseman, précité, et Nowegijick, précité.

8. Tout en donnant une interprétation généreuse du texte du traité, les tribunaux ne peuvent en modifier les conditions en allant au-delà de ce qui est réaliste ou de ce que « le langage utilisé […] permet » : Badger, précité, au par. 76; Sioui, précité, à la p. 1069; Horseman, précité, à la p. 908.

9. Les droits issus de traités des peuples autochtones ne doivent pas être interprétés de façon statique ou rigide. Ils ne sont pas figés à la date de la signature. Les tribunaux doivent les interpréter de manière à permettre leur exercice dans le monde moderne. Il faut pour cela déterminer quelles sont les pratiques modernes qui sont raisonnablement accessoires à l’exercice du droit fondamental issu de traités dans son contexte moderne : Sundown, précité, au par. 32; Simon, précité, à la p. 402.

[105] Par conséquent, pour interpréter les traités, il faut donner à leur texte le sens que lui auraient donné les parties, et le tribunal doit choisir, parmi les interprétations possibles de l’intention commune, celle qui concilie le mieux les intérêts des parties.

VIII. Revendications fondÉes sur la LOI SUR LE TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

[106] La revendicatrice invoque les alinéas 14(1)c) et d) de la Loi et, à titre subsidiaire, l’alinéa 14(1)a) au soutien de ses revendications.

[107] Dans ses revendications fondées sur l’alinéa 14(1)c), la revendicatrice fait valoir que la Couronne a manqué à ses obligations légales découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres de réserve, notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale. Plus précisément, la Couronne a manqué à l’obligation légale qu’elle avait de faire arpenter les terres de Suquash, qui devaient — selon la revendicatrice — « reste[r] » (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 139) à l’usage des prédécesseurs de Kwakiutl, donc échapper au transfert des terres qui ont été cédées en vertu des traités du fort Rupert.

[108] Dans sa revendication fondée sur l’alinéa 14(1)d), la revendicatrice soutient que la Couronne n’a pas empêché l’aliénation des terres de Suquash en ne contestant pas les concessions de terres provinciales qui ont suivi et en ne rachetant pas Suquash pour corriger la situation lorsque l’occasion s’est présentée. Elle prétend que ces manquements sont des manquements à une obligation légale découlant de l’aliénation illégale par la Couronne de terres de réserve.

[109] Dans la revendication subsidiaire, fondée sur l’alinéa 14(1)a), il est précisé que si Suquash n’a pas été réservé de plein droit à la signature des traités du fort Rupert, le fait de ne pas avoir ensuite arpenté et mis de côté les terres de Suquash constituait une violation de l’obligation légale de la Couronne de fournir des terres (emplacement des villages et prés qu’ils enclosent) en vertu desdits traités.

[110] À mon sens, la revendication subsidiaire est fondée sur le fait que, bien que les traités n’aient pas initialement créé de réserves pour les villages et les prés qu’ils enclosent — ce qui aurait dû englober Suquash, selon la revendicatrice —, les parties s’étaient entendues pour que la Couronne arpente et mette de côté ces emplacements pour l’usage des Premières Nations, et le non-respect de cette condition constituait une violation de l’obligation de la Couronne de fournir des terres.

[111] Il est essentiel en l’espèce de déterminer si les parties aux traités auraient compris que Suquash était exclu du transfert de l’intérêt des Premières Nations sur les terres houillères.

IX. POSITIONS DES PARTIES

[112] Les parties conviennent que le Tribunal doit décider si Suquash est un emplacement au sens de l’expression « l’emplacement de nos villages » ou « les prés qu’ils enclosent » qui figure dans les traités du fort Rupert de 1851 (exposé conjoint des questions en litige, au para 2).

A. La position de la revendicatrice

[113] La revendicatrice soutient que [traduction] « les terres de Suquash étaient suffisamment utilisées et occupées par les tribus Kwakiutl en date du 8 février 1851, ou avant, de sorte que les parties voulaient que l’expression “l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent” qui figure dans les traités du fort Rupert englobe Suquash » et que « cette interprétation est celle qui reflète le mieux l’intention commune des parties, comme le démontre la preuve relative à la conduite des parties avant, pendant et après la conclusion des traités » (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 95).

[114] La revendicatrice affirme que les traités réservaient à perpétuité l’emplacement des villages et les prés enclos, créant ainsi des réserves par prérogative royale. S’appuyant sur l’arrêt Conseil de bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54, [2002] 2 RCS 816 [Ross River], la revendicatrice soutient que [traduction] « [l]orsque la Couronne noue directement des liens avec les Premières Nations, sans le truchement de quelque pouvoir d’origine législative, des réserves sont créées uniquement par prérogative royale » (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 115). La revendicatrice soutient également que l’intention commune des parties aux traités était de créer des réserves constituées de [traduction] « tous les villages utilisés et occupés par les tribus Kwakiutl au moment de la conclusion des traités, y compris [...] les résidences des Kwakiutl au fort Rupert et les exploitations de charbon des Kwakiutl à Suquash ». Par ailleurs, elle affirme que si les traités n’ont pas atteint cet objectif, c’est que la Couronne ne les a pas respectés et qu’elle a omis de mettre de côté et d’arpenter les villages et les prés enclos de Suquash, et d’y créer une réserve avant que ce bien‑fonds ne soit aliéné en 1886 (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au para 118).

[115] La revendicatrice ajoute que, comme Suquash était un lieu visé par l’expression « l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent » dont l’usage était réservé, à perpétuité, aux Kwakiutl, l’utilisation et l’occupation des terres de Suquash ont fait naître un intérêt particulier ou identifiable sur les terres et les ressources, de sorte que la Couronne était tenue d’arpenter les terres de Suquash et de les protéger contre la préemption ou l’aliénation, puis de remédier au manquement qu’elle avait commis en ne le faisant pas (mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, aux para 112-123).

B. La position de l’intimée

[116] L’intimée soutient que les parties aux traités de 1851 [traduction] « comprenaient que les traités visaient à donner à la CBH la propriété des terres houillères situées le long de la côte, entre le fort Rupert et Port McNeil[l], y compris le charbon se trouvant dans le sous‑sol de Suquash » et qu’« il n’y avait aucune intention de réserver des terres à Suquash parce qu’il n’y avait pas de village ou de pré à cet endroit en 1851 » (note de bas de page omise; mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 82).

[117] L’intimée affirme que les traités ne présentaient pas les éléments clés du critère de l’arrêt Ross River applicable à la création d’une réserve :

[…] a) un agent de la Couronne investi de l’autorité suffisante pour lier celle-ci doit avoir l’intention de créer la réserve; b) des mesures doivent être prises pour mettre les terres de côté au profit de la Première Nation; et c) la Première Nation doit avoir commencé à utiliser les terres mises de côté. [Mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 134; voir aussi aux para 135‑136.)

[118] L’intimée soutient également que, même si les traités reconnaissaient l’existence d’un intérêt autochtone identifiable à l’égard des terres constituant l’emplacement de villages ou de prés, et que la Couronne avait manqué à son obligation de fiduciaire en exerçant le pouvoir discrétionnaire de ne pas arpenter les terres ou de ne pas les protéger contre la préemption —, Suquash n’était pas un emplacement destiné à être protégé par les traités (mémoire des faits et du droit de l’intimée, aux para 149-150).

X. CRÉATION D’UNE RÉSERVE

[119] Ross River est un arrêt qui a été rendu après l’adoption de la Loi sur les Indiens, dans lequel les appelants affirmaient qu’une réserve avait été créée à leur intention du fait que certaines lois administratives leur avaient permis d’occuper et d’utiliser des terres au Yukon à partir des années 1950. Après avoir souligné que des arguments avaient été présentés quant à l’évolution historique et juridique de la création des réserves pendant près de quatre siècles dans les diverses régions du Canada, le juge LeBel a écrit ce qui suit, aux paragraphes 43 et 44 :

L’examen de l’histoire du Canada confirme que le processus de création des réserves a traversé de nombreuses étapes et résulte d’un certain nombre d’expériences administratives et politiques. Les procédures et techniques juridiques ont évolué. Diverses approches ont été utilisées, à tel point qu’il serait difficile de généraliser, dans le contexte d’un cas précis, à partir de l’expérience historique particulière d’une région du Canada.

Tant dans les provinces maritimes qu’au Québec durant le régime français ou après la conquête britannique, de même qu’en Ontario et, plus tard, dans les Prairies et en Colombie-Britannique, on a recouru à diverses méthodes pour créer des réserves. Les méthodes juridiques et politiques employées pour donner forme et existence aux réserves ont évolué au fil du temps.

[120] Dans l’arrêt Ross River, la Cour suprême du Canada a refusé de se lancer dans l’analyse de ce passé diversifié et complexe, et d’aller plus loin que ce qui était nécessaire pour trancher l’affaire dont elle était saisie. Par conséquent, comme l’a souligné le juge LeBel, il faudrait substituer aux trois éléments énoncés dans l’arrêt Ross River des équivalents contemporains susceptibles de s’appliquer aux différents contextes historiques, et ce, à l’aide des méthodes juridiques et politiques employées pour donner forme et existence aux réserves, qui ont évolué au fil du temps.

[121] Or, la question qui se pose en l’espèce est la suivante. Pour déterminer si les traités ont créé ou reconnu des réserves, ou s’ils ont fait naître l’obligation de fiduciaire d’arpenter et de mettre de côté des réserves, ou de préserver autrement les terres au profit des Premières Nations, il faut d’abord conclure que Suquash était un emplacement que les parties aux traités avaient l’intention commune de mettre de côté des terres à l’usage des Premières Nations.

[122] Par ailleurs, la thèse selon laquelle les traités ont reconnu l’existence d’un intérêt autochtone identifiable dans les terres de Suquash qui aurait pu, par exemple, imposer à la Couronne l’obligation de protéger les terres contre la préemption pendant la période coloniale, ou pendant le processus ultérieur de création des réserves fondé sur l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, L.R.C. 1985, App II, no 10, amène le Tribunal à tenir compte du droit relatif aux obligations de fiduciaire que la Couronne doit assumer dans le cadre du processus de création d’une réserve.

[123] Dans l’arrêt Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 RCS 83 [Williams Lake], la Cour suprême du Canada a examiné la décision par laquelle le Tribunal a conclu que la Couronne avait manqué à l’obligation qui lui incombait de protéger un établissement indien contre la préemption pendant la période coloniale et pendant celle, postérieure à la Confédération, où elle était tenue de créer des réserves en vertu de l’article 13. Aux paragraphes 65 et 67, le juge Wagner a commenté les décisions dans lesquelles le Tribunal concluait que la reconnaissance d’un intérêt autochtone dans les terres constituait une caractéristique fondamentale qui imposait à la Couronne une obligation de fiduciaire dans le cadre du processus de création de réserves :

Le Tribunal […] a statué avec constance que la reconnaissance d’un intérêt autochtone dans des terres suivant les lois et politiques sur la création de réserves constitue la caractéristique fondamentale d’un intérêt autochtone identifiable lorsqu’il s’agit de déterminer les obligations fiduciaires des fonctionnaires qui exercent leurs fonctions dans le cadre de ce processus : (M.T., par. 174, 189-190, 232-233 et 237-239; Première Nation de Kitselas c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2013 TRPC 1, par 8, 135 et 143 (CanLII), conf. par Kitselas (C.A.F.); Nation de Lake Babine c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2015 TRPC 5, par. 170 (CanLII); Première Nation d’Akisq’nuk c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TRPC 3, par. 224-239 (CanLII)). Selon le Tribunal, l’intérêt identifiable à l’égard duquel la Couronne peut avoir une obligation fiduciaire sui generis comprend donc l’intérêt autochtone reconnu dans des terres dont les lois et politiques prévoient la protection (voir Wewaykum, par. 95), que les fonctionnaires aient ou non pris les mesures nécessaires pour assurer cette protection.

[…]

Le Tribunal estime que les peuples autochtones de la colonie de la Colombie-Britannique détenaient un tel intérêt dans des terres qui auraient constitué un « établissement indien » sur le fondement de l’usage et de l’occupation. Sa conclusion traduit une conception raisonnable des différents intérêts autochtones susceptibles de faire naître une obligation fiduciaire. Elle satisfait à l’exigence que l’intérêt en jeu soit « particulier ou identifiable »s, c’est-à-dire que le fiduciaire — en l’occurrence, la Couronne agissant par l’entremise de ses fonctionnaires coloniaux — ait été en mesure de déterminer les terres particulières dans lesquelles les peuples autochtones avaient un intérêt et à l’égard desquelles elle avait des obligations en qualité de fiduciaire lorsqu’elle prenait des mesures à l’égard de ces terres (Manitoba Metis Federation, par. 51). [Souligné dans l’original.]

[124] Il a été reconnu dans l’arrêt Williams Lake et dans les autres décisions du Tribunal que la Cour suprême a examinées, que des obligations de fiduciaire de la Couronne découlaient de l’existence d’un intérêt autochtone identifiable dans les terres concernées. Tout manquement commis par la Couronne pendant l’administration coloniale de la province peut constituer une violation de l’obligation de protéger cet intérêt, comme ce fut le cas dans l’affaire Williams Lake. Mais, là encore, l’argument selon lequel il était reconnu qu’un tel intérêt existait à l’époque des traités exige du Tribunal qu’il détermine, en fonction de l’usage et de l’occupation, si Suquash était un emplacement important, et si la preuve de la compréhension commune des parties aux traités justifie qu’il soit exclu du transfert.

XI. RECONNAISSANCE JUDICIAIRE DES TRAITÉS DE DOUGLAS

[125] Le traité des Queackar (Kweeha) et le traité des Quakeolth (Kwagulth) sont tous deux datés du 8 février 1851. Outre le nom des Premières Nations, le nom des membres ayant apposé leur marque à côté de leur nom et de la somme reçue en paiement (64 livres; 86 livres), le libellé est essentiellement le même. Les quelques petites différences entre les deux documents sont indiquées entre crochets ci-dessous.

Entente entre la Compagnie de la Baie d’Hudson et les chefs de la tribu des [Queackar/ Quakeolth] pour l’achat de leurs terres 8e jour de février 1851[.]

Sachez tous, que nous, chefs et membres de la tribu des [Queackar/Quakeolth], agissant au nom et avec le consentement des membres présents de notre peuple qui, individuellement et collectivement, ont confirmé et ratifié les présentes, avons apposé nos noms et nos marques à ce traité le huitième jour de février mil huit cent cinquante et un, consentons à céder, entièrement et à perpétuité, à James Douglas, agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson dans l’île de Vancouver, agissant au nom du gouverneur, du sous-gouverneur et du comité de cette Compagnie, l’intégralité des terres situées et comprises entre le havre de McNeill et la baie Hardy, y compris ces ports, et s’étendant à deux milles dans l’intérieur de l’île.

Les termes ou l’entente de cette vente sont que l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent resteront à notre propres usage, à l’usage de nos enfants et de ceux qui pourront venir après nous; et le terrain devra être strictement arpenté dès la vente effectuée. Toutefois, il est bien entendu que la terre elle-même, ces exceptions minimes étant faites, devient la propriété pleine et entière des Blancs à perpétuité. Il est également entendu que nous avons toute liberté de chasser sur les terres non habitées et de pêcher comme autrefois.

Nous avons reçu en paiement la somme de [soixante-quatre/quatre-vingt-six] livres sterling. En foi de quoi, nous avons apposé nos noms et nos marques, à Fort Rupert, le huitième jour de février mil huit cent cinquante un.

Fait en présence de : (signé)

William Henry McNeill, C.T., Cie de la B. d’H.

Charles Dodd, capitaine du steamer Beaver

George Blenkinsop, commis de la Cie de la B. d’H.

Wale, sa X marque [et 11 autres]

[Le traité des Quakeolth (Kwagulth) a été fait en présence des mêmes agents de la CBH et les signataires des Premières Nations étaient :]

Wawattie, sa X marque [et 15 autres]

[RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 89, aux pp 1220 et 1224 de la version PDF].

[126] L’exposé conjoint des faits renvoie aux ententes, comme les traités du fort Rupert, sans pour autant reconnaître explicitement les documents comme des traités. Or, la jurisprudence reconnaît clairement le statut des ententes.

[127] Les traités du fort Rupert sont qualifiés de « traités » dans une série de décisions mettant en cause la Première Nation Kwakiutl : Chartrand v British Columbia (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2015 BCCA 345, 77 BCLR (5th) 26; Kwakiutl First Nation v British Columbia (District Manager, North Island Central Coast Forest District), 2013 BCSC 1068, [2014] 4 WWR 150; Komoyue Heritage Society v British Columbia (AG), 2006 BCSC 1517, 2006 CarswellBC 2514; R v Hunt, [1995] 3 CNLR 135, 1995 CarswellBC 2508 (Cour provinciale de la C.-B.);

[128] Une autre décision importante en ce qui concerne la qualification des ententes en tant que traités autochtones a été rendue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique : R v White, 50 DLR (2d) 613, 1964 CarswellBC 212 [White].

[129] Dans l’arrêt White, la majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a jugé qu’une entente conclue en 1854 par la tribu des Saalequun et James Douglas, gouverneur de l’île de Vancouver au fort Nanaimo, constituait un « traité » au sens de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, LRC 1952, c 149. Les juges Norris et Sullivan se sont ralliés à l’opinion du juge Davey pour former la majorité.

[130] Dans cet arrêt, le traité contenait une phrase quasi identique, à savoir que l’emplacement des villages et des prés était exclu et que les droits de chasse et de pêche étaient garantis :

[traduction] Les termes ou l’entente de cette vente sont que l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent resteront à notre propres usage, à l’usage de nos enfants et de ceux qui pourront venir après nous; et le terrain devra être strictement arpenté dès la vente effectuée. Toutefois, il est bien entendu que la terre elle-même, ces exceptions minimes étant faites, devient la propriété pleine et entière des Blancs à perpétuité. Il est également entendu que nous avons toute liberté de chasser sur les terres non habitées et de pêcher comme autrefois. [White, au para 5]

[131] Toujours dans l’arrêt White, le juge Davey a fait remarquer qu’en signant l’entente avec la tribu des Saalequun, [traduction] « la Compagnie de la Baie d’Hudson a servi à mettre en œuvre la politique impériale » puisqu’elle avait été « chargée de la colonisation de [l’île de Vancouver] » (au para 15). Le juge Davey a aussi souligné que, dans cette affaire, le gouvernement impérial et la Compagnie de la Baie d’Hudson avaient pour objectif de conclure une entente leur permettant d’acheter des terres aux Premières Nations aux fins de la colonisation. En conséquence, il ne pouvait pas considérer l’entente conclue avec la tribu des Saalequun comme une entente privée. Il a plutôt déclaré ce qui suit (au para 15) : [traduction] « [...] je ne doute pas que le Parlement entendait, en employant le terme « traité » à l’article 87 [de la Loi sur les Indiens, LRC 1952, c 149], viser toute pareille entente [...] ».

[132] Dans ses motifs concordants, le juge Norris a dit que le terme « traité » figurant à l’article 87 de la Loi sur les Indiens devait recevoir une interprétation large :

[traduction] [...] le mot « traité » n’est pas un mot technique et, à mon humble avis, il comprend tous les accords conclus par des personnes ayant autorité que peut englober l’expression « la parole de l’homme blanc » dont le caractère sacré était, à l’époque de l’exploration et de la colonisation britanniques, le moyen le plus important pour se concilier et obtenir la bienveillance et la collaboration des tribus autochtones et pour protéger la vie et la propriété des colons. [White, au para 120]

[133] Le juge Norris a par ailleurs fait remarquer que :

[traduction] [...] le document […] est un traité au sens de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, en vertu de la Proclamation royale de 1763, dans la mesure où il confirme les droits ancestraux, ou encore de par sa nature même et de par les circonstances dans lesquelles il a été conclu par la Compagnie de la Baie d’Hudson, en tant que déléguée de la Compagnie britannique, et James Douglas, qui avait le pouvoir de signer soit en tant que représentant autorisé de la déléguée de la Couronne — la Compagnie de la Baie d’Hudson— soit en tant que gouverneur de l’île de Vancouver. [White, au para 165]

[134] Les traités du fort Rupert sont particuliers en ce sens que la CBH voulait, en procédant au transfert, obtenir les terres houillères pour elle‑même, et non pas obtenir des terres pour la colonisation. Toutefois, la CBH a obtenu ces terres alors qu’elle était déléguée de la Couronne, et elle devait les acquérir au moyen d’une entente par laquelle les Premières Nations renonceraient au contrôle qu’elles avaient sur elles.

[135] De même, dans les affaires R v Bartleman (1984), 12 DLR (4th) 73, 55 BCLR 78, et R c Morris, 2006 CSC 59, [2006] 2 RCS 915, les 14 ententes de l’île de Vancouver conclues par le gouverneur Douglas, connues comme étant les traités de Douglas (y compris les traités du fort Rupert), sont expressément désignées comme des « traités », et analysées conformément à la jurisprudence relative à l’interprétation des traités autochtones. Ces deux affaires portent sur les droits de chasse issus du traité de Saanich-Nord, près de Victoria.

XII. ANALYSE

[136] Le Concise Oxford Dictionary of Current English définit le mot « village » comme étant [traduction] « un groupe de maisons et de bâtiments associés, plus grand qu’un hameau et plus petit qu’une ville, la plupart du temps en zone rurale » (The Concise Oxford Dictionary of Current English, 8e éd., « village »). Cette définition renvoie vraisemblablement à l’idée eurocentrique selon laquelle un village est un lieu d’habitation permanente. Or, habiter en permanence à un endroit ne saurait être considéré comme une caractéristique distinctive des personnes de langue kwakwala qui, pour assurer leur survie, devaient se rendre aux différents endroits où se trouvaient les ressources disponibles, qu’elles accumulaient et transformaient afin de les utiliser plus tard comme nourriture ou comme monnaie d’échange. C’est pourquoi, au printemps, la majeure partie de la population parcourait de grandes distances pour se rendre dans les bras de mer et les rivières du continent, là où les différents numayms avaient le droit de pêcher et de transformer l’eulakane. Il s’agissait d’une entreprise communautaire à laquelle participaient les hommes, les femmes et les enfants. Les lieux où ils se rendaient étaient dotés de structures auxquelles étaient fixées les planches de cèdre apportées par les Autochtones. Ceux-ci se déplaçaient à nouveau plus tard dans l’année, notamment lorsqu’ils utilisaient des fascines dans les rivières où remontait le saumon et que le poisson était transformé pour être consommé plus tard. Cet endroit pourrait aussi être l’emplacement du village d’hiver, comme cela avait été le cas de Cluxewe, mais certains numayms pourraient avoir eu des droits sur d’autres rivières plus éloignées du village d’hiver. Dans son rapport en réponse, daté du 8 juillet 2019 et intitulé « A Response to Two Reports by Dr. Theodore Binnema Dated 11 April 2019 Regarding the Specific Claim for Suquash » (« Réponse à deux rapports de M. Theodore Binnema datés du 11 avril 2019 portant sur la revendication particulière de Suquash »), John Dewhirst élargit le sens de « village » de manière à inclure les sites de ressources où des structures d’habitation étaient installées et utilisées chaque année.

[137] John Dewhirst a été reconnu comme anthropologue culturel. Au paragraphe 5 de son rapport en réponse, il déclare ce qui suit :

[traduction] La saisonnalité des ressources était déterminante pour l’économie et la survie des groupes, ainsi que pour l’occupation de leurs villages. Toutes les tribus suivaient ce que les anthropologues ont appelé le « cycle saisonnier », le « cycle annuel » ou le « cycle économique annuel », c’est-à-dire une série de déplacements réguliers vers des villages situés près de ressources abondantes selon les saisons, comme les zones de pêche à l’eulakane et les rivières à saumon. Vu les distances à parcourir et les ressources à récolter, les groupes devaient résider dans leurs villages pendant la cueillette et la transformation des ressources.

[138] Aux paragraphes 6 et 8, John Dewhirst a écrit ce qui suit :

[traduction] Chaque « tribu » avait un village d’hiver, un grand village de maisons de planches multifamiliales, où les numayms se rassemblaient à la fin du cycle saisonnier pour passer les durs mois d’hiver, en se nourrissant de poisson séché et d’autres provisions recueillies dans d’autres villages plus tôt dans l’année. Certains villages d’hiver, comme Cluxewe, qui abritaient toute la tribu, étaient d’une taille impressionnante. Le reste de l’année, les numayms étaient dispersés dans des villages plus petits, généralement occupés pendant des périodes plus courtes que les villages d’hiver, en fonction de l’abondance et de la disponibilité des ressources, ainsi que du temps nécessaire à leur transformation.

[…]

Traditionnellement, les villages étaient dotés de structures de maison permanentes. Lorsque les familles quittaient un village, elles transportaient leurs biens sur des plates-formes de planches de maison posées sur des canots. Une fois arrivées dans le nouveau village, elles fixaient les planches à des structures permanentes pour former la toiture et le parement des maisons. Quand elles partaient, les familles emportaient leurs planches au village suivant.

[139] M. Robert Galois, spécialiste de l’histoire de la répartition géographique du peuple Kwakwaka’wakw et des effets qu’ont eus sur les populations les événements survenus après leur contact avec les Européens, a décrit le cycle annuel des déplacements saisonniers. Aux pages 25 et 26 de son livre intitulé Kwakwaka’wakw colonies, 1775-1920 : A Geographical Analysis and Gazetteer (Vancouver : UBC Press, 1994), Robert Galois décrit ce cycle annuel de la façon suivante :

[traduction] Partie 1 : Langue, territoire et établissements : point de vue sur les Kwakwaka’wakw]

Les activités et les déplacements varient d’une tribu à l’autre, mais il est possible de reconnaître la structure de base du cycle annuel des Kwakwaka’wakw. Ils se déplaçaient trois fois : des villages d’hiver aux sites de pêche à l’[eulakane], pour ensuite se rendre à divers sites d’approvisionnement en ressources et enfin, retourner aux villages d’hiver. Comme les tribus du détroit de Quatsino, Nahwitti et du Nord n’avaient pas accès aux sites de pêche à l’[eulakane], elles avaient un itinéraire quelque peu différent.

[…] Pour la plupart des tribus, la saison se terminait avec l’arrivée des premiers [eulakanes]. Ensuite, vers la fin mars, les tribus se rendaient à leurs sites de pêche à l’[eulakane], soit au bras Knight, soit au bras Kingcome. Certaines des tribus qui n’avaient pas de droits de pêche à l’[eulakane], du moins pendant une partie de cette période de l’histoire, se rendaient aux sites de pêche à l’[eulakane] pour faire du troc et s’approvisionner en huile.

Après la saison de l’[eulakane] qui s’étendait sur deux mois, les gens se dispersaient vers divers sites d’approvisionnement en ressources. Parmi les plus importants, il y avait les sites de pêche au saumon, qui étaient occupés (selon le site et l’espèce) jusqu’à la fin de l’automne. Au cours de cette période, les Autochtones récoltaient une grande variété de ressources provenant aussi bien de la terre que de la mer. Certaines ressources, comme les baies et les palourdes, étaient largement répandues et pouvaient souvent être récoltées près des sites de pêche. D’autres, comme la viande et les peaux, nécessitaient généralement de plus longues expéditions de chasse. Il y avait aussi des spécialisations régionales, comme la pêche au flétan (Nahwitti et Nakwotak) et la chasse à la baleine (Klaskino). Pendant cette période, certains se rendaient parfois au village principal, mais le début de l’hiver marquait la fin du cycle. Vers la fin de novembre, le village était de nouveau occupé à temps plein. [Notes de bas de page omises; RCD de la revendicatrice, vol 11, onglet 1, aux pp 25-26 de la version PDF].

[140] Il n’est pas question de la chasse aux phoques dans l’extrait, mais cette activité entre probablement dans la description de la chasse pour [traduction] « la viande et les peaux [qui] nécessitait généralement de plus longues expéditions ». Bon nombre de ces activités ont été décrites par Franz Boas, l’un des premiers ethnographes à avoir étudié ces peuples au tournant du XXe siècle. Il a publié, en 1909, un traité intitulé The Kwakiutl of Vancouver Island (Leiden & New York : E. J. Brill et G. E. Strechert & Co, 1909) (RCD de la revendicatrice, vol 11, onglet 2). Aux pages 500 et suivantes, il décrit la chasse aux mammifères marins, expliquant que les chasseurs utilisaient des canots pour se transporter jusqu’aux sites de chasse, mais que la population ne se déplaçait pas massivement vers ces sites.

[141] Les agents d’expérience de la CBH connaissaient bien les déplacements massifs des peuples autochtones. Dans son journal, du 22 avril au 2 octobre 1840, James Douglas a décrit le cycle des tribus des Kwagulth, qui occupaient alors un village d’hiver à Cheslakees :

[traduction] Au havre de McNeill, à trois milles au nord de Cheslakees, nous avons attendu les tribus des [Kwagulth] et échangé les fourrures de près de 30 individus. Les autres membres de ce nombreux peuple se trouvaient à une certaine distance, au canal Knight où, à ce moment de l’année, ils pêchent un petit poisson appelé [eulakane] en abondance et en extraient de grandes quantités d’huile. Au début du mois de juin, ils retournent à Cheslakees pour la saison du saumon qui s’étend de juillet à novembre, et ils y résident jusqu’au mois de janvier suivant, après quoi ils regagnent les canaux. Ce sont là les grandes lignes de la vie des [Kwagulth], ainsi que la cause et l’objet de leurs migrations. [Souligné dans l’original; RCD de M. Binnema, vol 3, onglet 37, à la p 289 de la version PDF]

[142] Les numayms composant la Première Nation devaient se rendre sur des sites de ressources éloignés pour pratiquer la pêche et transformer le poisson, mais la preuve ne permet pas d’affirmer qu’ils devaient ainsi migrer pour pouvoir récolter d’autres ressources. Il était, par exemple, possible de pratiquer la chasse en se servant des canots pour se rendre aux sites de chasse et en revenir avec les produits de la chasse. M. Galois a cartographié les sites des Kwakiutl, y compris les sites de ressources, avec et sans bâtiments, ainsi que les vieux villages, les villages d’hiver et les forts. Ces cartes ne sont peut-être pas complètes, mais celles qui ont été préparées ne font pas référence à Suquash.

[143] Le conseiller en chef Hunt a déclaré que Suquash était un nom traditionnel signifiant « lieu de chasse au phoque ». Wata (Christine Mary Twance) a quant à elle déclaré que des membres de la Première Nation Kwakiutl avaient pêché la palourde, récolté des algues et chassé le phoque à Suquash, et que les membres de sa famille faisaient habituellement l’aller-retour à Suquash en une journée, mais qu’ils pouvaient passer la nuit dans une cabane appartenant à sa grand-tante.

[144] Le nom Suquash évoque la chasse et le dépeçage des phoques, mais l’endroit se trouve tout près de Cheslakees (environ 10 kilomètres au sud-est du havre de McNeill), le village mentionné par James Douglas dans son journal de 1839, et encore plus près d’un village situé à l’embouchure de la rivière Cluxewe, à huit kilomètres au nord-ouest du havre de McNeill. Dans le rapport qu’il a rédigé en 1849 , lequel devait servir à choisir le meilleur emplacement pour le fort Rupert, le facteur en chef Work de la CBH a préparé une carte montrant les villages autochtones du nord de l’île de Vancouver. Sur cette carte, Work désigne Cheslakees comme un village de la nation Nimpkish. On peut aussi y voir un autre village situé au nord de Cheslakees – un village des Kwagulth – à une courte distance au sud-est de la [traduction] « source du charbon ». Il a relevé trois petits ruisseaux près de la [traduction] « source du charbon », le plus au sud de ceux‑ci étant probablement le ruisseau Suquash. Selon la preuve historique se rapportant au village des Kwagulth, il s’agissait du village situé à l’embouchure de la rivière Cluxewe, à huit kilomètres au nord-ouest du havre de McNeill et à quatre kilomètres au sud-ouest du ruisseau Suquash.

[145] Les villages relevés par John Work correspondent clairement à la notion élargie de village qu’avaient les Premières Nations et la CBH. Les villages de Cheslakees et de Cluxewe se trouvaient à l’embouchure de rivières à saumon, où les numayms des Kwagulth et d’autres sous‑groupes des Premières Nations étroitement associés avaient probablement des droits de pêche. Work ne mentionne pas Suquash comme un village.

[146] Au cours de la présente instance, aucune preuve n’a été présentée quant au kwakwala et au chinook et aux mots employés pour désigner les endroits où les peuples autochtones vivaient tout pendant leurs séjours annuels sur les sites de ressources, mais je crois qu’il est clair, d’après la façon dont les Kwagulth ont ultérieurement utilisé le mot « village » dans leurs présentations devant les Commissions McKenna–McBride et Ditchburn–Clark pour décrire certains endroits, mais pas d’autres, qu’il y avait une distinction entre les sites de ressources associés à un village et ceux qui étaient simplement reconnus comme un endroit où il était possible de trouver une ressource donnée. Du point de vue de la Compagnie de la Baie d’Hudson, il est clair que ses représentants savaient que la notion de village ne se limitait pas, par exemple, aux villages d’hiver, et qu’elle englobait les régions où vivait la majeure partie de la population afin de pouvoir exploiter la ressource qui s’y trouvait, comme c’était le cas pour les sites de pêche à l’eulakane et au saumon. Cependant, ni les archives ni la correspondance de la Compagnie ne désignent Suquash comme un tel lieu, pas plus que les premiers relevés géographiques préparés par G. M. Dawson ou les sources anthropologiques (Franz Boas, Helen Codere, Wilson Duff) ne précisent que Suquash était un site occupé.

XIII. EST-CE QUE SUQUASH ÉTAIT UN VILLAGE AVANT 1849? — LES PREUVES ETHNOGRAPHIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES

[147] La publication de Franz Boas, intitulée Geographical Names of the Kwakiutl Indians (New York : AMS Press, 1969), expose en détail les nombreuses caractéristiques qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur les noms de lieux choisis par les Kwakiult. Le nom peut faire référence :

  1. à l’apparence ou aux caractéristiques distinctives d’un lieu;

  2. à ce qu’une zone marine peut représenter pour ceux qui voyagent sur l’eau;

  3. aux endroits où se trouvent des ressources utiles, notamment des sources de nourriture ou des arbres utiles;

  4. aux lieux utilisés pour les campements;

  5. aux lieux où se trouvent les maisons et les forts;

  6. aux lieux liés à la mythologie ou aux légendes.

[148] Dans le cas de Suquash, la seconde syllabe est un suffixe désignant un lieu. La première syllabe évoque le dépeçage ou la découpe de viande, et donc, ensemble, il s’agit d’un lieu de dépeçage ou de découpe de viande. Le mot ne précise pas quel animal était dépecé, mais il est souvent fait mention du phoque. Il est question de dépeçage ou de découpe de la viande lorsque le phoque constitue une source de nourriture. Dans la preuve, il est aussi question de l’utilisation du crâne de phoque dans les cérémonies de potlatch, mais il est difficile de savoir à quel point le phoque était utilisé comme source de nourriture ou s’il était autrement utilisé dans cette culture. Aucune trace archéologique de phoques n’a été trouvée lors de l’exploration archéologique limitée de Suquash. Une source contemporaine fait état de la présence de phoques sur le récif exposé qui se trouve à l’extérieur de l’estuaire du ruisseau Suquash (recueil condensé de documents de M. Alan McMillan, onglet 3, à la p 88 de la version PDF). Il se peut que les fouilles aient été insuffisantes ou que le site ait été tellement modifié par les derniers travaux d’exploitation minière que la preuve de leur utilisation par les Premières Nations n’était pas disponible, mais l’absence d’une telle preuve peut également suggérer que le site ne servait qu’à la chasse et que les chasseurs abattaient les animaux à partir de leurs canots ou qu’ils se rendaient sur le rivage sans qu’il soit nécessaire de déplacer la communauté pour occuper le site.

[149] Le territoire de Suquash a été considérablement modifié par l’exploration et la production de charbon du début du XXe siècle. Toutefois, deux endroits témoignent d’une utilisation autochtone antérieure. Le premier correspond à un amas coquillier près de la laisse de haute mer et de la zone de déversement du ruisseau Suquash. Le second est un site de cuisson de mollusques et crustacés qui se trouve à une certaine distance de la rive, sur un plateau qui surplombe la plage et le gisement de charbon de surface en contrebas. Aucun de ces deux endroits n’a pu être daté au carbone en raison de la contamination attribuable aux gisements de charbon. Les deux témoins experts en archéologie, John Dewhirst, cité par la revendicatrice, et Alan McMillan, cité par l’intimée, ont conclu que les gisements de charbon avaient contaminé les échantillons prélevés aux deux endroits, ce qui a eu pour effet d’en fausser l’âge. Il est presque certain que l’amas coquillier situé sur la plage soit lié à une occupation préhistorique de la région, soit des siècles avant la fondation du fort Rupert, et de nombreux sites similaires ont été découverts le long de ce littoral. Selon une étude archéologique menée sur la côte avoisinante, 12 sites présentant des amas coquilliers ont été recensés à proximité, sur une distance de quelques kilomètres (rapport en réponse de M. Alan McMillan, daté du 19 juin 2019 et intitulé « Responding Expert Opinion Report » (Rapport d’opinion d’expert présenté en réponse), à la p 10).

[150] Sur le plateau situé plus haut —caractéristique 37a—il y avait un dépôt uniforme de coquilles, principalement de palourdes jaunes, ainsi que des galets qui auraient été transportés de la plage et chauffés par le feu pour cuire les palourdes. John Dewhirst a d’abord dit qu’on pouvait croire qu’il y avait eu là un village. Dans un rapport subséquent, il a indiqué que, d’après les fouilles limitées qui ont été menées sur le site, il est probable que ce site ait été le théâtre d’un seul grand festin. Selon lui, cet événement a eu lieu entre le début et le milieu du XIXe siècle en raison du nombre élevé de palourdes jaunes et de la découverte de cinq petits fragments de charbon parmi les galets et les coquilles. Le charbon n’était pas utilisé dans les feux de cuisson des Kwakiutl. Dewhirst a donc conclu que le charbon provenait probablement des paniers utilisés pour transporter les palourdes et les galets au plateau supérieur, lesquels paniers avaient servi à transporter du charbon. M. McMillan a jugé que cette hypothèse était plausible, mais qu’elle n’était qu’une des nombreuses explications possibles de la présence des fragments de charbon.

[151] John Dewhirst s’est dit d’avis que les palourdes jaunes, un mollusque prisé par les Autochtones, ne seraient apparues qu’après le déclin de la population de loutres de mer, qui a presque disparu à cause de la chasse, de sorte que les palourdes jaunes, également appréciées des mammifères marins, sont devenues une espèce répandue.

[152] Selon l’expérience de M. McMillan, basée sur un certain nombre de fouilles réalisées dans la région du détroit Queen Charlotte, on trouvait souvent ces coquilles de palourdes dans les secteurs datant d’avant la quasi-extinction de la loutre de mer et on ne peut pas se fier à leur présence pour dater un gisement. À son avis, l’aire de cuisson située sur le plateau supérieur n’a probablement pas été conçue pour un seul événement compte tenu du fait qu’elle aurait un diamètre de 51 mètres, soit un diamètre beaucoup plus grand que celui des sites de cuisson découverts lors d’autres fouilles. Il a ajouté que, si le site avait été mieux aménagé, on y aurait sans doute trouvé plusieurs sites de cuisson, utilisés à différentes époques, tous à proximité les uns des autres. Il a également souligné l’absence de vestiges de biens d’échange, qui caractérisent habituellement les sites fréquentés après le contact avec les Européens. Ce sont des sites datant de peu avant ou après 1800.

[153] À mon avis, les preuves archéologiques ne permettent pas d’établir l’utilisation de Suquash par les Autochtones au cours des décennies qui ont précédé l’établissement du fort. La présence d’un amas coquillier sur la plage, près de l’eau, correspond généralement à une utilisation préhistorique, et le fait que le plateau supérieur ait accueilli un événement nécessitant une très grande aire de cuisson ne prouve pas que Suquash ait été plus qu’un site de ressources distinct des lieux d’habitation saisonniers. En fait, l’idée avancée par M. McMillan à propos de la présence d’un plus grand nombre de foyers de cuisson correspond davantage à la notion de village, mais ce n’est qu’une hypothèse non vérifiée.

[154] De même, il est difficile de dater le site situé sur le plateau supérieur. Les deux experts conviennent que les cinq fragments de charbon y ont probablement été transportés, mais la thèse selon laquelle leur présence est attribuable au fait que les mêmes paniers de transport ayant servi à transporter le charbon ont été utilisés pour transporter les galets et les palourdes, de sorte que des débris de charbon ont pu se retrouver sur le site, ne constitue qu’une hypothèse. Les palourdes proviennent probablement de la plage coquillière située dans l’estuaire du ruisseau Suquash. Le ruisseau traverse le gisement de charbon et des particules de charbon ont été rejetées sur la plage et dans les environs, ce qui s’est avéré problématique puisqu’il a été établi que les divers échantillons de coquilles datés au carbone étaient contaminés. Le transport des palourdes, des galets et du bois de chauffage pourrait aussi expliquer à lui seul la présence des quelques fragments de charbon.

[155] Enfin, la thèse selon laquelle la prédominance des palourdes jaunes est un signe que le site date du début ou du milieu du XIXsiècle repose sur le postulat que la loutre de mer a déjà été présente dans la région, ce qui n’a pas été établi et n’explique pas la présence de sites similaires datant d’avant la quasi-extinction. La loutre de mer vit souvent, mais pas toujours, là où il y a des lits de varech (recueil condensé de documents de M. Alan McMillan, onglet 11), et comme l’a souligné M. McMillan, les études portant sur cette espèce indiquent que la plus grande partie de son alimentation est composée d’autres créatures marines, et, selon certaines sources, la palourde ne constitue pas une partie importante de son régime alimentaire. Suquash n’a pas été décrit comme un endroit où il y avait un lit de varech ou comme un habitat de la loutre de mer et, comme nous l’avons mentionné, la présence de palourdes jaunes n’explique pas l’existence de sites similaires datant d’avant sa quasi-extinction, où des amas coquilliers composés notamment de palourdes jaunes ont également été localisés.

XIV. SUQUASH ÉTAIT-IL UN EMPLACEMENT OCCUPÉ PENDANT LA PRODUCTION DE CHARBON PAR LES KWAKIUTL?

[156] Les Kwagulth utilisaient peu le charbon dans leur culture, si ce n’est comme pigment et pour façonner de petits morceaux à des fins ornementales. Il semble évident que les agents de la CBH basés au fort McLoughlin, l’établissement commercial de la CBH le plus proche, ont su qu’il y avait des gisements de charbon dans la région occupée par les Kwagulth en 1835. Le facteur en chef Finlayson s’est donc rendu dans la région en 1836.

[157] La découverte du gisement de charbon a coïncidé avec l’arrivée du navire à vapeur de la CBH, le Beaver, en 1836. Le Beaver était un navire relativement petit et ne pouvait pas transporter les grandes quantités de charbon nécessaires aux voyages commerciaux qu’il faisait sur la côte et qui l’ont mené jusqu’à Port Simpson, au nord de l’actuelle ville de Prince Rupert. Le Beaver pouvait être alimenté en charbon, mais il fallait du bois pour allumer les chaudières, une ressource disponible à maints endroits le long de la côte.

[158] La description que les témoins experts ont faite de la production de charbon par les Premières Nations avant 1849 a suscité une certaine controverse. John Dewhirst, dans son rapport du 15 janvier 2011 intitulé « The Specific Claim for Suquash, Vancouver Island, B.C. : A Historical Report » (La revendication particulière concernant Suquash, île de Vancouver, C.-B. : un rapport historique), a présenté cette conclusion à la page 47 : [traduction] « De la fin des années 1830 à 1852, les [Kwagulth] exploitaient également une mine de charbon à ciel ouvert à Suquash. » M. Binnema, dans son premier rapport du 11 avril 2019 intitulé « Suquash and the Kwakiutl » (Suquash et les Kwakiutl), a écrit ce qui suit à la page 15 : [traduction] « Bien que les Autochtones de Cluxewe aient occasionnellement échangé du charbon avec les Européens entre 1835 et 1846, ce commerce était irrégulier et sporadique. » Dans son deuxième rapport du 11 avril 2019 intitulé « A Response to the Report by John Dewhirst entitled “The Specific Claim for Suquash” and to a report entitled “Supplementary Report” » (Réponse au rapport de John Dewhirst intitulé « La revendication particulière concernant Suquash » et à un rapport intitulé « Rapport supplémentaire ») (un rapport de sept pages déposé en réponse au rapport de John Dewhirst du 15 janvier 2011, et au rapport supplémentaire subséquent daté du 1er octobre 2018), M. Binnema a formulé les commentaires suivants à la page 5 :

[traduction] La preuve documentaire permet de dire que, bien que les tribus établies au fort Rupert aient pu enlever jusqu’à 12 pieds de morts‑terrains des filons houillers, leurs efforts d’exploitation minière ont été limités et désordonnés, sauf pour la période allant de mai 1849 au début de 1851 où, pendant l’extraction des gisements de charbon de surface, ils ont été intensifs, mais sporadiques.

[159] John Dewhirst a critiqué ces commentaires dans son rapport du 8 juillet 2019 déposé en réponse aux rapports de M. Binnema datés du 11 avril 2019. Voici ce qu’il a écrit au paragraphe 24 :

[traduction] À mon avis, M. Binnema a mal décrit les activités d’exploitation du charbon [par les Kwagulth] à Suquash et n’a pas tenu compte des faits et des contextes historiques connus. À plusieurs endroits dans ses rapports, il a utilisé le terme « désordonnée » pour décrire la façon dont les [Kwagulth] extrayaient le charbon dans les années précédant la conclusion des traités du fort Rupert [...] en d’autres termes : déconnectée, non méthodologique, passant d’un endroit à un autre, désorganisée ou aléatoire.

[160] Pour déterminer si Suquash était un site important de production de charbon avant 1849, il faut se demander si, avant 1849, l’extraction du charbon était une activité importante, ce qui permettrait de conclure que les Premières Nations se rendaient régulièrement à Suquash à cette fin. Jusqu’en 1846, selon les registres, seule la CBH a acquis du charbon des Autochtones qui s’approvisionnaient dans les gisements de charbon de Suquash ou de ses environs. Le capitaine McNeill du Beaver a pris à son bord un peu de charbon en 1836, puis 16 tonnes en 1838. James Douglas a rapporté avoir pris environ 100 tonnes en 1839, toujours pour en tester la qualité, qu’il a envoyées en Angleterre comme lest sur le navire de ravitaillement de la CBH, le Nereidi.

[161] Comme il fallait du charbon pour alimenter les navires à vapeur, ces derniers devaient pouvoir supporter un tonnage suffisant pour transporter leur cargaison ainsi que le charbon nécessaire au voyage entre les postes de ravitaillement. L’arrivée sur la côte ouest des navires de la Pacific Steamship Mail Company, conçus pour transporter le courrier entre le territoire de l’Oregon et le Panama, et des navires de guerre à vapeur britanniques, représentait pour la CBH de nouvelles possibilités de marché, ce qui l’a incitée à accroître sa production de charbon pour en assurer le ravitaillement. À la page 13 de son rapport du 1er octobre 2018 intitulé « A Supplementary Report to My Section 88 Letter of August 14, 2018, The Specific Claim for Suquash, Vancouver Island, B.C. : A Historical Report» (Rapport supplémentaire à ma lettre du 14 août 2018 présentée au titre de l’article 88, « La revendication particulière concernant Suquash, île de Vancouver, C.‑B. : un rapport historique »), John Dewhirst précise que [traduction]« [d]e la fin des années 1830 jusqu’à la construction du fort Rupert, en 1849, les [Kwagulth] de Suquash ont vendu du charbon directement aux navires visiteurs ». Or, en réalité, il n’existe aucune trace de ces ventes de charbon, hormis les acquisitions limitées de la CBH, jusqu’à l’arrivée du navire de guerre à vapeur britannique, le Cormorant, en 1846. Le Beaver est le seul navire à vapeur mentionné dans la preuve à avoir navigué sur la côte du nord-ouest, et à part alimenter les navires à vapeur, le charbon n’aurait servi — jusqu’en 1846, lorsque le Cormorant a été envoyé pour explorer les possibilités de ravitaillement — qu’à approvisionner les forgerons, ce qui représentait alors un marché limité, probablement réservé aux forgerons de la CBH. Ensuite, selon les registres historiques, c’est lors de la visite du navire à vapeur américain, le Massachusetts, et du bâtiment, l’England, en 1850, que du charbon provenant du fort Rupert a été vendu. L’England avait été affrété pour transporter les 1 000 tonnes vendues à la Pacific Steamship Mail Company.

[162] Dans les archives de la CBH, il est question des premières quantités de charbon achetées par le Beaver au havre de McNeill, en 1836, des 16 tonnes prises à bord du Beaver en 1838 et des 100 tonnes obtenues en 1839, dont James Douglas fait mention dans la lettre qu’il a envoyée au gouverneur, au sous-gouverneur et au comité le 14 octobre 1839. Le charbon des Kwagulth a ainsi pu être testé. Dans le premier cas, il s’est avéré bon pour produire de la vapeur et pour répondre aux besoins des forgerons. Douglas a noté que le charbon acheté en 1839 était de qualité inférieure. Il a donc été en grande partie envoyé à Londres en guise de lest sur un navire de ravitaillement de la CBH, le Nereidi, afin de pouvoir réaliser d’autres tests. Douglas gardait espoir que la qualité du charbon s’améliorerait s’il était prélevé dans des secteurs non exposés aux éléments, de sorte que Peter Ogden et lui ont fait un rapport optimiste au capitaine Duntze, qui était arrivé en 1846 à bord du Fisgard. Le commandant Gordon, envoyé par Duntze à bord du Cormorant sur les terrains houillers, croyait également que du charbon pouvait être produit à Suquash ou dans les environs.

[163] Avant 1849, à part la CBH et le Cormorant, il semble peu probable que d’autres aient acheté du charbon. La CBH était aux commandes du premier navire à vapeur commercial à naviguer sur la côte nord-ouest, le Beaver, mais celui-ci n’avait pas été conçu pour fonctionner au charbon. La Marine britannique n’avait pas de navire à vapeur dans la région jusqu’à ce qu’elle y envoie le Cormorant avec la frégate, le Fisgard, en 1846, probablement en raison du conflit avec les États-Unis sur la souveraineté de la côte ouest. Le Cormorant a pris environ 60 tonnes de charbon en 1846, là encore dans le but de l’utiliser à bord et d’en tester la qualité. Outre celui de la Marine, le ravitaillement de la Pacific Steamship Mail Company représentait pour les Kwagulth la meilleure occasion commerciale puisqu’en 1850, la compagnie mettait en place un service postal reliant l’Oregon et le Panama grâce à l’arrivée de navires à vapeur océaniques.

[164] Le charbon pouvait également servir en ferronnerie, mais les forgerons consommaient nettement moins de charbon que les navires. Par conséquent, jusqu’à ce que les possibilités commerciales du genre de celles mentionnées se présentent, la production de charbon à Suquash était fort probablement une activité ponctuelle, voire irrégulière et sporadique, de sorte que rien ne permet d’affirmer que Suquash était un lieu d’habitation régulière, d’autant plus que Cluxewe et Cheslakees, deux villages connus, se trouvaient à une courte distance de la mine de charbon de Suquash et à proximité du poste de mouillage sûr du havre de McNeill, où le charbon aurait été livré.

XV. SUQUASH ÉTAIT-IL UN VILLAGE PENDANT LA PRODUCTION DE CHARBON DE 1849-1850?

[165] Ce sujet a de nouveau suscité la controverse chez les témoins experts. Dans son rapport de 2011, John Dewhirst ne fait aucune observation sur une quelconque occupation par les Premières Nations d’un village à Suquash pendant la période – d’avril à novembre 1849, où elles produisaient du charbon, ainsi que pendant les mois où elles faisaient le commerce du charbon, en 1850. Cependant, dans son rapport complémentaire du 1er octobre 2018, il dit ce qui suit : [traduction] « Compte tenu de la distance entre Suquash et le fort Rupert, du fait que le charbon était extrait en grandes quantités et du grand nombre de mineurs et de canotiers [de Kwagulth] mobilisés, ces derniers devaient vivre à Suquash. » À la page 22, il a ajouté :

[traduction] Vu le grand nombre de [Kwagulth] à avoir participé aux activités houillères à Suquash, qui ont duré plusieurs jours, il devait avoir des résidences à Suquash. L’amas coquillier observé — caractéristique 37a — témoigne de la consommation de palourdes jaunes pendant la première moitié du 19e siècle, très certainement par les résidents de Suquash.

[166] À la page 7 de son premier rapport du 11 avril 2019, M. Binnema a formulé le commentaire suivant :

[traduction] Je ne suis pas de cet avis. La quantité de charbon extraite des terrains houillers se trouvant dans les environs du fort Rupert, même pendant l’année record, était dérisoire par rapport aux normes des mines de charbon, et n’a malheureusement pas été rentable pour la CBH.

Je conviens que les membres des tribus établies au fort Rupert qui ont extrait du charbon à Suquash ont séjourné à Suquash. Les journaux du fort Rupert le montrent. Cependant, en toute logique ou d’après les documents historiques, je ne crois pas que l’ampleur et l’intensité de l’activité minière menée à Suquash par les tribus du fort Rupert les aient poussées à vivre à Suquash, ou qu’elles y aient effectivement vécu.

[167] En ce qui concerne le commentaire formulé par John Dewhirst, à la page 20 de son rapport, [traduction] « Vu le grand nombre de mineurs et de canotiers [de Kwagulth] mobilisés, ces derniers devaient vivre à Suquash », M. Binnema répond ce qui suit :

[…] [traduction] Dewhirst cite des entrées du journal qui semblent contredire cette affirmation. Dans son rapport [...] il cite le journal du fort Rupert du 18 juillet 1849 selon lequel « plus de cinquante canots sont partis à la recherche de charbon ». Selon moi, cette entrée signifie que les personnes qui se trouvaient dans ces cinquante canots résidaient dans les villages du fort Rupert, mais qu’elles sont parties en direction de Suquash le 18 juillet. Les entrées des 21 et 22 juillet, selon lesquelles [traduction] « une grande quantité de charbon est arrivée », laissent croire que les groupes de mineurs qui sont partis le 18 juillet pourraient être retournés au fort Rupert avec du charbon les 21 et 22 juillet. À la page 21 de son rapport, Dewhirst cite l’entrée du 4 novembre 1849 : « La grande majorité des Indiens sont maintenant absents, car ils sont partis chercher du charbon et des provisions. » L’utilisation du mot « absent » dans cette phrase donne à penser que les Indiens en question étaient normalement présents dans ce village situé près du fort Rupert.

[168] Comme il a été souligné précédemment, John Dewhirst a déclaré que la caractéristique archéologique 37a appuyait la théorie voulant qu’il y ait eu une occupation régulière à Suquash; or, cette affirmation ne concorde pas avec la conclusion qu’il a tirée plus tard, à savoir que cette caractéristique est le vestige d’un seul grand festin. Il convient également de noter que rien n’indique que des structures autochtones aient été mises en place, qu’elles aient existé ou que des ruines aient été découvertes à Suquash, et tout compte fait, j’estime que le journal appuie l’interprétation de M. Binnema.

[169] Pour replacer la production de charbon dans son contexte, rappelons que James Douglas a fait état d’une production de 1 200 tonnes de charbon pour l’année 1849 et de 1 700 tonnes pour l’année 1850. Il n’est fait état d’aucune production de charbon après 1850. L’England, le navire sur lequel les trois marins s’étaient réfugiés après avoir abandonné le navire de la CBH pour tenter de gagner la Californie, avait été envoyé au fort Rupert pour transporter les 1 000 tonnes de charbon commandées par la Pacific Steamship Mail Company. Les marins n’ont pu y embarquer qu’environ 625 tonnes, c’est‑à‑dire tout ce qu’il y avait au fort à ce moment-là, mais ils en ont profité pour charger du bois. Cependant, si l’on avait envoyé ce navire, c’est parce qu’on croyait qu’il pouvait transporter les 1 000 tonnes. Au cours de la meilleure année, soit en 1850, il devait transporter seulement 700 tonnes de moins que la quantité annuelle produite. Le commerce du charbon a nécessité la participation de centaines de travailleurs des Premières Nations, mais d’un point de vue commercial, sa production était limitée.

XVI. FIN DE LA PRODUCTION DE CHARBON PAR LES PREMIÈRES NATIONS À SUQUASH

[170] Peu avant la signature des traités du fort Rupert en février 1851, c’est-à-dire le 24 janvier 1851, le commis de la CBH basé au fort Rupert, George Blenkinsop, a rapporté ce qui suit au gouverneur nord-américain de la CBH :

[traduction] Étant donné la quantité importante de biens qu’on leur a mis entre les mains, les [Kwagulth] sont maintenant insolents envers leurs voisins qui, de leur côté, se montrent envieux, si bien que les conflits surgissent rapidement et se terminent souvent dans une effusion de sang. Plusieurs incidents graves se sont produits l’été dernier, de sorte qu’ils ont cessé d’extraire du charbon, et qu’ils n’ont pu se procurer des fourrures et des provisions.

[…]

Je vais me servir de ce que nous allons leur verser en échange de leurs terres pour les calmer, car il faut absolument les amadouer avant que ne vienne le temps d’exploiter les gisements houillers. Je vous assure, votre Honneur, que nous avons une très grande influence sur eux et que vous pouvez être sûr qu’elle sera mise à profit dans l’intérêt de l’honorable Compagnie. [RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 88.]

[171] Le facteur en chef Douglas a annoncé qu’il s’attendait à pouvoir se procurer du charbon auprès des Premières Nations en 1851. Dans son rapport du 16 novembre 1850 au secrétaire Barclay, il a déclaré :

[traduction] [...] nous comptons toujours sur les Indiens pour l’extraction du charbon et avons obtenu, grâce à leur travail, environ 1 700 tonnes au cours des six mois qui se sont écoulés entre mai et octobre, ce qui représente une augmentation de 500 tonnes par rapport à la quantité obtenue l’année dernière. Ils ont maintenant suspendu leurs opérations pour l’hiver, mais ils recommenceront à travailler dès le printemps, dès que le temps le permettra. [RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, aux pp 832-833 de la version PDF].

[172] Les deux traités du fort Rupert sont datés du 8 février 1851. Toutefois, les Premières Nations n’ont pas repris la production de charbon à Suquash, comme il avait été prévu. En fait, très peu de charbon, voire aucun, a été produit et vendu après la signature des traités.

[173] Selon la preuve, deux raisons expliquent la suspension de la production de charbon par les Premières Nations. La première se rapporte au commentaire formulé par James Douglas dans le rapport qu’il a remis au secrétaire Barclay, le 4 août 1851, à propos des efforts déployés par les employés de la CBH pour amener les Premières Nations à reprendre la production de charbon :

[traduction] Ils n’ont pas réussi à convaincre les Indiens [Kwagulth] de produire du charbon cette année, et ce, à cause de la guerre [des Nahwitti], car bien qu’ils ne participent pas activement à ce conflit, ils ont néanmoins un profond intérêt pour tout ce qui s’y rapporte. Ils sont pacifiques, et bien disposés, et tant qu’ils resteront ainsi, il n’y a pas lieu de s’inquiéter des Indiens [Nahwitti]. [RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, à la p 869 de la version PDF.]

[174] Dans sa lettre du 4 août 1851, James Douglas a également relaté le deuxième incident survenu après que les trois hommes qui avaient quitté l’England auraient été assassinés par les Nahwitti. Le gouverneur Blanshard avait ordonné à la canonnière, le Daedalus, de faire brûler un village vacant des Nahwitti en octobre 1850. Le 20 juillet 1851, Blanshard est arrivé à bord d’une autre canonnière, le Daphné, et a appris que les Nahwitti occupaient alors un village sur l’île de Nikei. Le village des Nahwitti a été attaqué, quatre occupants ont été tués, et le village et les canots ont été détruits. Le conflit a pris fin lorsque les Nahwitti ont livré trois corps, supposément ceux des meurtriers. Ils se sont ensuite installés sur la côte ouest de l’île de Vancouver, ce que Douglas a jugé, dans sa lettre du 31 octobre 1851 au très honorable Earl Grey, principal secrétaire d’État de sa Majesté pour le département colonial, comme étant [traduction] « une conclusion satisfaisante et respectable » (RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, à la p 880 de la version PDF).

[175] La revendicatrice affirme que cet incident avec les Nahwitti est la raison profonde pour laquelle la production de charbon a été suspendue. Au paragraphe 17 de son rapport en réponse daté du 18 juillet 2019, John Dewhirst explique que [traduction] « la CBH avait suspendu ses activités d’exploitation et ses achats de charbon au fort Rupert et [que], par conséquent, [les Kwagulth] avaient cessé d’en extraire [...] En outre, les [Kwagulth] ont refusé d’extraire du charbon en signe de protestation contre l’“incident [impliquant les Nahwitti]” ». Les autres rapports de George Blenkinsop et de James Douglas offrent toutefois une autre explication. Dans son rapport du 13 novembre 1851 au gouverneur Simpson, Blenkinsop a indiqué ce qui suit (RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 85) : [traduction] « Il reste encore 1 400 tonnes de charbon. Les Indiens ont tenté d’en produire cette année, mais le travail était si pénible qu’ils ont abandonné en désespoir de cause. Nous menons maintenant nos opérations minières à l’endroit même où nous avons obtenu tant de charbon l’année dernière. » Les opérations minières mentionnées par Blenkinsop consistaient, encore une fois, à exploiter une mine de charbon avec l’aide de mineurs britanniques. Boyd Gilmour, qui a remplacé les Muir, avait pris la relève et tentait de trouver une mine de charbon productive. Après une première inspection, il avait construit deux bâtiments à Suquash et, avec l’aide d’employés de la CBH et de travailleurs autochtones, il avait creusé des puits et essayé de trouver du charbon au cours de l’année suivante, mais il avait abandonné, en septembre 1852, après avoir jugé que le site était inadéquat.

[176] Dans son rapport du 24 octobre 1952 au gouverneur Simpson, George Blenkinsop a écrit ce qui suit :

[traduction] Les gisements de charbon à ciel ouvert de [Suquash] sont également épuisés. Il reste cependant dans ce secteur environ deux acres de ce que l’on pourrait appeler du charbon de surface, mais le coût de son exploitation serait supérieur à sa valeur étant donné qu’il est recouvert d’une couche d’argile raide d’une profondeur moyenne de 17 pieds. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour convaincre les Indiens d’enlever l’argile, mais en vain. En réalité, la tâche était trop lourde pour eux. [RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 86, à la p 586 de la version PDF.]

[177] Le rapport que James Douglas a présenté au secrétaire Barclay le 11 juillet 1852 allait dans le même sens (RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 87) : [traduction] « Les Indiens ne sont pas parvenus à produire du charbon cette année, car ils n’étaient pas prêts ni aptes à déployer les efforts nécessaires pour l’extraire à une profondeur de dix pieds sous la surface. »

[178] La revendicatrice souligne que l’incident avec les Nahwitti est ce qui a mis fin à la production de charbon. Elle affirme également que les Premières Nations ont produit 10 000 tonnes de charbon après l’établissement du fort Rupert et fait valoir la thèse de John Dewhirst selon laquelle la CBH a choisi de ne pas acheter de charbon des Kwagulth avant d’avoir écoulé les 1 400 tonnes qui étaient alors stockées, puis a décidé d’exploiter les gisements de charbon découverts à Nanaimo et d’abandonner la production au fort Rupert. De plus, la revendicatrice soutient que la CBH a de nouveau extrait du charbon à Suquash, ou dans les environs, en 1868.

[179] Je ne crois pas que l’incident avec les Nahwitti ait été important au point de provoquer l’arrêt de la production jusqu’en 1851. L’année 1850 a aussi été marquée par de nombreux incidents dans la région du fort Rupert, dont le conflit de travail avec les Muirs, qui a entraîné l’emprisonnement de plusieurs d’entre eux pendant un certain temps, la défection de mineurs, qui ont fui vers la Californie, et le meurtre des trois anciens marins de la CBH qui étaient arrivés à bord de l’England, suivi du déploiement du Daedalus par le gouverneur Blanshard. Ces événements ont certainement touché les Premières Nations, mais malgré le désordre qui régnait au fort, celles‑ci ont produit plus de charbon en 1850 qu’en 1849.

[180] Les Nahwitti constituaient un plus petit groupe que les Autochtones qui habitaient au fort Rupert. Ceux‑ci ont traité les Nahwitti de [traduction] « chiens » devant les représentants de la CBH et ont offert de les punir après le meurtre des trois hommes qui avaient déserté l’England (RCD de la revendicatrice, vol 2, onglet 9, à la p 311 de la version PDF). Rien n’indique que les Premières Nations de la région du fort Rupert considéraient les Nahwitti comme une menace ou comme des alliés.

[181] La thèse de John Dewhirst, selon laquelle les Premières Nations auraient produit 10 000 tonnes de charbon, est fondée sur un rapport produit en 1952 sur l’exploitation houillère dans la région (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 81). Le chiffre de 10 000 tonnes y est présenté sans mention d’une quelconque source primaire susceptible d’étayer une telle production. James Douglas fait état de 1 200 tonnes en 1849 et de 1 700 tonnes en 1850, ainsi que d’une production minimale, sinon nulle, en 1852. D’après les données historiques, le chiffre de 3 000 tonnes paraît beaucoup plus sûr.

[182] Enfin, même si cette référence de John Dewhirst au sujet de la production de charbon de la CBH en 1868 n’a aucun rapport avec l’une quelconque des questions soulevées en l’espèce, elle s’appuie sur des propos tenus par le capitaine Porcher du navire militaire Sparrowhawk qui, à la fin de mai 1868, a rencontré C. W. Wallace, à Suquash. Porcher a dit que cet endroit était [traduction] « abandonné jusqu’à ce que, le mois dernier, M. C. W. Wallace ne perce de nouveau la veine à un autre endroit qui semble prometteur puisque 6 hommes ont déjà extrait environ 60 tonnes » (RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 14, à la p 161 de la version PDF). Le mois précédent, Suquash avait été réservé afin qu’ un particulier, A. W. Huson, puisse se livrer à la prospection de charbon. La preuve ne permet pas de conclure que A. W. Huson ou C. W. Wallace étaient des employés de la Compagnie. De plus, rien dans les archives de la CBH n’indique que la Compagnie ait poursuivi le commerce du charbon provenant de Suquash après 1852.

[183] L’ensemble de cette preuve, et plus particulièrement les rapports de 1851 et 1852 de James Douglas et de George Blenkinsop sur la décision d’abandonner la mine à cause de la plus grande difficulté à en extraire du charbon, m’amène à conclure que les bouleversements causés par l’incident avec les Nahwitti ont été temporaires et que la principale raison pour laquelle la production de charbon a cessé était la difficulté que représentait l’extraction de plus grandes quantités de charbon en recourant uniquement aux travailleurs des Premières Nations. Il est vrai que la CBH a déplacé ses activités à Nanaimo après 1852, mais jusqu’en octobre 1852, Boyd Gilmour a continué à chercher un gisement commercialisable, soit près de deux ans après que les Premières Nations eurent produit d’importantes quantités de charbon à Suquash. Jusque-là, la Compagnie n’avait pas abandonné l’idée de produire du charbon à des fins commerciales. Après que la production eut cessé, en 1850, la Compagnie avait en stock 1 400 tonnes de charbon, mais cette réserve n’était pas suffisante, ou ne pouvait pas justifier la suspension des activités si, comme l’espérait la Compagnie, il était toujours possible de produire du charbon à long terme. Tout indique qu’il n’y avait plus aucune chance de trouver une autre source d’approvisionnement commercialement viable. Douglas s’en est rendu compte assez vite, comme en témoigne son commentaire du 22 décembre 1850 : [traduction] « Je suis maintenant convaincu qu’il est impossible de se procurer du charbon de bonne qualité et en grande quantité sur l’île de Vancouver sans engager de lourds frais d’exploitation et, de ce fait, peut-être le Comité souhaite-t-il connaître mon opinion sur le sujet, je ne suis pas en faveur du projet [...] » [RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, à la p 837 de la version PDF].

XVII. CONDUITE DES PARTIES APRÈS LA SIGNATURE DU TRAITÉ

[184] Les raisons pour lesquelles les parties ont conclu le traité sont assez évidentes. La CBH voulait obtenir les terrains houillers qu’elle avait décrits comme étant situés entre le havre de McNeill et la baie Beaver, soit l’emplacement du fort Rupert. Suquash était l’emplacement le plus productif et renfermait la meilleure qualité de charbon que l’on pouvait trouver le long de cette partie du littoral de 37 kilomètres. La Compagnie de la Baie d’Hudson avait une conception plutôt limitée des droits des Premières Nations sur les terres qu’elles n’occupaient pas ou ne cultivaient pas. Elle pensait que la Couronne avait acquis le titre de propriété de l’île de Vancouver après en avoir fait, par déclaration, une colonie en 1849. Le titre avait ensuite été transféré à la Compagnie, avec pour seule condition que des droits limités soient accordés aux peuples autochtones. Dans la lettre qu’il a adressée au secrétaire Barclay, en décembre 1849, le facteur en chef a donné les instructions suivantes :

[traduction] Les Indiens conserveront la possession de leurs terres tant et aussi longtemps qu’ils les occuperont et les cultiveront eux-mêmes, mais ils ne seront pas autorisés à les vendre ou à les céder à un particulier puisque la Couronne a conféré à la Compagnie le droit sur l’ensemble du sol. Ils conserveront le droit de pêcher et de chasser [...] [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 29.]

[185] Cependant, en pratique, la Compagnie devait trouver le moyen de tenir compte de la revendication par les Premières Nations du fort Rupert du droit de propriété sur les terres houillères et du contrôle effectif qu’elles exerçaient sur ces terres. Le facteur en chef Douglas voyait dans la conclusion d’un traité ayant pour effet de transférer l’intérêt des Premières Nations dans les terres le moyen d’en prendre possession de façon pacifique. Dans sa lettre précédente au secrétaire Barclay (3 septembre 1849), Douglas recommandait qu’[traduction] « une entente soit conclue avec les Indiens pour l’achat de leurs terres » (RCD de la revendicatrice, vol 10, onglet 32, à la p 788 de la version PDF). Il recommandait de leur verser une annuité afin qu’ils se comportent bien, et poursuivait en disant : [traduction] « Je recommanderais fortement, à la fois par mesure de justice et par égard pour la paix future de la colonie, que les sites de pêche, les emplacements des villages et les terrains des Indiens soient réservés à leur profit et leur soient conférés par la loi. »

[186] L’idée que se faisait la CBH de la notion de propriété de la Couronne, sauf là où il y avait un intérêt en equity évident, n’aurait pas été partagée par les Premières Nations. La CBH devait donc conclure un accord par lequel les Premières Nations allaient reconnaître qu’elles lui transféraient leur intérêt dans les terrains houillers, si bien que cet accord — qui a pris la forme d’un traité — est devenu la pierre angulaire du plan élaboré par la Compagnie pour exploiter les terrains houillers. La revendication d’un droit de propriété par les Premières Nations visait Suquash et les terres houillères en général, et là encore, pour que la CBH obtienne le contrôle de ces terres, elle devait en payer le prix.

[187] Avant la conclusion des traités, les Premières Nations protégeaient jalousement leur territoire et leur droit de produire du charbon. L’incident rapporté dans le journal du fort en avril 1850, au cours duquel les Premières Nations se sont opposées à ce que la CBH agrandisse les jardins potagers du fort, met en évidence le fait que les Premières Nations ont fait valoir leur droit à la propriété avec véhémence, ce qui a obligé le commis de la CBH, George Blenkinsop, à négocier son traité pour tenir compte de leurs objections.

[188] Le prix payé pour conclure les traités du fort Rupert était exprimé sous la forme de marchandises, qui constituaient la monnaie d’échange entre la CBH et les Premières Nations. La quantité de marchandises était à peu près comparable à ce qui avait été versé aux Premières Nations de Victoria pour les terres acquises en vertu des traités de Victoria de 1850, et correspondait à environ la moitié de ce que les Premières Nations du fort Rupert avaient reçu pendant les six mois où elles ont produit du charbon au cours de l’année 1850. La CBH considérait encore qu’échanger des marchandises contre du charbon était la meilleure façon de rentabiliser la production jusqu’à ce que la Compagnie puisse enfin exploiter une mine de charbon et, selon James Douglas, il s’agissait de la seule solution possible, si limitée soit-elle.

[189] Le paiement en marchandises prévu par les traités présentait un intérêt pour les Kwagulth et les Kweeha, et ces derniers avaient sans doute constaté que la production était devenue difficile et que le gisement de charbon facilement accessible était épuisé.

[190] Deux autres promesses avaient été faites dans les traités du fort Rupert. La première consistait à soustraire au transfert les villages et les prés des Premières Nations et à arpenter les terres transférées. L’arpentage devait permettre non seulement de borner les terres visées par le transfert, mais aussi de délimiter les villages et les prés qui en étaient exclus. La deuxième promesse était que les Premières Nations pouvaient continuer de chasser et de pêcher sur les terres non habitées de la région.

[191] L’affirmation de la revendicatrice selon laquelle Suquash était un emplacement de village exclu du transfert des terres houillères en vertu du traité nous oblige à examiner la preuve portant que l’endroit était considéré par les parties comme un « village ». Comme nous l’avons déjà mentionné, il y a peu d’éléments de preuve permettant de croire qu’il s’agissait d’un tel endroit, que ce soit avant que le charbon ne devienne un objet d’échange, pendant la période antérieure à 1849 où la production était limitée et sporadique, ou pendant les deux années où la production a été plus importante, soit en 1849 et 1850.

[192] En fait, Suquash est le seul endroit où des quantités commerciales de charbon ont été produites et, dans ce contexte, il est plus que probable que les deux parties aient pensé que Suquash était un terrain houiller devant être transféré en vertu des traités du fort Rupert. Ce sont les terres que la Compagnie aurait clairement indiqué qu’elle voulait acquérir, et celles que les Premières Nations auraient compris que la Compagnie essayait d’obtenir en contrepartie du montant prévu dans les traités.

[193] La preuve de la conduite adoptée par les parties après la signature des traités vient étayer ce point de vue. Les traités ont été officialisés en février 1851. Devant l’échec des efforts déployés pour que les Premières Nations reprennent la production, la Compagnie a envoyé Boyd Gilmour et une vingtaine d’ouvriers sur le site de Suquash en septembre 1851. Ils devaient creuser des puits et tenter de développer une mine de charbon viable sur le plan commercial. Avec ses ouvriers, Gilmour est resté à Suquash jusqu’à ce qu’il abandonne le projet, à l’automne 1852. De plus, comme l’a rapporté George Blenkinsop, Gilmour a aussi fait appel à des ouvriers autochtones du fort Rupert. Tout cela s’est déroulé sans incident ni protestation de la part des Premières Nations et, en agissant ainsi, les deux parties ont confirmé que Suquash n’était pas exclu du transfert de terres prévu par les traités du fort Rupert (RCD de M. Binnema, vol 4, onglet 85, à la p 583 de la version PDF).

XVIII. CRÉATION DE LA RÉSERVE AU FORT RUPERT

[194] Essentiellement, les traités du fort Rupert visaient à transférer à la CBH les droits des Premières Nations sur les terres houillères. Ils prévoyaient en outre que « l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent resteront à notre propres usage, à l’usage de nos enfants et de ceux qui pourront venir après nous [...] » [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 89, aux pp 1220-1224 de la version PDF].

[195] Cette clause d’exclusion ne se traduisait pas par la création d’une « réserve » au sens où on l’entend aujourd’hui, c’est-à-dire des terres détenues par la Couronne fédérale pour le compte des bandes reconnues par la Loi sur les Indiens. Elle ne visait qu’à exclure ces emplacements du transfert afin que les Premières Nations puissent continuer à les utiliser et à les occuper. La promesse que l’« emplacement [des] villages et [d]es prés qu’ils enclosent » devait être « strictement arpenté dès la vente effectuée » établissait le processus à suivre pour déterminer quelles terres seraient transférées à la Compagnie ou, au contraire, lesquelles « rester[aient] à notre propres usage ». Conformément à la pratique adoptée par la CBH, il fallait, après avoir réalisé l’arpentage, consulter les Premières Nations afin de régler les détails de l’exclusion.

[196] Le premier arpenteur à produire des plans utiles dans la colonie a été J. D. Pemberton, que le secrétaire Barclay avait fait venir d’Angleterre et à qui il avait donné des instructions en date du 15 février 1851. Selon les instructions, Pemberton devait arpenter les terres de Victoria, lesquelles faisaient l’objet des traités de Victoria de 1850, incluant [traduction] « la parcelle de terre à l’égard de laquelle M. Douglas a conclu des ententes avec les Indiens relativement à tout droit qu’ils pensaient détenir » (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 48). L’exploitation du district houiller du fort Rupert devait être le deuxième projet à être lancé [traduction] « après la conclusion d’un accord similaire avec les Indiens vivant dans cette partie de l’île ». Lors de l’arpentage des terres de Victoria, Pemberton devait notamment délimiter celles qui seraient associées au fort lui-même en plus de préparer une matrice montrant les parcelles qui seraient occupées par des colons. Ce faisant, il aurait nécessairement déterminé l’emplacement des villages et des prés exclus du transfert.

[197] Le même processus aurait été suivi lors de l’arpentage des terres houillères, mais ces travaux d’arpentage n’ont jamais été réalisés puisque la Compagnie a décidé d’abandonner le district houiller du nord de l’île et que le seul arpentage effectué par J. D. Pemberton dans la région du fort Rupert date de 1857. Il s’agit d’un plan de 100 acres montrant les terres devant être associées au fort, qui devait être présenté dans le cadre d’une action en préemption déposée au titre de l’ordonnance sur les terres coloniales.

[198] Nous ne disposons pas des données d’arpentage ayant mené à l’exclusion de l’emplacement des villages et des prés enclos prévue par les traités de Victoria, ce qui aurait pu nous aider à savoir quels arrangements avaient été pris lorsque les terres ont été exclues du transfert, mais la politique relative à l’attribution des réserves coloniales adoptée par la suite nous donne un aperçu de la situation. Le processus d’identification des terres, c.‑à‑d. des villages et des prés enclos, devant être exclues du transfert prévu par traité est différent du processus de création de réserves qui a suivi et qui visait à mettre de côté, au profit des Premières Nations, suffisamment de terres, alors reconnues par le gouvernement colonial comme des terres de la Couronne.

[199] Dans la lettre datée du 14 octobre 1874 qu’il a envoyée au lieutenant-colonel Powell, commissaire des Indiens de la Colombie-Britannique, James Douglas a décrit le système d’attribution des réserves ne découlant pas de traités qui était en place entre 1858 et 1864, alors qu’il était gouverneur de la colonie de la Colombie-Britannique. Powell avait demandé à Douglas de lui donner son avis sur la superficie des terres allouées, ce qui était alors un point de discorde entre la province et le gouvernement fédéral quant à l’attribution de réserves. Selon Douglas, les terres allouées dans les zones côtières n’étaient pas grandes, principalement parce que les demandes des Premières Nations étaient très modestes. Douglas a écrit ce qui suit :

[traduction] [...] aucune superficie particulière n’était fixée […]. Dans tous les cas, un même principe était à respecter : laisser toute liberté de choisir la nature et la superficie des terres aux Indiens que la réserve intéressait au premier chef. Les agents d’arpentage avaient l’ordre de respecter jusqu’à leurs moindres souhaits et d’englober dans chaque réserve les villages permanents, les postes de pêche, les lieux de sépulture, les terres cultivées et tous les lieux de rassemblement favoris des tribus —bref, d’inclure tout terrain sur lequel ils avaient acquis un droit équitable par voie d’occupation continue, de travail du sol ou d’autres travaux. [RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 33]

[200] Les premiers traités de Victoria et les traités du fort Rupert ont été conclus avant que Douglas ne soit nommé gouverneur de la colonie de l’île de Vancouver et, plus tard, gouverneur de la colonie combinée. Toutefois, le récit qui précède donne sans doute un aperçu du la façon dont les terres ont été délimitées afin de tenir compte des villages et des prés enclos dont il était question dans les traités Douglas conclus antérieurement. Le processus aurait probablement été assez libéral et aurait permis d’inclure les terres arables situées autour des villages, les lieux de sépulture et les postes de pêche avoisinants. Cependant, étant donné qu’il consistait à identifier les villages et les prés enclos visés par les traités, il aurait été tributaire de la conception qu’avaient les signataires de la notion de village.

XIX. CRÉATION DES RÉSERVES APRÈS LA CONFÉDÉRATION

[201] La création de réserves était l’objet de l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique de 1871, LRC 1985, app II, no 10, adoptées par la province et la Couronne fédérale. Aux termes de cet article, le gouvernement fédéral devait détenir en fiducie les terres réservées aux Indiens et la province devait transférer les terres nécessaires aux fins de la réserve, en les attribuant de façon aussi libérale que pendant l’administration coloniale.

[202] Une commission mixte fédérale-provinciale a été constituée en 1876 pour administrer l’attribution des réserves à la suite de désaccords entre les deux gouvernements. Cette commission, la Commission mixte des réserves indiennes, avait notamment le mandat suivant :

[traduction] 4. Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, qui prévoient l’adoption d’une « ligne de conduite libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération les habitudes, les souhaits et les activités de chacune, le territoire disponible dans la région qu’elle occupe, et les colons blancs. [Recueil commun de documents, onglet 13 (Décret en conseil de la Colombie-Britannique 1876-1138 daté du 6 janvier 1876)]

[203] En 1878, la Commission, qui était au départ composée de trois commissaires, s’est retrouvée constituée d’un seul, soit Gilbert Sproat, qui a été le premier à tenter d’attribuer des réserves dans la région du fort Rupert.

[204] Le commissaire Sproat a établi cinq réserves pour les Premières Nations de la région du fort Rupert, notamment à la baie Beaver, au fort Rupert et à Cluxewe. Sproat connaissait les traités du fort Rupert et, lorsqu’il a établi la réserve de Cluxewe, il a constaté qu’un droit de préemption avait été exercé à cet endroit, ce qui allait selon lui à l’encontre des modalités des traités (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 60, à la p 511 de la version PDF). Il a mentionné Suquash comme référence géographique dans l’établissement de la réserve de Cluxewe, mais il n’y a pas établi de réserve (RCD de M. Binnema, vol 5, onglet 133). Sproat a démissionné au début de 1880.

[205] Les attributions de réserve faites par le commissaire Sproat dans la région du nord de l’île ont été rejetées par le commissaire en chef des Terres et des Travaux de la province. Sproat a démissionné et a été remplacé par Peter O’Reilly, qui avait reçu, tout comme Sproat, instruction de mettre de côté des réserves de manière à respecter les habitudes, les souhaits et les activités des Premières Nations. Les réserves mises de côté par O’Reilly dans la région du fort Rupert étaient très semblables à celles mises de côté par Sproat. Ce dernier avait prévu attribuer cinq réserves et O’Reilly en a attribué sept, car il a ajouté deux réserves plus petites à la baie Beaver. Il n’a pas non plus mis de côté de réserve à Suquash.

[206] Après que la province eut refusé, en 1907, d’attribuer les réserves désignées par le dernier des commissaires de la Commission mixte des réserves indiennes, la Commission royale des affaires des sauvages pour la province de la Colombie-Britannique (la « Commission McKenna–McBride ») a entrepris, en 1913, un examen des réserves attribuées. Elle a agrandi certaines réserves et en a réduit d’autres. Elle a publié son rapport en 1919, mais encore une fois, la province a refusé d’approuver ses recommandations, si bien que des représentants des deux gouvernements ont procédé à un nouvel examen, soit l’examen de Ditchburnet et Clark, dont les résultats ont été publiés en 1922.

[207] Grâce à la Commission McKenna–McBride et à l’examen de Ditchburn et Clark, les commissaires ont entendu les observations des diverses bandes. Devant la Commission McKenna–McBride, c’est le chef Ouahagaleese qui a présenté la cause des Premières Nations Kwagulth. Il a présenté une pétition qui contenait un certain nombre de demandes quant à des terres qui, selon lui, aurait dû être reconnues comme des réserves [traduction] « quarante ans plus tôt » (RCD de la revendicatrice, vol 11, onglet 11, aux pp 742, 747 de la version PDF (transcription)). On remonterait ainsi à 1874, ce qui pourrait correspondre à la période d’attribution des réserves postérieure à la Confédération.

[208] Dans le compte rendu de cette présentation, 23 noms de lieux sont répertoriés sous la rubrique « Fort Rupert » (RCD de la revendicatrice, vol 11, onglet 11, aux pp 746, 750 de la version PDF (transcription)). Ces noms décrivent des lieux allant du nord au sud, de la baie Hardy au havre de McNeill. La liste contient les noms en kwakwala et des annotations, par exemple, [traduction] « village », « poisson », « pour les palourdes », « village et poisson », « lieu de pêche au flétan », et dans le cas de Suquash, « lieu de chasse au phoque ». Enfin, on peut lire le commentaire suivant : [traduction] « Nous voulons donc détenir le territoire de la baie Har[d]y au havre de McNeil[l]. »

[209] La liste semble reprendre plusieurs des lieux situés sur cette partie de la côte, dont la signification est indiquée dans les annotations, ce qui vient étayer la thèse selon laquelle la zone côtière, laquelle s’étend du nord au sud, devrait constituer une réserve. Les noms de cinq de ces lieux, y compris Suquash, sont barrés dans les copies archivées de la liste. On ne sait pas qui a fait ça et pourquoi. Les autres emplacements sont numérotés de 1 à 18.

[210] Selon le rapport de la Commission McKenna–McBride, les Premières Nations de la région du fort Rupert ont présenté une demande générale visant à ce que 200 acres soient attribuées à chaque homme adulte (point 36), ainsi que des demandes de terres supplémentaires visant 22 endroits bien précis (points 37 à 58) (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 73). Les noms de certains de ces lieux figurent sur la liste manuscrite qui a été jointe à la présentation, mais plusieurs d’entre eux semblent désigner des endroits différents. Suquash ne fait pas partie de la liste des lieux précis faisant l’objet d’une demande, mais figurerait au point 51, lequel correspond à une demande d’agrandissement de la réserve de Cluxewe, située au nord de la pointe Single Tree, un peu au nord de Suquash.

[211] Les 17 premiers lieux figurant sur la liste comptent parmi ceux qui sont considérés dans le rapport comme étant [traduction] « non retenus. [L]es terres demandées ne sont pas disponibles ». Les demandes visant les cinq derniers lieux et la demande générale selon laquelle 200 acres devraient être attribués à chaque homme adulte ne sont [traduction] « pas retenues, puisqu’elles ne sont pas raisonnablement nécessaires ». Le point 59 correspond à une demande acceptée relativement à 480 acres, [traduction] « plus ou moins » sur l’île Malcolm, décrite comme une « autre possibilité pour les lieux visés par les points 36 à 58 inclusivement ».

[212] Comme nous l’avons déjà mentionné, le rapport n’a pas été approuvé par le gouvernement provincial et a fait l’objet de l’examen mené par MM. Ditchburn et Clark. Encore une fois, le chef Ouahagaleese et Stephen Cook ont présenté des observations. Selon le résumé de la présentation, ils ont demandé 160 acres de terre pour chaque homme, femme et enfant, [traduction] « un mille carré à Suquash avec toutes les ressources qui s’y trouvent » (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 76), et ils ont réitéré les demandes de terres supplémentaires qu’ils avaient déjà présentées. Dans leur présentation, ils ont également rejeté la proposition consistant à remplacer les terres qu’ils avaient demandées par des terres situées sur l’île Malcolm.

[213] Andrew Paull, le secrétaire de l’Alliance des tribus de la Colombie-Britannique, une organisation autochtone de l’époque, a été chargé de présenter la position des Premières Nations à la Commission Ditchburn et Clark. Dans une lettre adressée à W. E. Ditchburn, il recommandait que les terres qui avaient été aliénées par transfert provincial dans la région du fort Rupert soient incluses dans la réserve afin de respecter le village et les prés enclos qui devaient être mis de côté en vertu des traités Douglas. Toutefois, il ne précisait pas que Suquash faisait partie des terres qui devaient être mises de côté en vertu des traités du fort Rupert (RCD de la revendicatrice, vol 1, onglet 74).

[214] La Commission Ditchburn et Clark n’a recommandé aucune autre attribution de réserve.

XX. ANALYSE

[215] Il est essentiel en l’espèce de déterminer si les parties aux traités auraient compris que Suquash était exclu du transfert de l’intérêt des Premières Nations dans les terres houillères du fait qu’il aurait été considéré comme l’emplacement d’un village ou un pré enclos.

[216] Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre les diverses interprétations possibles des traités et l’intention commune qui concilie le mieux les intérêts des parties. Pour ce faire, il faut tenir compte du fait que la compréhension qu’avaient les Premières Nations des termes employés dans les traités reposait sur la lecture d’un texte qui avait été rédigé dans une langue qui leur était familière et qui reprenait des concepts (l’emplacement des villages et les prés qu’ils enclosent) qui avaient pour elles un sens qui était sans doute culturellement différent du sens donné par un dictionnaire eurocentrique.

[217] Il était question de villages dans les documents historiques déposés en preuve, et ce terme avait de toute évidence une certaine signification pour la CBH et les peuples autochtones. Toutefois, la majorité des Autochtones n’occupaient pas continuellement leurs villages. Leur mode de vie consistait à parcourir de grandes distances dans les eaux intérieures du détroit Queen Charlotte pour se rendre aux sites qu’ils occupaient pour se procurer les ressources nécessaires à leur subsistance et au commerce. Les sites les plus importants pour les Kwagulth et les Kweeha étaient ceux auxquels les numayms avaient accès au printemps pour profiter de la montaison de l’eulakane et ceux qui, en été et en automne, leur permettaient de profiter de la montaison du saumon. Ces sites auraient donc été considérés comme des villages par ces derniers.

[218] Par conséquent, il n’est pas utile de se référer à la définition que donne le dictionnaire du mot « village », selon laquelle il s’agit d’un lieu d’occupation continue, pour comprendre le sens du mot tel qu’il est utilisé dans les traités. Le mot « emplacement » peut notamment être interprété de manière à englober les lieux occupés sur une base saisonnière et le Tribunal aurait besoin d’éléments de preuve additionnels pour pouvoir déterminer l’intention commune exprimée dans les traités.

[219] Suquash représentait-il « l’emplacement d’un village ou un pré enclos » au sens des traités du fort Rupert?

[220] Au paragraphe 110 de son mémoire des faits et du droit, la revendicatrice a fait valoir ce qui suit :

[traduction] Il est fort probable que, le 8 février 1851, les deux parties aient compris que l’expression « l’emplacement de nos villages et les prés qu’ils enclosent » incluait au minimum […] l’utilisation et l’occupation continues et exclusives de Suquash par les Kwakiutl dans l’intérêt des Kwakiutl et de la CBH. [Non souligné dans l’original.]

[221] Aux paragraphes 94 et 95 de son mémoire des faits et du droit, l’intimée a fait valoir ce qui suit :

[traduction] Pour que « l’emplacement d’un village » soit arpenté et mis de côté en vertu des traités, il faut démontrer qu’il était utilisé comme lieu de résidence saisonnière. Cette proposition est corroborée par les propos de Dewhirst : « [v]u les distances à parcourir et les ressources à récolter, les groupes devaient résider dans leurs villages pendant la cueillette et la transformation des ressources ».

[…]

Dewhirst a expliqué qu’un village kwakwaka’wakw était composé de grandes maisons de planches, « placées de manière à permettre une exploitation maximale des ressources d’abondance saisonnière ». Les villages variaient en taille. Selon Dewhirst, les maisons des Kwakiutl étaient divisées par famille, elles logeaient environ vingt-cinq personnes et elles « arboraient [...] des emblèmes sculptés et peints ». Ces maisons avaient une charpente permanente et des planches amovibles. Lorsque les familles quittaient un village, elles laissaient les charpentes sur place et transportaient leurs biens sur des plates-formes de planches de maison posées sur des canots. Une fois dans le nouveau village, les planches étaient attachées à la charpente permanente pour former le toit et les murs. [Notes de bas de page omises; souligné dans l’original.]

[222] Dans sa description de ce qui constitue un village, laquelle a été reprise par l’intimée, John Dewhirst a nommé des endroits présentant des traces d’occupation saisonnière de maisons construites sur des charpentes, sur lesquelles étaient fixées des planches pour le toit et les murs, jusqu’à ce que les gens quittent et laissent la charpente pour une utilisation future. Dans son rapport, Dewhirst suggère également que Suquash devrait être reconnu comme un endroit fréquenté de façon saisonnière et il affirme que Suquash était un village avant l’établissement du fort. Il n’y a toutefois aucune trace de bâtiments à cet endroit ni aucune référence historique à Suquash en tant que village.

[223] La notion « d’utilisation et d’occupation exclusives » à laquelle la revendicatrice renvoie pourrait s’appliquer aux sites de pêche ou de chasse, dans le sens où ces sites étaient contrôlés par les Premières Nations, mais elle ne permet pas à elle seule de savoir si ces sites constituaient des villages. Je ne suis pas d’accord pour dire que tous les sites de ressources étaient des villages. Le fait que Suquash était un site de ressources, un endroit où l’on dépeçait les phoques, ne signifie pas pour autant qu’il était nécessaire de s’y établir, comme lors de la pêche communautaire à l’eulakane et au saumon en montaison. Rien n’indique que la chasse au phoque était un événement saisonnier ou qu’elle nécessitait une occupation résidentielle, d’autant plus que Suquash se trouvait non loin des villages reconnus de Cluxewe et de Cheslakees, et après 1849, de fort Rupert. Aucune des sources ethnographiques traitant des sites connus des Kwakwaka’wakw n’indique qu’il y avait des charpentes de maisons ou que Suquash était reconnu comme un village.

[224] Suquash est un lieu qui a subi bien des transformations, mais il n’y a aucune preuve archéologique d’une occupation historique par les Kwagulth ou les Kweeha. Suquash n’est pas non plus reconnu comme un village dans les articles de doctrine portant sur les Premières Nations de la région. John Dewhirst a affirmé sans réserve que Suquash était un village saisonnier avant la conclusion des traités, et que c’était aussi un village pendant les deux années où des quantités importantes de charbon y ont été extraites. Or, j’estime que cette affirmation n’est pas fondée, d’une part, en raison de l’absence de preuves archéologiques et historiques à cet effet et, d’autre part, parce qu’il est précisé dans le journal des activités quotidiennes de fort Rupert que les Premières Nations du fort Rupert étaient établies au fort Rupert et qu’elles ne sont restées à Suquash que le temps nécessaire pour creuser et charger le charbon destiné au commerce.

[225] En outre, les dossiers relatifs à l’attribution et à la réévaluation ultérieures des réserves effectuées entre 1914 et 1922 ne confirment pas que Suquash était l’emplacement d’un village. En 1879, le commissaire Sproat connaissait les modalités des traités et a formulé certains commentaires sur les incursions qui avaient eu lieu sur les terres du village de Cluxewe, mais n’a fait aucun commentaire sur le fait que Suquash était aussi un village, et il n’a pas attribué de réserve à Suquash. Dans leur présentation à la Commission McKenna–McBride, les Premières Nations du fort Rupert ont fait savoir qu’elles voulaient que l’emplacement de Suquash leur soit réservé, mais elles ne l’ont pas décrit comme un village, comme elles l’ont fait pour d’autres.

[226] Enfin, ce qui est plus directement convaincant, c’est que les Premières Nations parties aux traités ont revendiqué avec conviction la propriété et le contrôle de leurs terres jusqu’à la négociation des traités du fort Rupert. La CBH en était consciente et ce fut la raison d’être du fort et des traités. Les Premières Nations du fort Rupert ne se laissaient pas intimider ou écraser dans leurs relations avec les représentants la CBH, largement supérieurs en nombre, qui se trouvaient au fort, et la CBH était bien consciente que le commerce avec les Premières Nations passait par la coopération et les bonnes relations. Prenons l’exemple du traité négocié par le commis de la CBH, George Blenkinsop, lorsque les Premières Nations se sont farouchement opposées à ce que le potager qu’il entendait aménager s’étende sur une partie des terres qu’elles considéraient comme les leurs. Cela s’est produit le 15 avril 1850, seulement quelques mois avant l’entrée en vigueur des traités en janvier 1851. Blenkinsop a accepté de verser une indemnité, ce qui est devenu une façon acceptable de régler les différends. Dans le cas de Suquash, du charbon a été produit au cours des deux années qui ont précédé la signature des traités, avec l’appui de la CBH, mais cette production n’a commencé qu’après que les Premières Nations y eurent consenti. Après la signature des traités, la CBH a mis en œuvre ses propres initiatives pour ouvrir une mine en envoyant Boyd Gilmour sur les lieux en août 1851. Il y est resté pendant un an pour essayer de développer une mine et il a fait travailler des Autochtones pendant ce temps. À mon avis, c’est là une preuve directe que les traités visaient à modifier la façon dont les parties signataires percevaient Suquash. Il est évident que l’endroit en question faisait partie des terres dont les Premières Nations du fort Rupert pensaient transférer le contrôle à la Compagnie, et dont la CBH a pris possession en vertu des traités. Tout cela est incompatible avec le fait que Suquash doive être exclu du transfert au motif qu’il s’agit de l’emplacement d’un village.

[227] Il est difficile de donner un sens à l’expression « prés qu’ils enclosent » dans le contexte des traités du fort Rupert. Les Premières Nations n’avaient pas de tradition en matière d’agriculture. Toutefois, la Compagnie exploitait des fermes sur la côte ouest du Pacifique et les utilisait pour approvisionner ses forts et pour fournir du matériel destiné au commerce qu’elle faisait en Alaska, avec les Russes, et dans les mers du Sud. Les forts de la CBH, comme le fort Victoria et le fort Rupert, disposaient de potagers à des fins d’approvisionnement et les Premières Nations de Victoria avaient été initiées à la culture des pommes de terre. À l’embouchure de la rivière Nimpkish, il y avait des champs de trèfle bien délimités et le trèfle servait de remède et de nourriture. Il se peut que ces caractéristiques aient donné un contexte à l’expression en question, et les terres arables situées autour des villages pourraient avoir été considérées comme exclues du transfert du fait qu’elles comprenaient des champs de trèfle ou parce que l’on espérait un virage vers l’agriculture, mais l’expression n’a aucune signification particulière en ce qui concerne Suquash.

XXI. CONCLUSION

[228] La revendicatrice n’a pas établi le bien-fondé de sa revendication selon laquelle Suquash était un emplacement dont les parties aux traités du fort Rupert entendaient qu’il soit exclu du transfert des terres houillères à la CBH. Au contraire, l’intention commune qui concilie le mieux les intérêts que les parties avaient au moment où elles ont consenti aux modalités des traités est que le contrôle de l’endroit devait être transféré à la CBH. À titre d’agent de la Couronne coloniale, la CBH devait, en vertu des traités, délimiter par arpentage l’emplacement des villages et des prés enclos dont il était question dans les traités, mais Suquash n’était pas un tel emplacement et n’aurait pas figuré sur un levé d’arpentage indiquant ce qui devait être exclu du transfert des terres houillères.

[229] Il n’existe aucune trace des structures que les Premières Nations du fort Rupert auraient construites et utilisées en vue d’aménager des habitations saisonnières à Suquash — lesquelles pourraient indiquer la présence d’un village —, que ce soit pendant qu’elles y récoltaient leurs ressources traditionnelles, ou pendant qu’elles y produisaient du charbon. Il n’existe aucune preuve archéologique de l’occupation des Premières Nations à Suquash qui pourrait laisser croire à un lieu d’occupation saisonnière. Suquash n’est pas non plus reconnu comme un village dans la doctrine portant sur les Premières Nations de la région.

[230] La conduite adoptée par les parties après la signature des traités concorde avec l’idée qu’elles avaient compris que le contrôle de Suquash serait transféré à la CBH en vertu des traités et que telle était leur intention. Suquash n’a pas non plus été décrit comme un ancien village dans les observations présentées ultérieurement à l’appui des demandes de terres de réserve supplémentaires.

[231] Ni la Couronne impériale ni le Dominion du Canada, qui lui a succédé, n’étaient tenus en vertu des traités de faire reconnaître l’endroit comme une réserve ou de faire en sorte qu’il soit autrement destiné à l’usage de la revendicatrice. Ni la Couronne impériale ni le Dominion du Canada, qui lui a succédé, n’ont manqué à une obligation de fiduciaire en n’attribuant pas les terres de Suquash à titre de réserve et, par conséquent, la présente revendication est rejetée.

WILLIAM GRIST

L’honorable William Grist

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20220211

Dossier : SCT-7001-17

OTTAWA (ONTARIO), le 11 février 2022

En présence de l’honorable William Grist

ENTRE :

KWAKIUTL

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

À(AUX) :

Avocat(e)(s) de la revendicatrice KWAKIUTL

Représentée par MChristopher Devlin, MTanner Doerges et MKajia Eidse-Rempel

DGW Law Corporation, avocats

ET À(AUX) :

Avocat(e)(s) de l’intimée

Représentée par MJames Mackenzie, MDeborah McIntosh et MChase Blair

Ministère de la Justice

 

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