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DOSSIER : SCT-5002-16

RÉFÉRENCE : 2022 TRPC 5

DATE : 20220623

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE KAHKEWISTAHAW

Revendicatrice

 

Me Stephen M. Pillipow et Me Adam Touet, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

 

Me Scott Bell, Me Lauri Miller et Me Nicole Sample, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Les 27 et 28 octobre 2020 et du 17 au 19 novembre 2021

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Victoria Chiappetta, présidente


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, 1995 CarswellNat 1278; Southwind c Canada, 2021 CSC 28, 2021 CarswellNat 2594; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 1984 CarswellNat 813; Québec (PG) c Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 RCS 557. R c Marshall, [1999] 3 RCS 456 Manitoba Métis Federation Inc. c Canada (PG), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623; Bande indienne de Williams Lake c Canada (Affaires autochtones et du Nord), 2021 CAF 30; Bande Lac La Ronge et nation crie de Montreal Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 8; Bande indienne de Lac La Ronge et nation crie de Montreal Lake c Canada, 2015 CAF 154; Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511; R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075; Première nation Tlingit de Taku River c Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 RCS 550; Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 3; Première Nation des Atikamekw d’Opitciwan c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 6.

Lois citées :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14.

Loi des Indiens, SRC 1927, c 98, art 2, 34, 35, 51, 54.

Doctrine :

Chambre des communes, Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, Témoignages, 39-2, no 21 (2 avril 2008) à 16:05 (Bryan Schwartz).

Black’s Law Dictionary, 11e éd, sous l’entrée « undertaking » (« engagement ».)

 

Sommaire :

Droit des Autochtones — Revendication particulière — Cession — Obligation de fiduciaire — Empiétement sur la réserve — Traité no 4 — Route à travers la réserve

La présente revendication est liée à la cession de la réserve indienne no 72A (la « RI no 72A ») par la Première Nation de Kahkewistahaw (la « revendicatrice », « Kahkewistahaw », la « Première Nation » ou la « bande ») dans le sud-est de la Saskatchewan. Kahkewistahaw est une signataire du Traité no 4.

En 1944, un agent des Indiens a discuté avec Kahkewistahaw de la possibilité de céder 1,5 acre de la RI no 72A en vue du déplacement d’une route. Or, Kahkewistahaw a cédé la totalité de la RI no 72A, soit environ 68 acres.

La revendication soulève des questions relativement à quatre événements historiques distincts : la construction du barrage de Craven en 1909, la déviation d’une autre route à travers la réserve en 1944, la cession de la totalité de la réserve en 1944 et le fait que près de douze ans se soient écoulés avant que les terres cédées soient vendues au profit de la bande.

Le Canada a reconnu les faits suivants :

  1. une indemnité doit être versée à la revendicatrice du fait que 2,64 acres de terre ont été transférées à la province de la Saskatchewan en 1924;

  2. une indemnité doit être versée à la revendicatrice du fait que la municipalité a utilisé 1,5 acre pour construire une route sur la réserve routière entre les cantons 19 et 19A à la suite de la cession de la RI no 72A en 1944;

  3. une indemnité doit être versée à la revendicatrice du fait que l’intimée a manqué à son obligation de fiduciaire entre 1948 et 1953.

Voici les questions sur lesquelles s’est penché le Tribunal.

Question no 1 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice avant la cession de la RI no 72A de 1944?

Kahkewistahaw a entrepris de céder la RI no 72A. Elle a décidé, sans que la Couronne ne lui demande, de céder la totalité de la réserve, et non seulement la superficie de 1,5 acre requise pour la route. Elle a expliqué à l’agent des Indiens qu’elle n’utilisait pas ces terres puisque la plupart de ses membres pêchaient au lac Round. Elle avait donc l’intention d’acheter ou de louer un poste de pêche ou un campement près du lac Round, après avoir vendu la RI no 72A, étant donné que la majorité des enfants allaient à l’école là.

Les dispositions de la Loi des Indiens relatives à la cession établissent « un équilibre entre les deux pôles extrêmes que constituent l’autonomie et la protection » (Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344 au para 35, 1995 CarswellNat 1278 [Blueberry], la juge McLachlin (plus tard juge en chef)). Kahkewistahaw avait le droit de décider si elle voulait céder les terres. Cette décision doit être respectée, à moins que la revendicatrice n’ait pas bien saisi les conditions de la cession ou que la décision de céder la RI no 72A était si imprudente ou inconsidérée qu’elle équivalait à de l’exploitation.

La preuve n’appuie pas la thèse selon laquelle Kahkewistahaw n’avait pas bien saisi les conditions de la cession.

L’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne avant la cession en est une de « diligence ordinaire » pour prévenir un marché abusif (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 au para 100, [2002] 4 RCS 245). Le fait que la Couronne n’ait pas communiqué plus de détails à Kahkewistahaw au moment où cette dernière a exprimé le désir de vendre la RI no 72A ne signifie pas qu’elle a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait avant la cession, soit celle de prévenir un marché déraisonnable.

Kahkewistahaw avait le droit de décider si elle voulait céder la RI no 72A afin qu’elle soit vendue et sa décision doit être respectée. Sa décision n’était ni imprudente ni inconsidérée. La revendicatrice a réfléchi et a décidé d’elle-même de céder les terres afin qu’elles soient vendues dans son propre intérêt.

Le Tribunal a conclu que le Canada n’a pas manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice avant la cession de la RI no 72A de 1944.

Question no 2 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation que lui imposait la Loi des Indiens à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944?

Le fait de donner un avis exprès de la tenue d’une assemblée ayant pour but d’examiner spécifiquement la question de la cession est une protection importante enchâssée dans la Loi des Indiens : tous les membres doivent être au courant de la tenue d’une assemblée spéciale et les membres âgés de 21 ans et plus doivent être pleinement informés du moment où ils doivent assister à l’assemblée non ordinaire du conseil convoquée dans le but de voter sur la cession proposée.

La preuve montre qu’un avis exprès a été donné quant à la tenue d’une assemblée convoquée spécifiquement dans le but de voter sur la cession.

Il faut que les exigences de forme en matière de cession prévues par l’article 51 de la Loi des Indiens, SRC 1927, c 98 [la Loi des Indiens de 1927], soient, pour l’essentiel, respectées, sans pour autant qu’il soit nécessaire de les respecter à la lettre (Blueberry).

La preuve étaye clairement l’intention qu’avait Kahkewistahaw de céder ses terres pour des raisons qu’elle jugeait être dans le meilleur intérêt de ses membres. La cession a été ratifiée par la majorité des hommes de la bande habilités à voter lors d’une assemblée convoquée à cette fin. Le Tribunal a donc conclu que les précautions procédurales prévues par l’article 51 de la Loi des Indiens de 1927 ont, pour l’essentiel, été respectées.

Le Tribunal a conclu que le Canada n’a pas manqué à l’obligation que lui imposait la Loi des Indiens à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944.

Question no 3 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation que lui imposait le Traité no 4 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944?

Le Traité no 4 prévoit notamment qu’il faut obtenir « le consentement […] des Indiens qui ont droit [à la réserve] » avant que la réserve ne puisse être vendue, louée ou autrement aliénée.

Dans l’arrêt R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, la juge McLachlin (plus tard juge en chef) a élaboré un processus en deux étapes pour interpréter le texte d’un traité. La première étape passe par le « texte du traité » lui-même, lequel doit être « examin[é] […] pour en déterminer le sens apparent, dans la mesure où il peut être dégagé, en soulignant toute ambiguïté et tout malentendu manifestes pouvant résulter de différences linguistiques et culturelles » (au para 82). La deuxième étape consiste à examiner le ou les sens qui pourraient se dégager du texte lui-même « sur la toile de fond historique et culturelle du traité » pour déterminer si le sens apparent reflète l’intention commune des parties ou, s’il y a plusieurs interprétations possibles, laquelle « traduit le mieux l’intention commune des parties » (au para 83).

Le Traité ne précise pas quelle forme de consentement permettrait de conclure que l’intention de protection est respectée. Il est nulle part question d’un mécanisme visant à obtenir le consentement requis pour aliéner des terres. Il est donc raisonnable de conclure que l’intention commune des parties était de s’assurer qu’avant toute aliénation, la bande soit à la fois dûment informée et consentante. La preuve permet de conclure que Kahkewistahaw était au courant de la vente de la RI no 72 et qu’elle a accepté d’y procéder.

Dans ces circonstances, l’intention commune de protéger la bande d’une vente unilatérale des terres par la Couronne est respectée.

Le Tribunal a conclu que le Canada n’a pas manqué à l’obligation que lui imposait le Traité no 4 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944.

Question no 4 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice après la cession, au-delà du manquement qui a été expressément admis?

Comme l’indique le document de cession, Kahkewistahaw a cédé la totalité de la RI no 72A à la Couronne afin qu’elle la détienne en fiducie aux fins de la vente, aux conditions que la Couronne jugerait les plus favorables pour le bien-être de la bande. La Couronne était responsable de vendre les terres cédées à sa discrétion. La « marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre » (Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 1984 CarswellNat 813 au para 97 [Guerin]). L’obligation de fiduciaire sui generis de la Couronne après la cession découle du fait que le profit tiré par Kahkewistahaw de la cession de la RI no 72A dépend des mesures et des décisions prises par la Couronne après la cession. La Couronne a l’obligation d’agir dans l’intérêt de la Première Nation (Blueberry au para 20) et avec diligence raisonnable (Blueberry au para 22). L’obligation est celle d’agir avec « le soin et la diligence “qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires” » (Blueberry au para 104, la juge McLachlin, citant l’arrêt Fales c Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 RCS 302 à la p 315).

La Couronne a admis avoir manqué à son obligation de fiduciaire à l’égard de Kahkewistahaw entre 1948 et 1953. Pendant cette période, très peu de choses se sont produites concernant la RI no 72A. Cependant, le Tribunal a conclu que les [traduction] « années tranquilles » entre 1948 et 1953 ne représentaient qu’une partie du manquement du Canada à son obligation de gérer raisonnablement les terres à l’usage et au profit de la bande. L’obligation de diligence raisonnable est liée à l’obligation d’agir « en temps opportun » (Manitoba Métis Federation Inc. c Canada (PG), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623). Kahkewistahaw n’a tiré aucun profit de la cession pendant près de douze ans. La RI no 72A était un bien susceptible de produire un revenu. La valeur de ce bien a pour ainsi dire été laissée de côté pendant plus de dix ans. Une personne qui fait preuve de prudence ordinaire dans la gestion de ses propres affaires, agissant raisonnablement, aurait de son propre chef étudié ou exploité la valeur de ce bien avant de recevoir une déclaration d’intérêt spontanée neuf ans après la cession.

Il a fallu trois ans, de 1944 à 1947, pour que le Canada règle le différend qui l’opposait à la municipalité rurale de Grayson au sujet du déplacement d’une route qui n’occupait que 1,5 acre de terres de réserve. Le Tribunal a conclu que, pour s’acquitter raisonnablement de son obligation de prudence ordinaire, le Canada aurait dû continuer à chercher des solutions provisoires pour rentabiliser les terres cédées en attendant que soit réglée la question de la déviation de la route, et régler cette question dans un délai raisonnable. Cette obligation ne saurait être écartée par la conduite de la province de la Saskatchewan ou de la municipalité. Pour ces motifs, le Tribunal a conclu que le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de fiduciaire entre les années 1944 et 1947.

Le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de fiduciaire, notamment en raison du temps écoulé entre la cession et la vente et de son inaction durant cette période.

Dans le cadre de son obligation de diligence raisonnable, le Canada aurait dû analyser en profondeur l’option qui consistait à subdiviser les terres cédées, avant de les vendre en trois parcelles. Comme il ne l’a pas fait, il a manqué à son obligation de fiduciaire.

Le Tribunal a conclu que le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice après la cession relativement à l’administration des terres de réserve, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la « LTRP »].

Question no 5 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A avant la cession?

À un certain moment avant 1944, une réserve routière située dans la RI no 72A, entre le canton 19 et le canton 19A, a été exploitée sans le consentement de la revendicatrice. La route donnait accès au Sunset Beach Resort, propriété de la famille Criddle. La famille a construit des bâtiments sur la réserve routière.

Aux termes de l’article 34 de la Loi des Indiens de 1927, il était illégal pour un individu, autre qu’un membre de la bande, de résider sur une réserve routière située dans une réserve ou de l’occuper sans l’autorisation du surintendant général. La Loi des Indiens prévoit un processus d’attribution des terres de réserve aux Premières Nations, mais confère à la Couronne le pouvoir discrétionnaire de contrôler ces terres. Il est raisonnable de considérer que, à titre de fiduciaire, la Couronne a aussi l’obligation de faire preuve de prudence ordinaire afin de protéger les terres de réserve de la Première Nation contre tout empiétement et exploitation susceptible d’en découler. Une personne faisant preuve de prudence ordinaire dans la gestion de ses propres affaires, agissant raisonnablement, n’aurait pas permis qu’une route et des bâtiments non autorisés restent sur ses terres.

De plus, la Couronne doit faire preuve de diligence raisonnable pour éviter la destruction de l’intérêt quasi propriétal de la bande en raison d’un empiétement par un tiers. Il est raisonnable de penser que la Couronne avait donc l’obligation de corriger l’empiétement en prenant activement des mesures pour retirer les routes et les bâtiments non autorisés de la RI no 72A.

Le Tribunal a conclu que le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice relativement à l’administration des terres de réserve, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A avant la cession.

Question no 6 : Le Canada avait-il une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession?

Il a fallu environ trois ans au Canada pour régler avec la municipalité rurale de Grayson les questions relatives à la déviation d’une route sur 1,5 acre de terres cédées.

L’article 54 de la Loi des Indiens de 1927 prévoit que les terres de réserve cédées « sont réputées possédées aux mêmes fins que par le passé; et elles sont administrées, affermées et vendues selon que le gouverneur en son conseil le prescrit, sauf les conditions de la rétrocession et les dispositions de la présente Partie ». En acceptant la cession, la Couronne assume donc des pouvoirs discrétionnaires à l’égard des opérations foncières. Une obligation de fiduciaire impose des limites à la manière dont la Couronne peut exercer son pouvoir discrétionnaire en utilisant les terres pour le compte de la bande (Guerin au para 105).

La Couronne doit détenir et gérer les terres cédées du moment de la cession jusqu’à la vente, conformément aux conditions de la cession en cause. En l’espèce, cette période s’est étalée sur près de douze ans.

Avant la vente des terres cédées, la Couronne avait l’obligation de fiduciaire de détenir et de gérer les terres en faisant preuve de prudence ordinaire et de diligence raisonnable. Elle avait donc l’obligation de protéger les terres cédées de tout empiétement par des tiers.

La Couronne était tenue de vendre les terres cédées de la façon la plus appropriée pour assurer le bien-être de la revendicatrice. Adopter une approche permissive à l’égard des intrus va à l’encontre de cette obligation qui incombe à la Couronne quand elle gère les terres avant la vente. Le fait que des individus empiètent sur les terres cédées avant la vente nuit aux intérêts de la bande et de ses membres qui ont le droit de tirer profit de la vente des terres, sans que la valeur de celles-ci soit compromise par un empiétement.

Le Tribunal a conclu que le Canada avait une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession.

Question no 7 : Si le Canada avait une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession, a-t-il manqué à cette obligation?

La réserve routière entre les cantons 19 et 19A, menant au Sunset Beach Resort, a continué à être utilisée sans autorisation après la cession. Les bâtiments qui y avaient été construits sans autorisation ont également été conservés après la cession.

La Couronne doit faire preuve de diligence ordinaire lorsqu’elle gère les terres après une cession pour s’assurer que les terres cédées peuvent être vendues de la manière la plus appropriée pour assurer le bien-être de la bande. Il est raisonnable de penser que la Couronne devait notamment prendre des mesures pour retirer les routes et les bâtiments non autorisés de la RI no 72A et réparer la réserve routière qui avait été inondée en assurant une surveillance et en faisant preuve de diligence. En avril 1944, la Couronne était déjà au courant du problème que posait la réserve routière et, après la cession, elle contrôlait toutes les opérations foncières. Une personne chargée de gérer les terres en vue de leur vente, agissant raisonnablement, se serait assurée que la route soit déviée ou réparée en temps opportun pour éviter que la valeur des terres ne soit réduite. La Couronne a plutôt tardé à agir, ce qui a permis à la municipalité de prendre elle-même certaines mesures, sans en aviser la Couronne, et a causé des dommages aux terres cédées.

La preuve permet de conclure que le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice relativement à l’administration des terres de réserve, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, en ce qui concerne l’empiétement survenu après la cession.

Question no 8 : Le Tribunal a-t-il compétence pour entendre une allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven?

Vers 1909, le ministère fédéral de la Marine et des Pêcheries a construit un barrage sur la rivière Qu’Appelle à Craven, en Saskatchewan (le barrage de Craven), en aval de la crique Long Lake et à une certaine distance en amont de la RI no 72A. Il ressort de la preuve que la construction a nui à la capacité de Kahkewistahaw de pêcher sur ses terres de réserve.

Or, rien n’indique que Kahkewistahaw ait été consultée avant la construction du barrage.

Le Tribunal a conclu qu’il n’avait pas compétence pour entendre l’allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven, car ce type de manquement ne s’inscrit pas dans les revendications admissibles énumérées au paragraphe 14(1) de la LTRP.

Peut-être la Couronne avait-elle une obligation de fiduciaire de consulter et d’accommoder la revendicatrice avant la construction du barrage de Craven et peut-être le Canada doit-il verser une indemnité à la Première Nation pour avoir manqué à son obligation, mais le Tribunal n’a pas compétence pour trancher cette question.

Question no 9 : En supposant que le Tribunal a compétence pour entendre l’allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven, le Canada a-t-il manqué à son obligation?

Ayant conclu qu’il n’a pas compétence pour entendre l’allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven, le Tribunal n’a pas à répondre à cette question.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. APERÇU 15

II. Historique procédural 15

III. CONTEXTE 16

A. Barrage de Craven 17

B. Construction d’une route de déviation 18

C. Cession de la RI no 72A 19

D. Vente de la RI no 72A 20

E. Faits reconnus par le Canada 23

IV. Questions en litige 23

V. ANALYSE 25

A. Question no 1 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice avant la cession de la RI no 72A de 1944? 25

1. Contexte 25

2. Position de la revendicatrice 27

3. Position de l’intimée 27

4. Analyse 28

5. Conclusion 32

B. Question no 2 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation que lui imposait la Loi des Indiens à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944? 32

1. Contexte 32

2. Position de la revendicatrice 33

3. Position de l’intimée 33

4. Analyse 33

5. Conclusion 37

C. Question no 3 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation que lui imposait le Traité no 4 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944? 37

1. Contexte 37

2. Position de la revendicatrice 38

3. Position de l’intimée 38

4. Analyse 38

5. Conclusion 40

D. Question no 4 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice après la cession, au-delà du manquement qui a été expressément admis? 41

1. Contexte 41

2. Position de la revendicatrice 45

3. Position de l’intimée 45

4. Analyse 46

5. Conclusion 53

E. Question no 5 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A avant la cession? 53

1. Contexte 53

2. Position de la revendicatrice 53

3. Position de l’intimée 53

4. Analyse 53

5. Conclusion 55

F. Question no 6 : Le Canada avait-il une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession? 55

1. Contexte 55

2. Position de la revendicatrice 56

3. Position de l’intimée 56

4. Analyse 56

5. Conclusion 57

G. Question no 7 : Si le Canada avait une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession, a-t-il manqué à cette obligation? 57

H. Question no 8 : Le Tribunal a-t-il compétence pour entendre une allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven? 59

1. Contexte 59

2. Position de la revendicatrice 59

3. Position de l’intimée 60

4. Analyse 60

5. Conclusion 62

I. Question no 9 : En supposant que le Tribunal a compétence pour entendre l’allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven, le Canada a-t-il manqué à son obligation? 63

VI. Conclusion 63


 

I. APERÇU

[1] Au début de 1944, la Couronne a discuté avec Kahkewistahaw de la possibilité de céder 1,5 acre de terres de réserve en vue du déplacement d’une route. En août 1944, Kahkewistahaw avait cédé la totalité de la réserve indienne no 72A (la « RI no 72A »), soit 68,16 acres selon le document de cession. En déposant une revendication auprès du Tribunal des revendications particulières (le « Tribunal ») le 5 octobre 2016, la Première Nation de Kahkewistahaw (la « revendicatrice », « Kahkewistahaw », la « Première Nation » ou la « bande ») cherche à obtenir une indemnité pour ce qu’elle considère en partie comme des manquements de la Couronne à ses obligations en droit et en equity vu la façon dont la cession a été faite et la façon dont s’est conduite la Couronne après la cession.

[2] Par procès-verbal et ordonnance en date du 13 février 2017, la revendication de la Première Nation de Kahkewistahaw a été scindée conformément à la règle 10 des Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, DORS/2011-119. Le Tribunal a instruit la revendication en deux étapes distinctes afin de traiter respectivement de la question du bien-fondé et de celle de l’indemnisation. Le Tribunal a entendu la preuve et les arguments relatifs à la question du bien-fondé les 27 et 28 octobre 2020 et du 17 au 19 novembre 2021. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la revendication de la Première Nation de Kahkewistahaw est fondée. Les parties passeront maintenant à la deuxième étape de la revendication, soit celle de l’indemnisation.

II. Historique procédural

[3] La revendicatrice a initialement déposé sa revendication auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (nom donné au ministre des Relations Couronne-Autochtones à l’époque) le 9 décembre 2004.

[4] Dans une lettre de l’intimée datée du 13 septembre 2013, la revendicatrice a été informée que le ministre avait décidé d’accepter de négocier le règlement d’une partie de sa revendication.

[5] En date du 14 septembre 2016, les négociations avec le ministère n’avaient pas abouti.

[6] Le 5 octobre 2016, la revendicatrice a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal.

[7] Le 5 décembre 2016, l’intimée a déposé auprès du Tribunal une réponse à la déclaration de revendication.

[8] Le 13 février 2017, le Tribunal a dressé un procès-verbal et rendu une ordonnance par laquelle il a scindé l’instruction de la présente revendication en deux étapes distinctes : celle du bien-fondé et celle de l’indemnisation.

[9] Le 26 novembre 2018, la revendicatrice a déposé une déclaration de revendication amendée auprès du Tribunal et, le 14 mai 2021, elle a déposé une déclaration réamendée.

[10] Le 20 décembre 2018, l’intimée a déposé auprès du Tribunal une réponse amendée.

[11] Le 6 mai 2019, le Tribunal a organisé une séance de médiation entre les parties.

[12] Les 27 et 28 octobre 2020, le Tribunal a tenu une audience virtuelle consacrée aux témoignages des experts sur le bien-fondé de la revendication.

[13] Du 17 au 19 novembre 2021, le Tribunal a tenu une audience virtuelle pour entendre les observations orales sur le bien-fondé.

III. CONTEXTE

[14] La Première Nation de Kahkewistahaw est établie dans ce qui est maintenant le sud-est de la Saskatchewan, à environ 150 kilomètres à l’est de Regina, entre les lacs Crooked et Round. La Première Nation a adhéré au Traité no 4 en 1874. En 1881, des terres ont été arpentées le long du lac Crooked et l’arpenteur a recommandé que ces terres soient mises de côté à titre de poste de pêche pour Kahkewistahaw. Le ministère de l’Intérieur a donc réservé les terres et la création du poste de pêche à titre de RI no 72A a été confirmée par le décret CP 1151, le 17 mai 1889. La réserve comprenait une partie sud (section fractionnaire 8-19A-5) et une partie nord (quart sud-est fractionnaire 5-19-5), y compris la réserve routière entre les cantons 19 et 19A. Dans une lettre envoyée le 2 décembre 1905, J. D. McLean, secrétaire du ministère des Affaires indiennes, a confirmé que la partie sud avait déjà été concédée à la Compagnie de la Baie d’Hudson au XVIIe siècle, et que des lettres patentes avaient été émises en 1885. Par conséquent, la RI no 72A a été réduite de 27,5 acres, passant de 96 à 68,5 acres. Elle a été cédée le 4 juillet 1944 et vendue au profit de la Première Nation en 1956. Selon le document de cession, elle avait une superficie de 68,16 acres. Dans une lettre datée du 28 mars 1944 adressée à W. J. D. Kerley, agent des Indiens à Broadview, D. J. Allan, surintendant des réserves et des fiducies, a expliqué que cette réduction était attribuable à [traduction] « un transfert de 2,64 acres effectué en 1924 en faveur de la province [de la Saskatchewan] pour la construction d’une route devant remplacer une route existante de 2,3 acres » (pièce Ex-1, vol 1, onglet 78).

[15] La revendication soulève des questions relativement à quatre événements historiques distincts : la construction d’un barrage en 1909 (le barrage de Craven), la déviation d’une autre route à travers la réserve en 1944, la cession de la totalité de la réserve en 1944 et le fait que près de douze ans se soient écoulés avant que les terres cédées soient vendues au profit de la bande.

A. Barrage de Craven

[16] Le barrage de Craven a été construit en 1909 sur la rivière Qu’Appelle, à Craven, en Saskatchewan, dans le but de faire dévier l’eau de la rivière vers un lac connu sous le nom de Long ou Last Mountain. Le barrage a eu les effets escomptés. Le 17 février 1912, l’inspecteur des pêcheries E. W. Miller a écrit au surintendant des pêcheries W. A. Founds pour l’informer que le barrage avait été très avantageux pour le lac Long, notamment en ce qui concerne la pêche. Par contre, il a souligné que le barrage avait été néfaste pour les lacs situés en aval, y compris les lacs Crooked et Round. Il a écrit que [traduction] « [l]es lacs situés en aval (la chaîne de lacs répartis le long de la Qu’Appelle, le [lac] Crooked et le [lac] Round) [avaient] […] incontestablement pâti en conséquence » et qu’ils étaient rendus peu profonds et stagnants (pièce Ex-01, vol 1, onglet 37). L’inspecteur Miller a souligné que les conditions découlant de la construction de ce barrage [traduction] « nuisaient à la pérennité et à la santé de la pêche dans ces lacs, plus particulièrement les espèces recherchées qui, en temps normal, se trouvent dans ces lacs ». Rien n’indique que Kahkewistahaw a été consultée à propos de la construction du barrage.

[17] Kahkewistahaw soutient que la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire de consulter en ce qui concerne la construction du barrage de Craven, ce qui a eu pour effet de nuire à ses terres de réserve et à son droit de pêche issu du traité. La Couronne affirme que la revendication ne relève pas de la compétence du Tribunal puisqu’elle ne s’inscrit pas dans les revendications admissibles énumérées au paragraphe 14(1) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la « LTRP »].

B. Construction d’une route de déviation

[18] À un certain moment avant 1944, la réserve routière située dans la RI no 72A, entre les cantons 19 et 19A, a été exploitée sans le consentement de la revendicatrice. La route donnait accès au Sunset Beach Resort, propriété de la famille Criddle, laquelle avait aussi construit des bâtiments sur la réserve routière.

[19] En 1943, la réserve routière entre la RI no 72A et le Sunset Beach Resort, situé au sud de la RI no 72A, a été inondée du fait qu’un barrage avait été construit sur le lac Crooked l’année précédente. En 1944, la municipalité rurale de Grayson a demandé 1,5 acre de la RI no 72A afin de faire dévier la route — laquelle marquait la limite entre la RI no 72A (située dans le canton 19) et le Sunset Beach Resort immédiatement au sud (situé dans le canton 19A) — de la réserve routière gouvernementale puisqu’elle était inondée. Selon la municipalité, la route allait ainsi être aménagée sur des terres plus élevées et l’accès au Sunset Beach Resort allait s’en trouver amélioré au printemps et pendant les périodes de pluie. La municipalité et la Division des affaires indiennes ont échangé un certain nombre de levés d’arpentage et de croquis. Le 20 novembre 1944, la municipalité a versé le montant qui avait été convenu pour la parcelle de 1,5 acre, soit 30 $. À un certain moment avant décembre 1944, la route a été déplacée si l’on se fie au plan no 1175-12-2 de l’ARAP (Administration du rétablissement agricole des Prairies), préparé par C. H. Biddell, arpenteur-géomètre de la Saskatchewan, qui a noté qu’une superficie de 1,83 acre était utilisée, et non une superficie de 1,5 acre comme il était initialement indiqué.

[20] Le 22 novembre 1944, le surintendant général des agences indiennes, M. Christianson, a écrit au secrétaire-trésorier de la municipalité pour l’aviser que le surintendant Allen souhaitait que la route soit déviée autrement que de la façon proposée par la municipalité. Or, le 5 décembre 1944, le secrétaire-trésorier a répondu que le paiement avait déjà été versé et que la route vers le Sunset Beach Resort était déjà construite. En juillet 1945, la Division des affaires indiennes a informé la municipalité que la route n’avait pas été approuvée, qu’elle n’aurait pas dû être construite et que le problème d’inondation aurait pu être corrigé en nivelant la route précédente. Le conflit opposant la municipalité et la Division des affaires indiennes a duré des années. À l’automne 1947, la route a de nouveau été déplacée sur la réserve routière entre les cantons 19 et 19A, qui faisaient partie de la réserve indienne. Selon une lettre rédigée par l’agent des affaires indiennes Kerley en 1953, la municipalité s’est vu rembourser le prix d’achat de 30 $ étant donné qu’il n’était pas nécessaire de construire une nouvelle route et que la totalité de la réserve indienne pouvait donc être vendue par appel d’offres. Il n’y a cependant aucune trace de remboursement dans les dossiers.

[21] Kahkewistahaw affirme que la Couronne avait, à titre de fiduciaire, l’obligation de protéger les terres de réserve contre l’exploitation, y compris l’empiétement, et que celle-ci a manqué aux obligations fiduciaires ou de nature fiduciaire qu’elle avait à son égard :

[traduction]

a) en permettant à la [municipalité rurale de Grayson] de construire une route sur la réserve routière entre les cantons 19 et 19A menant au Sunset Beach Resort avant 1944 […];

b) en permettant au propriétaire du Sunset Beach Resort, la famille Criddle, de construire un magasin et une maison sur la réserve routière entre les cantons 19 et 19A;

c) en permettant à la [municipalité rurale de Grayson], tout d’abord, de construire la route de déviation sur la réserve no 72A en 1944, à un endroit qui n’avait pas été approuvé, puis d’utiliser à nouveau la réserve routière entre les cantons 19 et 19A pour la route menant au Sunset Beach Resort, sans avoir obtenu d’autorisation légale et sans avoir versé d’indemnité à la Première Nation.

[22] Le Canada soutient que la preuve ne permet pas d’établir qu’il y a eu empiétement et que, quand bien même il y aurait eu empiétement, la Couronne n’est pas tenue de rectifier la situation. Le Canada fait plutôt remarquer que l’article 35 de la Loi des Indiens, SRC 1927, c 98 [la « Loi des Indiens de 1927 »], en vigueur à l’époque pertinente, imposait à la Première Nation le fardeau de déposer une plainte pour empiétement avant que ne naisse l’obligation de rectifier la situation, et que rien ne prouve que Kahkewistahaw ait déposé une telle plainte.

C. Cession de la RI no 72A

[23] L’agent des Indiens Kerley a rencontré Kahkewistahaw le 4 avril 1944 pour discuter d’une proposition de cession visant la superficie de 1,5 acre nécessaire au déplacement de la route. Comme il n’y avait pas suffisamment de membres présents à cette rencontre, une autre rencontre a eu lieu plus tard en avril 1944. Lors de cette deuxième rencontre, Kahkewistahaw a décidé de céder la totalité de la RI no 72A. Dans une lettre datée du 27 avril 1944 qu’il a envoyée à la Division des affaires indiennes, l’agent des Indiens Kerley a expliqué que Kahkewistahaw n’utilisait pas ces terres puisque la plupart de ses membres pêchaient au lac Round et que la majorité des enfants fréquentaient l’école du lac Round. Il a aussi expliqué que Kahkewistahaw avait l’intention de vendre les terres de réserve et, si possible, de louer ou d’acheter un poste de pêche et un campement près de l’école.

[24] L’agent des Indiens Kerley a envoyé les documents de cession dûment remplis à la Division des affaires indiennes le 8 juillet 1944. La cession couvrait la totalité de la RI no 72A, dont la superficie était de 68,16 acres selon le document. La cession a été confirmée, le 7 août 1944, par le décret CP 6171, lequel précisait que les terres devaient être vendues aux conditions jugées les plus susceptibles d’assurer le bien-être des Indiens.

[25] Kahkewistahaw soutient que la Couronne, de par la façon dont elle a procédé à la cession, a manqué aux obligations qui lui incombaient en droit et en equity puisqu’elle n’a pas respecté les conditions du Traité no 4, qu’elle n’a pas satisfait aux exigences de la Loi des Indiens et qu’elle a manqué à son obligation de fiduciaire en ne protégeant pas la Première Nation contre un marché imprudent ou inconsidéré. La Couronne nie ces allégations. Elle soutient que le Traité no 4 ne régit pas — et ne régissait pas — les procédures de cession, que la Loi des Indiens a remplacé les dispositions du Traité no 4 en ce qui concerne les procédures de cession et que les dispositions de la Loi des Indiens en matière de cession ont été respectées. Elle affirme également que les exigences de l’obligation de fiduciaire relatives à la cession des terres de réserve ont été respectées.

D. Vente de la RI no 72A

[26] La réserve a été cédée en 1944, mais la vente n’a été finalisée qu’en 1956.

[27] Après la cession, la Division des affaires indiennes a entamé des discussions afin de déterminer quelle serait la meilleure façon de se départir des terres cédées. En août 1944, le surintendant Allan a écrit au surintendant général Christianson pour lui demander s’il convenait de mettre les terres en vente par appel d’offres public, si une partie du rivage du lac pouvait être subdivisée de manière à en tirer profit ou si la question de la vente finale devait être laissée en suspens. Le 25 septembre 1944, le surintendant général Christianson a répondu que, après avoir visité la réserve, il avait constaté que les terres n’étaient utilisées que pour des chalets d’été, et il a suggéré d’attendre la fin de la guerre pour subdiviser les terres. Il a ajouté que les Indiens [traduction] « ne perd[r]aient rien à attendre un an ou deux » et que « lorsque la situation sera[it] meilleure », il y aurait « une certaine demande pour un lieu de villégiature estivale à cet endroit » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 95). Le 4 octobre 1944, le surintendant Allan a accepté de reporter la vente des terres et a demandé au surintendant général Christianson de s’enquérir de l’identité des exploitants du Sunset Beach Resort et du prix de vente et de location de leurs lots. Le même mois, le surintendant général Christianson a répondu qu’un certain N. B. Criddle exploitait le Sunset Beach Resort et a souligné qu’il y avait 24 lots subdivisés sur la propriété, parmi lesquels 18 avaient été vendus et six étaient encore à vendre, et que les prix allaient de 50 $ à 125 $, soit 100 $ en moyenne. Il a ajouté que N. B. Criddle avait offert 500 $ à l’agent des Indiens Kerley pour la réserve, mais il était d’avis qu’il était possible d’obtenir une somme plus importante en subdivisant les terres de la réserve et en les vendant.

[28] Une ébauche de proposition de subdivision a été présentée le 18 octobre 1944. Elle a été envoyée au surintendant Christianson, qui l’a transmise au surintendant Allan. Ce dernier a rejeté l’ébauche au motif qu’elle était fondée sur des renseignements incomplets et a envoyé sa propre proposition le 31 octobre 1944. Allan a par ailleurs indiqué que les 25 lots faisant l’objet de la proposition pourraient être loués pour des périodes de 10 ou 20 ans au prix de 10 $ par année, ce qui rapporterait un revenu à la bande, s’il venait à y avoir un marché pour les résidences d’été.

[29] Rien ne prouve que la Division des affaires indiennes ait de nouveau discuté de la RI no 72A entre octobre 1944 et juillet 1953.

[30] En juillet 1953, la famille Criddle, par l’intermédiaire d’un agent, s’est de nouveau renseignée sur la propriété. Le 8 juillet 1953, le surintendant L. L. Brown a écrit au superviseur régional des agences indiennes J. P. B. Ostrander pour l’informer de l’intérêt porté à la réserve, lui demander s’il jugeait que les terres devaient être vendues en bloc ou en lots et lui proposer d’entreprendre des démarches pour faire évaluer les terres. Le 17 juillet 1953, Ostrander a répondu que lui et l’agent des Indiens Kerley s’entendaient pour dire que les terres devaient être mises en vente par appel d’offres, puisqu’ils pensaient que de cette façon, la famille Criddle ne serait pas la seule à être intéressée. En octobre de cette année-là, le surintendant Brown a écrit à l’arpenteur général B. W. Waugh pour lui demander une description de la partie de la RI no 72A située au nord de la réserve routière entre les cantons 19 et 19A, pour laquelle les Affaires indiennes proposaient de lancer un appel d’offres. Dans cette lettre, ainsi que dans une lettre adressée à Kerley, Brown exprimait l’intention de transférer le titre de propriété de la route à la province de la Saskatchewan après la vente de la réserve.

[31] Rien ne prouve que la Division des affaires indiennes ait de nouveau discuté de la RI no 72A avant février 1955.

[32] Dans une lettre datée de février 1955 et adressée au nouveau surintendant responsable de l’agence indienne de Broadview, J. T. Warden, le surintendant Brown a souligné que la propriété était toujours en vente et a demandé si la vente par appel d’offres était la meilleure solution. En mars 1955, le directeur de la Division des Affaires indiennes, H. M. Jones, a demandé que la propriété soit évaluée; sa valeur a été établie à 1 920 $ en juin de la même année. En mai 1955, la famille Criddle a de nouveau exprimé qu’elle souhaitait acheter la propriété. Par une résolution du conseil de bande datée du 11 octobre 1955, Kahkewistahaw a décidé que les coûts engagés pour annoncer la vente de la RI no 72A seraient payés sur son compte de revenus.

[33] Le 30 septembre 1955, un appel d’offres a été lancé pour la totalité de la réserve — répertoriée à ce moment-là comme une réserve de 64,36 acres, et non de 68,16 acres comme celle cédée en 1944 — afin qu’elle soit vendue en un seul bloc. Cet appel d’offres a ensuite été annulé. Or, le 2 novembre 1955, un nouvel appel d’offres a été lancé et la date limite était fixée au 30 novembre. D’après les documents d’appel d’offres, les terres ont été subdivisées en trois parcelles : une d’environ 15 acres, une d’environ 18 acres et une d’environ 20 acres, pour un total de 53 acres. Deux offres ont été reçues, dont celle de la famille Criddle qui était la plus élevée, soit 2 500 $ pour les trois parcelles. Cette offre a été acceptée et des lettres patentes ont été délivrées à Kenneth William Milton Criddle le 18 juin 1956. Selon le registre de vente, 64,36 acres ont été vendues pour la somme de 2 500 $; or, cette superficie ne correspond pas à celle indiquée dans le document de cession ou dans l’appel d’offres.

[34] Kahkewistahaw soutient que la Couronne a manqué aux obligations de fiduciaire qui lui incombaient après la cession en ce qui concerne l’aliénation finale des terres. Elle affirme notamment que la vente des terres a été reportée pendant plus de dix ans et que, pendant cette période, elle n’a tiré aucun profit; que le fait que l’aliénation finale se soit faite par la vente a été moins avantageux pour elle que ne l’aurait été la location; et que, quand la vente a finalement été conclue, la Couronne a transféré plus de terres à l’acheteur qu’il n’en avait achetées. La Couronne nie ces allégations en partie. Elle soutient qu’elle s’est acquittée de son obligation de fiduciaire pour les périodes allant de 1944 à 1947 et de 1953 à 1955, et que la Première Nation n’a subi aucune perte par suite de sa conduite dans le cadre de l’aliénation des terres. Le Canada ne prétend pas s’être acquitté de son obligation de fiduciaire entre 1948 et 1953, car il n’existe aucune explication ni documentation pour ces années, si ce n’est que K. W. Criddle a demandé à acheter les terres.

E. Faits reconnus par le Canada

[35] Le Canada a reconnu les faits suivants :

  • a. une indemnité doit être versée à la revendicatrice du fait que 2,64 acres de terre ont été transférées à la province de la Saskatchewan en 1924;

  • b. une indemnité doit être versée à la revendicatrice du fait que la municipalité a utilisé 1,5 acre pour construire une route sur la réserve routière entre les cantons 19 et 19A à la suite de la cession de la RI no 72A en 1944;

  • c. une indemnité doit être versée à la revendicatrice du fait que l’intimée a manqué à son obligation de fiduciaire entre 1948 et 1953.

IV. Questions en litige

[36] Pour déterminer si la revendication de la revendicatrice est fondée, le Tribunal doit examiner les questions suivantes :

  1. Le Canada a-t-il manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice avant la cession de la RI no 72A de 1944?

  2. Le Canada a-t-il manqué à l’obligation que lui imposait la Loi des Indiens à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944?

  3. Le Canada a-t-il manqué à l’obligation que lui imposait le Traité no 4 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944?

  4. Le Canada a-t-il manqué à l’obligation qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice après la cession, au-delà du manquement qui a été expressément admis?

  5. Le Canada a-t-il manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A avant la cession?

  6. Le Canada avait-t-il une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession?

  7. Si le Canada avait une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession, a-t-il manqué à cette obligation?

  8. Le Tribunal a-t-il compétence pour entendre une allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven?

  9. En supposant que le Tribunal a compétence pour entendre l’allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven, le Canada a-t-il manqué à son obligation?

[37] Pour les motifs exposés plus loin, je suis arrivée aux conclusions suivantes :

  1. Le Canada n’a pas manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice avant la cession de la RI no 72A de 1944;

  2. Le Canada n’a pas manqué à l’obligation que lui imposait la Loi des Indiens à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944;

  3. Le Canada n’a pas manqué à l’obligation que lui imposait le Traité no 4 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944;

  4. Le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice après la cession relativement à l’administration des terres de réserve, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, au-delà du manquement qui a été expressément admis;

  5. Le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice relativement à l’administration des terres de réserve, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A avant la cession;

  6. Le Canada avait une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession;

  7. Le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice relativement à l’administration des terres de réserve, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession;

  8. Le Tribunal n’a pas compétence pour entendre une allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven.

V. ANALYSE

A. Question no 1 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice avant la cession de la RI no 72A de 1944?

1. Contexte

[38] Comme il a été mentionné précédemment, l’agent des Indiens à Broadview, W. J. D. Kerley, a informé le surintendant général des agences indiennes, M. Christianson, que le chef de Kahkewistahaw, Harry Favel, était prêt à céder la superficie de 1,5 acre nécessaire au déplacement d’une route d’accès et qu’il souhaitait discuter de cette cession potentielle avec ses membres. Christianson a conseillé à Kerley d’en parler avec le chef et le conseil et que, si les membres donnaient leur approbation, Ottawa accepterait la cession. Kerley a envoyé les formulaires nécessaires à la cession d’une superficie de 1,5 acre le 28 mars 1944. Une rencontre a eu lieu avec la bande le 4 avril 1944. Toutefois, le nombre de membres présents n’était pas suffisant pour effectuer légalement une cession. Par conséquent, une autre rencontre a été organisée un peu plus tard dans le mois. À cette deuxième rencontre, la Première Nation a informé Kerley qu’elle ne souhaitait pas céder seulement 1,5 acre, mais qu’elle voulait céder la totalité de la RI no 72A. Dans une lettre datée du 27 avril 1944 et adressée à la Division des affaires indiennes, l’agent des Indiens Kerley a demandé des formulaires de cession pour la totalité de la réserve au motif que Kahkewistahaw voulait se rapprocher du lac Round, là où ses membres pêchaient et où les enfants allaient à l’école.

[39] Le 3 mai 1944, le directeur de la Division des affaires indiennes, H. W. McGill, a envoyé de nouveaux formulaires de cession pour l’ensemble de la réserve, décrite comme ayant une superficie de 68,16 acres. La cession a été conclue le 4 juillet 1944. Selon le document de dépouillement des votes, 25 des 43 membres de Kahkewistahaw ayant droit de vote étaient présents à la rencontre et 23 d’entre eux ont voté en faveur de la cession, tandis que 2 ont voté contre. Dans une lettre datée du 8 juillet 1944 que Kerley a envoyée à la Division des affaires indiennes, il est indiqué que, sur les 18 membres absents, [traduction] « douze travaill[aient] hors de la réserve ou dans les forces armées » (pièce Ex-1, vol 1, onglet 86). Le formulaire de cession dûment rempli porte la signature de l’agent des Indiens Kerley, du chef Favel et de cinq autres membres de la Première Nation. Le 8 juillet 1944, l’agent des Indiens Kerley, le chef Favel et deux autres membres de la Première Nation ont déposé un affidavit dans lequel il était indiqué que Kahkewistahaw avait [traduction] « consenti à la cession à l’assemblée ou au conseil de la bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de la bande et aux règles ministérielles » (pièce Ex-1, vol 1, onglet 85). La cession a été ratifiée le 7 août 1944 par le décret CP 6171, lequel précisait que les terres devaient être vendues [traduction] « aux conditions jugées les plus susceptibles d’assurer le bien-être des Indiens » (pièce Ex-1, vol 1, onglet 89).

[40] En 1954, avant la vente finale des terres cédées, les Affaires indiennes ont offert à la Première Nation des terres situées sur la rive du lac Round. Kahkewistahaw a acheté ces terres pour une somme de 10 000 $ prélevée sur son compte en capital. Six ans plus tard, par décret pris le 10 novembre 1960, ces terres ont été mises de côté pour la Première Nation [traduction] « en vue d’être ajoutées à la réserve indienne de Kahkewistahaw numéro soixante-douze » (pièce Ex-12).

2. Position de la revendicatrice

[41] La revendicatrice soutient que la Couronne n’a pas respecté l’obligation de fiduciaire qui lui incombait avant la cession lorsqu’elle a accepté la cession de la RI no 72A en 1944. S’appuyant sur l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, 1995 CarswellNat 1278 [Blueberry], rendu par la Cour suprême du Canada, Kahkewistahaw soutient que la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire avant la cession, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la bande n’a pas bien saisi les conditions de la cession. Deuxièmement, la décision de céder la réserve était si imprudente ou inconsidérée que le gouverneur en conseil était tenu de refuser son consentement pour éviter que la bande se fasse exploiter (Blueberry aux para 14, 35).

[42] La revendicatrice s’appuie sur quatre éléments de preuve pour affirmer que la Première Nation n’a pas bien saisi les conditions de la cession. Tout d’abord, il y a l’affidavit d’Urbin Louison, un membre de Kahkewistahaw né le 18 août 1944. Dans son affidavit, Louison jure que lui et sa famille se sont rendus à la RI no 72A et ont utilisé les terres jusque dans les années 1950 pour des cérémonies et des loisirs. Puis, malgré le fait que Kahkewistahaw désirait avoir des terres plus près du lac Round, elle n’avait pas besoin de céder et de vendre la RI no 72A pour les acquérir puisqu’en mars 1944, elle avait près de 214 000 $ dans son compte en capital dont elle aurait pu se servir. Enfin, la revendicatrice fait référence à deux lettres que D. J. Allan, surintendant des réserves et des fiducies, a envoyées à M. Christianson, surintendant général des agences indiennes. Dans la première lettre, datée du 4 octobre 1944, Allan a fait valoir que la subdivision et la location des terres de la réserve de la Première Nation était la façon la plus rentable de s’en départir. Dans la deuxième lettre, datée du 31 octobre de la même année, Allan a de nouveau suggéré que les terres soient subdivisées en lots pour chalets et que ces lots soient loués afin que [traduction] « la bande puisse tirer un revenu de la réserve no 72A » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 101).

3. Position de l’intimée

[43] Le Canada soutient s’être acquitté des obligations de fiduciaire qui lui incombaient avant la cession de 1944.

[44] Il affirme que la Première Nation avait décidé de céder les terres de réserve et que l’obligation de la Couronne se limitait à prévenir les marchés abusifs. Il fait valoir que la décision de céder les terres en vue de les vendre était fondée sur un raisonnement logique qui ne peut être qualifié d’imprudent ou d’inconsidéré.

4. Analyse

[45] Vu les allégations que Kahkewistahaw a formulées dans sa revendication, le Tribunal doit se demander si la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire envers la revendicatrice. Récemment, dans l’arrêt Southwind c Canada, 2021 CSC 28, 2021 CarswellNat 2594 [Southwind], la Cour suprême du Canada a décrit en détail la nature de l’obligation de fiduciaire qu’a la Couronne envers les peuples autochtones :

L’obligation de fiduciaire de la Couronne repose sur son obligation de se conduire honorablement et sur l’objectif global de réconciliation entre la Couronne et les premiers habitants du Canada (Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, par. 17-18). Le professeur Slattery qualifie l’honneur de la Couronne de [traduction] « postulat fondamental du droit constitutionnel canadien » (B. Slattery, « The Aboriginal Constitution » (2014), 67 S.C.L.R. (2d) 319, p. 320). Dans l’arrêt Nation haïda, la juge en chef McLachlin a expliqué que le « processus de conciliation découle de l’obligation de la Couronne de se conduire honorablement envers les peuples autochtones, obligation qui, à son tour, tire son origine de l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur un peuple autochtone et par l’exercice de fait de son autorité sur des terres et ressources qui étaient jusque‑là sous l’autorité de ce peuple » (par. 32; voir aussi R. c. Desautel, 2021 CSC 17, par. 22). Il s’agit d’un projet continu dont l’objectif est la « réconciliation des Canadiens autochtones et non autochtones dans le cadre d’une relation à long terme empreinte de respect mutuel » (Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, par. 10).

C’est dans l’arrêt Guerin que notre Cour a reconnu l’existence d’une obligation de fiduciaire pour la première fois. Dans cette affaire, le Canada soutenait qu’il ne pouvait pas être assujetti à une obligation de fiduciaire et que, au mieux, le contrôle de la Couronne sur les intérêts autochtones sur les terres constituait une fiducie politique non exécutoire en justice (p. 371). Le juge Dickson, au nom des juges majoritaires, a rejeté l’argument du Canada. Il a plutôt conclu que les intérêts autochtones sur les terres étaient « un droit, en common law, qui existait déjà et qui n’a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif » (p. 379; voir aussi J. T. S. McCabe, The Honour of the Crown and its Fiduciary Duties to Aboriginal Peoples (2008), p. 150‑151). En d’autres mots, l’intérêt autochtone sur les terres ne provenait pas de la Couronne; il existait avant que la Couronne affirme sa souveraineté.

Par la Proclamation royale (1763), la Couronne a assumé le contrôle discrétionnaire à l’égard de ces intérêts autochtones préexistants sur les terres. La Proclamation était ainsi libellée : « Nous défendons aussi strictement par la présente à tous Nos sujets, sous peine de s’attirer Notre déplaisir, d’acheter ou posséder aucune terre ci‑dessus réservée, ou d’y former aucun établissement, sans avoir au préalable obtenu Notre permission spéciale et une licence à ce sujet. » La Loi des Indiens et les lois qui l’ont précédée ont officialisé le processus de mise de côté des terres de réserve et le contrôle juridique de la Couronne sur ces terres. La Couronne a ainsi pris la « responsabilité historique […] de représenter les Indiens afin de protéger leurs droits dans les opérations avec des tiers » (Guerin, p. 383). Dans l’arrêt Guerin, notre Cour a reconnu qu’une obligation de fiduciaire avait pris naissance parce que la Couronne s’était interposée entre les Autochtones et ceux qui voulaient louer ou acheter leurs terres, exerçant ainsi un contrôle discrétionnaire sur les terres (p. 383-384). La Couronne a une obligation qui tient « de la nature d’une obligation de droit privé » (p. 385). [Souligné dans l’original; aux para 55-57]

[46] Dans l’arrêt Blueberry, la bande indienne de la rivière Blueberry et la bande indienne de la rivière Doig ont affirmé que la Couronne avait manqué à son obligation de fiduciaire lorsqu’elle avait consenti à ce que la bande antérieure, la bande indienne des Castors, cède les terres de réserve en 1945 puisque cette cession n’était pas dans l’intérêt de la bande. Les deux bandes prétendaient que le caractère paternaliste du régime établi par la Loi des Indiens imposait à la Couronne l’obligation d’empêcher les Autochtones de prendre des décisions imprudentes relativement à l’aliénation de leurs terres. La Couronne soutenait que les bandes devaient être traitées comme des acteurs indépendants pour ce qui est de la cession de leurs terres. La juge McLachlin a déclaré, aux paragraphes 33 et 35, dans une opinion concordante minoritaire qui a souvent été citée :

Il s’agit d’abord de déterminer si la Loi des Indiens imposait à la Couronne l’obligation de refuser que la bande cède sa réserve. La réponse à cette question se trouve dans l’arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, où le juge Dickson (plus tard Juge en chef du Canada) a statué, au nom des juges de la majorité de la Cour, que le fondement de l’obligation de la Couronne relativement à la cession des terres des Indiens était la prévention des marchés abusifs.

[…]

À mon avis, les dispositions de la Loi des Indiens relatives à la cession des réserves des bandes établissent un équilibre entre les deux pôles extrêmes que constituent l’autonomie et la protection. Il fallait que la bande visée consente à la cession de sa réserve, à défaut de quoi celle-ci ne pouvait pas être vendue. Par ailleurs, il fallait également que la Couronne, par l’intermédiaire du gouverneur en conseil, consente à la cession. L’exigence que la Couronne consente à la cession n’avait pas pour objet de substituer la décision de cette dernière à celle des bandes, mais plutôt d’empêcher que celles-ci se fassent exploiter. Le juge Dickson a décrit ainsi cette exigence dans Guerin (à la p. 383) :

Cette exigence d’une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter.

Il s’ensuit que, en vertu de la Loi des Indiens, les bandes avaient le droit de décider si elles voulaient céder leur réserve, et que leur décision devait être respectée. Par ailleurs, si la décision de la bande concernée était imprudente ou inconsidérée – et équivalait à de l’exploitation – la Couronne pouvait refuser son consentement. Bref, l’obligation de la Couronne se limitait à prévenir les marchés abusifs.

[47] Kahkewistahaw a entrepris de céder la RI no 72A. Elle a décidé, sans que la Couronne ne lui demande, de céder la totalité de la réserve, et non seulement la superficie de 1,5 acre requise pour la route. Elle a expliqué qu’elle n’utilisait pas ces terres puisque la plupart de ses membres pêchaient au lac Round. Elle avait l’intention d’acheter ou de louer un poste de pêche ou un campement près du lac Round, après avoir vendu la RI no 72A, étant donné que la majorité des enfants y fréquentaient l’école. C’est dans ce contexte que le Tribunal doit établir l’équilibre entre les deux pôles que constituent l’autonomie et la protection. Kahkewistahaw avait le droit de décider si elle voulait céder les terres. Cette décision doit être respectée, à moins que la revendicatrice n’ait pas bien saisi les conditions de la cession ou que la décision de céder la RI no 72A était si imprudente ou inconsidérée qu’elle équivalait à de l’exploitation.

[48] La preuve n’appuie pas la thèse selon laquelle Kahkewistahaw n’avait pas bien saisi les conditions de la cession. Il ressort clairement du document de cession signé par le chef et cinq membres de la bande que la cession devait aboutir à une vente. L’affidavit d’Urbin Louison, un membre de Kahkewistahaw né le 18 août 1944, prouve que sa famille a continué à utiliser les terres après la cession, mais il ne permet pas de conclure que Kahkewistahaw, dans son ensemble, n’avait pas bien saisi qu’il s’agissait d’une cession aux fins de vente. La revendicatrice soutient que le fait qu’elle aurait pu acheter les terres souhaitées près du lac Round avec les fonds détenus dans son compte de capital et qu’elle n’avait pas besoin de la vente pour ce faire appuie la thèse selon laquelle Kahkewistahaw n’avait pas bien saisi les conditions de la cession. Je ne suis pas de cet avis. Encore une fois, il était expressément indiqué dans le document de cession qu’il s’agissait d’une cession aux fins de vente; il est donc raisonnable de conclure que le chef et le conseil savaient combien il y avait dans le compte de capital. De même, les lettres que D. J. Allan, surintendant des réserves et des fiducies, a envoyées à M. Christianson, surintendant général des agences indiennes, les 4 et 31 octobre 1944, dans lesquelles il laissait entendre que la subdivision et la location de la RI no 72A constituaient la façon la plus rentable de se départir de la réserve de la Première Nation, ne reflètent que l’opinion de ces personnes au moment où les lettres ont été rédigées, et non une mauvaise compréhension des conditions de la cession par les membres de la Première Nation. Ces derniers connaissaient le concept de la location puisqu’ils envisageaient de louer ou d’acheter des terres au lac Round. Ils ont néanmoins consenti à la vente, ce qui concordait avec l’intention qu’ils avaient initialement exprimée.

[49] Il n’en demeure pas moins difficile, compte tenu des circonstances antérieures à la cession, de ne pas conclure que la Couronne aurait pu mieux guider Kahkewistahaw quand celle-ci a décidé de vendre la totalité de la RI no 72A. Elle aurait pu se renseigner sur la disponibilité et le coût des terres situées près du lac Round et en informer Kahkewistahaw, sachant que les fonds se trouvaient dans le compte de capital. Or, ce n’est qu’en 1953 que la Couronne a offert à Kahkewistahaw d’acheter les terres du lac Round, et le prix d’achat ne représentait qu’une fraction des fonds disponibles dans son compte de capital au moment de la cession. La Couronne aurait pu informer la revendicatrice et discuter avec elle, avant la cession, de la possibilité de louer les terres au lieu de les vendre. Toutefois, l’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne avant la cession en est une de « diligence ordinaire » pour prévenir un marché abusif. Dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 au para 100, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum], le juge Binnie décrit ainsi la diligence ordinaire dans ce contexte :

C’est dans le contexte des « marchés abusifs » qu’il faut, je crois, comprendre l’approche du juge Wilson dans l’arrêt Guerin. S’exprimant en son nom et au nom des juges Ritchie et McIntyre, madame le juge Wilson a déclaré que, avant toute aliénation, la Couronne a « l’obligation qui incombe au fiduciaire de protéger et préserver les droits des bandes contre l’extinction ou l’empiétement » (p. 350). Les « droits » à protéger de l’extinction ou de l’empiétement sont, il faut le souligner, des intérêts en common law, et ce qui les menace doit être, comme dans l’arrêt Guerin lui-même, un marché abusif (par exemple dans cette dernière affaire, le bail consenti au club de golf Shaughnessy Heights, qui a été jugé « déraisonnable »). Cette interprétation est compatible avec les arrêts Bande indienne de la rivière Blueberry et Lewis. Les propos du juge Wilson doivent être considérés comme indiquant que la Couronne doit faire montre de la diligence ordinaire requise pour éviter l’empiétement ou la destruction de l’intérêt quasi propriétal de la bande en raison d’un marché abusif avec des tiers, voire de mesures qui seraient prises par la Couronne elle-même et constitueraient de l’exploitation. (Il va de soi qu’il surviendra également des affaires où il sera question de la responsabilité ordinaire de la Couronne, en tant que fiduciaire, relativement aux pouvoirs administratifs qu’elle exerce à l’égard de la réserve et des biens de la bande.)

[50] Dans l’arrêt Blueberry, la juge McLachlin a fait remarquer au paragraphe 36 que la cession des droits de superficie de la RI no 72A ne constituait pas un marché abusif puisque, « du point de vue de la bande, à l’époque, cette décision [la cession et la vente des terres] se défendait ». Dans l’arrêt Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 1984 CarswellNat 813 [Guerin], la juge Wilson, dans les motifs concordants qu’elle a rédigés au nom des juges minoritaires, a conclu que la conduite de la Couronne était « déraisonnable » puisque les conditions du bail finalement conclu ne ressemblaient que fort peu à ce qui avait été débattu et approuvé à l’assemblée de la cession. Il a été conclu que si la bande avait connu les conditions réelles du bail, elle n’aurait jamais cédé ses terres (Guerin au para 19). Dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a conclu qu’il n’y avait pas marché abusif puisque la bande avait « sign[é] une cession par renonciation en faveur d’une bande sœur possédant un droit supérieur [et] voulai[t] de bonne foi résoudre une [traduction] “divergence d’opinions” avec une bande sœur » (au para 102).

[51] Kahkewistahaw avait le droit de décider si elle voulait céder la RI no 72A afin qu’elle soit vendue et sa décision doit être respectée. Sa décision n’était ni imprudente ni inconsidérée. En fait, elle était fondée sur l’idée que les terres situées près du lac Round convenaient mieux à ses membres, comme elle l’a clairement expliqué. La revendicatrice a réfléchi et a décidé d’elle-même de céder les terres afin qu’elles soient vendues dans son propre intérêt. La Couronne était tenue de ne pas consentir à la vente seulement si la vente représentait un marché abusif. Or, on ne peut pas dire que le marché était abusif puisqu’avant la cession, le plan consistait à obtenir un intérêt quasi propriétal différent, mieux adapté aux besoins et aux intérêts des membres de Kahkewistahaw. La Couronne aurait pu communiquer plus de détails à Kahkewistahaw au moment où cette dernière a exprimé le désir de vendre la RI no 72A, mais cela ne signifie pas qu’elle a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait avant la cession, à savoir prévenir un marché déraisonnable.

5. Conclusion

[52] Pour ces motifs, je conclus que le Canada n’a pas manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice avant la cession de la RI no 72A de 1944.

B. Question no 2 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation que lui imposait la Loi des Indiens à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944?

1. Contexte

[53] Le contexte de cette question est exposé aux paragraphes 23 à 25.

2. Position de la revendicatrice

[54] Selon la revendicatrice, rien ne prouve que la Loi des Indiens de 1927 a été respectée et, en l’absence d’une telle preuve, le Tribunal devrait conclure que l’article 51 de cette loi a été violé.

[55] La revendicatrice soulève également des questions quant à l’authenticité du document de cession, lequel portait la signature de l’agent des Indiens Kerley, du chef Favel et de cinq autres membres de la Première Nation. S’appuyant sur un affidavit de Joseph Arthur Crowe, souscrit le 19 septembre 1979, la revendicatrice soutient qu’une des signatures figurant sur le document de cession, qui selon elle se lit « Joe Crowe », est fausse. Selon l’affidavit, le père de Joseph Arthur Crowe, Joseph Louis Crowe, était connu sous le nom de « Louis Crowe ». Il signait « Louis Crowe » et il n’a [traduction] « jamais été chef ou conseiller de la bande indienne de Kahkewistahaw » (pièce Ex-4 aux para 6-7). Joseph Crowe atteste également que personne du nom de « Crowe » n’a agi comme chef ou conseiller entre 1940 et 1950 et que la signature « Joe Crowe » « ne ressemble pas à l’écriture de [s]on père » (pièce Ex-4 aux para 8, 11).

[56] La revendicatrice attire aussi l’attention sur un certain « Lawrence Kay » inscrit sur la liste des électeurs, qui aurait voté en faveur de la cession le 4 juillet 1944. Kahkewistahaw affirme que Lawrence Kay est né le 3 septembre 1923, ce qui signifie qu’il n’avait que 20 ans au moment du vote. Selon la Loi des Indiens, pour pouvoir voter sur la question de la cession, un membre devait être de sexe masculin et avoir 21 ans révolus (Loi des Indiens de 1927, au paragraphe 51(1)). Même si en soi, ce constat n’invalide pas la cession, la revendicatrice soutient qu’il [traduction] « soulève des questions » quant à la connaissance qu’avait l’agent des Indiens Kerley des exigences de la Loi des Indiens en matière de cession.

3. Position de l’intimée

[57] L’intimée soutient qu’il incombe à Kahkewistahaw de prouver ses allégations et que, en l’absence de certains éléments de preuve à partir desquels il serait raisonnable de conclure que les exigences prévues par la loi n’ont pas été respectées, la preuve étaye la conclusion selon laquelle le Canada a satisfait aux exigences de la Loi des Indiens.

4. Analyse

[58] La Loi des Indiens de 1927 était en vigueur à l’époque pertinente. La revendicatrice se fonde sur l’article 51 de cette loi, dont le passage pertinent est ainsi rédigé :

[…] nulle cession ou rétrocession d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou d’un Indien en particulier, n’est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et un ans révolus, et ce à une assemblée ou à un conseil de la bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d’un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son conseil ou par le surintendant général à y assister.

[59] Conformément à l’article 51 de la Loi des Indiens de 1927, la cession a été ratifiée par la majorité des hommes de la bande ayant vingt et un ans révolus. Un membre n’ayant pas l’âge requis a voté sur la question de la cession, mais le résultat du vote reste le même puisque la majorité des membres habilités à voter étaient présents à l’assemblée et ont voté en faveur de la cession.

[60] Kahkewistahaw soutient qu’aucun avis exprès n’a été donné quant à la proposition de cession. Le fait de donner un avis exprès de la tenue d’une assemblée ayant pour but d’examiner spécifiquement la question de la cession est une protection importante enchâssée dans la Loi des Indiens : tous les membres doivent être au courant de la tenue d’une assemblée spéciale et les membres âgés de 21 ans et plus doivent être pleinement informés du moment où ils doivent assister à l’assemblée non ordinaire du conseil convoquée dans le but de voter sur la cession proposée. Le 4 avril 1944, une assemblée a été organisée avec Kahkewistahaw pour examiner la question de la cession d’une superficie de 1,5 acre nécessaire pour la route. Le nombre de membres présents n’était pas suffisant pour effectuer légalement une cession. Une deuxième assemblée a eu lieu plus tard dans le mois. C’est pendant cette deuxième assemblée, convoquée expressément pour examiner la question de la cession d’une superficie de 1,5 acre que Kahkewistahaw a informé l’agent des Indiens Kerley qu’elle souhaitait céder la totalité de la RI no 72A. Il est raisonnable de penser que, comme c’est Kahkewistahaw qui a proposé la cession de la RI no 72A, le chef et le conseil en avaient discuté avec les membres avant la deuxième assemblée — celle au cours de laquelle la question a été soumise à l’agent des Indiens Kerley — et que les membres présents étaient au courant du projet. Il est aussi raisonnable de conclure que, comme deux assemblées avaient été convoquées avant celle du 4 juillet 1944 — au cours de laquelle la question de la cession a été soumise au vote —, les membres de Kahkewistahaw habilités à voter savaient qu’une troisième assemblée serait expressément convoquée à cette fin. Selon toute vraisemblance, tous les membres de la communauté avaient entendu parler de la proposition de cession et de l’assemblée convoquée pour voter sur cette cession. Il s’agit là d’une conclusion raisonnable étant donné que seulement six des 43 membres ayant le droit de vote ne se sont pas présentés à l’assemblée, à l’exception des membres qui travaillaient à l’extérieur de la réserve ou dans les forces armées. De plus, la troisième assemblée a été convoquée expressément pour voter sur le projet de cession, comme en fait foi l’affidavit souscrit le 8 juillet 1944 par Kerley, le chef Favel et deux autres membres de la bande. Dans l’ensemble, la preuve susmentionnée appuie, selon moi, la conclusion selon laquelle un avis exprès de l’assemblée du 4 juillet a été donné, tel que cette mesure de précaution est décrite dans la Loi des Indiens de 1927.

[61] La revendicatrice se fonde sur l’affidavit souscrit le 19 septembre 1979 par Joseph Arthur Crowe pour remettre en question une des signatures figurant sur le document de cession du 8 juillet 1944 qui, selon elle, se lit « Joe Crowe ». Joseph Crowe atteste que son père, Joseph Louis Crowe, signait « Louis Crowe » et que la signature figurant sur le document de cession ne ressemble pas à celle de son père.

[62] Joan Holmes a témoigné au nom de Kahkewistahaw. Avec le consentement des parties, elle a été jugée qualifiée pour témoigner en tant qu’experte dans les domaines de la recherche historique et des méthodes de recherche, et pour expliquer comment les documents historiques et la recherche se rapportent aux questions soulevées dans la présente revendication. Son témoignage a essentiellement porté sur la création et la cession de la RI no 72A.

[63] Lors de son témoignage, Joan Holmes a affirmé que la signature ne se lit pas « Joe Crowe », mais plutôt « Jno Crowe ». Selon son expérience, « Jno » est habituellement une abréviation de « John », donc « John Crowe ». Un « John Crowe » figure aussi sur la liste des électeurs. La preuve permet donc de conclure que la signature apposée sur le document de cession n’est pas celle du père de Joseph Crowe, mais bien celle du « John Crowe » qui figure sur la liste des électeurs.

[64] Joseph Arthur Crowe atteste également que personne du nom de « Crowe » n’a agi comme chef ou conseiller de la bande de Kahkewistahaw entre 1940 et 1950. Aux termes du paragraphe 51(3) de la Loi des Indiens de 1927, le fait que la cession a été consentie doit être attesté sous serment par « l’un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de vote ». En l’espèce, le document de cession a été signé par le chef et cinq autres membres de la bande. Il importe donc peu de savoir si Crowe était un « ancien » au regard du paragraphe 51(3) de la Loi des Indiens puisque le document a été signé par le chef et quatre autres membres qui sont incontestablement des anciens.

[65] Kahkewistahaw soutient que la Couronne a violé l’article 51 de la Loi des Indiens de 1927, car la preuve ne suffit pas à établir que l’assemblée du conseil du 4 juillet 1944 s’est déroulée conformément aux usages de la bande. Elle se fonde sur l’affidavit relatif à la cession daté du 8 juillet 1944, selon lequel [traduction] « le consentement a été donné à l’assemblée ou au conseil de ladite bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de la bande ou aux règles ministérielles ». L’affidavit ne permet pas de savoir avec certitude si l’assemblée a été convoquée conformément aux usages de la bande de Kahkewistahaw. Il se peut qu’elle l’ait été, ou qu’elle ait été convoquée conformément aux règles ministérielles. Aux termes de l’article 51, l’assemblée doit être convoquée conformément aux usages de la bande.

[66] Kahkewistahaw soutient également que la Couronne a violé l’article 51 de la Loi des Indiens de 1927, car l’agent des Indiens Kerley, qui a accepté la cession, n’était pas régulièrement autorisé par le gouverneur en conseil ou par le surintendant général à assister au conseil de bande. Aux termes de l’article 51 de la Loi des Indiens de 1927, le vote de cession doit être tenu en présence du surintendant général, ou d’un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur général ou par le surintendant général à assister au conseil de bande. La revendicatrice affirme que H. W. McGill, un directeur de la Division des affaires indiennes, a transmis les formulaires pertinents à l’agent des Indiens Kerley. Elle soutient que l’autorisation d’un directeur n’est pas conforme à l’article 51. Il ressort toutefois de la preuve que l’agent des Indiens Kerley avait été régulièrement autorisé par le surintendant adjoint. L’affidavit relatif à la cession étaye la conclusion selon laquelle l’agent des Indiens Kerley avait été [traduction] « régulièrement autorisé par le surintendant adjoint général des Affaires indiennes à assister au conseil ou à l’assemblée » (pièce Ex-1, vol 1, onglet 85).

[67] Dans l’arrêt Blueberry, la juge McLachlin a cherché à savoir dans quelle mesure la Couronne doit respecter l’article 51 de la Loi des Indiens de 1927. Elle a conclu que, bien que le mot shall (« doit » ou l’indicatif présent, selon le cas, dans le texte français) soit utilisé dans la disposition, celle-ci n’a pas un sens impératif. En ce qui concerne l’objet de l’article, le plus important était « de faire en sorte que le consentement de la bande à la cession soit valide » (Blueberry au para 43). Le juge Gonthier, s’exprimant au nom de la majorité, a souscrit à l’évaluation faite par la juge McLachlin de la conformité à l’article 51, et a écrit que « les exigences de forme en matière de cession prévues par l’art. 51 de la Loi des Indiens de 1927 [avaient], pour l’essentiel, été respectées » (Blueberry au para 14).

[68] L’agent des Indiens Kerley avait été régulièrement autorisé à accepter la cession par le surintendant adjoint, et non par le surintendant. Le dossier de preuve ne permet pas de savoir si l’assemblée du 4 juillet 1944 s’est déroulée conformément aux usages de la bande ou aux règles ministérielles. Par contre, il ressort clairement de la preuve que Kahkewistahaw avait l’intention de céder ses terres pour des raisons qu’elle jugeait être dans le meilleur intérêt de ses membres. La cession a été ratifiée par la majorité des hommes de la bande habilités à voter lors d’une assemblée convoquée à cette fin. J’ai donc conclu que les précautions procédurales prévues par l’article 51 de la Loi des Indiens de 1927 ont, pour l’essentiel, été respectées.

5. Conclusion

[69] Pour ces motifs, je conclus que le Canada n’a pas manqué à l’obligation que lui imposait la Loi des Indiens de 1927 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944.

C. Question no 3 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation que lui imposait le Traité no 4 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944?

1. Contexte

[70] Comme il a été mentionné précédemment, la Première Nation de Kahkewistahaw a, à la majorité des voix, cédé la RI no 72A à la Couronne en 1944. Vingt-cinq membres habilités à voter étaient présents et 18 étaient absents; 23 ont voté en faveur de la cession et 2 ont voté contre. Dans une lettre datée du 8 juillet 1944 qu’il a adressée à la Division des affaires indiennes, l’agent des Indiens W. J. D. Kerley a expliqué que, sur les 18 membres absents, [traduction] « douze travaill[aient] à l’extérieur de la réserve ou dans les forces armées ». Un affidavit aussi daté du 8 juillet 1944 et souscrit par l’agent des Indiens Kerley, le chef Harry Favel et deux autres membres a confirmé la cession. Le décret CP 6171, daté du 7 août 1944, a ratifié la cession pour le compte du gouvernement du Dominion. La Couronne a finalement vendu les terres par lettres patentes en 1956.

2. Position de la revendicatrice

[71] La revendicatrice soutient que la procédure suivie pour vendre la RI no 72A viole les conditions du Traité no 4, auquel elle a adhéré le 15 septembre 1874. La partie pertinente du Traité est rédigée en ces termes :

[…] et pourvu de plus que les réserves susdites de terre ou aucune partie d’icelles, ou tout intérêt ou droit sur icelles, ou en découlant, puissent être vendus, loués ou aliénés autrement par le dit gouvernement pour l’usage et le bénéfice des dits Indiens, avec le consentement préalablement obtenu des Indiens qui y ont droit; mais les dits Indiens ou aucun d’eux ne pourront en aucune manière avoir le droit de vendre ou autrement aliéner aucune des terres à eux accordées comme réserves. [Je souligne; pièce Ex-1, vol 1, onglet 1]

[72] Kahkewistahaw soutient que le Traité a été violé, car avant de vendre les terres de réserve cédées, la Couronne n’a pas obtenu le consentement de tous ses membres. Elle affirme que la Couronne a ainsi manqué à son obligation de fiduciaire de respecter les promesses du traité.

3. Position de l’intimée

[73] L’intimée soutient que la Couronne n’était pas tenue de discuter de la vente de la RI no 72A avec Kahkewistahaw parce que les conditions de la cession pouvaient être respectées. Or, le Traité no 4 aurait été conclu dans le contexte de l’Acte sur le Secrétaire d’État, et modifié par les lois sur les Indiens successives, de sorte que les exigences en matière de cession et de vente prévues dans ces lois régissaient la vente des terres de réserve, et non le Traité.

4. Analyse

[74] Les neuf principes régissant l’interprétation des traités conclus entre la Couronne et les Premières Nations au Canada sont bien établis. Les voici :

1. Les traités conclus avec les Autochtones constituent un type d’accord unique et demandent l’application de principes d’interprétation spéciaux.

2. Les traités doivent recevoir une interprétation libérale, et toute ambiguïté doit profiter aux signataires autochtones.

3. L’interprétation des traités a pour objet de choisir, parmi les interprétations possibles de l’intention commune, celle qui concilie le mieux les intérêts des deux parties à l’époque de la signature.

4. Dans la recherche de l’intention commune des parties, l’intégrité et l’honneur de la Couronne sont présumées.

5. Dans l’appréciation de la compréhension et de l’intention respectives des signataires, le tribunal doit être attentif aux différences particulières d’ordre culturel et linguistique qui existaient entre les parties.

6. Il faut donner au texte du traité le sens que lui auraient naturellement donné les parties à l’époque.

7. Il faut éviter de donner aux traités une interprétation formaliste ou inspirée du droit contractuel.

8. Tout en donnant une interprétation généreuse du texte du traité, les tribunaux ne peuvent en modifier les conditions en allant au-delà de ce qui est réaliste ou de ce que « le langage utilisé […] permet ».

9. Les droits issus de traités des peuples autochtones ne doivent pas être interprétés de façon statique ou rigide. Ils ne sont pas figés à la date de la signature. Les tribunaux doivent les interpréter de manière à permettre leur exercice dans le monde moderne. Il faut pour cela déterminer quelles sont les pratiques modernes qui sont raisonnablement accessoires à l’exercice du droit fondamental issu de traité dans son contexte moderne. [Renvois omis; Québec (PG) c Moses, 2010 CSC 17 au para 107, [2010] 1 RCS 557, citant R c Marshall, [1999] 3 RCS 456 au para 78, la juge McLachlin (plus tard juge en chef), dissidente, mais pas à cet égard [Marshall]].

[75] Dans l’arrêt Marshall, la juge McLachlin a énoncé un processus en deux étapes pour interpréter le texte d’un traité. La première étape passe par le « texte du traité » lui-même, lequel doit être « examin[é] […] pour en déterminer le sens apparent, dans la mesure où il peut être dégagé, en soulignant toute ambiguïté et tout malentendu manifestes pouvant résulter de différences linguistiques et culturelles » (Marshall au para 82). La deuxième étape consiste à examiner le ou les sens qui pourraient se dégager du texte lui-même « sur la toile de fond historique et culturelle du traité » pour déterminer si le sens apparent reflète l’intention commune des parties ou, s’il y a plusieurs interprétations possibles, laquelle « traduit le mieux l’intention commune des parties » (Marshall au para 83).

[76] Selon le Traité no 4, les terres de réserve pouvaient être vendues par le gouvernement pour l’usage et le bénéfice de la bande, avec le consentement de celle-ci. Il est difficile de savoir si on entendait par là le consentement de la majorité de la bande, le consentement de la majorité des hommes de la bande, le consentement de tous les membres de la bande, le consentement du conseil de bande ou s’il y avait un âge minimum requis pour donner un tel consentement. Les parties avaient l’intention commune d’exiger le consentement de la bande avant toute aliénation des terres. La nature de ce consentement n’est toutefois pas claire.

[77] Le Tribunal est appelé à déterminer le sens apparent qu’il faut donner au consentement de la bande à vendre les terres de réserve et qui est le plus susceptible de refléter l’intention commune des parties au moment de la négociation du Traité. Cette protection négociée visait simplement à garantir que les terres ne soient pas vendues contre le gré de la bande et à son insu. Le Traité ne précise pas quelle forme de consentement permettrait de conclure que l’intention de protection est respectée. Il est nulle part question d’un mécanisme visant à obtenir le consentement requis pour aliéner des terres. Il est donc raisonnable de conclure que l’intention commune des parties était de s’assurer qu’avant toute aliénation, la bande soit à la fois dûment informée et consentante. La preuve permet de conclure que Kahkewistahaw était au courant de la vente de la RI no 72 et qu’elle a accepté d’y procéder. En octobre 1955, la Couronne préparait l’appel d’offres qui allait finalement être lancé dans le but de vendre les terres cédées. Une résolution du conseil de bande datée du 11 octobre 1955 autorisait [traduction] « [l]e prélèvement des coûts liés à l’annonce de la vente de la RI no 72A sur le compte de revenus de la bande de Kahkewistahaw » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 202). La résolution est signée par le chef et deux conseillers, au nom de la bande. Le corps dirigeant de la bande était donc au courant de l’aliénation imminente des terres et travaillait avec la Couronne pour la mener à bien en finançant l’annonce. Il s’agit là d’un élément de preuve important que la bande avait consenti à la vente des terres, comme l’a démontré son corps dirigeant. Dans ces circonstances, l’intention commune de protéger la bande d’une vente unilatérale des terres par la Couronne est respectée.

5. Conclusion

[78] Pour ces motifs, je conclus que le Canada n’a pas manqué à l’obligation que lui imposait le Traité no 4 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944.

D. Question no 4 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice après la cession, au-delà du manquement qui a été expressément admis?

1. Contexte

[79] Kahkewistahaw a cédé la RI no 72A en 1944. La vente de la réserve a été finalisée en 1956.

[80] Le 15 août 1944, D. J. Allan, surintendant des réserves et des fiducies, a écrit à M. Christianson, surintendant général des agences indiennes, pour l’informer que la cession avait été ratifiée et que la Division des affaires indiennes était prête à [traduction] « donner suite à la demande de la municipalité qui a[vait] besoin d’une acre et demi pour la route » (pièce Ex-1, vol 1, onglet 90). Le 20 novembre 1944, l’agent des Indiens Kerley a noté avoir reçu la somme de 30 $ pour l’acre et demi. Le 22 novembre 1944, le surintendant général Christianson a écrit au secrétaire-trésorier de Grayson pour lui demander de modifier l’emplacement proposé de la route, car le ministère [traduction] « envisageait de créer un lotissement en bordure du lac, près du Sunset Beach Resort » et le plan proposé par la municipalité allait réduire le nombre de lots prévus (pièce Ex-1, vol 2, onglet 106). Le 5 décembre 1944, le secrétaire-trésorier a répondu et a informé le surintendant général Christianson que la route [traduction] « a[vait] déjà été payée et construite » et que, par conséquent, « il n’y a[vait] rien d’autre à faire » concernant son emplacement (pièce Ex-1, vol 2, onglet 108). La route avait été construite selon un plan préparé par l’arpenteur-géomètre de la Saskatchewan, C. H. Biddell.

[81] Le différend sur l’emplacement de la route a duré des années. Le 4 juin 1947, J. P. B. Ostrander a écrit à la Division des affaires indiennes à Ottawa pour lui faire part du fait que, après avoir inspecté l’emplacement de la route à travers la RI no 72A, [traduction] « rien n’expliqu[ait] » qu’elle ait été construite de la façon dont elle l’a été (pièce Ex-1, vol 2, onglet 135). Dans la même lettre, il a laissé entendre que les représentants de l’Administration du rétablissement agricole des Prairies qui avaient été chargés de déterminer l’emplacement de la route et de la construire [traduction] « n’[avaient] pas bien évalué les droits des Indiens lorsqu’ils avaient examiné la possibilité de les exproprier en vue de construire la route ». La route a finalement été déplacée à la satisfaction de la Division des affaires indiennes à l’automne 1947. Dans une lettre datée du 6 avril 1948, le superviseur régional Ostrander a fait état de l’achèvement de la route et a indiqué qu’il était [traduction] « donc opportun d’offrir des baux pour les chalets situés au bord du lac » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 142).

[82] Entre 1948 et 1953, très peu de choses se sont produites concernant la RI no 72A. Dans ses observations orales, la Couronne a admis avoir manqué à son obligation de fiduciaire à l’égard de Kahkewistahaw pendant cette période.

[83] Le 27 juillet 1953, K. W. Criddle, propriétaire du Sunset Beach Resort, a écrit à la Division des affaires indiennes pour s’enquérir de la réserve. Voici ce qu’il a écrit : [traduction] « J’aimerais acheter ces [terres]. Par la présente, j’offre 30 $ (trente dollars) l’acre et je les achèterai toutes à ce prix » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 156).

[84] Ostrander croyait que [traduction] « les terres devaient […] être évaluées en un seul bloc et qu’un prix de départ devait être fixé avant de mettre les terres en vente dans le cadre d’un appel d’offres » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 152). Il préférait la vente par appel d’offres parce que, selon lui, [traduction] « si les terres [étaient] mises en vente de cette façon, d’autres personnes que M. Criddle ser[aient] intéressées ». Il a rejeté l’idée que le ministère avait d’abord examinée, soit celle de subdiviser la réserve en lots pour chalets, car, selon lui, il aurait fallu [traduction] « des années pour tout régler, et il ne valait pas la peine de se donner tant de mal et d’engager tant de dépenses supplémentaires pour que les Indiens touchent sensiblement la même somme ».

[85] Le 6 août 1953, le surintendant Brown s’est enquis auprès de l’arpenteur général de la superficie de la réserve, estimant qu’elle était [traduction] « d’environ 64 acres » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 160). Or, comme l’a fait remarquer Brown, cette estimation ne concordait pas avec ce qui était indiqué dans le document de cession, à savoir que la réserve couvrait 68,16 acres. Le 15 octobre 1953, D. R. Slessor, chef des levés officiels, a évalué la superficie totale à 64,36 acres, tandis que l’arpenteur général l’a évaluée à 65,86 acres. Le 20 octobre 1953, le surintendant Brown a quant à lui indiqué que la superficie était de 64,36 acres. Rien d’autre n’a été fait concernant l’aliénation de la RI no 72A en 1953.

[86] Le 3 février 1955, le surintendant Brown a écrit au surintendant Warden pour connaître le statut des terres. Selon lui, la superficie totale pouvant être mise en vente s’élevait à 65,86 acres, à l’exclusion de la réserve routière entre les cantons 19 et 19 A. Il a écrit ceci : [traduction] « [n]ous supposons que tout acheteur voudrait y aménager des chalets; il serait donc préférable de ne pas vendre toute la superficie en un seul bloc » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 174).

[87] À peu près à la même époque, K. W. Criddle a de nouveau exprimé qu’il souhaitait acquérir la réserve. Le 2 mars 1955, le ministre de l’Agriculture, James Gardiner, a écrit au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, John Pickersgill, pour lui faire savoir qu’il avait reçu des observations [traduction] « de la part de M. Ken Criddle, propriétaire d’un lieu de villégiature estivale adjacent » à la réserve, et que ce dernier souhaitait se porter acquéreur de la réserve (pièce Ex-1, vol 2, onglet 175). Dans sa lettre, il a estimé la superficie de la réserve à 67 acres et a demandé au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de lui indiquer de quelle façon les terres de réserve devaient être mises en vente: en bloc ou en lots, au moyen d’un appel d’offres ou d’une vente aux enchères publiques. Le ministre Pickersgill a transmis cette demande au directeur des Affaires indiennes, H. M. Jones, et dans une lettre datée du 7 mars 1955, il a promis au ministre Gardiner qu’il examinerait la question. Trois jours plus tard, le 10 mars, le directeur Jones a écrit au directeur des terres destinées aux anciens combattants pour lui demander que soit évaluée la réserve — laquelle était censée couvrir 65,86 acres. L’évaluation a été reportée à cause du mauvais état des routes, mais le 13 juin 1955, un rapport a été déposé (pièce Ex-1, vol 2, onglet 187). Selon ce document, la réserve comptait 65 acres, divisées en trois catégories en fonction de leur utilité. La parcelle présentant la plus grande valeur, soit celle de 13 acres, était évaluée à 100 $ l’acre et la deuxième parcelle ayant le plus de valeur, soit celle de 8 acres, était évaluée à 50 $ l’acre, et ce, en fonction de leur potentiel en tant que [traduction] « sites de cabanes ». D’après une carte annexée au rapport d’évaluation, les parcelles les plus intéressantes étaient situées au bord de l’eau et la différence entre la valeur des deux parcelles était fondée sur la qualité de la plage. Dans le cas de la parcelle de 13 acres, la plage était décrite comme [traduction] « raisonnable » alors que dans le cas de la parcelle de 8 acres, elle était décrite comme étant « très escarpée et rocheuse ». Les 44 acres restantes, jugées impropres à la culture, ont été évaluées à 5 $ l’acre. La valeur totale estimée des 65 acres s’élevait donc à 1 920 $.

[88] Le 12 mars 1955, une association locale de scouts a écrit au député Henry Mang pour l’informer qu’elle avait [traduction] « hâte d’avoir un emplacement pour un camp de district et [que la réserve] [était] un site de choix » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 179). Elle a aussi informé le député Mang que, [traduction] « comme la plupart des organisations de [son] genre, [elle] a[vait] très peu d’argent ».

[89] Après avoir échangé des lettres pendant l’été, les autorités gouvernementales ont décidé que la réserve serait vendue en bloc. Le 30 septembre 1955, le directeur Jones a donc rédigé un appel d’offres en se basant sur la description officielle fournie par D. R. Slessor, chef des levés officiels, selon laquelle la réserve avait une superficie totale de 64,36 acres. Cet appel d’offres a été annulé et un nouvel appel d’offres a été rédigé avant le 19 octobre 1955, date à laquelle le ministre Pickersgill a approuvé un nouvel appel d’offres rédigé par le directeur Jones. Ce nouvel appel d’offres a été publié le 2 novembre 1955 et la réserve y était divisée en trois parcelles : une d’environ 15 acres, une d’environ 18 acres et une autre d’environ 20 acres, pour un total d’environ 53 acres. Les offres, sous pli scellé, étaient acceptées jusqu’au 30 novembre 1955. Des annonces ont été publiées dans sept journaux de la Saskatchewan et vingt avis « à vendre » ont été imprimés afin d’informer le public de la vente, et tous ces frais ont été payés à partir des fonds de Kahkewistahaw.

[90] Deux offres, sous pli scellé, ont été reçues et ouvertes le 30 novembre 1955. K. W. Criddle a présenté une offre pour les trois parcelles et l’Association des scouts a présenté une offre pour la deuxième parcelle, celle de 18 acres. K. W. Criddle a fait une offre de 150 $ pour la première parcelle, de 850 $ pour la deuxième et de 1 500 $ pour la troisième, soit une offre totale de 2 500 $ avec une mise de fonds de 10 %. L’Association des scouts a offert 10 $ l’acre pour la deuxième parcelle, soit une offre totale de 180 $ avec une mise de fonds de 10 %. Dans une note de service adressée au ministre Pickersgill le 2 décembre 1955, H. M. Jones a souligné que l’offre de K. W. Criddle dépassait la valeur estimée et a recommandé qu’elle soit acceptée. La note de service a été approuvée par le ministre. Le 12 décembre 1955, le surintendant intérimaire des réserves et des fiducies, W. C. Béthune, a écrit à K. W. Criddle pour lui faire savoir que son offre avait été acceptée et que son dépôt avait été porté au crédit de son compte. Une fois le solde de 2 250 $ payé, Béthune a informé Criddle que [traduction] « des lettres patentes ser[aient] délivrées en [sa] faveur » (pièce Ex-1, vol 3, onglet 223).

[91] Le paiement n’a pas été effectué immédiatement. En fait, K. W. Criddle a écrit à la Division des affaires indiennes le 27 décembre 1955 pour expliquer qu’il avait été [traduction] « très durement touché par l’inondation qui a détruit [sa] maison et [sa] propriété » et qu’il devait donc contracter un prêt pour pouvoir payer le prix d’achat (pièce Ex-1, vol 3, onglet 227). Trois jours plus tard, il a remis un chèque de 500 $. Le 11 janvier 1956, W. C. Béthune a écrit à Criddle pour lui confirmer qu’il avait pris acte de la situation et l’informer que les lettres patentes seraient délivrées [traduction] « lorsque le solde du prix d’achat serait payé » (pièce Ex-1, vol 3, onglet 231). Un chèque de 650 $ a été déposé en janvier 1956 et le solde de 1 100 $ a été versé le 10 mai 1956.

[92] Le 4 juin 1956, la Division des affaires indiennes a demandé au ministère de la Justice de lui fournir une ébauche de lettres patentes et, le 8 juin 1956, elle a reçu l’ébauche en question, mais la superficie n’était pas indiquée. Cette ébauche a été transmise au Secrétariat d’État, qui a renvoyé les lettres patentes [traduction] « dûment enregistrées », délivrées en faveur de Kenneth William Milton Criddle, à la Division des affaires indiennes le 3 juillet 1956 (pièce Ex‑1, vol 3, onglet 244). Selon le rapport d’expert de Joan Holmes, le registre de vente détenu par le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, maintenant connu sous le nom de Services aux Autochtones Canada, [traduction] « indique que […] 64,36 acres ont été vendues pour 2 500 $ » (pièce Ex-2 à la p 65). Joan Holmes fait d’ailleurs remarquer que cette superficie [traduction] « ne concorde pas avec les descriptions des différentes parcelles, selon lesquelles la superficie totale était d’environ 53 acres ».

2. Position de la revendicatrice

[93] Kahkewistahaw soutient que la Couronne a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait après la cession pour les raisons suivantes :

  1. vu le temps qui s’est écoulé avant que la RI no 72A ne soit vendue et la façon dont elle a été vendue;

  2. vu qu’elle a aliéné la RI no 72A d’une façon qui n’était pas dans le meilleur intérêt de la Première Nation, c’est-à-dire qu’elle l’a vendue au lieu de la louer;

  3. vu qu’elle n’a pas consulté la Première Nation au sujet de la vente finale;

  4. vu qu’elle n’a pas reçu la somme due pour la totalité des terres vendues et concédées à K. W. Criddle.

3. Position de l’intimée

[94] À quelques exceptions près, l’intimée nie ces allégations.

[95] L’intimée soutient avoir traité avec diligence la question de la déviation de la route entre 1944 et 1947. Par contre, elle admet qu’entre 1948 et 1953, elle a manqué à son obligation de fiduciaire puisqu’elle n’a rien fait pour vendre les terres cédées. Elle affirme toutefois s’être acquittée de son obligation de fiduciaire après que K. W. Criddle se soit à nouveau montré intéressé en 1953, car elle s’est immédiatement attelée à la tâche afin de respecter les conditions de la cession.

[96] L’intimée soutient également s’être acquittée de son obligation de fiduciaire en ce qui concerne l’aliénation de la RI no 72A. La décision de vendre la réserve en trois parcelles sans la subdiviser davantage était raisonnable, soutient-elle, car il n’aurait pas été dans l’intérêt de la bande de retarder la vente. Étant donné que la récolte de 1955 avait été fructueuse, elle pensait pouvoir obtenir un meilleur rendement en vendant tout de suite les terres, au lieu de retarder davantage la vente en procédant à d’autres subdivisions. Par ailleurs, elle craignait que les inondations du printemps 1956 ne fassent baisser la valeur des terres.

4. Analyse

[97] Selon le document de cession, la réserve avait une superficie de 68,16 acres. D’après l’appel d’offres révisé daté du 2 novembre 1955, une superficie totale de 53 acres était à vendre. Or, il ressort du registre de vente que 64,36 acres ont été vendues à K. W. Criddle. La revendicatrice soutient donc que le Canada a manqué à son obligation de fiduciaire d’agir dans le meilleur intérêt de Kahkewistahaw en transférant à Criddle plus de terres qu’il n’en avait achetées.

[98] Je ne suis pas de cet avis. Alana J. Kelbert a témoigné au nom de la revendicatrice. Avec le consentement des parties, elle a été jugée qualifiée pour témoigner en tant qu’experte sur la valeur actuelle et historique des terres, et sur la perte historique de l’usage des terres dans l’Ouest canadien. Hal Love a témoigné au nom de l’intimée. Avec le consentement des parties, il a été jugé qualifié pour témoigner en tant qu’expert sur la valeur actuelle et historique des terres, et sur la perte historique de l’usage des terres dans l’Ouest canadien. Même si la présente audience portait sur le bien-fondé de la revendication, les parties ont convenu que le Tribunal pouvait, au besoin, se fonder sur la preuve relative à l’indemnisation. Les experts en indemnisation des deux parties sont d’avis que les incohérences entre la superficie des terres indiquée dans l’appel d’offres et celle inscrite dans le registre de vente sont attribuables aux niveaux d’eau élevés causés par les inondations. Ils conviennent également que [traduction] « les 12 acres auraient été perdues au moment de l’inondation, et non au moment de l’achat en 1955 » (pièce Ex-7 à la p 3).

[99] Joan Holmes a décrit en détail la différence observée sur une photographie aérienne utilisée en 1955 en préparation de la vente, laquelle montrait la transformation du rivage par rapport à un levé d’arpentage datant de 1924. Au final, la perte de ces 12 acres n’a pas eu d’incidence négative sur les intérêts de Kahkewistahaw. La valeur estimée de la RI no 72A s’élevait à 1 920 $ pour 65 acres. Kahkewistahaw a reçu 2 500 $ pour 53 acres, soit plus que la valeur estimée pour le nombre d’acres inscrit sur le registre de vente.

[100] Comme l’indique le document de cession, Kahkewistahaw a cédé la totalité de la RI no 72A à la Couronne afin qu’elle la détienne en fiducie aux fins de la vente, aux conditions que la Couronne jugerait les plus favorables pour le bien-être de la bande. La Couronne était responsable de vendre les terres cédées à sa discrétion. Comme l’a décrit le professeur E. J. Weinrib, cité dans l’arrêt Guerin au paragraphe 97, « la marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre ». L’obligation de fiduciaire sui generis de la Couronne après la cession découle du fait que le profit tiré par Kahkewistahaw de la cession de la RI no 72A dépend des mesures et des décisions prises par la Couronne après la cession. La Couronne a l’obligation d’agir dans l’intérêt de la Première Nation (Blueberry au para 20). Elle est tenue d’agir avec diligence raisonnable (Blueberry au para 22). L’obligation est celle d’agir avec « le soin et la diligence “qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires” » (Blueberry au para 104, la juge McLachlin, citant l’arrêt Fales c Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 RCS 302 à la p 315).

[101] Le Canada a admis ne pas s’être acquitté de l’obligation de fiduciaire qui lui incombait après la cession pendant ce qu’il appelle [traduction] « les années tranquilles entre 1948 et 1953 ». Le Tribunal ne dispose d’aucune preuve indiquant que la Couronne a examiné la possibilité de vendre la RI no 72A, qu’elle a tenu compte des intérêts de la bande ou qu’elle en a discuté pendant cette période. Cependant, à mon avis, les « années tranquilles » ne représentent qu’une partie du manquement du Canada à son obligation de gérer raisonnablement les terres à l’usage et au profit de la bande. Dans l’arrêt Manitoba Métis Federation Inc. c Canada (PG), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623, la Cour suprême a conclu que l’obligation de diligence raisonnable est liée à une obligation d’agir « en temps opportun » et que cette obligation s’applique dans le contexte des traités lorsque l’honneur de la Couronne est en jeu et qu’il y a une obligation constitutionnelle (au para 79). Kahkewistahaw n’a tiré aucun profit de la cession pendant près de douze ans. La RI no 72A était un bien susceptible de produire un revenu. La valeur de ce bien a pour ainsi dire été laissée de côté pendant plus de dix ans. Une personne qui fait preuve de prudence ordinaire dans la gestion de ses propres affaires, agissant raisonnablement, aurait de son propre chef étudié ou exploité la valeur de ce bien avant de recevoir une déclaration d’intérêt spontanée neuf ans après la cession.

[102] Dès 1944, le Canada avait une intention précise. Il a envisagé plusieurs options relativement à la subdivision et à la location des terres cédées afin de pouvoir générer des revenus pour Kahkewistahaw en attendant la vente finale des terres, car il pensait que la valeur des terres cédées allait augmenter de façon significative s’il retardait la vente jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le surintendant D. J. Allan a laissé entendre qu’il serait [traduction] « profitable » de procéder au lotissement dès octobre 1944 afin de pouvoir louer les lots situés au bord du lac (pièce Ex-1, vol 2, onglet 96). Le Canada n’a cependant pris aucune mesure pour que cette intention se concrétise, si ce n’est consulter un arpenteur pour connaître les frais liés à l’arpentage des terres. Il n’a pas consulté Kahkewistahaw au sujet des mesures provisoires qu’il envisageait dans le but de générer des revenus.

[103] Le Canada soutient que les mesures provisoires n’ont pas été mises en œuvre en 1944 à cause de la question de la déviation de la route. Le différend sur l’emplacement de la route a duré environ trois ans. Le Canada affirme que ce n’est pas lui qui a décidé de construire la route à un endroit nuisible et que, lorsqu’il l’a su, il a fait ce qu’il fallait pour régler le problème et préserver la valeur de la réserve. Il soutient que, même si le différend a duré jusqu’à la fin de 1947, il n’y a pas lieu de conclure à un manquement à l’obligation de fiduciaire, car les retards ne lui sont pas imputables.

[104] Essentiellement, le Canada soutient donc que, bien qu’il n’ait pas su, entre 1948 et 1953, tirer des terres cédées des revenus raisonnables pour la bande, les décisions de la municipalité et de la province de la Saskatchewan excusent ce même manquement pour la période entre 1944 et 1947. Il convient qu’il ne s’est pas acquitté de son obligation de fiduciaire entre 1948 et 1953, mais il soutient s’en être acquitté entre 1944 et 1947. Je ne souscris pas à cette distinction.

[105] Dans l’arrêt Premières Nations de Williams Lake c Canada (Affaires autochtones et du Nord), 2021 CAF 30, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question de savoir si le fait que la Colombie-Britannique soit probablement réticente à coopérer à la procédure de transfert de terres de remplacement dispensait, dans les faits, le Canada d’avoir à envisager cette option. La Cour a conclu que le Canada ne pouvait pas invoquer le fait que la Colombie-Britannique n’accepterait probablement pas de fournir des terres de remplacement pour justifier le fait qu’il n’avait pas remplacé les terres de réserve expropriées pour la bande indienne de Williams Lake :

Cette conclusion déroge aux principes de common law régissant l’étendue de l’obligation d’atteinte minimale de la Couronne, comme nous l’avons vu précédemment. En bref, le Canada ne peut pas invoquer le probable manque de coopération d’une province pour justifier un manquement à ses propres obligations de fiduciaire, même si cette réticence pourrait, en soi, constituer un manquement à une obligation de fiduciaire. [au para 48]

[106] En tant que fiduciaire, le Canada avait l’obligation de faire preuve de diligence raisonnable pour tirer, en temps opportun, des revenus des terres cédées de la manière la plus appropriée pour assurer le bien-être de Kahkewistahaw. La preuve ne démontre pas que des sources de revenus ont été prises en compte ou examinées pendant les années où la question de la déviation de la route était en litige. Or, seule une superficie de 1,5 acre était visée par la question de la déviation de la route. Par ailleurs, il a fallu trois ans avant que cette question ne soit réglée, ce qui est tout à fait démesuré. Ensuite, le Canada n’a fait aucun effort pour vendre les terres. Il n’a commencé à déployer des efforts que des années plus tard après avoir reçu une déclaration d’intérêt spontanée pour l’achat des terres. À mon avis, pour s’acquitter raisonnablement de son obligation de prudence ordinaire, le Canada aurait dû continuer à chercher des solutions provisoires pour rentabiliser les terres cédées en attendant que soit réglée la question de la déviation de la route, et régler cette question dans un délai raisonnable. Cette obligation ne saurait être écartée par la conduite de la province de la Saskatchewan ou de la municipalité. Pour ces motifs, je conclus que le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de fiduciaire entre les années 1944 et 1947.

[107] Kahkewistahaw soutient que la Couronne a manqué à ses obligations de fiduciaire après la cession puisque l’aliénation finale des terres cédées par la vente était moins avantageuse pour elle que la location ne l’aurait été. Toutefois, conformément aux termes de la cession, la Couronne n’était tenue que de vendre les terres aux conditions jugées les plus favorables pour la revendicatrice. La Couronne n’était donc pas tenue de voir la location comme un moyen définitif de gérer les terres cédées dans l’intérêt de la Première Nation.

[108] La revendicatrice soutient également que le fait de ne pas avoir inclus dans le document de cession l’option de louer les terres au nom de Kahkewistahaw était une erreur, une inadvertance ou un manque de jugement que la Couronne était tenue de corriger. Elle se fonde sur l’opinion concordante de la juge McLachlin dans l’arrêt Blueberry, où il est question d’une politique du ministère des Affaires indiennes du début des années 1940 qui tendait à indiquer que le ministère préférait « louer les intérêts fonciers non utilisés des Indiens plutôt que de les vendre, de sorte que les Indiens et leurs descendants disposent, dans le futur, de terres qu’ils pourraient utiliser » (au para 48). Toutefois, même s’il existait une telle politique en 1944, le fait de ne pas avoir inclus l’option de location dans le document de cession ne constituerait pas un manquement à l’obligation de fiduciaire puisque Kahkewistahaw a clairement indiqué qu’elle avait bien réfléchi et qu’elle souhaitait vendre les terres (Blueberry au para 51). La preuve ne démontre pas qu’il s’agissait d’une erreur de limiter la cession à une vente. Kahkewistahaw avait exprimé son intention de vendre la RI no 72A avant de consentir à une cession aux fins de vente.

[109] La période des années tranquilles entre 1948 et 1953 n’a pris fin que parce que K. W. Criddle, propriétaire du Sunset Beach Resort, a présenté une déclaration d’intérêt spontanée le 27 juillet 1953, ce qui a amené la Couronne à discuter de la méthode d’aliénation et de la superficie des terres cédées. La Couronne a rejeté l’idée de subdiviser les terres de réserve, car elle était d’avis qu’il faudrait [traduction] « des années pour tout régler, et il ne valait pas la peine de se donner tant de mal et d’engager tant de dépenses supplémentaires pour que les Indiens touchent sensiblement la même somme ». Même si elle avait déclaré ne pas vouloir laisser traîner les choses, elle n’a rien fait de plus en ce qui concerne l’aliénation de la RI no 72A avant 1955. Une fois de plus, elle a agi parce qu’une tierce partie a spontanément manifesté son intérêt. En février 1955, K. W. Criddle a réitéré son intérêt pour l’acquisition des terres cédées et en mars 1955, une association locale de scouts a exprimé un intérêt pour les terres. La Couronne a de nouveau rejeté l’idée de subdiviser les terres parce que [traduction] « le personnel travaillant sur le terrain le déconseillait étant donné que la valeur réelle des terres comprenait la partie pouvant accueillir des chalets d’été » et qu’« un arpentage serait nécessaire, ce qui retarderait la vente d’au moins un an » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 199). Les terres ont été vendues en bloc (trois parcelles, sans nouvelle subdivision) comme il a été décrit précédemment, sans la moindre preuve que Kahkewistahaw a été consultée sur la méthode proposée pour la vente. Kahkewistahaw a consenti à la vente, comme le démontre la résolution du conseil de bande d’octobre 1955 par laquelle elle approuvait les frais liés à l’annonce de la vente.

[110] Selon la preuve de l’expert en indemnisation de l’intimée, en 1955, les terres cédées étaient adjacentes au Sunset Beach Resort. En tant que propriétaire de l’endroit, K. W. Criddle a subdivisé la propriété et a vendu les lots à des fins de villégiature. D’autres propriétés sur le lac Crooked avaient été subdivisées et louées à des fins récréatives. Les propriétés entourant les terres cédées avaient donc été subdivisées dans le but d’être vendues ou louées. En février 1955, le surintendant Brown a indiqué que tout acheteur voudrait y aménager des chalets et qu’il serait donc préférable de ne pas vendre toute la superficie en un seul bloc. La Couronne a carrément rejeté l’idée de subdiviser les terres sans d’abord analyser en détail les avantages que la bande pourrait en tirer, et ce, notamment à cause des [traduction] « difficultés » et des « dépenses » que la subdivision entraînerait. Contrairement à ce qui s’est passé en 1944, les lots du Sunset Beach Resort n’ont pas fait l’objet d’un examen raisonné, à savoir combien avaient été vendus et à quel prix et combien étaient toujours disponibles. Les terres cédées avaient été laissées de côté pendant 11 ans. Il n’aurait fallu qu’une année de plus pour procéder à l’arpentage permettant de déterminer la valeur d’une subdivision. Malgré cela, la Couronne n’a pas fait de réels efforts pour déterminer si la subdivision des terres cédées serait plus avantageuse pour Kahkewistahaw. La Couronne avait le mandat de vendre les terres cédées aux conditions jugées les plus appropriées pour assurer le bien-être de la bande. En pareilles circonstances, on pourrait raisonnablement penser que la Couronne devait effectuer une analyse approfondie des coûts que représentait la subdivision des terres cédées par rapport à leur vente en bloc, et des avantages que cette subdivision procurerait à la bande. Cette analyse n’a pas eu lieu.

[111] La vente des terres cédées à K. W. Criddle a été conclue en 1956. Selon la preuve de l’expert de l’intimée, la famille Criddle a fait faire des plans de lotissement pour les terres en 1958. Elle a donc étendu son projet de développement du Sunset Beach Resort aux terres cédées et a subdivisé les lots. Entre 1959 et 1967, les lots situés sur les terres cédées se sont vendus à un rythme constant. À mon avis, dans le cadre de son obligation de diligence raisonnable, le Canada aurait dû analyser en profondeur l’option qui consistait à subdiviser les terres cédées, avant de les vendre à K. W. Criddle en trois parcelles. Comme il ne l’a pas fait, il a manqué à son obligation de fiduciaire.

[112] Kahkewistahaw soutient également que la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire en ne la consultant pas avant de vendre la réserve. À titre de fiduciaire, la Couronne a des obligations élémentaires, dont le devoir de loyauté et le devoir de communiquer l’intégralité de l’information, eu égard aux circonstances (Wewaykum au para 86). Ainsi, lorsqu’elle gère des terres de réserve cédées, elle a l’obligation d’informer la Première Nation de tout changement proposé à l’indemnisation ou à l’utilisation des terres, et de consulter rapidement la Première Nation ou de lui demander son avis sur cette nouvelle information (Guerin au para 52; Southwind aux para 86, 114; Bande Lac La Ronge et nation crie de Montreal Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 8, appel rejeté Bande indienne de Lac La Ronge et nation crie de Montreal Lake c Canada, 2015 CAF 154). Le Tribunal a compétence pour examiner cette question en regard de l’administration par la Couronne des terres de réserve, comme le prévoit l’alinéa 14(1)c) de la LTRP. Il convient de distinguer cette question de celle où le Tribunal n’a pas compétence pour examiner l’obligation de consulter en ce qui concerne le barrage de Craven, dans le contexte des droits ancestraux et des droits issus de traités, comme il est indiqué dans l’analyse de la question no 8 ci-après.

[113] Je conclus que le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de fiduciaire, notamment en raison du temps écoulé entre le moment de la cession et celui de la vente et de son inaction durant cette période. Cependant, à mon avis, le Canada n’est pas tenu d’informer et de consulter juste parce qu’un certain temps s’est écoulé. Le Canada a finalement respecté les conditions de la cession sans rien y changer. Il est important de noter que la bande a été mise au courant de la vente un peu avant le 11 octobre 1955 et qu’elle a accepté de conclure la vente, malgré le temps écoulé, en acceptant que les frais liés à l’annonce de la vente des terres soient prélevés sur son compte de revenus. Dans ces circonstances, le fait que la Couronne n’ait pas consulté Kahkewistahaw de 1945 à 1953 ne constitue pas un manquement supplémentaire à son obligation de fiduciaire.

5. Conclusion

[114] Pour ces motifs, je conclus que le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice après la cession relativement à l’administration des terres de réserve, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP.

E. Question no 5 : Le Canada a-t-il manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A avant la cession?

1. Contexte

[115] Comme il a été mentionné précédemment, à un certain moment avant 1944, une réserve routière située dans la RI no 72A, entre le canton 19 et le canton 19A, a été exploitée sans le consentement de la revendicatrice. La route donnait accès au Sunset Beach Resort, propriété de la famille Criddle. La famille a construit des bâtiments sur la réserve routière.

2. Position de la revendicatrice

[116] Kahkewistahaw soutient que la Couronne avait, à titre de fiduciaire, l’obligation de protéger les terres de réserve contre l’exploitation, y compris l’empiétement. Elle affirme que la Couronne a manqué aux obligations de fiduciaire qui lui incombaient à l’égard de la Première Nation en permettant à la municipalité rurale de Grayson de construire une route sur une réserve routière et en permettant au propriétaire du Sunset Beach Resort de construire un magasin et une maison sur la réserve routière.

3. Position de l’intimée

[117] Le Canada soutient que la preuve ne permet pas d’établir qu’il y a eu empiétement et que, quand bien même il y aurait eu empiétement, la Couronne n’est pas tenue de rectifier la situation.

4. Analyse

[118] Aux termes de la Loi des Indiens de 1927, en vigueur à l’époque, nul individu, autre qu’un membre de la bande, ne pouvait, sans l’autorisation du surintendant général, résider sur un chemin ou une réserve de chemin, ni l’occuper, dans les limites d’une réserve (article 34 de la Loi des Indiens de 1927). On ne sait pas exactement quand la réserve routière a été construite ou quand les bâtiments qui s’y trouvent ont été construits. La route menait au Sunset Beach Resort, un centre de villégiature appartenant à la famille Criddle depuis environ 1920. Selon Joan Holmes, la réserve routière a été inondée en 1943. La preuve permet donc de conclure qu’il y a eu empiétement du fait que, tout au moins, à un certain moment avant 1944, une route a été construite et utilisée sans autorisation sur la RI no 72A et que la famille Criddle y a construit des bâtiments.

[119] La Loi des Indiens prévoit un processus d’attribution des terres de réserve aux Premières Nations, mais confère à la Couronne le pouvoir discrétionnaire de contrôler ces terres. De par sa nature, la loi impose à la Couronne l’obligation de fiduciaire de protéger l’intérêt quasi propriétal de la bande (Wewaykum au para 86). Elle protège expressément la Première Nation contre l’utilisation non autorisée des terres de réserve puisque ces terres ont été, en vertu de la loi, mises de côté afin d’être utilisées et occupées par la bande. Lorsqu’un individu qui n’a pas le droit d’occuper ou d’utiliser les terres de la réserve empiète sur celles-ci, il exploite les avantages que procure l’intérêt quasi propriétal de la bande et en menace l’existence. Pour ces motifs, il est, à mon avis, raisonnable de considérer que, à titre de fiduciaire, la Couronne a aussi l’obligation de faire preuve de prudence ordinaire afin de protéger les terres de réserve de la Première Nation contre tout empiétement et exploitation susceptible d’en découler. Une personne faisant preuve de prudence ordinaire dans la gestion de ses propres affaires, agissant raisonnablement, n’aurait pas permis qu’une route et des bâtiments non autorisés restent sur ses terres.

[120] L’alinéa 35c) de la Loi des Indiens de 1927 prévoit que si un individu autre qu’un membre de la bande s’établit ou réside sur quelque chemin ou réserve de chemin, ou l’occupe, dans les limites de la réserve, « sans l’autorisation du surintendant général », ce dernier prend, « sur plainte à lui faite », des mesures pour expulser tout tel individu. L’alinéa 35(4)a) de la Loi des Indiens de 1927 prévoit qu’« un chef de la bande », un agent des Indiens ou un constable peut obliger tout individu autre qu’un membre de la bande à sortir « du chemin ou de la réserve de chemin » qu’il occupe.

[121] L’intimée soutient que la Couronne n’a donc pas l’obligation de remédier à l’empiétement à moins que la Première Nation ne dépose d’abord une plainte pour empiétement et elle fait valoir que la bande avait le pouvoir de corriger elle-même la situation. Aux termes de la Loi des Indiens, le surintendant général contrôle qui, à l’exception des membres de la bande, peut résider sur un chemin ou une réserve de chemin, dans les limites de la réserve, ou l’utiliser ou l’occuper. La Couronne a l’obligation de fiduciaire de protéger l’intérêt quasi propriétal de la bande contre toute atteinte par des individus non autorisés à occuper ou à utiliser la réserve. L’obligation ne se trouve pas réduite parce que la Couronne a permis à la bande, de par la loi, de traiter également de l’empiétement. De même, une plainte du bénéficiaire ne fait pas naître l’obligation de fiduciaire. C’est le contrôle exercé par la Couronne sur l’intérêt de la Première Nation dans les terres de réserve qui sert de fondement à l’obligation. La Couronne doit faire preuve de diligence raisonnable pour éviter la destruction de l’intérêt quasi propriétal de la bande en raison d’un empiétement par un tiers. Il est raisonnable de penser que la Couronne avait donc l’obligation de corriger l’empiétement en prenant activement des mesures pour retirer les routes et les bâtiments non autorisés de la RI no 72A.

5. Conclusion

[122] Pour ces motifs, je conclus que le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice relativement à l’administration des terres de réserve, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A avant la cession.

F. Question no 6 : Le Canada avait-il une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession?

1. Contexte

[123] Comme il a été mentionné précédemment, en 1944, la municipalité rurale de Grayson a demandé 1,5 acre de la RI no 72A afin de faire dévier la route — laquelle marquait la limite entre la RI no 72A (située dans le canton 19) et le Sunset Beach Resort immédiatement au sud (situé dans le canton 19A) — de la réserve routière gouvernementale. À un certain moment avant décembre 1944, la route a été déplacée.

[124] En juillet 1945, la Division des affaires indiennes a informé la municipalité que la route n’avait pas été approuvée, qu’elle n’aurait pas dû être construite et que le problème d’inondation aurait pu être corrigé en nivelant la route précédente. Le conflit opposant la municipalité et la Division des affaires indiennes a duré des années. À l’automne 1947, la route a de nouveau été déplacée sur la réserve routière entre les cantons 19 et 19A, qui faisaient partie de la réserve indienne.

2. Position de la revendicatrice

[125] La revendicatrice soutient que la Couronne a manqué à l’obligation de fiduciaire qu’elle avait à son égard relativement à l’empiétement survenu dans la RI no 72A après la cession puisqu’elle a permis à la municipalité rurale de Grayson, en 1944, de construire une route de déviation sur la RI no 72A, à un endroit qui n’avait pas été approuvé. Elle soutient également que le fait que la réserve routière entre les cantons 19 et 19A, pour la route menant au Sunset Beach Resort, ait continué à être utilisée après la cession, sans autorisation, constitue un manquement à l’obligation de fiduciaire.

3. Position de l’intimée

[126] L’intimée soutient que toute obligation de fiduciaire qui existe envers la revendicatrice, à savoir l’obligation de protéger les terres de réserve contre tout empiétement par des tiers, prend fin lorsque les terres de réserve sont cédées. Selon elle, une telle obligation n’existe que lorsque la Couronne exerce un contrôle discrétionnaire sur l’utilisation des terres de réserve et les avantages qui en découlent. Les dispositions relatives à l’empiétement de la Loi des Indiens de 1927 ne s’appliquent qu’aux terres de réserve. Par conséquent, dans le cas d’une cession, il n’y a plus d’intérêt identifiable qui permette de fonder l’obligation de fiduciaire.

4. Analyse

[127] La définition de « réserve » qui figure à l’article 2 de la Loi des Indiens de 1927 exclut expressément les terres qui ont été rétrocédées à la Couronne. Les articles 34 et 35 de la Loi des Indiens de 1927, qui régissent la question de l’empiétement, ne font référence qu’aux terres de « réserve ». Je conviens donc que ces articles ne s’appliquent pas aux terres cédées.

[128] L’article 54 de la Loi des Indiens de 1927 prévoit que les terres de réserve cédées « sont réputées possédées aux mêmes fins que par le passé; et elles sont administrées, affermées et vendues selon que le gouverneur en son conseil le prescrit, sauf les conditions de la rétrocession et les dispositions de la présente Partie ». En acceptant la cession, la Couronne assume donc des pouvoirs discrétionnaires à l’égard des opérations foncières. Une obligation de fiduciaire impose des limites à la manière dont la Couronne peut exercer son pouvoir discrétionnaire en utilisant les terres pour le compte de la bande (Guerin au para 105). La Couronne doit détenir et gérer les terres cédées du moment de la cession jusqu’à la vente, conformément aux conditions de la cession en cause. En l’espèce, cette période s’est étalée sur près de douze ans. Pendant toute cette période, la revendicatrice est demeurée vulnérable à la façon dont la Couronne exerçait son contrôle sur les terres cédées. L’obligation de fiduciaire sui generis de la Couronne après la cession découle du fait que le profit tiré par Kahkewistahaw de la cession de la RI no 72A dépend des mesures et des décisions prises par la Couronne dans le cadre de la gestion des terres cédées, avant la vente. La Couronne était tenue d’agir avec diligence raisonnable pendant cette période. L’obligation est celle d’une personne faisant preuve de prudence ordinaire dans l’administration de ses propres affaires.

[129] À mon avis, l’obligation de fiduciaire de la Couronne de détenir et de gérer les terres cédées en faisant preuve de prudence ordinaire et de diligence raisonnable comprend l’obligation de protéger les terres cédées contre tout empiétement par des tiers, avant la vente. Une fois les terres cédées, Kahkewistahaw ne pouvait plus intervenir en cas d’empiétement. Elle devait s’en remettre à la Couronne pour que les terres cédées ne subissent pas de dommages par suite d’un empiétement. La Couronne était tenue de vendre les terres cédées de la façon la plus appropriée pour assurer le bien-être de la revendicatrice. Adopter une approche permissive à l’égard des intrus va à l’encontre de cette obligation qui incombe à la Couronne quand elle gère les terres avant la vente. Le fait que des individus empiètent sur les terres cédées avant la vente nuit aux intérêts de la bande et de ses membres qui ont le droit de tirer profit de la vente des terres, sans que la valeur de celles-ci soit compromise par un empiétement.

5. Conclusion

[130] Pour ces motifs, je conclus que le Canada avait une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession.

G. Question no 7 : Si le Canada avait une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession, a-t-il manqué à cette obligation?

[131] La réserve routière entre les cantons 19 et 19A, menant au Sunset Beach Resort, a continué à être utilisée sans autorisation après la cession. Les bâtiments qui y avaient été construits sans autorisation ont également été conservés après la cession.

[132] En 1943, la réserve routière a été inondée. Le 7 août 1944, la cession a été confirmée par décret. Le 22 novembre 1944, la Couronne a informé la municipalité qu’elle souhaitait faire dévier la route inondée autrement que ne l’avait proposé la municipalité. Le 5 décembre 1944, la Couronne a appris que la route avait été construite, sans que ne soit respecté ce qu’elle avait demandé et sans son autorisation. Le 23 juin 1945, J. P. B. Ostrander, inspecteur des agences indiennes, a écrit à D. J. Allan, de la Division des affaires indiennes. Dans cette lettre, il a déclaré que, bien que la municipalité ait payé 30 $ pour les terres utilisées pour la route de déviation, [traduction] « elle a fait beaucoup plus que 30 $ de dommages à la propriété » (pièce Ex-1, vol 2, onglet 114). Il a également indiqué que l’emplacement initial de la route entre les cantons 19 et 19A [traduction] « n’était en aucun cas inondé, qu’il n’était en contrebas que sur une courte distance et qu’il aurait facilement pu être nivelé ». Par ailleurs, voici un extrait de sa lettre : [traduction] « la nouvelle route construite par la municipalité empiète sur une bonne partie de notre propriété et je maintiens qu’elle n’est pas nécessaire ».

[133] La Couronne doit faire preuve de diligence ordinaire lorsqu’elle gère les terres après une cession pour s’assurer que les terres cédées peuvent être vendues de la manière la plus appropriée pour assurer le bien-être de la bande. Il est raisonnable de penser que la Couronne doit notamment prendre des mesures pour retirer les routes et les bâtiments non autorisés de la RI no 72A et réparer la réserve routière qui avait été inondée en assurant une surveillance et en faisant preuve de diligence. En avril 1944, la Couronne était déjà au courant du problème que posait la réserve routière et, après la cession, elle contrôlait toutes les opérations foncières. Une personne chargée de gérer les terres en vue de leur vente, agissant raisonnablement, se serait assurée que la route soit déviée ou réparée en temps opportun pour éviter que la valeur des terres ne soit réduite. La Couronne a plutôt tardé à agir, ce qui a permis à la municipalité de prendre elle-même certaines mesures, sans en aviser la Couronne, et a causé des dommages aux terres cédées.

[134] La preuve permet donc de conclure que le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice relativement à l’administration des terres de réserve, aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, en ce qui concerne l’empiétement survenu après la cession.

H. Question no 8 : Le Tribunal a-t-il compétence pour entendre une allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven?

1. Contexte

[135] Vers 1909, le ministère fédéral de la Marine et des Pêcheries a construit un barrage sur la rivière Qu’Appelle à Craven, en Saskatchewan (le barrage de Craven), en aval de la crique Long Lake et à une certaine distance en amont de la RI no 72A. Ce barrage avait pour objet et pour effet de faire dévier l’eau de la rivière Qu’Appelle dans le lac Long ou Last Mountain.

[136] Or, rien n’indique que Kahkewistahaw ait été consultée avant la construction du barrage.

[137] Le 17 février 1912, E. W. Miller, inspecteur des pêcheries, a écrit à W. A. Founds, surintendant des pêcheries, à propos de la construction du barrage sur la rivière Qu’Appelle. Il a fait remarquer que le barrage avait été très avantageux pour le lac Long, notamment en ce qui concerne la pêche, mais que [traduction] « [l]es lacs situés en aval (la chaîne de lacs répartis le long de la Qu’Appelle, le [lac] Crooked et le [lac] Round) [avaient] incontestablement pâti en conséquence » et qu’ils étaient rendus peu profonds et stagnants. L’inspecteur Miller a souligné que les conditions découlant de la construction de ce barrage [traduction] « nuisaient à la pérennité et à la santé de la pêche dans ces lacs, plus particulièrement en ce qui concerne les espèces recherchées qui, en temps normal, se trouvent dans ces lacs ».

2. Position de la revendicatrice

[138] La revendicatrice soutient que la Couronne avait l’obligation de fiduciaire de la consulter avant la construction du barrage de Craven. Cette consultation aurait déclenché l’obligation de trouver des accommodements aux intérêts de la Première Nation. L’obligation de consulter les Premières Nations et de prendre en compte leurs intérêts « découle du principe de l’honneur de la Couronne » (Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 16, [2004] 3 RCS 511). La Couronne savait ou aurait dû savoir que la construction du barrage de Craven porterait atteinte au droit de pêche issu de traités de Kahkewistahaw et à son intérêt dans les terres de réserve. Rien n’indique que la Première Nation a été consultée en ce qui concerne le barrage de Craven. Elle soutient donc que la Couronne doit lui verser une indemnité pour ce manquement à son obligation de fiduciaire.

3. Position de l’intimée

[139] L’intimée soutient que le Tribunal n’a pas compétence pour entendre l’allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven. Cette obligation ne s’inscrit pas dans les faits énumérés au paragraphe 14(1) de la LTRP sur lesquels une Première Nation peut fonder une revendication.

4. Analyse

[140] La revendicatrice a raison de dire que l’obligation de consulter les Premières Nations et de prendre en compte leurs intérêts « découle du principe de l’honneur de la Couronne » (Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 16, [2004] 3 RCS 511). Rien n’indique que la Première Nation a été consultée en ce qui concerne le barrage de Craven. Il ressort de la preuve que la construction a nui à la capacité de Kahkewistahaw de pêcher sur ses terres de réserve. La revendicatrice soutient que l’honneur de la Couronne est assujetti aux obligations de fiduciaire. Peut-être la Couronne avait-elle une obligation de fiduciaire de consulter et d’accommoder la revendicatrice avant la construction du barrage de Craven et peut-être le Canada doit-il verser une indemnité à la Première Nation pour avoir manqué à son obligation, mais le Tribunal n’a pas compétence pour trancher cette question.

[141] La compétence du Tribunal se limite aux revendications énumérées dans sa loi habilitante. Le paragraphe 14(1) de la LTRP est ainsi rédigé :

Revendications admissibles

14 (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

a) l’inexécution d’une obligation légale de Sa Majesté liée à la fourniture d’une terre ou de tout autre élément d’actif en vertu d’un traité ou de tout autre accord conclu entre la première nation et Sa Majesté;

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif – relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens – du Canada ou d’une colonie de la Grande-Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada;

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve – notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale – ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve;

e) l’absence de compensation adéquate pour la prise ou l’endommagement, en vertu d’un pouvoir légal, de terres d’une réserve par Sa Majesté ou un organisme fédéral;

f) la fraude, de la part d’un employé ou mandataire de Sa Majesté, relativement à l’acquisition, à la location ou à la disposition de terres d’une réserve.

[142] La revendicatrice se fonde sur l’alinéa 14(1)c) de la LTRP. Elle soutient que l’acte de construction du barrage de Craven a, en droit, donné naissance à une obligation de fiduciaire de consulter la Première Nation. Le barrage a été construit sans qu’aucune consultation ne soit menée. Selon elle, il s’agissait d’un engagement unilatéral de la Couronne, contraire à son obligation de fiduciaire envers la revendicatrice, qui a porté atteinte aux terres de réserve et aux droits issus de traités de Kahkewistahaw, de sorte que le Tribunal a compétence sur la question.

[143] À mon avis, l’interprétation que fait la revendicatrice de l’expression « engagement unilatéral » dans le contexte de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP est incorrecte. Cet alinéa confère au Tribunal la compétence pour instruire les revendications fondées sur la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres de réserve, notamment lorsque la Couronne s’est engagée à faire quelque chose au profit du groupe autochtone. Dans ce contexte, l’engagement unilatéral ne désigne pas une seule mesure prise par la Couronne qui porte atteinte à la Première Nation, mais plutôt une promesse solennelle faite à la Première Nation à la suite de la fourniture ou de la non-fourniture de terres de réserve.

[144] Cette interprétation est conforme à l’objet de l’alinéa qui a été énoncé dès sa rédaction. Devant le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord en 2008, le professeur Bryan Schwartz, citant l’arrêt Wewaykum rendu par la Cour suprême du Canada, a affirmé que le libellé de l’alinéa 14(1)c) visait à garantir que « les revendications semblables aux revendications des Wewa[y]kum, qui ont lieu lorsque le gouvernement fédéral s’est engagé unilatéralement à fournir des terres pour une réserve conformément à la décision d’une commission des traités », puissent être déposées devant le nouveau Tribunal des revendications particulières (je souligne; Chambre des communes, Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, Témoignages, 39-2, no 21 (2 avril 2008), à 16:05 (Bryan Schwartz)). Le terme « undertaking » (« engagement ») est défini dans le Black’s Law Dictionary, 11e éd., comme étant [traduction] « une promesse, un serment ou un engagement », mais l’intention est peut-être mieux illustrée dans la version française de l’alinéa 14(1)c) où « unilateral undertaking » est traduit par « engagement unilatéral ».

[145] Cette interprétation est également conforme à la jurisprudence du Tribunal. Le Tribunal a examiné le sens de l’expression « engagement unilatéral » utilisée à l’alinéa 14(1)c) dans les décisions Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 3 aux para 215-223, et Première Nation des Atikamekw d’Opitciwan c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 6 au para 558 [Atikamekw]. Dans ces décisions, le Tribunal a examiné l’impact des engagements unilatéraux pris envers les Premières Nations par les gouvernements coloniaux de la Colombie-Britannique et du Québec, avant la confédération. Dans chaque cas, le Tribunal a conclu qu’il fallait interpréter l’engagement unilatéral, tel que cette expression est utilisée à l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, comme une promesse solennelle faite à un groupe autochtone, au profit de ce groupe.

[146] Dans la décision Atikamekw, le Tribunal a conclu que la Couronne avait pris un engagement unilatéral envers la Première Nation des Atikamekw d’Opitciwan, conformément à l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, quand elle a promis de consulter la Première Nation avant d’approuver l’entente d’indemnisation soumise par le gouvernement du Québec. En l’espèce, rien n’indique que la Couronne avait fait une telle promesse à la revendicatrice en ce qui concerne la construction du barrage de Craven. Cela ne signifie pas que la Couronne n’était peut-être pas tenue de consulter la revendicatrice avant la construction du barrage, mais seulement que le Tribunal n’a pas la compétence pour déterminer si la Couronne avait une obligation de fiduciaire de consulter et d’accommoder la Première Nation avant la construction du barrage de Craven ou si le Canada doit verser une indemnité à la Première Nation dans la mesure où la Couronne aurait manqué à son obligation.

5. Conclusion

[147] Pour ces motifs, je conclus que le Tribunal n’a pas compétence pour entendre l’allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven, car ce type de manquement ne fait pas partie des revendications admissibles énumérées au paragraphe 14(1) de la LTRP.

I. Question no 9 : En supposant que le Tribunal a compétence pour entendre l’allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven, le Canada a-t-il manqué à son obligation?

[148] Ayant conclu qu’il n’a pas compétence pour entendre l’allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven, le Tribunal n’a pas à répondre à cette question.

VI. Conclusion

[149] Pour les motifs exposés ci-dessus, je suis arrivée aux conclusions suivantes :

  1. Le Canada n’a pas manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice avant la cession de la RI no 72A de 1944;

  2. Le Canada n’a pas manqué à l’obligation que lui imposait la Loi des Indiens de 1927 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944;

  3. Le Canada n’a pas manqué à l’obligation que lui imposait le Traité no 4 à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne la cession de la RI no 72A de 1944;

  4. Le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice après la cession, au-delà du manquement qui a été expressément admis;

  5. Le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qui lui incombait à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A avant la cession;

  6. Le Canada avait une obligation de fiduciaire à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession;

  7. Le Canada a manqué à l’obligation de fiduciaire qu’il avait à l’égard de la revendicatrice en ce qui concerne l’empiétement survenu sur la RI no 72A après la cession;

  8. Le Tribunal n’a pas compétence pour entendre une allégation de manquement à l’obligation de consulter et d’accommoder en ce qui concerne la construction du barrage de Craven.

VICTORIA CHIAPPETTA

L’honorable Victoria Chiappetta, présidente

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20220623

Dossier : SCT-5002-16

OTTAWA (ONTARIO), le 23 juin 2022

En présence de l’honorable Victoria Chiappetta, présidente

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE KAHKEWISTAHAW

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DE KAHKEWISTAHAW

Représentée par Me Stephen Pillipow et Me Adam Touet

SMP Law et W Law LLP

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Me Scott Bell, Me Lauri Miller et Me Nicole Sample

Ministère de la Justice du Canada

 

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